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Date : 20010427

Dossier : IMM-3327-00

Référence neutre : 2001 CFPI 405

Ottawa (Ontario), le vendredi 27 avril 2001

EN PRÉSENCE DE :             madame le juge Dawson

ENTRE :

                                                              NAWAL EL ALI

                                                                                                                                     demanderesse

                                                                         - et -

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]         Nawal El Ali dépose la présente demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision datée du 30 mai 2000 où la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

[2]         Mme Ali allègue que la SSR a commis deux erreurs :

1.         Elle a mal compris le fondement de sa revendication et n'a donc pas pris en considération la preuve documentaire corroborante pertinente;

2.         Elle a contrevenu aux principes de justice naturelle en s'appuyant pour parvenir à sa décision sur un point qui n'a en aucun temps été considéré comme une question litigieuse durant l'audience.

[3]         Après avoir lu les motifs de la SSR et la transcription des débats dont elle était saisie, je suis convaincue que la SSR a compris le fondement de la revendication de Mme Ali, lequel est correctement exprimé dans les motifs de la SSR. La transcription de l'audience indique que la SSR a examiné les éléments de preuve documentaire présentés par la demanderesse et paraissait comprendre ceux-ci.

[4]         La deuxième erreur alléguée par Mme Ali est mieux fondée.


[5]         L'examen de cette question requiert une analyse minutieuse des motifs de la SSR. Essentiellement, ces motifs sont les suivants :

Le tribunal ne croit pas que la revendicatrice craigne sincèrement d'être persécutée par son père. Le comportement de cette dernière semble démentir sérieusement sa crainte présumée. La revendicatrice est une personne qui a de l'assurance et qui sait s'affirmer. Si elle a pu « avoir des mots » avec son père, et peut-être même être menacée et giflée par lui, le tribunal ne pense pas néanmoins qu'elle ait jamais été sérieusement en danger en sa présence dans le passé, ni qu'elle pourrait l'être dans l'avenir. Le tribunal fonde sa conclusion sur son analyse des faits, notamment le comportement de la revendicatrice au cours des quinze dernières années.

Dans son FRP, la revendicatrice déclare que son père la harcelait constamment pour qu'elle se marie et reste à la maison, que, vers la fin, il menaçait de la tuer et de la battre, et qu'il insistait de plus en plus violemment pour qu'elle épouse quelqu'un, un autre membre de la famille, mais qu'elle a cependant évité de se marier avec qui que ce soit.

Dans son témoignage de vive voix, elle a déclaré que si elle devait retourner au Liban, « mon père me tuerait probablement » . Cette déclaration n'a pas semblé particulièrement convaincante du point de vue du tribunal. Interrogée sur les mauvais traitements infligés par son père et dont elle avait parlé, elle a indiqué que son père l'avait frappée une fois sur le dos avec un morceau de bois, mais qu'elle n'avait jamais eu besoin de soins médicaux.

Il demeure que, bien que la revendicatrice ait déclaré de vive voix que, aux yeux de son père, la place de la femme était à la maison, et qu'elle ne devait ni travailler ni exprimer de point de vue personnel, la revendicatrice est partie vivre et étudier à l'étranger et, quand elle est rentrée au Liban, elle a constamment travaillé à l'extérieur. Non seulement son père ne l'a-t-il pas obligée à demeurer sous son toit, mais il a financé ses études et, de toute évidence, n'est pas intervenu, ou n'a pas pu intervenir, pour l'empêcher de poursuivre sa carrière professionnelle hors du foyer, et cela pendant cinq années de suite. En outre, il ne l'a jamais vraiment forcée à épouser qui que ce soit. Elle a refusé de se marier et ce fut tout.


Le tribunal est d'avis que, en quittant le Liban pour venir au Canada, la revendicatrice n'a plus eu raison d'avoir sa présumée crainte subjective. Dans son FRP, elle affirme que, jusqu'à son arrivée au Canada en novembre 1998, elle avait désespérément cherché à quitter le Liban, sans succès, toutefois, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'elle ait l'occasion de partir pour le Canada, « bien que ce soit dans l'illégalité » . Le témoignage de vive voix de la revendicatrice a révélé que cette déclaration était fondamentalement trompeuse. Dans un premier temps, bien qu'il n'en ait pas été question dans le FRP, il est ressorti que la revendicatrice avait en fait quitté le Liban en toute légalité avec un visa de visiteur délivré par les autorités hongroises. Le frère de la revendicatrice est médecin en Hongrie et la revendicatrice lui a rendu visite en septembre 1998 pour y faire remplacer sa prothèse, ce qu'elle avait également fait en 1986 et 1990. Elle n'a pas quitté le Liban pour fuir des persécutions. Elle a déclaré de vive voix qu'elle était partie voir ses médecins quelque neuf à dix mois après avoir rejeté le dernier soupirant. Cela ne permet pas de croire à une « tentative désespérée » de la part de la revendicatrice. Quand il lui a été demandé pourquoi elle avait retardé son départ, elle a répondu qu'elle attendait les vacances estivales. Elle n'était pas partie non plus, à l'époque, avec l'intention de chercher refuge en Hongrie ou même de se servir de la Hongrie comme point de transit vers une autre destination. Dans son témoignage de vive voix, elle a déclaré que lorsqu'elle a quitté la Hongrie en septembre 1998, elle comptait retourner au Liban. C'est seulement une fois en Hongrie qu'elle a envisagé et planifié d'aller au Canada. Comme elle l'a affirmé dans son témoignage de vive voix, quand l'occasion s'est présentée, elle l'a saisie. Et quand elle a été admise au Canada, elle n'a pas réclamé le statut de réfugié. Elle a indiqué n'y avoir songé qu'après en avoir discuté avec des amis de son frère et de sa belle-soeur ici même au Canada. Le tribunal est d'avis que la ligne de conduite de la revendicatrice rend peu plausible sa crainte d'être persécutée. La jeune femme est intelligente, instruite et tout à fait capable d'avoir pris les renseignements nécessaires à sa cause.

Quand il lui a été demandé si elle avait informé sa famille de son mariage, la revendicatrice a indiqué qu'elle n'en avait rien fait. Elle a soutenu que cela importait peu à son père qu'elle soit aujourd'hui mariée ou non car « il serait mécontent, ne connaissant pas le jeune homme, ni sa situation matérielle, ni ses origines familiales, ainsi de suite » . Elle a déclaré ne pas souhaiter de confrontation avec son père. De l'avis du tribunal, cela ne ressemble en rien à une crainte d'être persécutée. La revendicatrice a reconnu qu'elle était déterminée et que son père savait exactement à qui il avait affaire. En fait, le tribunal n'est pas convaincu que la famille de la revendicatrice ne soit pas au courant de son mariage à un compatriote palestinien. Son frère est ici, au Canada, et il a des contacts avec ses parents. La revendicatrice est loin d'être une enfant; c'est une jeune femme de 33 ans qui gagne sa vie depuis des années.   

[6] Il s'agit en l'espèce de se prononcer sur le choix de la SSR de se fonder sur le départ tardif de Mme Ali du Liban dans des circonstances où en aucun temps Mme Ali n'a été informée que le retard constituerait une question litigieuse devant la SSR.

[7] La SSR est tenue d'appliquer les principes de justice naturelle, dont l'un d'eux veut que le demandeur ait le droit de connaître la preuve à laquelle il doit répondre. En conséquence, dansEl-Bahisi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 72 F.T.R. 117 (C.F. 1re inst.), la Cour a rejeté une décision de la SSR dans un cas où celle-ci avait omis d'informer le revendicateur qu'elle avait l'intention d'examiner la question du changement de circonstances.


[8]        En l'espèce, le Formulaire de catégorisation des dossiers de la SSR a informé Mme Ali que les questions litigieuses à examiner avaient trait à la crédibilité, à l'identité personnelle, à la destruction de documents, à la possibilité de refuge intérieur et à la protection de l'État. La SSR a relevé les mêmes questions au début de l'audience. En particulier, on n'a pas affirmé que l'élément subjectif de la crainte fondée de persécution constituait une question litigieuse en règle générale et on n'a pas noté non plus que les éléments particuliers du retard ou de l'omission de présenter une demande dans un autre pays était en cause en l'espèce.

[9]        Après avoir entendu la preuve testimoniale, la SSR a limité les questions à l'égard desquelles elle voulait entendre des observations en informant les parties qu'il n'était pas nécessaire de soumettre d'observations sur l'identité et sur la destruction de documents. Encore une fois, la SSR n'a pas exprimé clairement que le retard constituait une question litigieuse en l'espèce.

[10]      Le défendeur a soutenu que la SSR n'était pas tenue d'informer Mme Ali de la faiblesse de son témoignage lorsqu'il incombait à celle-ci de fournir des éléments de preuve convaincants à l'appui de sa revendication. Toutefois, vu que les commentaires initiaux du tribunal (où ce dernier indiquait aux avocats les questions à l'égard desquels il désirait qu'on témoigne) et le Formulaire de catégorisation des dossiers de la SSR décrivaient en effet l'étendue du témoignage de Mme Ali, je ne crois pas que l'argument du défendeur soit fondé.


[11]      Dans ces circonstances et, en particulier, comme la SSR, après avoir entendu le témoignage de la demanderesse, n'a toujours pas soulevé le retard ou la crainte subjective de la demanderesse en tant que question litigieuse, j'estime que Mme Ali n'a pas eu la possibilité de répondre à la preuve soumise contre elle et qu'il y a eu manquement aux principes de justice naturelle.

[12]      Bien qu'un manquement aux principes de justice naturelle ait habituellement pour effet de rendre nulle l'audience et d'en requérir une nouvelle, la Cour suprême du Canada a reconnu une exception à cette règle dans l'arrêt Mobile Oil Canada Ltd. et autres c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202. La Cour a affirmé à la page 228 de cet arrêt qu'il peut être justifiable de ne tenir aucun compte d'un manquement aux principes de justice naturelle lorsque « le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir » . Cet arrêt a été suivi dans Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.F.).


[13]      À mon avis, une lecture attentive de la décision exposée précédemment mène à la conclusion qu'il y avait amplement d'autres motifs à l'appui de la conclusion du tribunal selon laquelle Mme Ali ne craignait pas sincèrement d'être persécutée aux mains de son père. Notamment, la demanderesse a évité de se marier malgré l'insistance de son père et ce dernier ne l'a pas obligée à vivre sous son toit, a financé ses études à l'étranger et n'est pas intervenu, ou n'a pas pu intervenir, dans la poursuite de sa carrière professionnelle hors du foyer. Ces conclusions sont bien étayées par la preuve. Compte tenu de celles-ci, je suis convaincue que la SSR serait sans aucun doute parvenue à la même conclusion même si elle n'avait pas examiné la question du retard. Je ne peux donc pas conclure que le manquement aux principes de justice naturelle a influé sur la décision définitive de la SSR.

[14]      En conséquence, dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je conclus que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[15]      Les avocats n'ont soumis aucune question à certifier.

                                                              ORDONNANCE

[16]      LA COUR ORDONNE DONC CE QUI SUIT :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                               IMM-3327-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :            NAWAL EL ALI & MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :             LE 17 AVRIL 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                       LE 27 AVRIL 2001

ONT COMPARU:

R. AGUIRRE                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

M. VISNIC                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

JACKMAN, WALDMAN & ASSOCIATES             POUR LA DEMANDERESSE

TORONTO

M. MORRIS ROSENBERG                                        POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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