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Date : 19990311


IMM-485-98

E n t r e :

     REIGO MUTLE,

     demandeur,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (prononcés, tel que révisés,

     à l'audience le 2 mars 1999)

LE JUGE McKEOWN

[1]          Le demandeur, un citoyen d'Estonie, demande le contrôle judiciaire d'une décision en date du 15 janvier 1998 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]          Le débat tourne en l'espèce autour de la question de savoir s'il y a un lien entre les agressions dont le demandeur a fait l'objet et ses activités politiques.

[3]          La Commission n'a pas tiré de conclusions générales au sujet de la crédibilité du demandeur, ce qui signifie, comme la Commission l'a déclaré, que le témoignage du demandeur était [TRADUCTION] " [...] présumé véridique sauf s'il y a une raison de conclure le contraire ". La Commission a tiré des conclusions au sujet de la vraisemblance et a également relevé, comme l'exception susmentionnée le permettait, les contradictions qui existaient entre le témoignage et la preuve documentaire.

[4]          La Commission a tiré les conclusions suivantes à la page 4 de ses motifs :

                  [TRADUCTION]             
                  Le tribunal tient pour acquis que le revendicateur avait une crainte subjective. Il n'a toutefois pas été démontré (selon l'appréciation du tribunal) que cette crainte reposait sur un fondement objectif lié aux opinions politiques du revendicateur. Le bien-fondé de la revendication n'a donc pas été établi. Voici le raisonnement que le tribunal a suivi pour en arriver à cette conclusion.             
                  Bien qu'il affirme que les personnes (agents) qui cherchaient à lui faire du mal sont des nationalistes ou des criminels estoniens qui collaborent avec la police, le revendicateur n'a pas pu parler de façon concrète des nationalistes [...] Le tribunal ne croit pas que les agents de persécution sont des nationalistes qui s'intéressent au revendicateur en raison de ses activités politiques. Il ne croit pas non plus que les présumés agents, même en supposant qu'ils soient des criminels, harcèlent le revendicateur en raison de ses opinions politiques.             

[5]          Le demandeur soutient que, comme les personnes qui l'ont agressé cherchaient à lui extorquer de l'argent du Komsomol, ils le considéraient probablement comme un ancien communiste et le persécutaient en raison de ses opinions politiques.

[6]          Voici en quels termes la Commission a répondu à cet argument, à la page 5 :

             [TRADUCTION]             
             Suivant le tribunal, il y a des milliers de personnes qui se trouveraient présentement dans une situation semblable à celle du revendicateur en Estonie " d'anciens employés ou fidèles de la multitude d'anciennes organisations soviétiques et autres organismes qui composaient l'ancienne bureaucratie soviétique-estonienne. Le revendicateur n'était pas un personne de premier plan ou un individu haut placé dans la sphère politique. On lui a demandé d'expliquer pourquoi il avait été puni six ans après que les Soviétiques eurent cessé de gouverner l'Estonie. Il a témoigné qu'il s'était longuement interrogé sur les raisons pour lesquelles ces gens lui en voulaient. La seule réponse qu'il a pu trouver était que, pour une raison ou pour une autre, il était gênant et qu'il avait été choisi en raison de ses activités politiques passées au sein du Komsomol. Le tribunal ne peut tout simplement pas accepter ces explications : elles sont trop forcées, trop invraisemblables pour que le tribunal puisse y ajouter foi.             
             Le tribunal estime que le revendicateur a été victime de voyous brutaux, qui étaient peut-être des criminels, qui cherchaient à lui extorquer de l'argent.             

[7]          La Commission a également conclu qu'elle ne pouvait pas accepter que les agressions étaient liées aux activités exercées par le demandeur au sein du Komsomol avant l'indépendance de l'Estonie, en 1991. La Commission a en outre conclu que les agressions dont le demandeur avait été victime avaient eu lieu quelque quatre ans après que l'Estonie eut proclamé son indépendance, au printemps 1991, et que le demandeur n'avait eu dans l'intervalle aucun problème du fait de ses opinions politiques. Il était loisible à la Commission de tirer de telles conclusions. Ces conclusions n'étaient pas des spéculations et elles étaient fondées sur les éléments de preuve portés à la connaissance de la Commission.

[8]          Le demandeur affirme par ailleurs que, comme l'un des trois assaillants était un policier, il en découle qu'il s'agissait d'une persécution de l'État. La Commission a toutefois conclu que les agressions dont le demandeur avait été victime n'avait aucun mobile politique et qu'elles étaient de nature purement criminelle. Le fait qu'un des agresseurs était un policier n'ébranle pas la conclusion de la Commission.

[9]          La Commission a également examiné la revendication du demandeur à la lumière du contexte plus large de la domination dont l'Estonie a fait l'objet de la part de Moscou pendant une cinquantaine d'années. Elle a déclaré, à la page 6 :

             [TRADUCTION]             
             [...] Une foule de gens, dont certains étaient des Russes, mais dont bon nombre étaient Estoniens, auraient travaillé pour des organismes soviétiques, dont certains étaient plus ouvertement politiques que d'autres, mais qui étaient tous associés au pouvoir. Nous estimons que si ces personnes avaient été sévèrement châtiées en raison de leurs opinions politiques ou de leur présumée culpabilité, les documents en feraient état. Or, il n'en font aucune mention.             

Il était loisible à la Commission de tirer une telle conclusion.

[10]          La Commission a affirmé qu'elle avait des réserves au sujet du lien entre les agressions dont le demandeur avait fait l'objet et ses opinions politiques et elle a tiré la conclusion suivante, toujours à la page 6 :

             [TRADUCTION]             
             La définition du réfugié est toutefois très claire. Il doit y avoir un lien avec un des motifs énumérés dans la Convention. En l'espèce, le tribunal conclut tout simplement que le revendicateur n'a pas raison de craindre d'être persécuté en Estonie du fait de ses opinions politiques réelles ou présumées. Le tribunal reconnaît qu'il est quelque peu perplexe en ce qui concerne les avis de recherche dont le revendicateur a fait l'objet, mais il estime qu'ils ne permettent pas d'établir le lien exigé avec un des motifs énumérés dans la Convention.             

La preuve permettait à la Commission de tirer cette conclusion.

[11]          Il ne s'agit pas d'une affaire comme Zhu c. Canada (M.E.I.), (1994) F.C.J. No. 80, dans laquelle les mobiles étaient multiples. Le juge MacGuigan a déclaré, au paragraphe 2 :

             Le tribunal a commis une erreur lorsqu'il a mis en opposition l'amitié et les motifs politiques. Les raisons du geste posé par l'appelant étaient " variées " plutôt que " contradictoires ". Les gens agissent fréquemment pour diverses raisons, et il suffit qu'un des motifs soit de nature politique pour conclure à l'existence d'une motivation politique.             

En l'espèce, toutefois, les conclusions de la Commission excluent toute participation de l'État à la persécution.

[12]          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     William P. McKeown

     JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 11 mars 1999.

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  IMM-485-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          REIGO MUTLE c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              2 mars 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge McKeown le 11 mars 1999

ONT COMPARU :

Me Rodney L.H. Woolf                      pour le demandeur
Me Jeremiah Eastman                      pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Rodney L.H. Woolf                      pour le demandeur

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg                          pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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