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                                                                                                                           Date : 19991105

                                                                                                                        Dossier : T-294-96

ENTRE :

                                                                 APOTEX INC.,

                                                                                                                               demanderesse,

                                                                          - et -

                                                         MERCK & CO., INC. et

                                                MERCK FROSST CANADA INC.,

                                                                                                                               défenderesses.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION


[1]         La présente procédure porte sur les lettres patentes canadiennes n º 1 275 349 (le brevet Merck). Le brevet Merck a été délivré le 16 octobre 1990 et comprend les revendications de certains composés connus sous les noms énalapril et maléate dnalapril. Ce dernier composé est un sel stable dnalapril qui, combiné avec un véhicule (des excipients ou des adjuvants inactifs du point de vue pharmaceutique) sous forme posologique de comprimés ou de solution, donne une composition qui peut être délivrée sur ordonnance pour le traitement de l'hypertension et de l'insuffisance cardiaque globale. Le brevet Merck comprend aussi des revendications pour des compositions pharmaceutiques incluant les composés et des revendications pour l'utilisation des composés comme hypotenseurs. Au total, le brevet Merck comprend 17 revendications : les revendications relatives aux composés (revendications 1 à 5), les revendications relatives aux compositions pharmaceutiques (revendications 8 à 10) et les revendications relatives à l'utilisation des composés comme hypotenseurs (revendications 11 à 17).

[2]         Dans cette affaire, les défenderesses Merck & Co. Inc. et Merck Frosst Canada Inc. (Merck) veulent obtenir, en vertu des alinéas c) et f) de la règle 221(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), la radiation du paragraphe 14 de la défense d'Apotex en réponse à la demande reconventionnelle de Merck dans la présente action où Apotex est la demanderesse. À titre subsidiaire, Merck cherche à obtenir des précisions sur la défense d'Apotex. Dans le paragraphe contesté, Apotex plaide que si le produit acquis par elle ntait pas couvert par licence et que le principe de l'irrecevabilité pour cause de licence ne s'applique pas à titre subsidiaire, le brevet Merck et ses revendications sont invalides, nuls et sans effet, pour plusieurs raisons. Merck prétend qu'Apotex ne peut soulever la question de l'invalidité du brevet Merck en défense contre la demande reconventionnelle de Merck parce que la validité du brevet a été établie de façon définitive par notre Cour et par la Cour d'appel fédérale. Par conséquent, Merck soutient que le paragraphe 14 est frivole, vexatoire, constitue un abus de procédure et devrait être radié.

HISTORIQUE DES ACTIONS ANTÉRIEURES

a)          Merck c. Apotex - T-2408-91 (l'action de 1991)

[3]         Le 20 septembre 1991, Merck a intenté devant notre Cour une action contre Apotex dans laquelle elle alléguait la violation des droits exclusifs qui lui étaient accordés par le brevet Merck et sollicitait la réparation suivante :


a)          une déclaration portant que les revendications relatives aux composés (1 à 5), les revendications relatives aux compositions pharmaceutiques (8 à 10) et les revendications relatives à l'utilisation des composés comme hypotenseurs (11 à 15) ont été contrefaites par Apotex ;

b)          une injonction interdisant la poursuite de la contrefaçon ;

c)          des dommages-intérêts ou une reddition de comptes des profits ;

d)          la remise ou la destruction de toutes les compositions qui contrefont le brevet Merck ;

e)          des intérêts et les dépens.

[4]         Apotex a invoqué les moyens de défense suivants :

i)           le produit d'Apotex a été tiré du produit en vrac fabriqué au Canada avant l'octroi du brevet de Merck. Par conséquent, l'article 56 de la Loi lui fournit un moyen de défense contre l'action en contrefaçon ;

ii)          les revendications pour la composition (8 à 10) sont invalides parce qu'elles ne comportent aucune autre activité inventive que celle des composés revendiqués (1 à 5) ;

iii)          les revendications 8 à 17 sont invalides parce que le mémoire descriptif du brevet est insuffisant ;

iv)         les revendications 8 à 17 sont invalides parce que la découverte revendiquée vise un traitement médical et non une invention au sens de la Loi sur les brevets ;

v)          les revendications 8 à 17 sont invalides parce qu'elles sont redondantes les unes par rapport aux autres.

[5]         Apotex a déposé une demande reconventionnelle dans laquelle elle sollicitait un jugement déclarant que les revendications 8 à 17 sont invalides.


[6]         L'action de Merck a été instruite. Le juge MacKay de notre Cour a déposé les motifs écrits du jugement le 14 décembre 1994, 59 C.P.R. (3d) 133. Le juge MacKay a accueilli l'action en contrefaçon de brevet et rejeté la demande reconventionnelle d'Apotex. Le 22 décembre 1994, le jugement définitif a été déposé :

[TRADUCTION]

LA COUR STATUE :

1.              La défenderesse a contrefait les revendications 1 à 5 et 8 à 15, inclusivement, des lettres patentes canadiennes n º 1 275 349.

2.              La demande reconventionnelle par laquelle la défenderesse réclamait une déclaration selon laquelle les revendications 8 à 17, inclusivement, sont invalides, est rejetée avec dépens.

3.              Aux termes des présentes, il est interdit à la demanderesse, par l'entremise de ses dirigeants, administrateurs, préposés, mandataires, employés ou autres, de contrefaire les revendications 1 à 5 et 8 à 15, inclusivement, des lettres patentes canadiennes n º 1 275 349, et en particulier de fabriquer, utiliser, mettre en vente ou vendre, au Canada ou ailleurs, des comprimés d'APO-ÉNALAPRIL ou tous autres comprimés ou formes posologiques contenant du maléate d'énalapril parmi les ingrédients actifs, que ces produits fabriqués ou vendus soient à base :

a)              d'énalapril ou de maléate d'énalapril acheté en vrac avant l'octroi du brevet, ou

b)             de toutes quantités de maléate d'énalapril achetées en vrac après l'octroi du brevet.


[7]         Apotex a interjeté appel du jugement du juge MacKay à la Cour d'appel fédérale. Le juge MacGuigan, au nom de la Cour, a prononcé les motifs du jugement le 19 avril 1995, 60 C.P.R. (3d) 356. À la page 360, il a placé les activités d'Apotex par rapport à l'énalapril dans le contexte des modifications législatives envisagées par le gouvernement du Canada visant à supprimer les licences obligatoires et à étendre les droits des brevetés, et dans le cadre des démarches d'Apotex pour obtenir du Ministère de la Santé fédéral un avis de conformité, obtenu en septembre 1993. Apotex a commencé à acheter du maléate d'énalapril en vrac de deux fabricants canadiens liés, Delmar Chemicals Inc. (Delmar) et Torcan Chemicals Ltd. Étant donné que le maléate d'énalapril avait été fabriqué (pour la majeure partie) avant l'octroi du brevet Merck, Apotex estimait que l'article 56 de la Loi lui permettrait de l'employer sans encourir de responsabilité envers Merck. Apotex a acheté et stocké du maléate d'énalapril en vrac parce que, sous cette forme, il se conserve très longtemps alors que, sous forme de comprimés, sa durée de conservation n'est que de deux ans.

[8]         Le juge MacGuigan a déclaré aux pages 363 et 364 :

Comme je l'ai déjà dit, la composition chimique de l'invention n'était pas en litige et, de plus, l'appelante n'a pas soutenu que son composé, l'Apo-Énalapril, ne contrefaisait pas les revendications du brevet, sauf en ce qui concerne l'effet protecteur de l'article 56, bien qu'elle ait soulevé la validité des revendications 8 à 10 sur la composition et des revendications 11 à 17 sur l'utilisation.

[9]         En appel, Apotex a soutenu qu'elle avait le droit, en vertu de l'article 56 de la Loi, d'utiliser et de vendre ses comprimés d'APO-ÉNALAPRIL pour le motif qu'elle utilisait et vendait simplement du maléate d'énalapril fabriqué au Canada, qu'elle avait acheté ou acquis avant l'octroi du brevet Merck le 16 octobre 1990.

[10]       La Cour d'appel fédérale a infirmé le jugement du juge MacKay au sujet de la défense fondée sur l'article 56. Elle a tranché qu'Apotex était protégée par l'article 56 de la Loi pour les achats réalisés avant l'octroi du brevet Merck.

[11]       Cependant, la Cour d'appel fédérale a confirmé la décision du juge MacKay pour les trois lots spécifiques (lots numérotés P-65478, P-65479 et P-65480) empaquetés par Delmar en septembre 1990, mais que le personnel préposé au contrôle de la qualité d'Apotex avait jugé par la suite non conformes aux normes de pureté de la société. La Cour d'appel fédérale a jugé que le nouveau traitement intervenu après l'octroi du brevet Merck n'était pas couvert par l'immunité accordée par l'article 56.


[12]       La Cour d'appel fédérale s'est également penchée sur une autre question soumise au juge MacKay relative à un autre lot de maléate d'énalapril. Le juge MacGuigan s'est exprimé en ces termes à la page 376 :

Il y avait un autre lot de maléate d'énalapril qu'Apotex avait acquis d'un client étranger de Delmar après l'octroi du brevet. Delmar s'était vu accorder une licence obligatoire le 24 avril 1992 pour fabriquer de l'énalapril ou du maléate d'énalapril au Canada, en versant des redevances à Merck. Cette licence a cessé d'être valide lorsque l'article 12 de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2, est entré en vigueur et elle s'est éteinte le 14 février 1993. Par la suite, le 10 mars 1993, Apotex a acheté 44,9 kilos du maléate d'énalapril en vrac que Delmar avait fabriqué conformément à sa licence et vendu à son client étranger. L'appelante a fait valoir que, en tant qu'acquéreur de la poudre de maléate d'énalapril faisant l'objet d'une licence, elle avait une licence implicite de Merck lui permettant d'utiliser la poudre pour produire du maléate d'énalapril sous sa forme posologique.

Le juge de première instance a statué qu'Apotex n'a commis aucune contrefaçon en produisant la forme posologique définitive du produit en vrac qui lui avait été expédié en consignation seulement pendant la période de validité de la licence de Delmar. Les intimées n'ont interjeté aucun appel incident sur ce point.

Le juge de première instance a ajouté ce qui suit (...) [C.P.R., page 164] :

En revanche, la licence obligatoire de Delmar ne confère pas à Apotex le droit de tirer des 44,9 kilos de maléate d'énalapril en vrac achetés en mars 1993 des comprimés destinés à être utilisés comme hypotenseurs, après que la loi a mis fin à la licence de Delmar. Cette conclusion ne se dégage pas de l'extinction des droits conférés à Delmar par la licence, par suite de la modification apportée à la loi qui a mis fin à sa licence le 14 février 1993, mais du fait que la défenderesse n'a pas le droit d'utiliser l'invention après l'octroi du brevet. Elle n'avait pas acquis ce lot de maléate d'énalapril avant l'octroi du brevet de Merck et ne peut donc pas revendiquer l'immunité prévue à l'art. 56 de la Loi.

Encore une fois, je suis d'accord avec le juge de première instance même si je préférerais appuyer ma conclusion sur l'extinction des droits de Delmar et, par conséquent, des droits que pourrait posséder l'appelante, plutôt que sur l'article 56 dont je ne suis pas du tout certain qu'il s'applique sur ce point.

[13]       À la page 376, le juge MacGuigan, s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, est passé à la question de la validité des revendications pour la composition et pour l'utilisation du brevet Merck. Il l'a abordée sous l'angle suivant :


Étant donné que les allégations de l'appelante au sujet de la validité des revendications pour la composition et pour l'utilisation ne constituaient qu'un moyen de défense subsidiaire contre l'allégation de contrefaçon, j'estime que cela aurait pu mettre fin à la présente affaire si l'appelante n'avait déposé une demande reconventionnelle dans laquelle elle sollicite un jugement déclaratoire portant que les revendications du brevet relatives à la composition et à l'utilisation (revendications 8 à 17) sont invalides. Je crois qu'en raison de cette demande de jugement déclaratoire, il incombe à la Cour d'examiner cette question.                 [non souligné dans l'original]

[14]       La Cour d'appel fédérale s'est ensuite penchée sur la contestation de la validité du brevet Merck par Apotex sur le fondement de l'absence de toute revendication de nouveauté ou d'activité inventive dans les revendications pour la composition (8 à 10) ainsi que sur les questions d'ambiguïté et d'insuffisance reliées au paragraphe 34(1) et à la redondance en ce qui concerne les autres revendications.

[15]       Le juge MacGuigan a conclu à la page 386 que la demande reconventionnelle d'Apotex était rejetée en entier.

[16]       En raison de la décision de la Cour d'appel fédérale, le dispositif du jugement de la Section de première instance du 22 décembre 1994 a été modifié, le paragraphe 1 étant désormais ainsi conçu :

1.              La défenderesse a contrefait les revendications 1 à 5 et 8 à 15, inclusivement, des lettres patentes canadiennes n º 1 275 349 en ce qui concerne les lots P-65478, P-65479 et P-65480 de maléate d'énalapril en vrac, et les 44,9 kilogrammes de maléate d'énalapril que l'appelante avait achetés de Delmar Chemicals Inc. en mars 1993 après que la loi eut mis fin à la licence obligatoire de cette compagnie.

[non souligné dans l'original]

[17]       Le paragraphe 2 du dispositif du jugement n'a pas été modifié. Le paragraphe 3 du jugement a été modifié de la manière suivante :

3.              Aux termes des présentes, il est interdit à la défenderesse de contrefaire, par l'entremise de ses dirigeants ..., les revendications 1 à 5 et 8 à 15, inclusivement, des lettres patentes canadiennes n º 1 275 349, et en particulier de fabriquer, utiliser, mettre en vente et vendre, au Canada ou ailleurs, des comprimés d'APO-ÉNALAPRIL ou tous autres comprimés ou formes posologiques contenant du maléate d'énalapril parmi les ingrédients actifs, tiré du maléate d'énalapril en vrac contenu dans les lots P-65478, P-65479 et P-65480, et des 44,9 kilogrammes de maléate d'énalapril dont il est question au paragraphe 1 de la présente.


                                                                                         [non souligné dans l'original]

[18]       Les demandes d'autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada, présentées par les demanderesses et la défenderesse, ont été rejetées par ordonnance de cette cour le 5 décembre 1995.

b)          La requête de réexamen d'Apotex - 31 janvier 1997

[19]       La requête avait pour but de permettre à Apotex d'attaquer la validité des revendications 1 à 5 et 8 et 11 du brevet Merck. L'argument principal de la contestation, qui portait sur la revendication 1, était fondé sur la portée trop vaste et sur l'inutilité et apportait les précisions suivantes :

a)          le nombre de composés visés par la revendication 1 du brevet est tellement élevé qu'il est impossible pour qui que ce soit de tous les fabriquer et de tous les mettre à l'essai ;

b)          il n'y a pas de fondement valable qui permette de prédire l'utilité pharmaceutique de la catégorie complète des composés visés par la revendication 1 du brevet ;

c)          de fait, bon nombre, sinon la plupart, des composés visés par la revendication 1 ne sont pas utiles ;

d)          les revendications 8 et 11 sont invalides pour les raisons invoquées à l'égard de la revendication 1 et du fait qu'elles dépendent de la revendication 1.


[20]       Dans sa requête entendue par le juge MacKay, Apotex a soutenu qu'elle n'avait pas la possibilité de fabriquer et de vendre aucun des composés de la catégorie visée par la revendication hormis le maléate d'énalapril et que, de ce fait, il n'était pas justifié à l'époque de l'action de 1991 de contester la validité de la revendication 1 ni d'envisager raisonnablement cette possibilité. Apotex a déclaré qu'elle cherchait maintenant à faire déclarer l'invalidité de la revendication 1 du brevet et que les faits à l'appui de l'invalidité de la revendication 1 n'étaient pas connus d'Apotex au moment du procès. Apotex a également soutenu que Merck ne sollicitait pas et n'a pas obtenu de déclaration de validité à l'endroit d'aucune des revendications du brevet.

[21]       Dans sa requête de réexamen, Apotex fait référence à une action distincte qui était sur le point d'être déposée par Apotex et Signa S.A. de C. V. Nous reviendrons plus loin dans les motifs sur cette action.

[22]       Le juge MacKay a rejeté la requête de réexamen d'Apotex sur la base des motifs publiés dans (1998), 78 C.P.R. (3d) 376.

[23]       Selon mon analyse, le juge MacKay a tenu le raisonnement suivant :

1)          Il ressort du texte de sa déclaration que Merck a sollicité une réparation dont la portée déborde ce qui concerne exclusivement les comprimés de maléate d'énalapril d'Apotex. Elle a réclamé la protection de la pleine portée de son brevet, telle qu'elle est définie par les revendications spécifiées dans cette déclaration.

2)          Il a été reconnu à l'audience sur la présente requête qu'Apotex a, lors des mesures préparatoires au procès, envisagé la possibilité de contester la validité de la revendication 1 et d'autres revendications portant sur des composés, bien que de façon non approfondie, mais qu'elle n'y a finalement pas donné suite dans sa défense modifiée. Il n'y a pas le moindre élément de preuve qui permette de conclure que les parties se sont entendues pour remettre à plus tard l'examen de la validité de la revendication 1 ou des autres revendications ou même qu'Apotex croyait alors que l'examen de cette question serait reporté à plus tard.


3)          La décision de ne pas contester la validité de la revendication 1 ou d'autres revendications portant sur des composés au procès était la décision d'Apotex. Sur ce fondement, le juge MacKay a déclaré qu'il avait examiné au procès les questions en litige non pas telles qu'elles avaient été conçues ou libellées exclusivement par Apotex, mais plutôt telles qu'elles étaient formulées dans les actes de procédure des deux parties. Cela comprenait la demande de réparation formulée par Merck au sujet de la présumée contrefaçon des revendications 1 à 5 et 8 à 15 et les allégations de la demande reconventionnelle par lesquelles Apotex contestait uniquement la validité des revendications de brevet 8 à 17, abstraction faite de son moyen de défense tiré de l'article 56. Merck a été en mesure de citer les commentaires que son avocat a faits au procès dans son exposé introductif et dans son plaidoyer final dans lesquels il est expressément question de la reconnaissance par Apotex de la validité des revendications 1 à 5 portant sur des composés, commentaires qu'Apotex n'a pas alors contestés.

4)          Finalement, au paragraphe 2 de sa défense modifiée, Apotex a reconnu, sous réserve de l'article 56 et de la disponibilité de maléate d'énalapril sous licence, que Merck avait droit à l'exclusivité accordée par la Loi sur les brevets sur les revendications du brevet, à l'exception des revendications 8 à 11, en dépit d'une réserve libellée « aux fins uniquement de la présente action » ; cette réserve visait l' « exclusivité accordée par la Loi sur les brevets relativement à des revendications du brevet dont la validité n'était pas contestée, y compris la revendication 1 » .

[24]       Le juge MacKay a conclu à la page 386 :


Implicitement, la validité de la revendication 1, qui est appuyée par la Loi et qu'Apotex ne conteste pas, est la base de la conclusion de contrefaçon et de l'injonction dans la mesure où celles-ci se rapportent à la revendication 1. Qui plus est, Apotex a déjà, dans la présente action, contesté sans succès la validité des revendications 8 à 11. Bien qu'il faille reconnaître que les moyens qu'elle ferait maintenant valoir au sujet de la validité de ces revendications seraient différents en l'espèce, la Cour n'a pas compétence pour rouvrir les débats sur des questions qui ont été tranchées au procès pour la simple raison qu'un moyen qui n'a pas été invoqué au procès pourrait maintenant être formulé, si l'autorisation de le faire était accordée.

À mon avis, peu importe les pouvoirs que la Cour possède en matière de modification de jugements, ces pouvoirs ne vont pas jusqu'à lui permettre de rouvrir les débats sur des questions qui ont été tranchées expressément ou implicitement dans le jugement dont la modification est par la suite demandée. Ainsi, la Cour n'a tout simplement pas compétence pour accorder la réparation sollicitée par Apotex en vue d'obtenir la modification du dispositif de l'injonction et l'instruction des questions litigieuses soulevées en l'espèce. Il n'y aurait pas de fin aux procès s'il était loisible à une partie d'obtenir la réouverture des débats sur une question en litige après que celle-ci a été tranchée, en faisant valoir qu'un élément qui n'avait pas été envisagé au moment du procès a depuis été porté à son attention. Le principe général est que les procès doivent avoir une fin. Sauf dans des cas exceptionnels, un procès a lieu une fois pour toutes et tranche de façon définitive les questions litigieuses qui sont soulevées par les parties, sous réserve uniquement de la modification de la décision en appel ou dans les circonstances bien précises dans lesquelles les règles de la Cour permettent au juge du procès de modifier son jugement.

Ce principe empêche la Cour de rouvrir les débats pour examiner des questions qui auraient pu être soulevées mais qui, pour une raison ou pour une autre, ne l'ont pas été et qui ont depuis été tranchées implicitement par le jugement qui a été prononcé à l'issue du procès.

                                                                                         [non souligné dans l'original]

[25]       Le juge MacKay mentionne également qu'en janvier 1996, Apotex a déposé une nouvelle demande à la Cour d'appel en vertu de la règle 337 en vue de faire modifier le dispositif du jugement modifié. Cette requête a été rejetée en mars 1996. En rejetant la demande, la Cour d'appel a fait remarquer au sujet de l'injonction ordonnée au paragraphe 3 du jugement modifié :

Le paragraphe 3 du jugement de première instance, qui a ultérieurement été modifié par le jugement rendu par la Cour le 19 avril 1995, interdit de manière générale à l'appelante [TRADUCTION] « de contrefaire les revendications 1 à 5 et 8 à 15 inclusivement qui sont exposées dans les lettres patentes canadiennes n º 1 275 349 » . La phrase de ce paragraphe qui commence par les mots [TRADUCTION] « et particulièrement [...] » n'a aucunement pour effet de restreindre la portée étendue de l'injonction accordée par les termes introductifs de ce paragraphe.

c)          Action d'Apotex Inc. et Signa S.A. de C.V. c. Merck & Co. Inc. - T-2869-96, déposée le 15 avril 1997


[26]       Dans cette nouvelle action, Apotex et Signa, entreprise qui exerce son activité au Mexique comme fabricant et distributeur de produits chimiques employés dans la fabrication de médicaments destinés à la consommation humaine, cherchent à obtenir une déclaration que les revendications 1, 8 et 11 du brevet Merck sont invalides, nulles et sans effet. Sous le titre [TRADUCTION] « Faits nouveaux postérieurs à l'action T-2408-91 » , Apotex et Signa indiquent dans leur déclaration :

[TRADUCTION]

19.            Postérieurement au procès dans l'affaire T-2408-91, Apotex a découvert la possibilité d'acheter à Signa des composés dont on peut affirmer qu'ils sont englobés par la portée de la revendication 1 du brevet Merck mais non par les revendications 2 à 5. Apotex souhaite acheter, utiliser et vendre ces composés et Signa souhaite fournir ces composés à Apotex et à d'autres acheteurs au Canada.

20.            Tout argument dont disposeraient maintenant Apotex et Signa pour faire invalider la revendication 1 mais non les revendications 2 à 5 devient donc pertinent aujourd'hui, même s'il ne l'était pas au moment du procès relatif à l'action T-2408-91.

21.            Étant donné ce qui précède, Apotex et Signa ont intenté la présente poursuite en vue d'obtenir une déclaration d'invalidité pour la revendication 1 du brevet et les revendications qui en dépendent, à l'exclusion des revendications 2 à 5 et des revendications qui en dépendent (soit les revendications 8 et 11 du brevet Merck), pour les raisons dont le détail sera présenté dans la suite.

22. . . .

b)             Que le nombre de composés visés par la revendication 1 du brevet Merck est tellement élevé qu'il est impossible pour qui que ce soit de tous les fabriquer et de tous les mettre à l'essai ;

c)              Qu'il n'y a pas de fondement valable qui permette de prédire l'utilité pharmaceutique de la catégorie complète de composés visés par la revendication 1 du brevet Merck ;

d)             Que de fait, bon nombre, sinon la plupart, des composés visés par la revendication 1 du brevet Merck ne sont pas utiles.

[27]       La défenderesse Merck a présenté une requête en vue d'obtenir, en vertu de la règle 221, la radiation de la déclaration des demanderesses. L'affaire a été examinée par mon collègue, le juge Muldoon, qui a produit ses motifs écrits le 28 avril 1999. Il a prononcé la radiation de la déclaration pour cause d'abus de procédure.

[28]       Selon mon analyse des motifs du jugement, le juge Muldoon s'est basé sur l'argument de Merck qui a invoqué l'autorité de la chose jugée. Après avoir analysé la jurisprudence sur le principe de l'autorité de la chose jugée, le juge Muldoon a déclaré au paragraphe 25 de l'exposé des motifs :

[25]          Il en résulte que l'application du principe de l'autorité de la chose jugée ne dépend pas de la question de savoir si les parties ont effectivement soulevé ou non la ou les questions en litige dans le premier procès, mais si elles pouvaient le faire. Le plaideur qui décide de laisser tomber certaines questions pour des raisons notamment de tactique ou de stratégie règle son propre sort en ce qui concerne ces décisions. Les parties doivent invoquer tous leurs moyens et ne sont pas autorisées à plaider de manière fragmentée ou à la pièce. Le caractère définitif des décisions juridictionnelles est un principe de droit tout autant qu'un principe général (voir également l'arrêt Grandview c. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621, aux pages 634 et 636). Les parties engagées dans un procès doivent pouvoir se fier au caractère définitif des jugements définitifs pour régler leurs actes et leurs affaires en conséquence.

[29]       Le juge Muldoon a conclu ce qui suit au paragraphe 27 de l'exposé des motifs :

[27]          En l'espèce, à l'exception de Signa, les parties sont les mêmes. La décision antérieure sur laquelle Merck se fonde pour invoquer le principe de l'autorité de la chose jugée est une décision définitive et la Cour a, en l'espèce, refusé de rouvrir le débat ou de réexaminer la question en litige. La question en litige a par ailleurs été tranchée dans la décision antérieure lorsque la Cour a conclu que les revendications qui sont maintenant contestées étaient valides et qu'elles avaient été contrefaites. Par conséquent, le moyen d'irrecevabilité tiré de l'autorité de la chose jugée qu'invoque Merck est bien fondé.

LA PRÉSENTE PROCÉDURE - Apotex Inc. c. Merck - dossier T-294-96, 5 février 1996

a)          La déclaration d'Apotex

[30]       La déclaration déposée par Apotex concerne également le brevet Merck. Elle fait référence à l'action de 1991 et déclare au sujet de la décision de la Cour d'appel fédérale :

[TRADUCTION]

11.            La Cour d'appel fédérale a accueilli, en bonne partie, l'appel d'Apotex interjeté contre le jugement du juge MacKay. Dans son jugement du 19 avril 1995, modifié le 16 mai 1995, la Cour d'appel fédérale a trouvé Apotex coupable de contrefaçon et lui a interdit de vendre des comprimés de maléate d'énalapril fabriqués à partir de trois lots spécifiques de maléate d'énalapril qui, selon la preuve, n'avaient pas été acquis avant l'octroi du brevet Merck et à partir d'un lot qui n'était pas protégé par licence.

[31]       Dans sa déclaration, sous l'intitulé [TRADUCTION] « Nouveau produit » , Apotex expose ce qui suit :

[TRADUCTION]

12.            Postérieurement au procès dans l'affaire T-2408-91, Apotex a découvert la possibilité d'acheter d'autre maléate d'énalapril en vrac. Cet autre maléate d'énalapril était fabriqué et vendu sous licence.


13.            Apotex a acheté ce maléate d'énalapril en vrac sous licence et l'a transformé en comprimés de maléate d'énalapril en vue de le vendre pour la consommation au Canada.                [non souligné dans l'original]

[32]       Dans la présente action, Apotex demande :

[TRADUCTION]

a)              un jugement déclarant que la fabrication et la vente de comprimés de maléate d'énalapril tirés de l'énalapril en vrac sous licence ne portent pas atteinte au brevet Merck ;

b)             un jugement déclarant qu'Apotex n'est pas coupable de contrefaçon du brevet Merck du fait de la fabrication et de la vente de comprimés de maléate d'énalapril tirés de l'énalapril en vrac sous licence.

b)          La défense modifiée et la demande reconventionnelle de Merck

[33]       La défense modifiée et la demande reconventionnelle de Merck dans la présente instance sont datées du 27 mai 1999. Je n'ai pas besoin de décrire dans les présents motifs le détail de la défense de Merck. Merck conteste l'interprétation que donne Apotex des conclusions et conséquences des procédures antérieures et se concentre spécifiquement sur les conclusions du juge MacKay et de la Cour d'appel fédérale au sujet de l'achat du maléate d'énalapril, soit directement à Delmar, soit indirectement à l'un des clients de Delmar, postérieurement au procès relatif à l'affaire T-2408-91. Merck plaide l'autorité de la chose jugée. En défense, elle soutient que l'action d'Apotex est frivole, vexatoire, non fondée et qu'elle constitue un abus de procédure.

[34]       Dans sa demande reconventionnelle relative à la présente affaire, Merck :

1)          reprend les allégations exposées dans sa défense ;

2)          affirme qu'elle sait maintenant qu'en date du 26 mai 1994 et du 10 octobre 1994 ou aux environs de ces dates, Apotex a acquis de fournisseurs non révélés et non titulaires de licence des quantités de maléate d'énalapril en vrac s'élevant à 772,9 kilogrammes fabriqué par Delmar, pendant la durée de la licence obligatoire ;


3)          déclare que l'achat par Apotex de maléate d'énalapril en vrac se situe après l'extinction des droits de licence obligatoire de Delmar Chemicals Inc. aux termes d'une loi du 14 février 1993 ;

4)          affirme qu'elle ne connaît pas actuellement l'envergure des achats d'Apotex de quantités de maléate d'énalapril en vrac à des fournisseurs non révélés et non titulaires de licence après l'extinction des droits de licence obligatoire le 14 février 1993, mais qu'Apotex la connaît ;

5)          allègue qu'Apotex a transformé les quantités de maléate d'énalapril en vrac acquises de fournisseurs sans licence après le 14 février 1993 en comprimés d'APO-ÉNALAPRIL à ses installations de Weston, en Ontario, et qu'Apotex a vendu ces comprimés à des grossistes, pharmacies et autres distributeurs au Canada et ailleurs, en vue du traitement de l'hypertension et de l'insuffisance cardiaque globale ;

6)          soutient qu'Apotex a porté atteinte à ses droits exclusifs et, en particulier aux revendications 1 à 5 et 8 à 15 du brevet Merck et que, dans la mesure où Apotex a transformé les quantités de maléate d'énalapril en vrac ainsi acquises en comprimés sous forme posologique offerts à la vente ou vendus au Canada et ailleurs après le dépôt des motifs du jugement de la Section de première instance et du jugement de la Cour d'appel fédérale, elle a enfreint en connaissance de cause et délibérément l'injonction permanente de ces tribunaux.

[35]       Merck, dans sa demande reconventionnelle relative à la présente action, cherche à obtenir les réparations suivantes :


a)          un jugement déclarant qu'Apotex est coupable de contrefaçon à l'égard des revendications 1 à 5 et 8 à 15 du brevet Merck, au moins pour les 772,9 kilogrammes de maléate d'énalapril en vrac achetés postérieurement au jugement rendu dans l'action de 1991 ;

b)          une ordonnance visant la remise par Apotex de tout le reste de l'énalapril et du maléate d'énalapril en vrac ou sous forme posologique en sa possession et sous son contrôle qui porte atteinte au brevet Merck ;

c)          des dommages-intérêts et une reddition de comptes ainsi que des dommages-intérêts exemplaires et punitifs pour avoir enfreint l'injonction permanente de la Cour en connaissance de cause et de façon délibérée.

c)          La réplique d'Apotex et la défense opposée à la demande reconventionnelle de Merck

[36]       Apotex a déposé sa réponse le 28 juin 1999.

[37]       Sous l'intitulé [TRADUCTION] « Produit sous licence » , Apotex déclare ce qui suit :

a)          le 24 avril 1992, Delmar a obtenu une licence obligatoire à l'égard du brevet Merck ; Delmar a fabriqué et vendu du maléate d'énalapril en vrac au titre de cette licence ; cette licence a expiré le 14 février 1993 aux termes de la Loi sur les brevets ;

b)          postérieurement au procès dans l'action de 1991, Apotex a acquis du maléate d'énalapril en vrac qui avait été fabriqué et vendu sous licence par Delmar. Tout ce produit est demeuré du produit sous licence indépendamment de l'extinction de la licence de Delmar ; Apotex invoque le paragraphe 12(2) de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets pour affirmer qu'elle n'a pas porté atteinte au brevet Merck ni enfreint aucune ordonnance ou décision de la Cour dans l'action de 1991 et dans l'appel subséquent ;


c)          s'agissant de l'autorité de la chose jugée, Apotex conteste que l'instance était couverte par l'autorité de la chose jugée en raison des procédures judiciaires de l'action de 1991 ou de l'appel subséquent et qu'elle ait agi de quelque façon l'empêchant d'intenter la présente poursuite contre Merck.

[38]       Dans la défense opposée à la demande reconventionnelle de Merck, Apotex reprend les allégations de sa déclaration et de sa réponse. Sous l'intitulé [TRADUCTION] « Non-contrefaçon du brevet Merck » , Apotex déclare ce qui suit :

11.            Contrairement aux allégations présentées dans la demande reconventionnelle, Apotex déclare qu'elle a acquis et ultérieurement transformé en comprimés du maléate d'énalapril en vrac sous licence, selon la description figurant dans sa déclaration.

12.            Apotex déclare en outre que l'extinction de la licence de Delmar n'avait aucun effet d'aucune sorte sur tout maléate d'énalapril en vrac précédemment fabriqué et vendu sous licence par Delmar. Ce maléate d'énalapril en vrac demeurait du produit sous licence.

13.            Pour ces raisons, Apotex nie avoir porté atteinte au brevet Merck ou avoir enfreint une ordonnance ou une décision de la Cour dans l'action T- 2408-91 ou dans l'appel A-724-94.

[39]       Sous l'intitulé [TRADUCTION] « Invalidité du brevet Merck » , Apotex déclare ce qui suit, au paragraphe 14 de la défense produite à la demande reconventionnelle de Merck qui fait l'objet de la présente requête en radiation :

14.            À titre subsidiaire, si le produit acquis par Apotex comme il a été dit n'était pas du produit sous licence, le principe de l'irrecevabilité pour cause de licence ne s'applique pas et Apotex plaide que le brevet Merck et les revendications qu'il comprend sont invalides, nuls et sans effet en raison de ce qui suit.                              [non souligné dans l'original]

[40]       Apotex a ensuite énuméré un certain nombre d'arguments à l'appui de sa requête en déclaration d'invalidité du brevet Merck.

ANALYSE


[41]       Le paragraphe 14 de la défense opposée par Apotex à la demande reconventionnelle de Merck attaque la validité du brevet Merck. Merck cherche à faire radier ce paragraphe en se fondant sur l'autorité de la chose jugée. Les principes qui s'appliquent à l'autorité de la chose jugée sont établis dans deux arrêts de la Cour suprême du Canada, soit : Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248 et Grandview c. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621.

[42]       Dans l'arrêt Angle, précité, le juge Dickson (plus tard juge en chef) a distingué deux formes d'irrecevabilité en raison de l'autorité de la chose jugée : l'irrecevabilité pour cause d'identité de causes d'action et l'irrecevabilité pour cause d'identité des questions en litige (action estoppel et issue estoppel). Ces deux formes d'irrecevabilité sont fondées sur des considérations de principe : la première, sur l'intérêt public qui veut que les litiges aient une fin, la seconde, sur le préjudice que causerait à une partie le fait d'être poursuivie deux fois pour la même cause.

[43]       L'irrecevabilité pour identité de causes d'action interdit à une personne d'intenter une poursuite contre une autre personne lorsque la même cause d'action a été tranchée dans une instance antérieure par un tribunal compétent.

[44]       L'irrecevabilité pour identité des questions en litige a une portée plus large parce qu'elle s'applique à des causes d'action différentes ; elle implique la réunion de trois conditions :

a)          La même question a déjà été tranchée ;

b)          La décision judiciaire qui créerait l'irrecevabilité est une décision définitive ;

c)          Les parties à la décision judiciaire ou leurs ayant droit sont les mêmes que celles qui s'opposent dans l'instance où l'irrecevabilité est invoquée.


[45]       Le juge Dickson, dans l'arrêt Angle, précité, a formulé la mise en garde qu'il ne suffit pas dans l'irrecevabilité pour cause d'identité des questions en litige que la question ait été soulevée de manière annexe ou incidente dans l'affaire antérieure - la question doit avoir joué un rôle fondamental dans la décision à laquelle on est arrivé.

[46]       À mon avis, il est manifeste et évident que la requête en radiation de Merck réunit les conditions d'irrecevabilité pour cause d'identité des questions en litige. Premièrement, la question de la validité du brevet Merck, aux fins de la présente instance, a été tranchée dans l'action de 1991. Selon les conclusions tant du juge MacKay dans la requête en réexamen que du juge Muldoon dans l'action T-2869-96, Apotex ne peut pas rouvrir les débats de manière fragmentée en plaidant l'invalidité du brevet Merck pour des motifs différents. De plus, la question de l'invalidité du brevet Merck était fondamentale dans la décision relative à l'action de 1991 ainsi que dans le jugement déclaratoire et les réparations accordées, en l'occurrence qu'Apotex avait contrefait le brevet Merck relativement à des lots spécifiques de maléate d'énalapril en vrac et aux 44,9 kilogrammes de maléate d'énalapril achetés par Apotex à Delmar en mars 1993 après l'expiration prévue par la loi de la licence obligatoire détenue par Delmar. En outre, une injonction a interdit à Apotex de contrefaire les revendications du brevet Merck, et en particulier de fabriquer, utiliser, mettre en vente et vendre, au Canada ou ailleurs, des comprimés d'APO-ÉNALAPRIL ou tous autres comprimés ou formes posologiques contenant du maléate d'énalapril relié aux lots spécifiques et aux 44,9 kilogrammes achetés à Delmar.

[47]       La deuxième condition est remplie du fait que la décision judiciaire est définitive. La Cour suprême du Canada a refusé la demande d'autorisation de pourvoi en raison des conclusions de la Cour d'appel fédérale même si, selon mon interprétation, Apotex a interjeté appel du jugement du juge MacKay sur la requête de réexamen et du jugement du juge Muldoon dans l'action T-2869-96. À mon avis, ces appels ne m'autorisent pas à écarter l'argument de l'autorité de la chose jugée en l'espèce. Les parties dans la présente affaire étant les mêmes que celles de l'action de 1991, la troisième condition est remplie.


[48]       Apotex fait valoir qu'elle a le droit de soulever de nouveau la question de l'invalidité du brevet Merck en se fondant sur l'irrecevabilité pour cause de licence qui s'appliquerait du fait que le maléate d'énalapril en vrac était un produit sous licence au moment de sa fabrication et de sa vente par Delmar avant qu'il soit acquis par Apotex. Le principe de l'irrecevabilité pour cause de licence, défini dans Bayer c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 58, intervient dans le contexte d'une action entre un breveté concédant une licence et un licencié. Selon mon interprétation, ce principe empêche un licencié de contester la validité de la licence passée avec le concédant parce qu'ils sont tous deux parties au même contrat de licence, mais prévoit une exception dans certaines circonstances lorsque le concédant poursuit le licencié en contrefaçon du brevet en alléguant que le licencié a outrepassé les conditions de la licence.

[49]       À mon avis, la demande de radiation de Merck devrait être accueillie malgré le moyen tiré de l'irrecevabilité pour cause de licence d'Apotex. Premièrement, dans l'hypothèse où Apotex aurait la faculté de plaider l'exception à l'irrecevabilité pour cause de licence, à mes yeux cette exception ( la faculté du licencié de contester la validité du brevet du concédant) ne s'appliquerait pas en l'espèce du fait que cette question précise a été tranchée dans les actions antérieures. Le principe de l'irrecevabilité pour cause d'identité des questions en litige est d'empêcher une partie, dans une action distincte impliquant une cause d'action différente, de rouvrir le débat sur une question tranchée. Apotex ne peut pas utiliser l'exception prévue à l'irrecevabilité pour cause de licence comme un subterfuge. Deuxièmement, à mes yeux, il n'y a pas de relation concédant-licencié entre Merck et Apotex eu égard au maléate d'énalapril en vrac qui est en cause. Il y en avait une entre Merck et Delmar, mais la loi y a mis fin.


[50]       Vu les conclusions auxquelles j'arrive, il n'est pas nécessaire que j'examine l'argument subsidiaire de Merck, soit l'irrecevabilité pour cause d'identité de causes d'action. Je n'estime pas nécessaire non plus de traiter de la demande de Merck visant à obtenir des précisions sur le paragraphe 14 de la défense opposée par Apotex à la demande reconventionnelle de Merck.

DISPOSITIF

[51]       Pour tous ces motifs, le paragraphe 14 de la défense d'Apotex contre la demande reconventionnelle de Merck dans la présente action est radié avec dépens.

                                                                            « François Lemieux »

                                                                                                                                                        

                                                                                                J U G E        

OTTAWA (ONTARIO)

Le 5 NOVEMBRE 1999

Traduction certifiée conforme

_________________________

Richard Jacques, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

           AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DU DOSSIER :                                           T-294-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :                APOTEX INC. c. MERCK & CO. INC. ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :                               14 SEPTEMBRE 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE LEMIEUX EN DATE DU 5 NOVEMBRE 1999

ONT COMPARU :

DANIELA BASSAN                                                    POUR LA DEMANDERESSE

ALEXANDER MACKLIN

CARINA DE PELLEGRIN                                                      POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOODMAN, PHILLIPS & VINEBERG

TORONTO                                                                              POUR LA DEMANDERESSE

GOWLING, STRATHY & HENDERSON

OTTAWA                                                                                POUR LES DÉFENDERESSES


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