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Date : 20050323

Dossier : T-1096-04

Référence : 2005 CF 402

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                           ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

                                                                                                                                demanderesse

                                                                            et

                                          PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         défendeur

                                                                                                                                          T-1098-04

                           ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

                                                                                                                                demanderesse

                                                                            et

                                          PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         défendeur


                                                                                                                                          T-1099-04

                           ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

                                                                                                                                demanderesse

                                                                            et

                                          PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La demanderesse, l'Alliance de la Fonction publique du Canada (l'Alliance), présente quatre demandes de contrôle judiciaire à l'encontre de décisions rendues par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) concernant quatre plaintes distinctes déposées par l'Alliance et rejetées par la Commission.


[2]                Le litige dont la Cour est saisie porte sur une série d'ententes conclues par le gouvernement fédéral avec certains gouvernements provinciaux, prévoyant le transfert de fonctionnaires fédéraux vers la fonction publique provinciale. Dans les grandes lignes, la question sous-jacente dans toutes les demandes de contrôle judiciaire consiste à savoir si le gouvernement fédéral a commis une faute en omettant de satisfaire à ses obligations d'offrir une rémunération appropriée (exempte de discrimination) à un groupe d'employés donné. Plus particulièrement, en ce qui concerne les questions de droit dont est saisie la Cour, trois demandes sont parfaitement identiques : elles portent toutes sur la décision de la Commission de rejeter les plaintes, au vu des conditions de l'entente entre les parties. La quatrième demande est différente : indépendamment des conditions de l'entente, elle concerne la décision de la Commission de rejeter une plainte au motif que les faits ayant donné lieu à cette plainte se sont produits il y a trop longtemps. La demande correspondant à cette quatrième plainte (T-1097-04) sera examinée dans des motifs distincts, rendus simultanément.

LES FAITS

[3]                Dans les années 1990, le gouvernement fédéral a conclu une série d'ententes de transfert d'employés (les ententes) avec certains gouvernements provinciaux. En 1991 et 1992, des ententes ont été signées avec le gouvernement du Québec et en 1997, plusieurs autres ententes ont été conclues avec les provinces de l'Alberta, du Manitoba, du Nouveau-Brunswick et du Québec.

[4]                Parmi les fonctionnaires du gouvernement fédéral (provenant de différents ministères) visés par ces ententes se trouvait un groupe d'employés de bureau composé majoritairement de femmes (le groupe CR).


[5]                Chaque entente prévoyait les modalités d'emploi et le salaire des employés. Ainsi, les employés devaient toucher un salaire au moins égal au salaire qu'ils percevaient pour le poste qu'ils occupaient dans la fonction publique fédérale. Les ententes prévoyaient également des rajustements de salaire, dans l'éventualité où le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) rendrait une décision finale à l'égard d'une plainte en matière de parité salariale ou qu'un règlement serait conclu avant la date de transfert de l'employé. Les salaires ne seraient pas rajustés si la décision de la Commission intervenait après le transfert.

[6]                Le 29 juillet 1998, après la signature des ententes et le transfert des employés entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, le Tribunal a rendu une décision à l'égard d'une plainte en matière de parité salariale, reconnaissant que les employés du gouvernement fédéral dans le groupe CR, à prédominance féminine, ne recevaient pas un salaire égal pour un travail de valeur égale à celui effectué par des employés appartenant à des groupes majoritairement composés d'hommes. Dans son ordonnance, le Tribunal précise que la période visée par les rajustements de salaire était comprise entre le 8 mars 1985 et le 29 juillet 1998 et qu'après le 29 juillet 1998, les rajustements de parité salariale seraient incorporés au salaire de base des employés.

[7]                En vue de faire appliquer l'ordonnance du Tribunal, l'Alliance et le gouvernement fédéral ont conclu un « accord d'application » le 29 octobre 1999. Cet accord a été incorporé à l'ordonnance du Tribunal en novembre 1999, à la demande des parties.

[8]                Aux termes de l'accord d'application, et plus particulièrement du paragraphe 9.4, les employés appartenant au groupe CR ont reçu un paiement forfaitaire pour la période pendant laquelle ils occupaient un poste au gouvernement fédéral.

LES PLAINTES ET LES DÉCISIONS DE LA COMMISSION

[9]                En janvier 2000, la demanderesse a déposé trois plaintes devant la Commission, alléguant que les divers organismes fédéraux avaient adopté des pratiques discriminatoires à l'égard des employés appartenant au groupe CR, composé majoritairement de femmes, en signant les ententes avec les différents gouvernements provinciaux. La plainte 20000258 concerne le ministère du Développement des ressources humaines Canada, la Commission de l'assurance-emploi du Canada et le Conseil du Trésor; elle porte sur les ententes conclues avec les gouvernements provinciaux de l'Alberta, du Nouveau-Brunswick et du Manitoba. La plainte 20000257 a été déposée contre ces trois mêmes organismes fédéraux et correspond à l'entente signée avec le gouvernement du Québec. La plainte 20000451 a été déposée contre le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration et le Conseil du Trésor; elle correspond à l'entente signée avec le gouvernement provincial du Québec.


[10]            Le 3 mai 2004, la Commission a jugé, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi), qu'aucune de ces trois plaintes ne justifiait l'examen par un tribunal [traduction] « parce que les modalités de l'accord d'application conclu entre l'Alliance et le Conseil du Trésor ne prévoyaient pas le rajustement des taux de rémunération de base des employés transférés » . Les décisions de la Commission à l'égard des plaintes 20000258, 20000257 et 20000451 ont respectivement donné lieu aux demandes T-1096-04, T-1098-04 et T-1099-04 (ci-après, les plaintes de 2000, collectivement).

ANALYSE

La norme de contrôle

[11]            La Commission a rejeté les plaintes de 2000 en se fondant sur le sous-alinéa 44(3)b)(i), libellé comme suit :


44.(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

[...]

                b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

                                (i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

[...]

44. (3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

[...]

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted

[...]



[12]            L'énoncé clé de cette disposition - « compte tenu des circonstances » - est révélateur du pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission à cette étape du processus d'examen des plaintes. Néanmoins, toutes les décisions prises par un organisme administratif, y compris celles qui relèvent d'un pouvoir discrétionnaire, sont assujetties aux principes de la méthode pragmatique et fonctionnelle (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226). L'application des critères définis dans le cadre de cette méthode - l'existence ou non d'une clause privative, l'expertise relative de l'organisme administratif, la nature de la disposition en cause et de la loi dans son ensemble ainsi que la nature du problème dont est saisi l'organisme - permet de déterminer le degré de déférence souhaité par le législateur. Différentes décisions rendues par la même entité administrative, en vertu de la même disposition législative, peuvent en théorie faire l'objet de normes de contrôle différentes.

[13]            Certes, « en règle générale, [...] le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape » (Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.F.), [1998] A.C.F. no 1609 (C.A.F.)(QL), au paragraphe 38), il incombe à la Cour d'appliquer la méthode pragmatique et fonctionnelle aux faits de l'espèce, compte tenu, surtout, des arguments avancés par la demanderesse à l'appui de la norme de la décision correcte[1].


[14]            Le premier critère donne à penser que la Cour peut faire preuve de moins de retenue : la Loi ne contient aucune clause privative. Toutefois, les deuxième et troisième critères indiquent le contraire. La Commission possède une expertise relativement à la fonction qu'elle est habilitée à exercer aux termes de l'alinéa 44(3)b), qui consiste à effectuer un examen préalable. Le juge LaForest décrit cette fonction dans Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, au paragraphe 53, comparant le rôle de la Commission au processus juridictionnel des tribunaux et des autres organismes judiciaires :

La Commission n'est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi. Lorsqu'elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu'un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l'ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L'aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s'il existe une preuve suffisante. Le juge Sopinka a soulignéce point dans Syndicat des employés de production du Québec et de L'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la p. 899 :

L'autre possibilité est le rejet de la plainte. Àmon avis, telle est l'intention sous-jacente à l'al. 36(3)b) [maintenant al. 44(3)b)] pour les cas oùla preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d'un tribunal en application de l'art. 39 [maintenant art. 49]. Le but n'est pas d'en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante.

[15]            La demanderesse insiste sur le quatrième critère de la méthode - la nature du problème ou de la décision - pour justifier l'application de la norme de la décision correcte, faisant valoir que la décision prise par la Commission est fondée sur son interprétation de contrats et d'ordonnances du Tribunal, c'est-à-dire de questions de droit, selon elle. En toute déférence, je ne suis pas d'accord.


[16]            En l'espèce, la Commission a rejeté les plaintes de 2000 « parce que les modalités de l'accord d'application conclu entre l'Alliance et le Conseil du Trésor ne prévoyaient pas le rajustement des taux de rémunération de base des employés transférés » . Bien que la conclusion de la Commission soit reliée au libellé des ententes et des ordonnances rendues par le Tribunal (dont l'interprétation n'équivaut pas, soulignons-le, à une interprétation de la loi), elle a été tirée en tenant compte des faits propres au contexte dans lequel l'accord d'application et les ententes ont été passés et les ordonnances du Tribunal prononcées. Bref, les décisions de la Commission ne sont pas fondées sur de pures questions de droit. Selon moi, il serait plus juste de dire que ces décisions portent sur des questions mixtes de droit et de fait[2]. Compte tenu des critères mentionnés plus haut, je suis convaincue que la norme de contrôle judiciaire appropriée en l'espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[17]            Les demandes de contrôle judiciaire correspondant aux plaintes de 2000 ne devraient donc être accueillies que si les décisions en cause sont jugées « déraisonnables » . La Cour suprême du Canada définit ainsi le caractère « déraisonnable » d'une décision dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 55 :


La décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait. Si l'un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n'est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir. Cela signifie qu'une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n'est pas convaincante aux yeux de la cour de révision. [Les notes de bas de page ont été omises.]

Le caractère raisonnable des décisions

[18]            La Commission disposait des documents suivants, lorsqu'elle a rendu ses décisions à l'égard des plaintes de 2000 :

- formulaire de plainte signé;

- rapport d'enquête en date du 20 janvier 2004;

- lettre en date du 9 mars 2004 adressée à Piero Narducci (de la Commission) par David Yazbeck (avocat de la demanderesse);

- décision de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans Dartmouth (City) c. Nova Scotia (Pay Equity Commission), [1994] N.S.J. No. 438 (C.A.N.-É.);

- lettre en date du 17 février 2004 adressée à Piero Narducci (de la Commission) par Gray Gillespie (directeur exécutif intérimaire, Division de la gestion des risques, Secrétariat du Conseil du Trésor);

- lettre en date du 23 mars 2004 adressée à Piero Narducci (de la Commission) par David Yazbeck (avocat de la demanderesse);

- lettre en date du 23 mars 2004 adressée à Piero Narducci (de la Commission) par Gray Gillespie (directeur exécutif intérimaire, Division de la gestion des risques, Secrétariat du Conseil du Trésor);

- chronologie.


[19]            De cet « examen assez poussé » (Ryan, précité) des décisions de la Commission, se dégagent plus particulièrement trois éléments parmi les documents mentionnés plus haut : (1) les ententes; (2) l'ordonnance du Tribunal en date du 29 juillet 1998; (3) l'accord d'application (plus particulièrement, le paragraphe 9.4 et l'article 11 de celui-ci qui ont été soumis à la Commission)[3]. Pour accomplir la tâche qui me revient - évaluer le caractère raisonnable des décisions de la Commission à l'égard des plaintes de 2000 - il faut étudier les arguments soulevés par chacune des parties concernant ces trois éléments.

[20]            La demanderesse se concentre essentiellement sur les conséquences des ententes; selon elle, les ententes auraient pour effet de « geler les salaires illégaux » des employés du groupe CR transférés, faisant ainsi perdurer la discrimination. La demanderesse insiste sur le fait qu'elle n'a joué aucun rôle dans l'élaboration des différentes ententes et la preuve démontre que l'Alliance a informé le défendeur que les ententes pourraient avoir une incidence discriminatoire sur les employés transférés, dans l'éventualité où une décision ou un règlement sur la parité salariale interviendrait après le transfert.

[21]            En outre, la demanderesse fait valoir que l'accord d'application ne règle en rien les problèmes à l'origine des plaintes de 2000, à savoir les taux de rémunération de base discriminatoires des employés du groupe CR transférés. Le paragraphe 9.4 de l'accord, tel que libellé, porte uniquement sur le versement de montants forfaitaires dans les cas de cessation d'emploi. Ces versements sont offerts même si un employé n'est pas concerné par un transfert et donc, selon la demanderesse, cette disposition ne peut être interprétée comme un recours exhaustif pour les employés visés dans les plaintes de 2000.


[22]            L'article 11 de l'accord d'application, au contraire, donne à penser que les parties ont prévu que d'autres recours pouvaient être utilisés. Le paragraphe 11.1 précise qu'un processus d'examen des erreurs peut être mis en branle [traduction] « lorsque l'application de la règle prescrite ne tient pas compte de toutes les circonstances possibles propres aux employés ou aux anciens employés » . En même temps, dans l'esprit de la demanderesse, selon ce qu'atteste la preuve, l'accord [traduction] « n'empêchait pas un employé de se prévaloir des mécanismes de recours » (article 11.3), par exemple, déposer les plaintes visées aux présentes devant la Commission.

[23]            Le défendeur, au contraire, pense que l'accord d'application, conjugué à l'ordonnance du Tribunal en date du 29 juillet 1998, équivaut à un règlement effectif de l'affaire. Le défendeur souligne que l'accord, auquel l'Alliance a souscrit de son plein gré, fixe une limite claire à l'égard des rajustements du salaire de base (le 29 juillet 1998), soit après la date de transfert. La mesure corrective sous forme de versement forfaitaire, tel que prévu au paragraphe 9.4, satisfait donc à l'intégralité des obligations du défendeur à l'égard des employés transférés. En outre, tel que mentionné dans la deuxième ordonnance du Tribunal (qui reprend simplement les dispositions de l'accord d'application), celui-ci est réputé avoir réglé toutes les questions en litige entre les parties. Ce sont les arguments retenus dans le rapport d'enquête et dans la décision rendue par la Commission.

[24]            Selon moi, toutefois, le raisonnement du défendeur n'est pas logique sous deux aspects. Premièrement, il s'agit d'un raisonnement tautologique : on ne peut pas prétendre, en toute logique, que le versement du montant forfaitaire prévu au paragraphe 9.4 satisfait à l'intégralité des obligations, alors que l'article 11 indique clairement la possibilité d'exercer d'autres recours, soit par l'intermédiaire des mécanismes internes, soit par l'intermédiaire d'un organisme externe tel que la Commission. Il est possible que les parties n'aient pas eu l'intention d'appliquer l'article 11 aux employés transférés (quoique j'observe que cette disposition fait clairement mention des « anciens employés » ). Pourtant, l'absence de preuve pour étayer cette prétention et le fait que l'enquêteur ne fait aucune mention de l'article 11 dans son rapport me semblent curieux.

[25]            Deuxièmement, et c'est l'aspect le plus important, il est clair que l'accord d'application ne porte aucunement sur l'essence des plaintes de 2000. Comme le souligne la demanderesse, à titre d'exemple :

[Traduction] Une employée qui, avant son transfert, travaillait depuis trois ans au gouvernement fédéral était habilitée à recevoir une prime de cessation d'emploi correspondant à environ un mois de salaire par année de service. Si cette employée devait travailler pendant 20 ans pour le gouvernement provincial auquel elle était transférée à un taux de rémunération discriminatoire, les trois mois de prime de cessation d'emploi seraient loin de l'indemniser de la discrimination salariale [dont elle continuerait à faire l'objet après la prise d'effet des ententes].


[26]            Pourtant, le défendeur prétend que l'Alliance, en signant l'accord d'application, a volontairement privé les employés du groupe CR du rajustement du salaire de base. Une telle position constitue toutefois une interprétation erronée des termes de l'accord et de la nature de l'ordonnance du Tribunal rendue le 29 juillet 1998.

[27]            Rappelons que l'accord d'application a été élaboré à la suite de l'ordonnance du 29 juillet 1998. En ce qui concerne les employés ayant conservé un poste au gouvernement fédéral, l'ordonnance est simple : la preuve ayant démontré l'existence de taux de rémunération discriminatoires, les employés devaient recevoir un montant forfaitaire pour compenser les salaires discriminatoires qu'ils avaient perçus dans le passé; en outre, à compter de la décision, des rajustements devaient être apportés à leurs salaires de base.

[28]            Accorder une telle importance à la date de l'ordonnance du Tribunal, comme l'a fait le défendeur devant la Cour, c'est mal comprendre, à mon avis, les intentions du Tribunal. Le Tribunal n'avait pas à se préoccuper des circonstances propres aux employés qui avaient cessé de travailler pour le gouvernement fédéral. Il n'est donc pas étonnant que le Tribunal n'ait pas porté attention au fait qu'en formulant la mesure corrective de cette manière (versement de montants forfaitaires rétroactifs et rajustements de salaire éventuels), les employés qui quittaient la fonction publique fédérale avant la date de la décision (compte tenu des modalités des ententes) ne profiteraient pas des rajustements de salaire. Pour résumer, nulle part dans les ordonnances de 1998 il n'est fait mention des circonstances propres aux employés transférés en vertu des ententes. D'où le dépôt des plaintes de 2000.

[29]            Pour conclure, de trop nombreuses questions concernant l'intention des parties et l'effet exact des ententes et de l'accord d'application demeurent sans réponse. Ces questions sont cruciales pour comprendre l'essence des plaintes déposées par la demanderesse et donc pour statuer sur l'opportunité de constituer un tribunal.

[30]            N'oublions pas qu'à ce stade, la tâche de la Commission ne consiste pas à juger si la plainte est fondée (par exemple, voir Cooper, précité). La Commission doit plutôt effectuer un examen préalable des plaintes et déterminer s'il existe des motifs raisonnables ou une preuve suffisante pour justifier la constitution d'un tribunal. À mon avis, la décision de la Commission de rejeter les plaintes de 2000 en se fondant sur le sous-alinéa 44(3)b)(i) est, compte tenu de la preuve au dossier, déraisonnable.

[31]            Pour ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire à l'égard des plaintes de 2000, à savoir les demandes T-1096-04, T-1098-04 et T-1099-04, sont accueillies. La décision de la Commission est annulée. L'affaire est renvoyée pour un nouvel examen. Le tout avec dépens.

                                        ORDONNANCE


LA COUR ORDONNE que les demandes de contrôle judiciaire relatives aux plaintes de 2000, à savoir les demandes T-1096-04, T-1098-04 et T-1099-04, soient accueillies. La décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée pour un nouvel examen. Le tout avec dépens.

                                                                 « Danièle Tremblay-Lamer »   

Juge     

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :               T-1096-04, T-1098-04, T-1099-04

INTITULÉ:               Alliance de la fonction publique du Canada

et

Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                           Le 2 mars 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  La juge Danièle Tremblay-Lamer

DATE :                      Le 23 mars 2005

COMPARUTIONS :

David Yazbeck

James Cameron                                            POUR LA DEMANDERESSE

Marie-Josée Montreuil                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron, Ballantyne,

& Yazbeck

Ottawa (Ontario)                                             POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                             POUR LE DÉFENDEUR



[1]    Comme nous le verrons plus en détail dans ces motifs, les arguments de la demanderesse portent essentiellement sur la norme de contrôle quant à un aspect précis de la méthode pragmatique et fonctionnelle, à savoir la nature de la décision. La demanderesse soutient que la décision de la Commission est fondée sur son interprétation des contrats et des ordonnances du Tribunal; selon elle, il s'agit de questions de droit qui ne justifient aucune déférence de la part de la Cour (c.-à-d. que le contrôle judiciaire doit être fondé sur la norme de la décision correcte). Cet accent sur la nature de la décision, de même que la « primauté de la méthode pragmatique et fonctionnelle » préconisée par la Cour suprême (voir Dr. Q, précité), justifient de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle approfondie, même si la Cour et la Cour d'appel fédérale ont déjà examiné attentivement le degré de déférence dont elles doivent faire preuve envers la Commission, en ce qui concerne les décisions rendues en vertu de l'alinéa 44(3)b) (par exemple, voir Gee c. Canada (Ministre du Revenu national) (2002) 284 N.R. 321 (C.A.F.), [2002] A.C.F. no 12 (C.A.F.)(QL); MacLean c. Marine Atlantic Inc., [2003] A.C.F. no 1854 (C.F.)(QL); Gardner c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 616 (C.F.)(QL)).

[2]    De la même manière, dans MacLean, précitée, une affaire portant sur une entente dont on alléguait la nature discriminatoire, le juge O'Keefe a déterminé que la plainte dont était saisie la Commission concernait une question mixte de fait et de droit. La norme de contrôle judiciaire était donc celle de la décision raisonnable simpliciter.

[3]    La deuxième ordonnance du Tribunal, rendue en 1999 à la demande des parties, est également pertinente mais elle constitue une simple codification de l'accord d'application.


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