Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20060403

Dossier : IMM-4277-05

Référence : 2006 CF 426

Ottawa (Ontario), le 3 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

SURJIT KAUR BHANDAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue le 14 juin 2005, dans laquelle la commissaire N. Tabibzadeh a conclu que Mme Bhandal (la demanderesse) n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger parce qu'il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Ralto, le village où son mari réside présentement avec sa soeur et où deux de ses enfants habitent.

[2]                La demanderesse est née le 6 mai 1935 à Bhamaddi en Inde et est une citoyenne de l'Inde. Elle s'est mariée à Preetam Singh Bhandal le 18 avril 1955; il habite présentement en Inde avec sa soeur dans le village de Ralto. Le couple a cinq enfants, dont deux habitent le village de Ralto, comme je l'ai déjà mentionné.

[3]                La demanderesse est arrivée à l'aéroport international Pearson le 26 décembre 2002 avec un visa de visiteur. Elle a déposé une demande d'asile le 30 septembre 2004; aucune explication valide n'a été avancée pour expliquer ce décalage de 21 mois. Elle allègue qu'elle craint les policiers du Pendjab et des terroristes dans son village de Kanech.

[4]                Les faits sont simples. La demanderesse décrit deux incidents dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) :

Le 1er incident

[5]                La demanderesse déclare qu'elle ne veut pas retourner en Inde parce que des terroristes se sont présentés chez elle et ont réclamé de la nourriture. Le 10 février 2002, à 23 h, quatre terroristes sont entrés dans sa maison et lui ont demandé de leur préparer de la nourriture. Ils ont quitté la maison après avoir mangé et ont dit à la demanderesse qu'ils les tueraient, elle et son mari, s'ils appelaient les policiers.

[6]                Le lendemain matin, des policiers se sont présentés à son domicile et ont accusé le couple d'avoir nourri et abrité des terroristes. Les policiers ont emmené la demanderesse et son mari au poste de police et leur ont dit de quitter le village, sinon ils seraient arrêtés de nouveau. M. Jarnail Singh, le frère du chef du village, a donné 10 000 roupies au chef de police et le couple a été libéré. M. Singh a conduit la demanderesse et son mari à Ralto pour qu'ils emménagent avec la belle-soeur de la demanderesse. Le couple y est resté pendant trois mois et est retourné à Ralto le 25 juin 2002.

Le 2e incident

[7]                Le 9 juillet 2002, à 21 h, cinq terroristes sont entrés par effraction dans la maison de la demanderesse après que son mari et elle eurent refusé d'ouvrir la porte. Une fois de plus, ils ont demandé à être nourris et sont repartis après avoir mangé.

[8]                À 7 h le lendemain matin, trois policiers sont arrivés à la maison du couple et ont accusé la demanderesse et son mari d'avoir nourri des terroristes. Ils ont été emmenés au poste de police. M. Singh a payé 20 000 roupies pour leur libération.

[9]                Le couple a consulté un avocat qui a déclaré ne rien pouvoir faire. L'avocat a suggéré à la demanderesse de se rendre au Canada; la fille de la demanderesse habite à Brampton. La demanderesse s'est rendue à New Delhi pour présenter une demande de visa de visiteur, omettant de mentionner quoi que ce soit au sujet des deux incidents. Même si le dernier incident a eu lieu le 9 juillet 2002, la demanderesse est venue au Canada presque six mois plus tard, soit le 26 décembre 2002.

[10]            La Commission a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention parce qu'elle n'avait pas de raison de craindre d'être persécutée pour un motif prévu par la Convention en Inde. La Commission a aussi conclu que la demanderesse n'était pas une personne à protéger parce qu'elle ne serait pas exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle était renvoyée en Inde.

[11]            La Commission a conclu que la demanderesse était crédible, mais que ces deux incidents ne constituaient pas de la persécution. La demanderesse allègue que les terroristes les ont menacés de mort, son mari et elle, s'ils alertaient les policiers. Cependant, les policiers étaient au courant des deux incidents et rien n'est arrivé au mari à Ralto.

[12]            La demanderesse n'a pas pu identifier les terroristes. Il n'existe aucune preuve que le mari de la demanderesse ait été harcelé par des terroristes ni détenu par les policiers, même s'il n'habite qu'à quelques kilomètres de l'endroit où les incidents ont eu lieu.

[13]            La Commission a conclu qu'il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) pour la demanderesse à Ralto, le village où son mari et sa belle-soeur habitent sans problème. La demanderesse n'a pas démontré qu'elle devrait affronter des difficultés excessives si elle déménageait à Ralto. La demanderesse possède des terres en Inde qu'elle loue au chef du village.

[14]            La principale question en litige en l'espèce est la suivante : la demanderesse a-t-elle une PRI à Ralto?

[15]            En ce qui a trait aux PRI, il est reconnu que la norme de contrôle est la décision manifestement déraisonnable parce que la Commission doit effectuer une analyse factuelle, Chorny c. MCI, 2003 CF 999, aux paragraphes 5 et 9.

[16]            La demanderesse présente six observations :

1.                   Le manque de preuve documentaire ne peut pas être interprété contre elle.

2.                   Les facteurs examinés ne sont pas pertinents.

3.                   Il n'y avait aucune contradiction dans le témoignage.

4.                   La conclusion a été tirée sans preuve à l'appui.

5.                   La Commission a commis une erreur en ce qui a trait à l'autonomie.

6.                   Le témoignage de la demanderesse ne peut pas être contredit sans que des motifs soient présentés.

[17]            Ces six observations peuvent être regroupées sous la rubrique équité procédurale. Cependant, je crois que la principale question en litige porte sur la PRI.

[18]            Le défendeur présente une observation principale en ce qui a trait au caractère raisonnable de la PRI.

[19]            Il revient à la demanderesse de prouver, selon la prépondérance de la preuve, qu'il existe une possibilité sérieuse qu'elle soit persécutée dans tout le pays, y compris dans la zone qui est réputée être une PRI; Thirunavukkarasu c. MEI, (1993) 109 D.L.R. (4th) 682, au paragraphe 684.

[20]            Le défendeur croit que la demanderesse ne veut pas déménager à Ralto, le village où se trouve son mari, parce qu'elle préfère rester au Canada avec sa fille. Son mari vit à Ralto sans difficulté et il n'y a aucune preuve que la demanderesse serait persécutée si elle déménageait dans ce village.

[21]            Le défendeur mentionne aussi que la demanderesse a attendu 21 mois après son arrivée au Canada avant de déposer une demande d'asile.

[22]            Au paragraphe 15 de son mémoire supplémentaire, le défendeur mentionne que le fait que la demanderesse n'aurait pas accès à des résidences pour personnes âgées ou à de l'aide sociale en Inde n'est pas pertinent pour déterminer si elle est une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger. Ces arguments sont plutôt pertinents lors d'une demande d'examen invoquant des motifs d'ordre humanitaire.

[23]            Je traiterai de deux questions :

1.                   La possibilité de refuge intérieur

2.                   Le temps écouté avant la présentation de la demande d'asile

La possibilité de refuge intérieur

[24]            La Commission a conclu que la demanderesse avait une PRI à Ralto. Je suis d'accord. Son mari y habite avec sa soeur et deux des enfants de la demanderesse y résident, sans problème.

[25]            La façon dont la Commission a appliqué à la demanderesse le critère à deux volets permettant de déterminer s'il y a une PRI peut être résumée comme suit :

a)         Selon la prépondérance de la preuve, il n'y avait aucune possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée à Ralto;

b)         Compte tenu de toutes les circonstances, la situation à Ralto était telle qu'il ne serait pas déraisonnable ou trop sévère de s'attendre à ce que la demanderesse y trouve refuge; Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.), à la page 711. La demanderesse a habité à Ralto auparavant. Son mari et sa belle-soeur y résident et pourraient l'aider. De plus, deux de ses enfants habitent dans ce village. La demanderesse est propriétaire de terrains dans ce village et elle en tire un revenu de location.

[26]            Le juge Linden, dans l'affaire Thirnavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.), à la page 598, définit avec plus de précision le deuxième volet du critère au sujet du caractère raisonnable de la PRI dans le contexte de la situation d'un demandeur :

[...] la question à laquelle on doit répondre est celle-ci : serait-ce trop sévère de s'attendre à ce que le demandeur de statut, qui est persécuté dans une partie de son pays, déménage dans une autre partie moins hostile de son pays avant de revendiquer le statut de réfugié à l'étranger?

La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l'autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S'il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu'il s'expose à un grand danger physique ou qu'il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer. Par exemple, on ne devrait pas exiger des demandeurs de statut qu'ils risquent leur vie pour atteindre une zone de sécurité en traversant des lignes de combat alors qu'il y a une bataille. On ne devrait pas non plus exiger qu'ils se tiennent cachés dans une région isolée de leur pays, par exemple dans une caverne dans les montagnes, ou dans le désert ou dans la jungle, si ce sont les seuls endroits sûrs qui s'offrent à eux. Par contre, il ne leur suffit pas de dire qu'ils n'aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu'ils n'y ont ni amis ni parents ou qu'ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S'il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d'être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n'est pas un réfugié.

[27]            Je suis convaincu que, dans le cas de la demanderesse, la Commission a appliqué correctement le critère permettant de déterminer s'il existait une PRI. Ses conclusions au sujet de la PRI sont raisonnables et la Cour ne doit pas intervenir.

[28]            La question de la PRI est déterminante, mais je vais tout de même examiner une autre question déterminante, soit le fait que la demanderesse ait tardé à présenter sa demande d'asile.

Présentation de demande d'asile tardive

[29]            Le défendeur énonce le fait que la demanderesse a attendu 21 mois avant de déposer sa demande d'asile. Conformément à la jurisprudence, un demandeur d'asile doit demander l'asile le plus tôt possible puisqu'un délai inexpliqué fait douter qu'il y ait une crainte subjective d'être persécuté; Conte c. MCI, 2005 CF 963, aux paragraphes 3 et 4, et Saleem c. MCI, 2005 CF 1412, aux paragraphes 22 à 34.

[30]            Le juge Pinard, dans l'affaire Gamassi c. MCI, le 10 novembre 2000, IMM-5488-99, a écrit au paragraphe 6 :

[6]         Le retard à revendiquer le statut de réfugié qui n'est pas expliqué, comme dans le présent cas, constitue un facteur important dans la détermination de l'absence de crainte subjective de persécution (voir, par exemple, Ilie c. Canada (M.C.I.) (1994), 88 F.T.R. 220 à la page 223). À mon sens, ce facteur à lui seul, compte tenu des circonstances, pouvait permettre à la Section du statut de réfugié de raisonnablement inférer que le demandeur n'avait pas de crainte subjective de persécution en Algérie, ce qui était suffisant pour entraîner le rejet de sa revendication.

[31]            Comme dans l'affaire Gamassi, précitée, il n'y a aucune explication raisonnable justifiant le retard et ceci me porte à être d'accord avec la Commission lorsqu'elle conclut que la demanderesse n'avait pas raison de craindre d'être persécutée en Inde.

[32]            La décision de la Commission au sujet de la PRI est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les parties n'ont demandé la certification d'aucune question.

« Max M. Teitelbaum »

JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 3 avril 2006

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-4277-05

INTITULÉ :                                       Surjit Kaur Bhandal c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 27 mars 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE TEITELBAUM

DATE DES MOTIFS :                       Le 3 avril 2006

COMPARUTIONS :

Oladipupo Ola

(416) 567-1156

POUR LA DEMANDERESSE

Amy Lambiris

(416) 973-4021

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Oladipupo (Dipo) Ola

Avocat

1262 Don Mills, pièce 82C

TORONTO (Ontario)

M3B 2W7

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.