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Date : 19990429


Dossier : T-2219-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 29 AVRIL 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la citoyenneté,

L.R.C. (1985), ch. C-29,


ET un appel d"un juge de la citoyenneté


ET


BANG FU HSU,


appelant.


JUGEMENT

L"appel est rejeté.


François Lemieux


___________________________________


JUGE

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules


Date : 19990429


Dossier : T-2219-97

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la citoyenneté,

L.R.C. (1985), ch. C-29,


ET un appel d"un juge de la citoyenneté


ET


BANG FU HSU,


appelant.


MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION

[1]      Il s"agit d"un appel en date du 3 octobre 1997 fait par Bang Fu Hsu relativement à une décision rendue le 15 août 1997 par le juge de la citoyenneté Pamela Appelt qui a refusé d"approuver la demande de citoyenneté de M. Hsu au seul motif qu"il ne remplissait pas les exigences relatives à la résidence énumérées au sous-paragraphe 5(1)c ) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi).

[2]      Au sens de ce sous-paragraphe, un requérant doit avoir accumulé au moins trois ans (1095 jours) de résidence au Canada pendant les quatre années précédant immédiatement la date de sa demande.

[3]      L"appel a eu lieu devant moi sous la forme d"un procès de novo puisque l"appel de M. Hsu a été introduit antérieurement à l"entrée en vigueur des Règles de la Cour fédérale (1998) qui prévoient maintenant que les appels en matière de citoyenneté sont introduits par voie de demande.

LA DÉCISION DU JUGE DE LA CITOYENNETÉ

[4]      Le juge de la citoyenneté a conclu à la présence des faits substantiels suivants :

     (i)      M. Hsu est arrivé au Canada en tant que résident permanent le 29                  septembre 1993;

     (ii)      dans les quatre années qui précèdent la date de sa demande de citoyenneté              qui a été faite le 15 janvier 1997, il totalise 976 jours d"absence du Canada;

     (iii)      durant la période pertinente (du 23 septembre 1993 au 15 janvier 1997),          M. Hsu n"a été physiquement présent au Canada que pendant 119 jours.

[5]      Le juge Appelt a exposé la question au dossier comme étant celle de l"obligation de M. Hsu de convaincre le tribunal, que ses absences du Canada (ou, du moins, une partie d"entre elles) pourraient être considérées comme des périodes de résidence au Canada.

[6]      Selon le juge Appelt, pour établir sa résidence, un individu doit démontrer une centralisation, en pensée et en fait, de son mode de vie au Canada. Le juge a ajouté que si la résidence est établie, les absences du Canada n"affectent pas le caractère de la résidence tant et aussi longtemps qu"il est manifeste que l"individu ne s"est absenté que temporairement et qu"il a maintenu au Canada une forme réelle et tangible de résidence.

[7]      Dans le cas de M. Hsu, le juge de la citoyenneté Appelt a conclu qu"il n"avait pas établi sa résidence en vertu d"une centralisation de son mode de vie au Canada.

[8]      Le juge fait référence aux jugements suivants de la Cour :

     a)      Re Anita Leung (T-458-90), quant aux deux arguments suivants :

         (i)      premièrement, les périodes d"absence dont le but est purement personnel              et qui sont de nature volontaire ne peuvent être comptabilisées en tant              que périodes de résidence;

         (ii)      deuxièmement, de nombreux citoyens canadiens, de naissance ou              naturalisés, doivent passer une grande partie de leur temps à l"étranger              pour des raisons d"affaires. Cela relève d"un choix personnel.

             Cependant, la personne qui demande la citoyenneté ne dispose pas d"une              telle liberté à cause des exigences de résidence contenues dans la Loi.

     b)      Re John Hui (T-1843-92), quant à l"argument selon lequel le Parlement veut          octroyer la citoyenneté aux demandeurs qui se sont " canadianisés " en résidant          parmi les canadiens, au Canada. Cela ne peut être accompli en étant à l"étranger          non plus qu"en utilisant des comptes de banque, en payant des loyers, en achetant          des meubles ou des vêtements et non plus, d"une manière plus pertinente en l"espèce,      en ayant une épouse et des enfants à sa charge au Canada. Autrement dit, avoir tout      d"un Canadien mais résider personnellement à l"extérieur du Canada.

     c)      Dans Re Mitha (T-4832-78), quant à l"argument suivant :

                 Pour savoir si les absences physiques du Canada s"expliquent pour des fins assez temporaires pour qu"elles n"interrompent pas la continuité de la résidence, il faut d"abord établir une résidence c"est-à-dire savoir dans quelle mesure la personne s"établit ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d"intérêts et de convenances au lieu en question. Il faut toutefois distinguer la résidence au sens courant et le concept de séjour ou de visite.                 

[9]      Appliquant ces principes à la preuve, le juge de la citoyenneté a conclu :

                 [TRADUCTION] D"après la preuve qui m"a été présentée à l"audience, je ne puis arriver à la conclusion que vous avez quitté le Canada de façon temporaire et que vous y avez maintenu une forme de résidence réelle et tangible.                 

LA PREUVE AU PROCÈS DE NOVO

[10]      M. Hsu, comme mentionné précédemment, est arrivé au Canada le 29 septembre 1993. Il était alors accompagné de sa famille immédiate : sa femme et leurs trois enfants.

[11]      M. Hsu s"est vu octroyer la résidence permanente au Canada dans la catégorie des investisseurs. Il a confié 250 000 $ à une maison de courtage canadienne et il y a laissé l"argent pendant trois ans. M. Hsu est citoyen de Taïwan. M. Hsu exploitait, à Taïwan, une entreprise familiale créée par son père appelée Fortune Electric, qui faisait affaires dans le domaine de la fabrication et de l"exportation de transformateurs.

[12]      M. Hsu m"a dit qu"il avait vendu sa maison à Taïwan préalablement à sa venue au Canada et qu"il avait apporté au Canada tous les biens que possédait sa famille.

[13]      Avant de venir au Canada, un condominium a été acheté à North York et M. Hsu et sa femme en sont maintenant copropriétaires.

[14]      Le dossier certifié révèle que M. Hsu a un numéro d"assurance sociale, un permis de conduire et une carte santé de la province de l"Ontario, qu"il est membre de la North York Public Library, qu"il a ouvert un compte en banque au Canada, qu"il produit des déclarations de revenus canadiennes, qu"il s"est joint à un club de golf, qu"il est en possession de cartes de crédit émises par des compagnies canadiennes et qu"il bénéficie d"une assurance-vie émise par une compagnie d"assurances canadienne.

[15]      M. Hsu a dit que lorsqu"il est venu au Canada, il projetait, outre son investissement au Canada, de promouvoir les exportations et les importations d"équipements électriques, dont certains produits de Fortune Electric. M. Hsu a dit que son projet ne s"est pas réalisé, soulignant que le marché canadien ne lui était pas familier et que la langue avait peut-être été un obstacle.

[16]      M. Hsu est retourné à Taïwan le 7 janvier 1994. Sa femme et ses enfants sont demeurés au Canada.

[17]      La liste des périodes d"absence du Canada de M. Hsu, qu"il qualifie dans sa demande de citoyenneté comme étant des absences pour des raisons d"affaires et personnelles, est la suivante :

     (a)      du 7 janvier 1994 au 11 avril 1994;

     (b)      du 23 avril 1994 au 11 septembre 1994;

     (c)      du 23 septembre 1994 au 14 décembre 1994;

     (d)      du 19 décembre 1994 au 29 janvier 1995;

     (e)      du 10 février 1995 au 28 mars 1995;

     (f)      du 11 avril 1995 au 22 décembre 1995;

     (g)      du 7 janvier 1996 au 31 juillet 1996;

     (h)      du 8 août 1996 au 21 décembre 1996.

[18]      Si je comprends bien la preuve déposée par M. Hsu, il est retourné à Taïwan à de nombreuses reprises depuis janvier 1994 pour deux raisons : d"abord, pour une raison personnelle, soit un accident cérébrovasculaire qu"a subi son père et, par la suite, son décès, qui a entraîné des problèmes de succession, y compris des questions relatives à la propriété et à l"administration de l"entreprise familiale, Fortune Electric.

[19]      La deuxième raison est une raison d"affaires. M. Hsu a commencé à travailler comme conseiller chez Alltop Industrial Co., une compagnie taïwanaise faisant des affaires dans le domaine de la fabrication et de l"exportation de pièces de systèmes électriques. Le mandat de M. Hsu était de veiller à l"amélioration du rythme de la production, de voir à l"implantation d"un service de contrôle, d"optimiser la conception des produits et de faire augmenter la productivité. M. Hsu est toujours en relation avec Alltop. M. Hsu m"a indiqué que son frère est en charge de Fortune Electric à Taïwan, et que, puisqu"il avait vendu sa demeure, il vivait chez des membres de sa famille lors de ses séjours à Taïwan.


ANALYSE

[20]      L"avocat de M. Hsu allègue que les jugements de la présente Cour en matière de citoyenneté se divisent en deux approches inconciliables qui s"opposent l"une à l"autre, à savoir l"approche qui ressort de Papadogiorgakis , [1978] 2 C.F. 208, et l"approche plus littérale qui ressort des jugements du juge Muldoon, dont Re Harry, [1998] A.C.F. no 189, dossier T-19-97, en date du 5 janvier 1998, est un exemple.

[21]      L"avocat de M. Hsu laisse entendre que je devrais appliquer les préceptes du juge en chef adjoint Thurlow (il était juge en chef adjoint à l"époque). À mon avis, l"avocat de M. Hsu interprète mal Papadogiorgakis . Il n"y a pas de contradiction avec Re Harry ; il n"y a seulement qu"une formulation différente des exigences relatives à la résidence et de la façon dont ces exigences sont remplies dans des circonstances factuelles particulières.

[22]      Dans Papadogiorgakis, le juge en chef adjoint Thurlow était saisi du cas d"un étudiant qui avait étudié pendant quatre ans, en vertu d"un visa d"étudiant, à l"université Acadia à Wolfville (Nouvelle-Écosse) avant d"entreprendre des études supérieures à l"université du Massachussets.

[23]      Pendant qu"il étudiait à l"université Acadia, M. Papadogiorgakis a vécu de façon continue en Nouvelle-Écosse, entre autres chez les parents d"un ami.

[24]      Dans Papadogiorgakis, le juge en chef adjoint Thurlow renvoie au jugement Blaha c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration, [1971] C.F. 521, où le juge Pratte s"exprime ainsi aux pages 524 et 525 :

                      À mon avis, une personne ne réside au Canada, au sens de la Loi sur la citoyenneté canadienne que si elle se trouve physiquement présente (d"une façon au moins habituelle) sur le territoire canadien. Cette interprétation me semble conforme à l"esprit de la loi qui me paraît exiger de l"étranger qui veut acquérir la citoyenneté canadienne, non seulement qu"il possède certaines qualités civiques et morales et désire se fixer au Canada de façon permanente, mais aussi qu"il ait effectivement vécu au Canada pendant assez longtemps. Ainsi, le législateur veut-il s"assurer que la citoyenneté canadienne ne soit accordée qu"à ceux-là qui ont démontré leur aptitude à s"intégrer dans notre société.                 

[25]      La Loi sur la citoyenneté fut modifiée après l"arrêt Blaha, précité, et le juge en chef adjoint Thurlow a cru dans Re Papadogiorgakis que cette modification était un facteur déterminant. Cependant, le juge en chef adjoint Thurlow a dit expressément à la page 213 :

                 D"un autre côté, il ne faut pas oublier ce que le juge Pratte a mentionné comme étant l"esprit de la loi concernant la citoyenneté.                 

[26]      Ensuite, le juge en chef adjoint Thurlow, de cet arrêt publié Re Papadogiorgakis, dans un passage souvent cité, s"exprime comme suit aux pages 213 et 214 :

                 Il me semble que les termes " résidence " et " résident " employés dans l"alinéa 5(1)b ) de la nouvelle Loi sur la citoyenneté ne soient pas strictement limités à la présence effective au Canada pendant toute la période requise, ainsi que l"exigeait l"ancienne loi, mais peuvent aussi comprendre le cas des personnes ayant un lieu de résidence au Canada, qu"elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisante fréquente pour prouver la caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente, même si elles en ont été absentes pendant un certain temps. Cette interprétation n"est peut-être pas très différente de l"exception à laquelle s"est référé le juge Pratte lorsqu"il emploie l"expression "(d"une façon au moins habituelle)", mais, dans un cas extrême, la différence peut suffire pour mener le requérant au succès ou à la défaite .                 
                      Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d"y être résidente lorsqu"elle le quitte à des fins temporaires , soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu"elle n"a pas cessé d"y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l"absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d"autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l"occasion se présente. Ainsi que l"a dit le juge Rand dans l"extrait que j"ai lu, cela dépend [TRADUCTION] " essentiellement du point jusqu"auquel une personne s"établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d"intérêts et de convenances, au lieu en question ".                 

[27]      Ce qui est souligné dans la citation permet clairement, à mon avis, de faire un lien avec ce que le juge Muldoon appelle la " canadianisation " et c"est aussi la base de l"analyse effectuée par le juge Reed dans Re Koo , [1993] 1 C.F. 286.

[28]      En appliquant les principes qu"il avait énoncés, le juge en chef adjoint Thurlow a conclu que M. Papadogiorgakis était résident à la demeure de ses amis à Tusket (Nouvelle-Écosse) parce que c"était à cet endroit qu"il avait centralisé son mode de vie en mai 1974. C"est à cet endroit qu"il avait vécu pour le reste de l"année 1974 ainsi qu"en 1975. D"aucune façon, selon le sens ordinaire des mots, cette période ne peut être qualifiée de " séjour " ou de " visite ". Quand il est parti pour l"université en 1976, il ne l"a fait que dans le but temporaire de poursuivre ses études. Il a fait cela sans mettre fin à la continuité ou sans rompre la continuité de son établissement ou de la centralisation de son mode de vie ordinaire à cet endroit. Il y est retourné à intervalles réguliers, les fins de semaine, à Noël et pendant les congés estivaux. Il y est de même retourné lorsque ses cours furent terminés.

[29]      Le juge de la citoyenneté Appelt a conclu que M. Hsu n"avait pas établi une résidence au Canada en vertu d"une centralisation de son mode de vie au Canada. À mon avis, sa décision est clairement bien fondée.

[30]      M. Hsu n"est resté que trois mois au Canada avant de retourner à Taïwan. Il est vrai qu"il a établi sa famille au Canada; le problème est qu"il ne s"est pas lui-même établi au Canada. L"achat d"une demeure, la possession de comptes en banque et le fait de faire des investissements ne sont pas suffisants. Une certaine participation à la vie canadienne, une certaine intégration à la société canadienne est requise. En réalité, pendant la période pertinente, M. Hsu vivait et travaillait à Taïwan et il rendait visite à sa famille à North York aussi souvent qu"il le pouvait.

[31]      L"avocat de M. Hsu a beaucoup insisté sur le fait que M. Hsu a toujours eu l"intention de revenir au Canada parce que sa famille et ses enfants étaient ici et qu"il avait vendu sa maison et apporté tous ses biens personnels au Canada. L"intention, à elle seule, n"est pas suffisante. La notion de résidence est aussi une question de faits objectifs.

[32]      L"avocat de M. Hsu allègue que puisque M. Hsu s"est vu octroyer la résidence permanente dans la catégorie des investisseurs plutôt que dans la catégorie des entrepreneurs, il n"avait pas à démarrer une entreprise au Canada. Bien que cela puisse être vrai, cela n"a aucun rapport avec ce que M. Hsu avait à faire afin de s"établir comme résident du Canada et de le demeurer au sens de la Loi sur la citoyenneté .

[33]      En dernier lieu, l"avocat de M. Hsu a allégué que M. Hsu avait agi comme il avait agi au Canada en raison des conseils juridiques qu"il avait reçus de son conseiller en immigration. J"apporte deux commentaires. Premièrement, la lettre est datée du 19 juillet 1996, soit près de trois ans après que le statut de résident permanent fut octroyé à M. Hsu et on peut difficilement penser qu"il s"agit d"une lettre contenant des conseils. Deuxièmement, même si c"était le cas, cela n"aurait aucune pertinence quant au dossier en l"espèce.

[34]      L"appel de M. Hsu est rejeté.


François Lemieux


___________________________

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

LE 29 AVRIL 1999

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-2219-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Affaire intéressant la Loi sur la citoyenneté     

                         et Bang Fu Hsu

LIEU DE L"AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :          le 22 avril 1999

MOTIFS DU JUGEMENTS RENDUS PAR LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU 29 AVRIL 1999

ONT COMPARU :

Oscar C. Wong                      pour l"appelant

Peter K. Large                      amicus curiae

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Oscar C. Wong and Associates              pour l"appelant

Richmond Hill (Ontario)

Peter K. Large                      amicus curiae

Toronto (Ontario)

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