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Date : 20020815

Dossier : IMM-5537-01

Référence neutre : 2002 CFPI 873

Montréal (Québec), le 15 août 2002

En présence de :         L'honorable juge Blais

ENTRE :

                                                                 JAMEEL AHMAD

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [ci-après le « tribunal » ] rendue le 5 novembre 2001 selon laquelle le demandeur ne rencontre pas la définition de « réfugié au sens de la Convention » .

  

FAITS

[2]                 Le demandeur est né le 19 octobre 1970. Il est originaire du village de Machi Khokhar, dans la région de Sialkot, dans la province du Punjab.

[3]                 Il fait partie d'une famille Shiite bien connue pour leur travail dans la communauté.

[4]                 Le père du demandeur était un membre de longue durée de l'Imambargah pour au moins treize (13) ans.

[5]                 Comme membre actif de la communauté Shiite, le demander a rentré en confit avec le groupe extrémiste connu comme le Sipah Sahaba Pakistan (SSP).

[6]                 Le demandeur fait allusion à plusieurs événements où il allègue qu'il a été la victime de persécution par les membres du SSP.

[7]                 En septembre 2000, le demandeur allègue qu'il a été attaqué par Moulvi Imam Din.

[8]             Le 26 février 2001, le demandeur et son ami, Syed Jarar Hussain, ont été victime d'une tentative d'assassinat par Mian Mansoor et quatre (4) autres hommes. M. Hussain a reçu deux (2) balles au dos et est mort le lendemain.

[9]             Entre-temps, le demandeur raconte qu'il avait reçu des appels menaçants de la part du SSP, incluant Moulvi Imam Din et Mian Mansoor.

[10]         En conséquence, le demandeur a quitté le Pakistan le 7 mai 2001 et est arrivé au Canada le 9 mai 2001.

[11]          Il a immédiatement revendiqué le statut de réfugié, alléguant avoir une crainte bien fondée de persécution par les autorités du Pakistan ainsi que les membres du Sipah Sahaba Pakistan au motif de son opinion politique.

QUESTION EN LITIGE

[12]            Le tribunal a-t-il rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive et arbitraire et sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait?

ANALYSE

Norme de contrôle judiciaire applicable

[13]                   Dans l'affaire Ranganathan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 269 (C.F. 1re inst.), le juge Evans a énoncé:


[para 45] D'un autre côté, la décision de la section du statut de réfugié relativement à la question de savoir si les faits pertinents remplissent les exigences du critère de Rasaratnam, interprété comme il se doit, constitue une question mixte de droit et de fait, et n'est susceptible de contrôle judiciaire que si elle est déraisonnable.

[14] En l'espèce, les conclusions tirées par le tribunal par rapport àla crédibilité du demandeur sont basées sur des faits. En conséquence, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de manifestement déraisonnable.

Crédibilité du demandeur

[15] Dans l'affaire Aguebor c. Canada (MEI), [1993] C.A.F. no 732 (C.F.A.), la Cour d'appel fédérale a indiqué les circonstances justifiant une intervention judiciaire relativement aux conclusions d'un tribunal au sujet de la crédibilité d'un demandeur :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

  

[16] Le tribunal a fait plusieurs commentaires quant au manque de crédibilité du demandeur. Il est à rappeler que cette Cour ne doit pas déterminer si d'autres conclusions de fait auraient pu être tirées de la preuve, mais doit uniquement décider si celles qui ont effectivement été tirées l'ont été de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait.

[17] À la page 3 de la décision, le tribunal a statué:

With respect to testimonial credibility, the claimant's testimony was found to be neither credible nor trustworthy. In the course of his testimony a number of contradictions, inconsistencies and implausibilities surfaced for which the claimant did not provide any satisfactory explanations. The claimant's testimony at times appeared to be vague, evasive and reticent. He did not appear to be endeavouring to tell the truth. [...]

[18] Plus loin à la page 4, le tribunal a écrit:

Again, the claimant's testimony appears to us to be wholly implausible and ludicrous.

Preuve documentaire

[19] Le tribunal est maître dans l'appréciation de la preuve offerte. Il peut jauger de la valeur probante de chacun des documents qu'il reçoit et des témoignages qu'il entend.

[20] Dans l'affaire Paranawithana c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1513 (C.F. 1re inst.), le juge suppléant Heald a énoncé:

[para 2] La section du statut a tiré de nombreuses conclusions défavorables quant àla crédibilité du témoignage du requérant. L'appréciation de la crédibilité ainsi que de la force probante des preuves et témoignages produits relève de sa compétence de juge des faits, et ne saurait constituer un fondement juridique pour le contrôle de sa décision.

[21]                   Et dans l'affaire Pehtereva c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1491 (C.F. 1re inst.) le juge MacKay a énoncé:

[para 12] [...] il est établi que le poids à attribuer à des documents donnés ou à d'autres éléments de preuve relève de la compétence du tribunal en cause.


[22] Aux paragraphes 1.6 et 1.6.2 de son dossier, le demandeur allègue que:

Le tribunal a commis une erreur [...] en décidant de n'accorder aucune valeur probante aux documents du demandeur (page 5 de la décision);

Le demandeur avait déposé plusieurs documents au soutien de sa revendication. Les documents déposés par le demandeur corroboraient son témoignage. Ils confirmaient l'appartenance du demandeur à une minorité religieuse au Pakistan. Ils confirmaient ses activités religieuses et sa persécution par le groupe SSP qui est un groupe fondamentaliste du Pakistan.

Les documents du demandeur n'ont pas été contredits. Le tribunal devait accorder toute la valeur probante nécessaire aux documents du demandeur.

  

[23] À la page 5, le tribunal s'est prononcé au sujet de la preuve documentaire comme suit:

Given the claimant's lack of general credibility no probative value was given to his documentary evidence dealing with his alleged victimization in Pakistan.

  

[24] À mon avis, il est pour le moins surprenant au point d'être exagéré de constater que le tribunal a rejeté en bloc la preuve documentaire soumise par le demandeur.

[25] Il est vrai que le tribunal a considéré que le demandeur était non crédible, mais les conclusions du tribunal sur la crédibilité sont basées essentiellement sur l'événement du 26 février 2001.

  

Événement du 26 février 2001

[26]                  À la page 3 de la decision, le tribunal décrit le déroulement de l'événement qui a eu lieu le 26 février 2001 comme suit:

The claimant alleges that, on the 26th of February 2001, while he and a friend Syed Jarar Hussain were on their way to the Imambargah, Mr. Mian Mansoor of the SSP with four of his goons tried to stop them at the corner of the street. When he saw that they were holding pistols and rifles, he attempted to evade them by speeding up on his motorcycle.

[27] Or, plus loin il devient clair que le tribunal doutait la crédibilité du récit du demandeur:

Questioned as to why he fled rather than halt, he stated that he was afraid that they were going to kill him and that he felt he had no other choice. The claimant's explanation was deemed unsatisfactory. The scenario, as described by the claimant, appears to the Division to be inherently suspect and improbable.

[28] Le tribunal explique minutieusement à la page 3 son raisonnement :

The plausibility that he, in the company of his friend, would in this situation attempt to make a break appears to us far and remote, more so given the number of armed men involved. [...] The plausibility of this scenario was further undermined when the claimant unable to spontaneously explain why he was not hit by gunfire. His initial response was that his friend had received two bullets, but that he, by the grace of God, was able to escape injury and death.

[29] Finalement, à la page 5, le tribunal conclut:

The claimant's explanation given his own allegation of victimization by the SSP, and its notoriety in Pakistan, appears to us as being totally outlandish and ludicrous. Certainly not the musing of reasonable man victimized by the SSP.[...] No credibility was given to the claimant's testimony on this issue.

[30] Il est à rappeler qu'il revient au tribunal seul la tâche de procéder à l'appréciation de la preuve et d'y accorder la valeur probante qu'il juge àpropos et d'en tirer les conclusions qui s'imposent.

[31] Plus loin dans son analyse, le tribunal trouve non crédible le demandeur, alors qu'il explique qu'il s'est occupé de l'enterrement de son ami décédé et qu'il a attendu que l'on incendie sa maison pour se cacher.

[32] D'un côté, le tribunal reproche au demandeur d'avoir fui trop vite le 26 février alors que le décès par balle de son ami semblerait justifier qu'il avait raison de s'enfuir.

[33] D'un autre côté, le tribunal lui reproche ne pas avoir fui assez vite deux jours plus tard.

[34] Il m'apparaît clair que les conclusions auxquelles en arrive le tribunal ne correspondent pas à la preuve présentée devant lui quant à la plausibilité et sont manifestement déraisonnables.

[35] Qui plus est, la décision du tribunal de ne pas analyser la preuve documentaire présentée par le demandeur, justifie amplement l'intervention de la Cour.

[36] En conséquence, la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire.

[37] La décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rendue le 5 novembre 2001 est annulée et le dossier est retourné à la Commission pour une nouvelle audition devant un panel différemment constitué.

[38] Aucune question sérieuse n'a été soumise pour certification.

                     "Pierre Blais"                    

                                 juge                             


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                 IMM-5537-01

INTITULÉ :             

                                       JAMEEL AHMAD

                                                                                                 demandeur

                                                         et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                 ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 13 août 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                                     L'HONORABLE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                     le 15 août 2002

COMPARUTIONS:

Me Vonnie Rochester                                           POUR LE DEMANDEUR

Me Sylviane Roy                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Vonnie Rochester                                           POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Montréal (Québec)

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