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Date : 20041027

Dossier : IMM-445-04

Référence : 2004 CF 1489

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                              KHAWAR HAFEEZ                                      

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision datée du 23 décembre 2003 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur, un citoyen du Pakistan, n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.


QUESTION EN LITIGE

[2]                La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la demande d'asile?

[3]                Pour les motifs qui suivent, je vais répondre à cette question par la négative et rejeter la présente demande.

CONTEXTE

[4]                Le demandeur est né en 1964 à Rawalpindi, au Penjab (Pakistan), et il est un musulman chiite. Il prétend craindre avec raison pour sa vie du fait de ses activités religieuses. Il soutient que, puisqu'il a déjà été battu par des membres du Sipah-e-Sahaba (le SSP), une organisation anti-chiite, il sera encore persécuté s'il retourne dans son pays.

DÉCISION CONTESTÉE

[5]                Après avoir examiné toute la preuve soumise, la Commission a conclu que le témoignage du demandeur n'était pas crédible et que son comportement était incompatible avec son allégation de crainte subjective de persécution.


[6]                La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas témoigné avec franchise et spontanéité. Selon la Commission, les réponses données par le demandeur étaient souvent laborieuses et répétitives. Le demandeur n'a pas réussi à fournir à la Commission des explications convaincantes quant à la raison pour laquelle il n'avait pas indiqué dans son FRP qu'il craignait la police et qu'un mandat d'arrestation avait été délivré contre lui. De plus, la Commission a jugé non plausible que le demandeur ait été incapable de se rappeler correctement des blessures qu'il avait subies lors des agressions.

[7]                En outre, la Commission a estimé que le demandeur n'avait pas donné une explication raisonnable relativement à la divergence entre le mandat d'arrestation et la lettre écrite par son avocat au Pakistan. Vu qu'elle n'a pas pu déterminer lequel de ces documents était fiable, la Commission a décidé de n'accorder aucune valeur probante aux deux documents.

[8]                La Commission a également jugé que le demandeur n'avait pas agi comme une personne qui craignait subjectivement d'être persécuté. En fait, après avoir quitté son pays, le demandeur est resté aux É.-U. pendant 16 mois avant de présenter sa demande d'asile au Canada. Enfin, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas établi qu'il craignait objectivement et avec raison d'être persécuté.

ANALYSE


[9]                Le demandeur soutient que la Commission n'a pas tenu compte de ses observations écrites. La Cour rejette cet argument parce qu'il est purement conjectural. Les observations du demandeur ont été soumises le 22 décembre 2003 et la décision de la Commission est datée du 23 décembre 2003. Le demandeur n'a soumis aucun élément de preuve qui démontre que la Commission a rendu sa décision sans tenir compte des observations qu'il avait soumises. En conséquence, la Cour ne peut pas conclure que la Commission n'a pas tenu compte des observations du demandeur avant de rendre sa décision.

[10]            Il est bien établi en droit que le demandeur a le fardeau de prouver qu'il satisfait à la définition de « réfugié au sens de la Convention » prévue à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Pour s'acquitter de ce fardeau de preuve, le demandeur doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'il craint subjectivement et avec raison d'être persécuté et que cette crainte subjective est objectivement justifiée (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Une crainte subjective de persécution repose uniquement sur l'appréciation de la crédibilité du demandeur alors qu'une crainte objective de persécution est établie habituellement au moyen d'une preuve documentaire relative à la situation dans le pays.

La Commission a-t-elle commis une erreur dans l'appréciation de la crainte subjective de persécution du demandeur?

[11]            Comme je l'ai mentionné précédemment, une crainte subjective de persécution repose exclusivement sur l'appréciation de la crédibilité du demandeur. La norme de contrôle applicable dans les affaires mettant en cause des conclusions quant à la crédibilité, qui sont des questions de fait, est la décision manifestement déraisonnable.

[12]            En l'espèce, plusieurs choses différentes ont eu une incidence défavorable sur l'appréciation de la crainte subjective du demandeur. Premièrement, le demandeur n'a pas mentionné un renseignement important dans son FRP, plus particulièrement le moment où il avait appris qu'un mandat d'arrestation avait été délivré contre lui. Bien que le demandeur ait déposé une modification à son FRP le 25 novembre 2003, suivant laquelle son épouse lui avait communiqué ce renseignement lorsqu'il était parti pour les É.-U., la Commission a conclu que cette omission soulevait des doutes quant à sa crédibilité. Le demandeur a reconnu cette erreur, mais je conclus que celle-ci n'est pas déterminante quant à l'issue de la présente affaire.

[13]            Toutefois, le mandat d'arrestation, en lui-même, soulevait un doute quant à la crédibilité du demandeur. La prétendue copie certifiée du mandat d'arrestation du demandeur montre que le mandat a été délivré le 10 juillet 2001 et que le demandeur devait comparaître devant le tribunal le 25 juillet 2001. Cependant, la lettre de son avocat au Pakistan indique qu'[traduction] « [e]n raison de son absence continue aux audiences du tribunal, son mandat d'arrestation a été délivré le 10 juillet 2001 » . Cette affirmation laisse entendre que le demandeur devait comparaître devant le tribunal avant le 10 juillet 2001. Le demandeur a prétendu qu'il n'avait jamais eu à comparaître devant le tribunal avant le 25 juillet 2001. Vu que le demandeur n'avait aucune autre explication à donner relativement à la lettre de son avocat, la Commission a décidé de n'accorder aucune valeur probante à ces deux éléments de preuve, et ce, parce ce qu'elle n'a pas pu déterminer lequel de ceux-ci était crédible. Je ne vois aucune raison d'intervenir sur ce point.

[14]            La Commission a également affirmé que le demandeur n'avait jamais mentionné dans son FRP qu'il craignait la police. La Commission a souligné que ce renseignement ne figurait pas non plus dans le document déposé par l'agent d'immigration le 23 septembre 2002. Le demandeur a blâmé le traducteur et l'agent d'immigration pour le fait que les documents n'avaient pas été remplis correctement.

[15]            La Commission a noté que le témoignage du demandeur était vague et que le demandeur avait été incapable de se rappeler correctement des blessures qu'il avait subies lors des prétendues agressions. Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur dans l'appréciation de son témoignage. Il allègue que, bien qu'il ait été incapable de dire au tribunal lequel de ses bras avait été blessé, il avait toujours pointé son avant-bras gauche. Je tiens à souligner à cet égard qu'aux pages 226 et 227 du dossier du tribunal, il est mentionné que le demandeur a pointé une fois son bras droit et une fois son bras gauche et qu'à chaque fois, il a dit qu'il ne pouvait se rappeler lequel de ses bras avait été blessé. En conséquence, je crois que la Commission n'a pas commis d'erreur dans son appréciation du témoignage du demandeur.

[16]            Le demandeur maintient également que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de son niveau de scolarité peu élevé. La Commission a fait mention du niveau de scolarité peu élevé du demandeur dans sa décision (page 5, deuxième paragraphe). Par conséquent, rien ne justifie la Cour d'intervenir sur ce point.

[17]            En avril 2001, le demandeur, muni d'un visa valide d'une durée de six mois, a fui son pays pour se rendre aux États-Unis, et ce n'est que le 5 septembre 2002 qu'il a présenté une demande d'asile au Canada. Il a donc vécu dans l'illégalité aux États-Unis pendant environ dix mois sans demander l'asile. Il est bien établi en droit que le fait de tarder à demander l'asile peut nuire à la crédibilité du demandeur (Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 613 (1re inst.) (QL), au paragraphe 11, et Huerta c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 271 (C.A.) (QL)). En l'espèce, l'explication du demandeur n'a pas convaincu la Commission. En conséquence, il était raisonnable pour la Commission de tenir compte de ce retard dans son appréciation de la crainte subjective de persécution du demandeur.

[18]            Le demandeur prétend que la Commission n'a pas bien apprécié la preuve documentaire relative à la situation au Pakistan. La valeur probante à attribuer à un document relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal chargé d'apprécier la preuve (Huang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 66 F.T.R. 178 (C.F. 1re inst.)). La preuve documentaire montre que, malgré la persistance de la violence sectaire, les chiites ne font pas systématiquement l'objet de discrimination et qu'ils vivent souvent en paix avec les sunnites. Le gouvernement a interdit les groupes extrémistes et a déployé de véritables efforts pour offrir son aide aux personnes en danger et protéger celles-ci.

[19]            Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a établi qu' « [e]n l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique [...], il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur » . Dans l'arrêt Villafranca c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.), aux pages 132 et 133, la Cour a déclaré que la protection étatique n'avait pas à être parfaite pour qu'elle puisse conclure qu'il existait une protection. Sur le vu de la preuve soumise à la Commission, je ne peux donc pas conclure que la Commission, en l'espèce, a commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour.

[20]            Les parties ne se sont pas prévalues de la possibilité de soumettre des questions graves de portée générale à certifier. Je suis convaincu que la présente affaire n'en soulève aucune. En conséquence, aucune question ne sera certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« Michel Beaudry »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-445-04

INTITULÉ :                                                    KHAWAR HAFEEZ

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 13 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 27 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Lenya Kalepdjian                                              POUR LE DEMANDEUR

Edith Savard                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lenya Kalepdjian                                              POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris A. Rosenberg                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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