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Date : 20040430

Dossier : IMM-2218-03

Référence : 2004 CF 648

Toronto (Ontario), le 30 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                                PETER KUDAR

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                M. Kudar exploitait une entreprise de vente en gros de produits saisonniers en Hongrie en 1999 et en 2000. Son entreprise était en concurrence directe avec une autre entreprise appartenant à un député local, le docteur Gyorgy Atyanski (M. Atyanski). Ce dernier, qui a été reconnu coupable d'infractions en matière de faillite depuis, jouissait alors d'une immunité contre les poursuites. M. Kudar prétend qu'il est un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger. La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande.

[2]                M. Kudar affirmait avoir été harcelé, battu et menacé par les hommes de main de M. Atyanski. La première fois qu'il a été battu, en octobre 1999, il a perdu le bout d'un doigt. Malgré les avertissements, il a communiqué avec la police. Après avoir constaté que l'agent chargé des dossiers était l'un de ses agresseurs. M. Kudar n'a plus fait appel à la police.

[3]                À d'autres occasions, des hommes sont allés chez lui la nuit et l'ont battu, ce qui a incité sa femme à le quitter avec les enfants pour aller vivre chez ses parents. M. Kudar a indiqué qu'il avait tenté, mais sans succès, de convaincre d'autres gens d'affaires locaux de tenir tête à M. Atyanski. À la fin de la saison 2000, il a accepté l'offre d'achat de M. Atyanski et a investi le produit de la vente dans une ferme d'élevage de dindons. Lorsque le temps de vendre les volailles est arrivé, M. Atyanski a fait en sorte qu'il ne puisse en obtenir un juste prix.

[4]                La demande de remboursement de la somme versée par M. Atyanski pour acheter l'entreprise de M. Kudar aurait été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. M. Kudar aurait accepté de rembourser la somme, avant d'apprendre qu'il devait remettre le double de celle-ci parce qu'il devait payer des intérêts sur le [traduction] « prêt » . Comme il n'avait pas l'argent, M. Atyanski lui a proposé un marché illicite. M. Kudar a demandé un délai de deux semaines pour y réfléchir et a pris des dispositions pour venir au Canada.


[5]                La SPR n'a tiré aucune conclusion défavorable au regard de la crédibilité ou de la vraisemblance du récit fait par M. Kudar. Selon elle, étant donné que M. Atyanski n'est plus député et que des mesures ont été prises contre lui (il a été accusé, déclaré coupable et condamné), son influence est beaucoup moins grande que par le passé. Vu le temps qui s'est écoulé depuis les événements, il n'existe pas plus qu'une simple possibilité que M. Kudar soit persécuté aujourd'hui par M. Atyanski ou par ses complices. La SPR a tiré une conclusion semblable relativement à la question de savoir si M. Kudar serait exposé au risque d'être torturé, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[6]                De plus, la SPR a considéré qu'elle ne disposait pas d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État de protéger M. Kudar puisque la preuve documentaire révélait que, bien que la corruption policière constitue un problème en Hongrie, le gouvernement fait des efforts sérieux pour la combattre. En outre, il appert que le système est efficace puisque, malgré sa position et son pouvoir, M. Atyanski a été poursuivi et condamné.

[7]                Dans ses allégations écrites, M. Kudar prétend que la SPR n'a pas étudié correctement sa demande en fonction des motifs regroupés de menace à sa vie et de risque de traitements ou peines cruels et inusités. Cette prétention n'a pas été mise de l'avant à l'audience.

[8]                M. Kudar prétend que la décision de la SPR reposait presque exclusivement sur le fait qu'il n'a plus rien à craindre puisque M. Atyanski n'exerce plus de pouvoir politique. La SPR a ainsi fait abstraction de la preuve selon laquelle il craint également l'organisation criminelle dirigée par M. Atyanski. Ce dernier l'avait persécuté non pas en tant que personnage politique, mais en qualité de chef d'une organisation criminelle. Il soutient par ailleurs que la SPR a commis une erreur n'évaluant pas l'importance, la réalité et la durabilité de la preuve du changement de conditions survenu dans le pays. Il s'appuie à cet égard sur les décisions Yusuf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 179 N.R. 11 (C.A.F.), et Zdjelar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 4 C.F. 560. L'appareil gouvernemental est toujours corrompu et l'organisation criminelle existe encore malgré le départ de l'un des députés. Le demandeur soutient également que la SPR a commis une erreur en ne déterminant pas si, malgré le changement de circonstances, il existait toujours des raisons impérieuses de lui reconnaître la qualité de réfugié.


[9]                Dans sa décision, la SPR ne parle pas seulement de M. Atyanski, mais aussi de ses complices. Par conséquent, on ne peut pas dire qu'elle a examiné l'affaire en considérant uniquement M. Atyanski comme un personnage politique. Dans l'arrêt Mileva c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 398 (C.A.), le juge Marceau a défini l'expression « changement de circonstances » comme un changement important sur le plan social ou politique survenu dans le pays d'origine depuis le jour de la décision. Les décisions Yusuf et Zdjelar, précitées, n'aident pas la cause de M. Kudar. Dans Yusuf, la Cour d'appel a statué qu'un changement dans la situation politique est pertinent seulement s'il aide à établir l'existence d'une menace objective de persécution à la date de l'audience. Il s'agit d'une question qui dépend des faits.

[10]            En ce qui concerne l'existence de « raisons impérieuses » , il n'est pas question de perte de l'asile si le demandeur ne s'est jamais vu reconnaître la qualité de réfugié (ou de personne à protéger), de sorte que l'exception relative aux raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures ne peut s'appliquer : Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 30 Imm. L.R. (2d) 226; Corrales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1283; Diamanama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 893. Il peut arriver que l'on considère que la SPR a implicitement conclu que le demandeur était auparavant un réfugié et qu'il le serait toujours si les conditions du pays n'avaient pas changé. Or, ce n'est pas le cas en l'espèce. La SPR a conclu que M. Kudar pouvait obtenir la protection de la police et qu'il n'était donc pas un réfugié. Le fait que les conditions dans le pays ont changé n'a aucune importance. De plus, l'exception relative aux raisons impérieuses prévue au paragraphe 108(4) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, ne s'applique pas.


[11]            La décision de la SPR portait sur une menace particulière à laquelle M. Kudar était exposée et, sans décider si cette menace pouvait constituer un motif valable pour demander l'asile, la SPR a considéré qu'elle était maintenant réduite au point où la demande devait être rejetée. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.

[12]            M. Kudar prétend également que la SPR n'a analysé que de façon superficielle la question du risque et qu'elle n'a pas examiné la question de la protection de l'État. À mon avis, la SPR pouvait raisonnablement tirer les conclusions auxquelles elle est arrivée en ce qui concerne la protection de l'État et l'importance de la corruption en Hongrie. Ses conclusions étaient étayées par des éléments de preuve. Par ailleurs, la SPR a examiné la question de la protection de l'État, contrairement à ce que prétend M. Kudar. Elle a indiqué que ce dernier aurait pu parler de sa situation à un autre député ou au ministère public, lequel, selon la preuve documentaire, est chargé d'enquêter sur les actes répréhensibles et les crimes commis par des policiers et sur le crime organisé et d'intenter les poursuites qui s'imposent. Finalement, la SPR disposait d'éléments de preuve indiquant que la personne même que craignait M. Kudar avait fait l'objet d'une enquête policière et avait été poursuivie. J'estime que la conclusion de la SPR concernant la protection de l'État n'était pas erronée, ce qui est suffisant pour statuer sur la demande.

[13]            Les avocats n'ont proposé aucune question à des fins de certification. La présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                              « Carolyn Layden-Stevenson »          

                                                                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              IMM-2218-03

INTITULÉ :                                                             PETER KUDAR

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 20 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                           LE 30 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Peter Ivanyi                                                                POUR LE DEMANDEUR

David Tyndale                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochon Genova                                                         POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


                         COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20040430

                                Dossier : IMM-2218-03

ENTRE :

PETER KUDAR

                                                                  demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                 


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