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Date : 20010219

Dossier : IMM-2461-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 19 FÉVRIER 2001

EN PRÉSENCE DE :             M. LE JUGE J.E. DUBÉ

ENTRE :

                                                         KALWALWA MALALA

                                                               SALVA MONGA

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

                                          

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20010219

Dossier : IMM-2461-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 19 FÉVRIER 2001

EN PRÉSENCE DE :            M. LE JUGE J.E. DUBÉ

ENTRE :

                                                         KALWALWA MALALA

                                                               SALVA MONGA

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La question grave de portée générale suivante, proposée par l'avocat des demanderesses, est certifiée :

La Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur de droit ou enfreint les principes de la justice naturelle en ne confrontant pas la revendicatrice avec les prétendues contradictions (sur lesquelles la SSR s'est appuyée pour conclure que le témoignage de la revendicatrice n'était pas crédible) pour lui demander de s'expliquer?

                                                                                          J.E. DUBÉ                    

                                                                                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20010219

Dossier : IMM-2461-00

Citation neutre : 2001 CFPI 94

ENTRE :

                                 KALWALWA MALALA

                                       SALVA MONGA

                                                                                  demanderesses

                                                     et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ

[1]         Cette demande de contrôle judiciaire porte sur la décision du 17 février 2000 de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a conclu que les demanderesses n'étaient pas des réfugiées au sens de la Convention.


1. Les faits

[2]         La demanderesse principale et sa fille de trois ans sont citoyennes de la République démocratique du Congo. Elles soutiennent avoir une crainte fondée de persécution par suite de leurs opinions politiques présumées.

[3]         La demanderesse était infirmière stagiaire dans un hôpital de Kinshasa. En avril 2000, un commandant de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) s'est présenté à l'hôpital et a donné des ordres au personnel de ne pas soigner les militaires de Mobutu. Approximativement deux semaines plus tard, il est revenu et il a constaté qu'on n'avait pas suivi ses ordres. La demanderesse aurait dit au commandant que le fait de ne pas traiter les blessés était contraire à l'éthique du personnel hospitalier. Le commandant n'aurait pas apprécié son intervention et elle a été arrêtée et emprisonnée pendant dix mois, sans jamais être interrogée. Elle a réussi à s'évader avec l'aide d'un garde sympathique.

[4]         Le 16 février 1998, elle s'est réfugiée en Zambie avec une de ses deux filles et elles se sont cachées dans une église. Un membre de l'église, qui a organisé leur voyage au Canada, l'a abusée sexuellement avant son départ. Elle a quitté la Zambie le 16 mai 1998 et est arrivée au Canada deux jours plus tard. Suite au viol qu'elle avait subi, la demanderesse a donné naissance à une fille le 3 janvier 1999.


2. La décision de la Commission

[5]         La Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse était évasif et peu plausible. Elle a trouvé plusieurs anomalies et contradictions dans son témoignage, illustrant son point de vue par des exemples : le moment et l'endroit où elle avait été arrêtée; la raison pour laquelle elle aurait confronté un commandant militaire; la preuve documentaire qui n'indique rien sur l'arrestation de personnel hospitalier à Kinshasa à cette époque; et la durée de son séjour en Zambie après qu'elle s'y soit réfugiée.

3. Le point de vue de la demanderesse

[6]         La demanderesse soutient qu'on ne peut mettre en doute le fait que le régime Kabila a sauvagement réprimé toute opposition politique à son arrivée en scène en République démocratique du Congo. La Cour fédérale a reconnu que le dossier du régime Kabila/ADFL en matière de droits de la personne était « peu enviable » . Étant donné le dossier lamentable du gouvernement Kabila en matière de droits de la personne, il y a lieu d'examiner de façon très approfondie tout ce qui semble être des erreurs dans une revendication[1]. La Commission n'a fait aucun cas de cette situation pour se concentrer uniquement sur les soi-disant incohérences et contradictions de la demanderesse.

[7]         Dans la plupart des cas d'incohérence cités, la Commission n'a pas confronté la demanderesse et elle ne lui a pas vraiment donné l'occasion de s'expliquer.

[8]         Contrairement au point de vue exprimé par la Commission, la demanderesse soutient qu'il n'y a aucune contradiction entre son témoignage qu'elle a été arrêtée par des soldats alors qu'elle quittait son travail et sa déclaration dans son FRP qu'elle avait été « froidement récupérée par les gardes du corps et amenée en prison » . Elle considère que cette conclusion résulte du zèle intempestif de la Commission.

[9]         La demanderesse croit aussi que la Commission n'aurait pas dû accorder d'importance au fait que les soldats ont attendu plusieurs heures avant de l'arrêter. Aux dires de la demanderesse, cette conclusion n'est que de la pure spéculation. Tous les éléments que la Commission a perçus comme étant non plausibles se rapportent à son évaluation de l'attitude et de l'efficacité des autorités et non à la conduite de la demanderesse.

[10]       La demanderesse considère que la Commission n'aurait pas dû fonder ses conclusions sur le fait qu'elle s'était comportée d'une façon risquée ou dangereuse. Elle prend très au sérieux ses devoirs d'infirmière et elle était disposée à prendre le risque d'offenser un officier militaire afin de se décharger de ses devoirs envers ses patients.


[11]       Quant au point de vue de la Commission voulant que la preuve documentaire ne comporte aucune information sur l'arrestation de personnel hospitalier lors de la prise de Kinshasa, elle soutient que dans la mesure où la Commission décide de privilégier la preuve documentaire par rapport à son témoignage, elle doit motiver cette décision.

[12]       Finalement, s'agissant de la période où elle était en Zambie, elle confirme y être arrivée le 16 février 1998 et l'avoir quittée le 16 mai 1998. Elle admet avoir commis une erreur de calcul dans son témoignage, lorsqu'elle a déclaré y être restée pendant une période de deux mois.

5. La jurisprudence pertinente

[13]       Dans l'arrêt Gracielome c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.)[2], le juge Hugessen, J.C.A., s'exprimant au nom de la majorité de la Cour d'appel fédérale, a accueilli une demande fondée sur des pseudo-contradictions. Il déclare ceci, à la p. 2 :

Il est à noter que dans aucun des trois cas n'a-t-on confronté les requérants avec leurs prétendues contradictions ni demandé qu'ils s'expliquent à ce sujet. Au contraire, il est évident que chaque exemple a été relevé par la majorité après coup et suite à un examen minutieux des transcriptions de la preuve. Dans ces circonstances, la position de la Commission pour apprécier les contradictions n'est pas plus privilégiée que la nôtre.


[14]       Dans l'arrêt Grewal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.)[3], la Cour d'appel fédérale a accueilli une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de l'immigration fondée sur ce qu'elle considérait être des contradictions. Le juge Mahoney déclare ceci, à la p. 3 :

Ce que l'on a considéré être des contradictions n'avait pas été signalé au requérant au cours de l'audition. Rien d'autre que le tribunal a souligné ne peut le moins du monde s'interpréter comme étant des contradictions ou des exagérations.

[15]       Dans Guo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4], le juge suppléant Heald, de la Section de première instance de la Cour fédérale, a accueilli une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de l'immigration fondée sur des incohérences. Il déclare ceci, à la p. 2 :

2               La jurisprudence pertinente établit que les incohérences présentes dans la déposition d'un demandeur du statut qui pourraient amener un tribunal à conclure que le demandeur n'est pas crédible doivent être signalées au demandeur, à qui il faut donner l'occasion de se justifier. [Voir note de bas de page no 2][5] Le dossier indique que la requérante n'a pas été confrontée aux incohérences que le tribunal aurait trouvées dans sa déposition et qu'elle n'a pas eu l'occasion de se justifier, comme l'exigent les règles de justice naturelle. Plus particulièrement, la requérante aurait dû avoir l'occasion d'expliquer les incohérences alléguées en rapport avec la carte d'unité de travail chinoise et la liste des articles saisis par le BSP. Ne pas avoir donné cette occasion à la requérante constitue une erreur de droit.

[16]       Dans Vorobieva c. Canada (Solliciteur général)[6], le juge Rouleau de cette Cour a décidé que la conclusion de la Commission au sujet de la crédibilité du témoignage du demandeur était raisonnable. Il déclare ceci, à la p. 3 :

9     Il est maintenant de règle qu'en concluant au manque de crédibilité du témoignage du demandeur, la Commission commet une erreur de droit si elle recherche les contradictions dans ce témoignage pour fonder ce verdict défavorable; en outre, les règles de justice fondamentale lui font obligation de confronter le demandeur aux contradictions de son témoignage et de lui donner la possibilité de s'expliquer : voir Owusu Ausah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.) et Gracielome c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1989) 9 Imm. L.R. (2d) 237 (C.A.F.).

[17]       Par contre, le juge Gibson dans Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[7], où il examinait une décision de la Commission fondée sur certaines incohérences dans le témoignage du demandeur, déclare ceci, à la p. 5 :

...Dans ces circonstances, bien qu'il eût été préférable que la SSR portât à l'attention du requérant toutes les contradictions de son témoignage sur lesquelles elle pouvait s'appuyer, je conclus que le fait d'y avoir manqué ne constitue ni une entorse aux principes de justice naturelle ni une erreur de droit.

[18]       Dans Mabiala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[8], le juge Rouleau traite ainsi de la décision de la Commission fondée sur les incohérences du demandeur, à la p. 3 :

[22] La Commission a également conclu que le fait que le demandeur avait poursuivi ses activités même si des soldats avaient effectué une descente chez lui était incompatible avec la crainte qu'il avait d'être persécuté. Le demandeur soutient que cette conclusion est abusive et je souscris à son avis.

[23] Dans la décision Samani c. MCI (18 août 1998), IMM-4271-97 (C.F. 1re inst.), le juge Hugessen a statué qu'une conclusion d"invraisemblance est rarement solide lorsqu'elle est fondée sur un comportement que la Commission juge dangereux. Les personnes qui prennent des engagements politiques prennent souvent des risques.


[19]       Dans Samani, la décision à laquelle le juge Rouleau renvoie, le juge Hugessen déclare ceci, à la p. 2 :

... L'argument voulant qu'une action soit invraisemblable simplement parce qu'elle peut se révéler dangereuse pour celui qui la commet par engagement politique, n'a jamais été particulièrement convaincante.

[20]       Dans Aligolian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[9]. le juge suppléant Heald a traité comme suit la décision de la Commission qui privilégiait la preuve documentaire par rapport au témoignage sous serment du demandeur, à la p. 3 :

7               La principale question litigieuse soulevée par la présente demande est de savoir si le tribunal peut accepter la preuve documentaire mais rejeter le témoignage sous serment du requérant. Il appert de la jurisprudence pertinente qu'une telle approche soit convenable, pourvu que le tribunal explique en termes clairs et non équivoques la raison pour laquelle il préfère la preuve documentaire au témoignage du requérant. [Voir la note de bas de page no 3][10]

[21]       Dans l'arrêt Chan c. Canada (M.E.I.)[11], la Cour suprême du Canada a établi qu'il fallait adopter une attitude libérale dans les cas où la preuve documentaire, au sens strict, n'est pas disponible. Le juge Major déclare ceci, à la p. 666 :

... Cette attitude libérale relativement à la preuve des faits, qui constitue un assouplissement considérable des règles de preuve habituelle, vise à accorder au demandeur le bénéfice du doute dans les cas où la preuve documentaire, au sens strict, n'est pas disponible.

[22]       Finalement, la Cour suprême du Canada a notamment conclu, dans l'arrêt Baker c. Canada[12], que les personnes touchées par une décision ont droit de participer, d'exprimer leur point de vue et de présenter pleinement leur preuve pour que le décideur en tienne compte.

4. Analyse

[23]       Ma lecture de la transcription fait ressortir que la Commission aurait dû, à l'audience, donner une meilleure occasion à la demanderesse de présenter ses commentaires ou explications quant aux contradictions perçues par la Commission dans son témoignage. De plus, il semble que dans certains cas la Commission a fait preuve d'un zèle intempestif en découvrant des contradictions là où il n'y en a pas nécessairement.


[24]       Un examen de la jurisprudence sur cette question, brièvement résumée plus haut, fait ressortir qu'il n'y a pas unanimité. La jurisprudence établit toutefois qu'en général, il y a lieu d'informer un demandeur à l'audience des contradictions perçues afin de lui permettre d'offrir les explications pertinentes. Un demandeur doit avoir l'occasion de s'expliquer pleinement face aux incohérences perçues. Lorsque la Commission privilégie la preuve documentaire par rapport au témoignage sous serment d'un demandeur, elle doit s'expliquer à ce sujet en termes clairs.

[25]       En l'instance, au vu des débuts violents et brutaux du régime Kabila en République démocratique du Congo et du dossier lamentable du gouvernement Kabila en matière de droits de la personne, le témoignage de la demanderesse n'est pas si tiré par les cheveux qu'on puisse automatiquement le juger non crédible. Il n'est certainement pas inconcevable qu'une infirmière dévouée informe un officier d'une armée d'envahisseurs que sa préoccupation principale est de soigner ses patients.

[26]       En conséquence, la question est renvoyée à la Commission pour nouvel examen.

[27]       L'avocat de la demanderesse a proposé la certification d'une question et je l'ai acceptée. Elle est rédigée comme suit :

La Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur de droit ou enfreint les principes de la justice naturelle en ne confrontant pas la revendicatrice avec les prétendues contradictions (sur lesquelles la SSR s'est appuyée pour conclure que le témoignage de la revendicatrice n'était pas crédible) pour lui demander de s'expliquer?

[28]       La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

OTTAWA (Ontario)

Le 19 février 2001

                                                                                                                                          

                                                                                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                              IMM-2461-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             KALWALWA MALALA ET AUTRE & M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 8 FÉVRIER 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE DUBÉ

EN DATE DU :                                   19 FÉVRIER 2001

ONT COMPARU

M. CRANE                                                                              POUR LA DEMANDERESSE

I. HICKS                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. CRANE, TORONTO                                                         POUR LA DEMANDERESSE

MORRIS ROSENBERG                                                         POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA



     [1]       Bukaka c. MCI, 18 juin 1999, IMM-4296-98 (C.F. 1re Inst.); Lema c. MCI, 20 avril 1998, IMM-3580-97 (C.F. 1re Inst.), le juge Gibson; Mwenga c. MCI, 8 juillet 1998, IMM-5193-97 (C.F. 1re Inst.), le juge Décary (siégeant comme membre de la Section de première instance) et Makala c. MCI, juillet 1998, IMM-300-98, le juge Teitelbaum.

     [2]       [1989] J.C.F. no 463.

     [3]       [1993] J.C.F. no 59.

     [4]       [1996] J.C.F. no 1185.

     [5]         Voir Gracielome c. Canada (M.E.I.) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) (C.A.F.) et Vorobieva c. Canada (Solliciteur général) (1994), 84 F.T.R. 93 (1re Inst.), le juge Rouleau.

     [6]       [1994] J.C.F. no 1193.

     [7]       IMM-3143-96, 29 août 1997 (1re Inst.).

     [8]       IMM-4296-98, 18 juin 1999 (1re Inst.).

     [9]       [1997] J.C.F. no 484.

     [10]       Kwame Okyere-Akosah c. M.E.I., 6 mai 1992, dossier no A-92-91, [1992] J.C.F. no 411; et Hilo c. M.E.I., 15 mars 1991, dossier no A-260-90 (C.A.F.), [1991] J.C.F. no 228, aux p. 3 et 4.

     [11]      [1995] 3 R.C.S. 593.

     [12]      [1999] 2 R.C.S. 817.

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