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Date : 20051011

 

Dossier : IMM-4468-05

 

Référence : 2005 CF 1380

 

 

Vancouver (Colombie‑Britannique), le mardi 11 octobre 2005

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

 

ENTRE :

 

                                         LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                  ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

 

 

                                                     MOHAMUD HASSAN MUSE

 

                                                                                                                                             défendeur

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               M. Muse a été reconnu coupable d’enlèvement et de viol. En outre, il est un Somalien visé par une demande de contrôle judiciaire en matière d’immigration dont la Cour est saisie. Il prétend avoir besoin d’un avocat, mais de ne pas avoir les moyens de le payer. Il demande à la Cour d’ordonner au ministre de lui fournir un avocat.

 


[2]               M. Muse est arrivé au Canada en qualité de résident permanent en 1996. En 2002, il a été déclaré coupable d’avoir enlevé et violé une jeune fille de 17 ans. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 54 mois relativement à chacune des infractions, lesquelles peines devaient être purgées en même temps.

 

[3]               En mai de cette année, l’agent d’ERAR a décidé que M. Muse serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé en Somalie.

 

[4]               Puisque le demandeur est interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, l’article 113 de la LIPR entre en jeu. L’affaire a été renvoyée au représentant du ministre pour décision définitive. Le ministre doit déterminer notamment si M. Muse constitue un danger pour le public au Canada. Il pourrait s’écouler un certain temps avant que cette décision soit rendue. La Cour n’a pas à se prononcer sur cette décision. La question dont est saisie la Cour est de savoir ce qu’il adviendra de M. Muse en attendant la décision.

 

[5]               En conformité avec la loi et la réglementation, le demandeur est en détention. Les motifs de la détention doivent régulièrement faire l’objet d’un contrôle. Lors des trois premiers contrôles, il a été décidé que M. Muse constituait un danger pour le public et qu’il n’allait vraisemblablement pas comparaître volontairement aux fins de son renvoi du Canada.

 

[6]               Toutefois, lors du quatrième contrôle, M. Muse a été mis en liberté sous réserve de certaines conditions. Il devait, notamment remettre une garantie de 7 500 $ et se présenter chaque semaine aux autorités de l’Immigration.

 

[7]               Le ministre a immédiatement déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision et a obtenu de la Cour un sursis d’exécution de l’ordonnance de mise en liberté. M. Muse demeure en détention.

 

[8]               La demande d’autorisation n’a pas encore été entendue. M. Muse a fait proroger les délais impartis pour le dépôt de son dossier de requête en réponse pendant qu’il tentait d’obtenir une ordonnance pour que l’État lui paye un avocat.

 


[9]               M. Muse, qui parfois était représenté lors des contrôles des motifs de la détention et qui parfois ne l’était pas, a demandé que la décision concernant sa requête soit prise uniquement sur la base de ses prétentions écrites, en conformité avec l’article 369 des Règles des Cours fédérales. Le ministre a déposé des documents en réponse et il a accepté que la requête soit tranchée sur la base des prétentions écrites.

 

[10]           Toutefois, le juge de service a demandé aux parties de comparaître. M. Muse devait comparaître par téléconférence. Il ne l’a pas fait. Le juge de service a demandé à l’avocate du ministre si elle était au courant de causes dans lesquelles les Cours fédérales avaient ordonné à l’État de payer les services d’un avocat. Elle n’en connaissait aucune. La requête a été rejetée.

 

[11]           M. Muse a ensuite demandé, par l’entremise d’un avocat qui a déclaré que ses services n’avaient été retenus que pour cette seule requête, que l’ordonnance soit annulée parce que son absence résultait d’un événement fortuit ou d’une erreur et qu’il pouvait présenter une preuve prima facie pour établir que l’ordonnance n’aurait pas dû être rendue, conformément au paragraphe 399(1) des Règles des Cours fédérales.

 

[12]           Il aurait été préférable que le juge qui a rejeté la demande entende la requête en annulation, mais il n’était pas disponible.

 

[13]           Il est évident que M. Muse n’était pas responsable du défaut de comparaître. Il y a eu une erreur administrative au centre de détention avant jugement de North‑Fraser, où il est détenu.

 

[14]           L’avocat de M. Muse a attiré l’attention de la Cour sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Purcell, [1995] A.C.F. no 1331 (QL). Il s’agissait d’une affaire d’assurance‑chômage dans laquelle la Commission avait soulevé une question inédite. La Cour s’est préoccupée du fait que M. Purcell, défendeur, n’était pas représenté par un avocat et qu’il n’avait pas les moyens de l’être. La Cour a rendu une ordonnance enjoignant au procureur général d’aider M. Purcell à retenir les services d’un avocat et de payer ces services, si nécessaire.

 

[15]           J’étais d’avis que cette affaire soulevait un argument prima facie selon lequel l’ordonnance rejetant la requête n’aurait pas été rendue si l’argument avait été porté à l’attention de la Cour. J’ai donc annulé l’ordonnance.

 

[16]           Pour revenir à la requête, les parties ont reçu l’ordre de comparaître devant moi par téléconférence. Je leur ai demandé si elles se fondaient sur d’autres décisions qui n’avaient pas encore été portées à l’attention de la Cour. Elles m’ont répondu que non. La requête a ensuite été prise en délibéré.

 

ANALYSE

 


[17]           M. Muse se fonde sur l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui prévoit que « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne [et qu’]il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale ». Outre la décision Purcell, précitée, il se fonde sur l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario dans Regina c. Rowbotham et al. (1988), 41 C.C.C. (3d) 1, une affaire criminelle, et sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G.(J.) [J.G.], [1999] 3 R.C.S. 46, une affaire civile.

 

[18]           Il n’y a aucun doute que M. Muse a le droit d’être représenté par un avocat. La question est de savoir s’il peut exiger que l’État paye ces services. Il est également important de garder à l’esprit ce sur quoi a et n’a pas à se prononcer la Cour. M. Muse n’est pas accusé d’un crime. Il a été déclaré coupable. Une mesure d’expulsion a été prise contre lui. La loi n’accorde aucune latitude, sauf que le représentant du ministre doit prendre une décision définitive concernant les risques auxquels serait exposé M. Muse s’il était renvoyé en Somalie. La seule question en litige en l’espèce est de savoir s’il doit demeurer en détention, laquelle détention fera régulièrement l’objet d’un contrôle, en attendant cette décision. Plus précisément, sa mise en liberté a été ordonnée. Le ministre obtiendra-t-il l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire? Si oui, la Cour fera‑t‑elle droit à cette demande? Ces questions ne sont ni inédites ni complexes.

 


[19]           Dans l’arrêt Rowbotham, précité, la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu qu’un accusé peut avoir le droit d’être représenté par un avocat rémunéré par l’État dans une procédure criminelle si : a) la personne est impécunieuse, b) elle n’a pas droit à l’aide juridique, c) elle est incapable de se représenter adéquatement et d) il s’agit d’une procédure juridique complexe et grave qui a des conséquences sur la liberté de la personne.

 

[20]           Tenons pour acquis que l’arrêt Nouveau‑Brunswick c. G.(J.), précité, étend le même principe aux instances civiles.

 

[21]           Je ne suis pas convaincu que M. Muse soit impécunieux. Il a des amis qui sont disposés à fournir un cautionnement. Non seulement il a déjà été représenté par un avocat, mais encore, suivant le premier rejet de la présente demande, un avocat très compétent a comparu en son nom. Il n’appartient pas à la Cour de décider si cet avocat a été payé par les amis de M. Muse ou si sa démarche s’inscrivait dans la grande tradition du barreau.

 


[22]           S’agissant de son admissibilité à l’aide juridique, la Legal Services Society de Colombie‑Britannique (la Société) lui a écrit une lettre qui avait pour objet [traduction] « Le contrôle judiciaire de la décision relative à la mise en liberté sous caution ». C’est la seule question litigieuse en l’espèce. La Société a dit que le financement qu’elle offrait en matière d’immigration était limité et qu’elle [traduction] « ne peut confier un dossier que si le demandeur serait exposé à un risque s’il était renvoyé dans son pays d’origine ». La Cour n’est pas saisie de cette question. La Société a ajouté : [traduction] « En outre, votre famille a payé l’avocat qui vous a représenté lors de la demande de mise en liberté sous caution et elle a également fourni le cautionnement de 7 500 $, de sorte que vous semblez avoir les moyens de retenir les services d’un avocat. »

 

[23]           Il n’y a absolument aucune preuve que M. Muse ne soit pas en mesure de se représenter adéquatement.

 

[24]           Enfin, il ne s’agit pas d’une procédure complexe. Si le demandeur avait pris le temps de répondre à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du ministre plutôt qu’à tenter d’obtenir de l’argent de l’État, la demande d’autorisation aurait déjà été tranchée.

 

[25]           La présente affaire se distingue de Purcell, précité, qui soulevait une question inédite.

 


[26]           Les faits de l’espèce ressemblent beaucoup plus à ceux de l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans A.B. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 14 (QL). Dans cette affaire, comme en l’espèce, la province (il s’agissait dans ce cas de l’Ontario) avait un régime d’aide juridique, mais les sommes offertes ne suffisaient pas pour les besoins du demandeur. Le financement est limité. En matière de financement, les priorités sont une question de politique. La Cour n’a pas compétence pour dire à la Legal Services Society de Colombie‑Britannique comment répartir ses maigres ressources. Toutefois, la Cour peut dire qu’en conformité avec l’article 7 de la Charte, un ministre fédéral n’est pas tenu de puiser dans les fonds publics pour payer un avocat à M. Muse. Le droit aux services d’un avocat n’est pas absolu. L’État n’a pas à financer M. Muse dans le contexte de la demande dont la Cour est saisie.

                                                                             

ORDONNANCE

 

[27]           La requête est rejetée.

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

                   


                                                             COUR FÉDÉRALE

 

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                       IMM-4468-05

 

INTITULÉ :                                      LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

c.

MOHAMUD HASSAN MUSE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :               VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              LE 6 OCTOBRE 2005

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                    LE 11 OCTOBRE 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

R. Keith Reimer                                  POUR LE DEMANDEUR

 

Mohamud Hassan Muse                      POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

S/O                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 


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