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                                                                                                                                 Date : 20041201

                                                                                                                   Dossier : IMM-10221-03

                                                                                                                 Référence : 2004 CF 1683

                       

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                      ARNULFO FIALLO MARIN

                                           PAULA SILENIA ORDONEZ ESCOBAR

                                                                                                                                         demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L' IMMIGRATION

                                       et le SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          défendeurs

                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 3 juin 2003 par laquelle une agente chargée de procéder à l'évaluation du risque avant le renvoi (ERAR) a rejeté la demande d'ERAR des demandeurs.

Genèse de l'instance


[2]         Les demandeurs sont mari et femme. Ils sont arrivés au Canada en janvier 2001. Ils craignent d'être persécutés en Colombie du fait de leur appartenance à un groupe social déterminé, en l'occurrence la famille d'un chef d'entreprise ciblé par des guérilleros de Colombie en raison des opinions politiques qui lui sont imputées. Les demandeurs affirment que les guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC) les ont ciblés en raison des liens familiaux qu'ils ont avec le frère du demandeur, Nelson Fiallo. Après le départ de Nelson de Colombie, l'attention des FARC s'est portée sur les demandeurs et sur les membres de leur famille, qui ont fait l'objet des extorsions dont Nelson était jusqu'alors victime. Nelson et ses deux soeurs se sont vu reconnaître la qualité de réfugiés au Canada. Un autre de leurs frères était un demandeur d'asile au moment de la décision sur l'ERAR.

[3]         Les demandeurs ont demandé l'asile au début de 2001 à leur arrivée au Canada. Ils sont toutefois retournés en Colombie plus tard au cours de la même année. Paula est rentrée en Colombie en août après que son père fut tombé gravement malade et Arnulfo y est retourné en novembre pour aider sa femme. Paula s'est désistée de sa demande d'asile en août 2001. Arnulfo s'est désisté de la sienne le 1er novembre 2001.


[4]         Jusqu'en juin 2002, Paula et Arnulfo ont vécu avec la famille de la demanderesse sans incident. Le 15 juin 2002, Arnulfo a reçu un appel de menaces des FARC le sommant de régler la dette de son frère. Le 11 février 2003, Arnulfo a réclamé l'aide de l'agence de sécurité DAS, qui l'a informé qu'elle n'était pas en mesure de le protéger. Le 13 février 2003, une lettre de menaces provenant vraisemblablement des FARC a été glissée sous la porte de leur résidence. Le 15 février 2003, les demandeurs ont acheté des billets pour revenir au Canada. Parce que les demandeurs s'étaient désistés de leur demande d'asile, leur demande était irrecevable devant la Section de la protection des réfugiés (Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, alinéa 101(1)c)). Le seul recours qui leur était encore ouvert pour obtenir l'asile au Canada était de faire procéder à une évaluation du risque avant le renvoi (ERAR).

Décision de l'agente chargée de l'ERAR

[5]         Dans sa décision, l'agente d'ERAR a reconnu que la preuve documentaire faisait état d'actes de violence atroces commis en Colombie par des groupes de guérilleros, y compris par les FARC. En dépit des faits relatés dans la preuve documentaire, l'agente a toutefois conclu que les demandeurs n'avaient pas démontré qu'ils couraient personnellement un risque. L'agente a pour cette raison conclu que les demandeurs n'avaient pas raison de craindre d'être persécutés au sens de l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi) et qu'ils n'étaient pas des personnes à protéger au sens de l'article 97 de la Loi.

[6]         Voici les principales conclusions qu'a tirées l'agente :

La lettre des FARC : L'agente n'était « pas convaincue » que les FARC, une guérilla connue pour sa brutalité qui avait tenté d'extorquer au demandeur cette somme d'argent depuis décembre 1998, se contenterait de glisser une lettre sous sa porte pour en exiger le paiement.


Absence de protection de l'État : Les demandeurs affirmaient que l'agence de sécurité DAS n'était pas en mesure de les protéger contre les FARC; l'agente a toutefois signalé qu'ils ont attendu huit mois (du 15 juin 2002, date de l'appel de menaces des FARC, jusqu'au 11 février 2003, date où le demandeur a approché le DAS) pour demander de la protection. Suivant l'agente, les demandeurs n'avaient pas fourni d'éléments de preuve suffisamment convaincants pour démontrer qu'ils ne pouvaient compter sur la protection de l'État.

Demande d'asile acceptée du frère : La décision favorable rendue en réponse à la demande d'asile du frère du demandeur n'a pas convaincu l'agente de rendre une décision analogue en l'espèce. Elle a estimé que chaque cas est un cas d'espèce.

[7]         Bien que l'alinéa 113b) de la Loi et l'article 167 du Règlement prévoient qu'une audience peut être tenue en pareil cas, l'agente a jugé l'affaire sur dossier en fondant sa décision sur les observations écrites des demandeurs.

Questions en litige

[8]         Les questions litigieuses soulevées par la présente demande sont les suivantes :

1.         La décision est-elle manifestement déraisonnable en ce sens que l'agente de d'ERAR a négligé ou mal interprété certains éléments de preuve?

2.         L'agente a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas d'audience?

3.         L'agente a-t-elle commis une erreur en n'accordant pas aux demandeurs la possibilité de répondre aux préoccupations de l'agente?


4.         L'article 167 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, 11 juin 2002 (le Règlement) est-il constitutionnel?

Analyse

Question 1 : La décision est-elle manifestement déraisonnable en ce sens que l'agente de d'ERAR a négligé ou mal interprété certains éléments de preuve?

[9]         Le demandeur soutient que l'agente d'ERAR a commis une erreur en ne citant pas expressément le rapport du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCR) intitulé « International protection considerations regarding Colombian asylum-seekers and refugees » publié en septembre 2002. Le défendeur rétorque qu'il ressort de la lecture de l'ensemble de sa décision que l'agente a tenu dûment compte des documents contradictoires portant sur la protection de l'État et qu'elle a reconnu la brutalité des FARC.

[10]       Il n'est pas nécessaire que l'agente d'ERAR mentionne chaque élément de preuve documentaire. Elle est présumée avoir examiné toute la preuve. Un examen de l'ensemble de la décision permet normalement au juge saisi d'une demande de contrôle judiciaire de déterminer si l'agent qui l'a rendue était au fait de tous les éléments de preuve et s'il en a tenu compte. Mais il arrive parfois que le juge ne puisse être convaincu que certains éléments d'information ont été examinés. C'est le cas en l'espèce.


[11]       Le Rapport du HCR formulait plusieurs observations sérieuses au sujet de la situation en Colombie. Trois de ces observations se rapportent directement aux demandeurs :

1.          Il arrive souvent que les guérilleros kidnappent des personnes ou leur extorquent de l'argent pour financer leurs activités politiques ou militaires. Ils ciblent surtout des gens appartenant à la classe moyenne ou aux classes supérieures.

2.          Les antécédents familiaux jouent un rôle important lorsqu'il s'agit d'évaluer les risques que courent des personnes en Colombie;

3.          [TRADUCTION] « Dans le contexte actuel qui existe en Colombie, les actes commis par des personnes armées ou qui leur sont attribués [...] peuvent être considérés comme de la persécution au sens de la définition du réfugié, compte tenu de l'incapacité de l'État d'assurer leur protection. » (Rapport du HCR, à la page 12, paragraphe 43.)

[1]         En l'espèce, les demandeurs appartiennent à la classe moyenne, ils ont des membres de leur famille qui ont été reconnus par le Canada comme étant ciblés par les FARC et ils affirment que l'État n'est pas en mesure d'assurer leur protection. À mon avis, l'agente d'ERAR n'a pas suffisamment tenu compte des observations du HCR. La situation s'apparente beaucoup à celle de l'affaire Polgari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 957, où la juge Hansen écrit ce qui suit, au paragraphe 32 :


                        [...] les documents soumis par les demandeurs et ceux contenus dans les documents communiqués par l'ACR sèment des doutes et en fait contredisent la disponibilité et l'efficacité de la protection de l'État pour les Hongrois rom. Si, d'une part, il était raisonnable pour le tribunal de tirer les conclusions qu'il a tirées, d'autre part l'absence d'analyse de la volumineuse documentation contenue dans la trousse d'information sur les causes types hongroises, des documents de la trousse de documents communiqués par l'ACR et des documents soumis par les demandeurs, jointe à un traitement inadéquat des documents contradictoires et à l'absence d'explications sur ses préférences pour la preuve sur laquelle il s'est fondé, justifient l'intervention de la Cour.

[2]         Le juge O'Reilly a exprimé une opinion similaire dans l'affaire Harsanyi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 409, au paragraphe 9 :

À mon avis, la Commission avait au moins l'obligation de faire référence aux éléments de preuve documentaire qui appuyaient la demande de M. Harsanyi et d'expliquer pourquoi elle n'en avait pas tenu compte. Comme l'a expliqué le juge Evans dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, « plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" » . (Citant Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). La preuve documentaire soumise par M. Harsanyi appuyait sa demande et méritait une certaine considération de la part de la Commission.

[3]         Dans le cas qui nous occupe, je ne suis pas convaincue que l'agente d'ERAR a bien compris les motifs invoqués par les demandeurs au soutien de leur demande. Le fondement de leur demande résidait dans leurs liens avec des membres de leur famille qui avaient été pris pour cible par les FARC. Il ne suffisait pas de se contenter de prendre acte des brutalités des FARC : il fallait aussi évaluer clairement les risques auxquels les demandeurs prétendaient être exposés.

[4]         Sur ce point, je conclus que l'agente a négligé le rapport du HCR et les liens qui existaient entre celui-ci et la situation particulière des demandeurs.


Conclusion

[5]         Ma conclusion quant au premier point litigieux a pour effet de trancher la présente demande. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner les autres questions qui ont été soulevées.

[6]         Les demandeurs me proposent de certifier un certain nombre de questions au sujet des obligations de l'agente d'ERAR de tenir une audience et de les aviser de sa décision et en ce qui concerne la norme de preuve prévue à l'article 97 de la Loi.

[7]         Comme aucune de ces questions n'est déterminante quant au sort de la présente demande, je refuse de les certifier.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est accueillie et l'affaire est renvoyée pour être réexaminée par un autre agent d'évaluation du risque avant le renvoi;

2.          Aucune question n'est certifiée.

       « Judith A. Snider »

                                                                                                                                                                                                                                      

      Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                                                  COUR FÉDÉRALE

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-10221-03

INTITULÉ :                                       ARNULFO FIALLO MARIN et autre c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION et autre

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 23 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       MADAME LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                      LE 1er DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Jack C. Martin                                                                           POUR LES DEMANDEURS

Robert Bafaro                                                                            POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

Jack C. Martin                                                                           POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

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