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Date : 20040225

Dossier : IMM-5883-02

Référence : 2004 CF 328

Calgary (Alberta), le mercredi 25 février 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                                       MARTIN ADOMAH

                                                                                                                               demandeur

                                                                       et

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 6 novembre 2002. La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, pour les motifs qu'il n'était pas un témoin crédible ou digne de confiance et qu'il n'avait pas présenté d'éléments de preuve clairs et convaincants de l'incapacité de l'État de le protéger.

[2]                Le demandeur est un citoyen du Ghana. Il est arrivé au Canada le 16 décembre 2001. Il prétend être persécuté en raison de ses opinions politiques et du fait qu'il appartient à un groupe social particulier. De plus, il prétend être une personne à protéger.


[3]                Le demandeur fait partie du clan Twabiri, l'un des trois clans de la famille royale dans sa ville de Nsoatre. Il craint d'être persécuté par le clan Nsesreso, un clan rival, et par la police à cause d'un conflit entourant la nomination du chef de la ville. Selon les éléments de preuve fournis par le demandeur, le chef est décédé en avril 2000 et, selon la coutume, c'était au tour du clan Twabiri de nommer un nouveau chef. Le demandeur a été nommé chef, mais a décidé de céder la nomination à son neveu. La nomination a été acceptée par la reine-mère et le conseil des aînés, et le demandeur a versé l'aseda, le gage de reconnaissance traditionnel. Le demandeur a appris que la reine-mère et le conseil des aînés avaient accepté un pot-de-vin en échange de la nomination comme chef d'un membre du clan Nsesreso. Le 4 mars 2001, soit la veille de l'installation du nouveau chef, un groupe d'hommes de la faction Nsesreso a attaqué des membres de la faction Twabiri, et trois personnes ont été tuées. Le demandeur a témoigné que le clan Nsesreso avait l'intention de les tuer, lui et son neveu, pour assurer que le candidat du clan Nsesreso accède au siège de chef, mais, le demandeur et son neveu ont réussi à s'échapper. Le demandeur a affirmé avoir appris que le candidat au siège de chef du clan Nsesreso et ses partisans avaient déclaré à la police que le demandeur était à l'origine de la violence qui avait suivi et qu'il devait être arrêté. Le demandeur allègue que s'il devait rentrer au Ghana, il serait grièvement blessé ou tué par des membres de la faction Nsesreso ou qu'il serait arrêté par la police à cause des allégations selon lesquelles il était à l'origine de la violence entre les deux clans.

[4]                La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un témoin crédible parce qu'il n'a pas tenté d'obtenir des renseignements concernant l'état actuel du conflit entourant le poste de chef et la situation actuelle de son neveu. La Commission a rejeté l'explication du demandeur selon laquelle il n'avait pas cherché à obtenir de tels renseignements parce que des membres du clan Nsesreso vivaient à Toronto et qu'ils pourraient lui faire du mal, de même que l'explication selon laquelle il voulait que personne ne sache qu'il se trouvait au Canada.

[5]                La première conclusion tirée par la Commission est une conclusion défavorable sur la crédibilité, laquelle se lit comme suit :

Crédibilité


Je conclus, pour les motifs suivants, que le demandeur n'est pas un témoin crédible et digne de foi. En effet, le demandeur a témoigné qu'à titre de membre du clan Twabiri de la famille royale il avait participé activement aux activités politiques de sa ville et qu'il avait été responsable du financement et de l'organisation de la candidature de son neveu au poste de chef. Sur la foi de ce témoignage, on lui a demandé d'expliquer pourquoi il n'avait pas tenté de savoir ce qui se passait avec le conflit entourant le poste de chef de Nsoatre et, plus particulièrement, où se trouvait maintenant son neveu. Il a répondu qu'il s'était informé de son neveu à sa mère et qu'elle croyait qu'il se trouvait également au Canada. Lorsqu'on lui a demandé s'il avait parlé à d'autres personnes de sa ville afin de vérifier ce qui était arrivé à son neveu, il a répondu qu'il n'avait parlé à personne d'autre parce qu'il ne voulait pas que l'on apprenne qu'il était au Canada. Il a ajouté que lorsqu'il demandait à sa mère où se trouvait son neveu, elle commençait à pleurer et disait qu'il devait être mort. On a demandé encore une fois au demandeur s'il était en mesure de communiquer avec d'autres personnes de sa ville pour obtenir des renseignements sur le conflit relatif au poste de chef ainsi que sur sa situation et celle de son neveu. Il a témoigné qu'il avait quelques amis dans la ville, mais que s'il leur parlait, ils diraient à d'autres où il se trouvait. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi cela serait un problème puisqu'il se trouvait au Canada, le demandeur a répondu que des membres du clan Nsesreso vivaient à Toronto et qu'ils pourraient lui faire du mal. La crainte du demandeur d'être victime d'un préjudice sérieux de la part de membres du clan Nsesreso parce qu'il a financé et appuyé la candidature de son neveu pour le siège de chef de Nsoatre est un élément essentiel de sa demande d'asile. En tant que candidat du clan Twabiri au poste de chef de Nsoatre, le neveu du demandeur se trouve dans la même situation que lui. Par conséquent, je conclus que les explications du demandeur pour ne pas avoir tenté d'obtenir des renseignements concernant l'état actuel du conflit entourant le poste de chef et la situation actuelle de son neveu sont déraisonnables et non crédibles. Je conclus que le manque d'intérêt apparent du demandeur pour tenter d'obtenir ces renseignements mine sérieusement sa crédibilité. (Décision de la Commission, pages 4 et 5) [Non souligné dans l'original.]

                                                                                                               

[6]             Le demandeur allègue que la conclusion défavorable sur la crédibilité est fondée sur une interprétation erronée des éléments de preuve et que, par conséquent, la conclusion constitue une erreur susceptible de contrôle.

[7]             Voici la preuve soumise à la Commission :

[traduction]

LE DEMANDEUR :    Je m'informe toujours de mon neveu auprès de ma mère, et, selon eux, je suis ici avec lui. Alors, je leur ai dit que non, que depuis que nous nous sommes quittés ce soir là dans le village dans le bois, je ne l'ai pas revu.

M. CYELESE:

Q.          D'accord. Vous dites que vous demandez toujours à votre mère. Avez-vous demandé à quelqu'un d'autre dans votre groupe?


R.          Non. J'ai toujours tenté de limiter mes communications à celles que j'ai avec ma mère. Je ne veux même pas que d'autres gens sachent que je suis ici.

Q.          D'accord, je parle d'obtenir des renseignements concernant votre neveu que vous avez parrainé pour le siège de chef. Quels efforts avez-vous faits pour savoir ce qui lui est arrivé?

R.          À chaque fois que je parlais à ma mère je m'informais de ce neveu et à chaque fois que je pensais lui parler- que je pensais m'informer de lui auprès d'elle, ma mère se mettait à pleurer. Alors, je pense que cet homme est mort et qu'ils ne veulent pas me le dire.

Q.          D'accord. Alors je vais encore vous interroger concernant les autres membres du groupe avec qui vous étiez quand votre réunion a été interrompue, avec lesquels vous vous occupiez des affaires du village et vous présentiez des observations au chef. Les autres membres du groupe que vous fréquentiez, avez-vous tenté de communiquer avec certains d'entre eux?

R.          Non, je ne l'ai pas fait.

Q.          Pourquoi pas, puisque vous exerciez beaucoup d'influence dans le village?

R.          J'étais - ma mère m'a toujours conseillé de ne pas, vous savez, communiquer avec les autres gens parce que s'ils apprenaient que je suis ici, elle ne sait pas ce qui va m'arriver.

Q.          Où habite votre mère?

R.          À Siatra.

Q.          Comment communiquez-vous avec votre mère à Siatra?

R.          Par téléphone.

Q.          Y a-t-il une raison pour laquelle c'est uniquement à votre mère que vous avez parlé de ceci? Y a-t-il une raison pour laquelle c'est uniquement avec votre mère que vous échangez concernant les affaires du village et non avec d'autres membres du groupe qui font partie du même groupe d'âge que vous, qui étaient effectivement impliqués dans toute l'affaire du siège de chef?

R.          J'obtiens toujours les renseignements dont j'ai besoin de ma mère, alors je ne vois pas pourquoi je devrais consulter quelqu'un d'autre pour des renseignements additionnels.

Q.          Avez-vous tenté, par exemple, de communiquer avec un membre du conseil des aînés?

R.          Non.


Q.          Pourquoi pas?

R.          Ma mère m'a même dit (inaudible) qu'il paraît que certains des sous-chefs ont accepté de l'argent de ce professeur alors (inaudible) même se sauver du village.

[8]       Je suis d'accord avec le demandeur que si l'on compare les extraits soulignés de la décision de la Commission avec les extraits soulignés des éléments de preuve soumis, on voit que la Commission a mal interprété les éléments de preuve. À mon avis, cette interprétation erronée est importante parce qu'elle fait échec à la conclusion de la Commission selon laquelle le comportement du demandeur n'était pas raisonnable. Le témoignage du demandeur appuie l'argument selon lequel il a effectivement demandé des renseignements à la seule personne à qui il pouvait faire confiance, c'est-à-dire sa mère.

[9]       Vu l'importance de cette erreur, la décision de la Commission est manifestement déraisonnable.

                                      ORDONNANCE

Par conséquent, j'annule la décision de la Commission et renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

                                                                      « Douglas R. Campbell »           

                                                                                                     Juge                             

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                            IMM-5883-02

INTITULÉ :                          MARTIN ADOMAH

C.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :    CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE : LE 25 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :          LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :         LE 25 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Roxanne Haniff-Darwent          POUR LE DEMANDEUR

Carrie Sharpe                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Darwent Law Office                POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

Morris A. Rosenberg               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                   


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