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Date : 20060512

Dossier : IMM-4580-05

Référence : 2006 CF 595

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

ENTRE :

MIRNA SARKIS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Mme Sarkis sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d'appel de l'immigration (la SAI) a rejeté l'appel interjeté de la décision d'un agent d'immigration selon laquelle 1) la demanderesse était interdite de territoire parce qu'elle n'avait pas respecté les obligations de résidence prévues par l'art. 28 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR); 2) il n'existait pas de motifs suffisants d'ordre humanitaire pouvant justifier la rétention du statut de résident permanent et pour lui rendre inopposable son manquement à l'obligation de résidence.

[2]                Les points soulevés par la présente demande de contrôle judiciaire découlaient de la question de savoir s'il y avait suffisamment d'erreurs de fait entachant la décision dans son ensemble.

I.           Le contexte

[3]                La demanderesse est née en 1947 dans le territoire qui était alors la Palestine; elle est citoyenne de la Jordanie. En août 1972, elle et son mari, qui est citoyen irakien, sont venus au Canada et ils étaient employés par l'université McGill.

[4]                Ils ont un fils qui est né au Canada et une fille qui a fait une demande de résidence et qui est rentrée au Canada.

[5]                Après avoir passé deux ans au Canada, la famille est rentrée en Irak en 1974 afin de vendre la maison familiale. La demanderesse a fait état de plusieurs raisons pour lesquelles elle n'est pas rentrée au Canada pendant 31 ans.

[6]                Par exemple, elle n'a pas pu vendre sa maison, son mari a conclu un contrat de travail de cinq ans en Irak, il a été ultérieurement inscrit sur la liste des personnes frappées d'interdiction de voyager, il y a eu la guerre entre l'Irak et l'Iran, et la guerre du Golfe. Enfin, elle dit que tous leurs efforts pour rentrer au Canada n'ont abouti à rien parce qu'il n'y avait pas d'ambassade canadienne à Chypre, où ils s'étaient installés en 1990.

[7]                La demanderesse est arrivée au Canada en juillet 2003 avec un visa de visiteuse. Elle a alors présenté une demande de carte de résidente permanente. Cette demande contenait une déclaration très trompeuse sur le temps qu'elle avait passé au Canada.

[8]                La SAI a fondé sa décision de rejet sur les faits suivants :

·                     dans les cinq ans précédant la présentation de sa demande, la demanderesse n'a été matériellement présente au Canada que pendant 374 jours - 356 jours de moins que les 730 jours exigés;

·                     dans sa demande, elle a exagéré le temps pendant lequel elle avait résidé au Canada. Selon la demanderesse, il s'agissait d'une erreur typographique, mais la SAI a rejeté cette explication;

·                     la demanderesse n'a pas adéquatement expliqué la raison pour laquelle elle et sa famille ne s'étaient pas rendus à l'ambassade canadienne en Grèce ou en Italie de Chypre au lieu de rentrer en Irak;

·                     la demanderesse n'a pas établi quel préjudice elle subirait si elle était séparée de ses enfants adultes qui résident à l'heure actuelle au Canada;

·                     elle n'a pas établi que, en tant que catholique, il serait dangereux pour elle de rentrer en Irak puisqu'elle y a vécu sans problème pendant 28 ans avant de se rendre enfin au Canada;

·                     ayant été absente du Canada pendant 31 ans, elle ne pouvait justifier d'un degré d'établissement suffisant au Canada;

·                     il n'y avait aucun enfant qui serait touché par une décision de rejet;

·                     elle disposait de plusieurs possibilités quant aux pays où elle pouvait résider, notamment la Jordanie et la Libye;

·                     il y avait des membres de sa famille au Canada qui pouvait la parrainer.

[9]                En l'espèce, il ne se pose aucune question de renvoi ou d'obligation de résidence; la seule question en jeu est donc de savoir si la SAI a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que la demanderesse n'avait pas établi qu'il existait suffisamment de motifs suffisants d'ordre humanitaire pouvant justifier la prise de mesures spéciales en vertu de l'alinéa 67(1)c) de la LIPR.

II.          Analyse

[10]            La jurisprudence enseigne que, lorsque la SAI rend ce genre de décision, la norme de contrôle est la décision manifestement déraisonnable. Voir Krishnan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 639 (QL); 2005 CF 517. Je ne vois nulle raison de m'écarter de ce principe mais, en l'espèce, il ne porte pas vraiment à conséquence.

[11]            Il ressort manifestement de la décision en cause, surtout en ce qui concerne le nombre de jours que la demanderesse prétend avoir passé au Canada, et de la transcription de l'audience, que la crédibilité de la demanderesse était en jeu. Sur ce point, il faut faire preuve d'une très grande retenue à l'égard de la SAI. Cependant, certaines portions de la transcription montrent que le commissaire a fait de cette cause une affaire personnelle et qu'il n'a pas pu cacher sa frustration; cela pourrait par ailleurs constituer une source de préoccupation, mais la question n'a pas été soulevée et n'a pas fait l'objet de débats.

[12]            La demanderesse affirme que la SAI a fait un certain nombre d'erreurs de faits, notamment au sujet de la résidence ou de la citoyenneté de certains de ses enfants. Le défendeur reconnaît ces erreurs mais il prétend qu'elles ont été sans conséquence sur la décision en cause.

[13]            Les erreurs de fait doivent être importantes, ou si elles sont mineures, il faut pouvoir dire que leur effet cumulatif est important. À cet égard, j'abonde dans le sens du défendeur. En l'espèce, les erreurs en cause sont mineures, qu'elles soient prises une à une ou de manière cumulative.

[14]            Les questions auxquelles était appelée à répondre la SAI dans cette affaire étaient semblables à celles sur lesquelles s'est penchée la Cour suprême dans l'affaire Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84 (Chieu). Dans l'arrêt Chieu, la Cour suprême a confirmé les principes énoncés dans in Ribic c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] I.A.B.D. no 4 (QL) (Ribic). Plus précisément, le principe se dégageant de la décision Ribic est le suivant : les difficultés que causerait le renvoi à l'étranger de l'intéressé ne constitue que l'un des facteurs que la SAI doit prendre en compte. Au paragraphe 40 de l'arrêt Chieu, la Cour suprême a fait siennes les observations suivantes tirées de la décision Ribic :

[traduction] Dans chaque cas, la Commission tient compte des mêmes considérations générales pour déterminer si, compte tenu des circonstances de l'espèce, la personne ne devrait pas être renvoyée du Canada. Ces circonstances comprennent la gravité de l'infraction ou des infractions à l'origine de l'expulsion et la possibilité de réadaptation ou, de façon subsidiaire, les circonstances du manquement aux conditions d'admissibilité, qui est à l'origine de la mesure d'expulsion. La Commission examine la durée de la période passée au Canada, le degré d'établissement de l'appelant, la famille qu'il a au pays, les bouleversements que l'expulsion de l'appelant occasionnerait pour cette famille, le soutien dont bénéficie l'appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité, et l'importance des difficultés que causerait à l'appelant le retour dans son pays de nationalité. Même si les questions générales à examiner sont similaires dans chaque affaire, les faits, eux, ne sont que rarement, voire jamais, identiques. [Non souligné dans l'original.]

[15]            Il y a deux prétendues erreurs qui posent problème. D'abord, la demanderesse n'aurait pas expliqué pourquoi elle ne s'est pas présentée à l'ambassade canadienne en Italie ou en Grèce. La deuxième se rapporte à l'examen des difficultés auxquelles elle pourrait être exposée à l'étranger.

[16]            En qui concerne le premier point, la demanderesse a expliqué que la famille ne pouvait pas se rendre en Italie où en Grèce à l'époque de la guerre du Golfe puisque les citoyens irakiens ne pouvaient pas obtenir des visas pour ces pays. Il semble que cela ait complètement échappé à la SAI et il y a donc là une erreur de fait importante.

[17]            En ce qui concerne le deuxième point, les difficultés auxquelles elle pourrait être exposée à l'étranger, la demanderesse a dit que la Jordanie était le pays de renvoi le plus probable parce qu'elle était citoyenne jordanienne. À cet égard, si la SAI a envisagé le renvoi de la demanderesse vers la Jordanie, celle-ci ne saurait le lui reprocher.

[18]            Cependant, la difficulté que pose la conclusion de la SAI est la suivante : elle n'a jamais tenu compte du fait que la demanderesse a témoigné que, à son âge, soit 56 ans, cette perspective l'exposait à des difficultés réelles. Elle n'y a plus habité depuis l'âge de six ans. Elle n'y a pas de famille et elle n'a aucun lien réel avec ce pays. LA SAI ne semble pas avoir tenu compte de ces éléments.

[19]            En outre, la SAI a dit que la Libye était un autre pays vers lequel la demanderesse pouvait être éventuellement renvoyée. Elle a ainsi fait abstraction du fait que son mari s'y trouvait dans le cadre d'un contrat de travail temporaire et nul élément de preuve n'indiquait qu'elle pourrait effectivement l'y rejoindre en vertu des politiques d'immigration libyennes.

[20]            Il est possible que la SAI ne soit pas tenue d'en arriver à une conclusion définitive au sujet du pays de renvoi; cependant, si elle se penchait sur la question des difficultés auxquelles la demanderesse pourrait être exposée à l'étranger, elle devait le faire en examinant la question au fond, en se fondant sur la preuve. En l'espèce, elle ne l'a pas fait.

[21]            Vu l'effet cumulatif de ces erreurs de fait majeures et mineures, et le fait que SAI a désigné des pays de renvoi éventuels sans avoir fait une analyse digne de ce nom, le contrôle judiciaire de sa décision est justifié.

[22]            La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie, la décision la SAI sera annulée et l'affaire renvoyée à une formation de la SAI différente pour réexamen. Il n'y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

           

LA COURORDONNE : la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SAI sera annulée et l'affaire renvoyée à une formation de la SAI différente pour réexamen.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-4580-05

INTITULÉ:                                        MIRNA SARKIS

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 9 MAI 2006

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                       LE 12 MAI 2006

COMPARUTIONS:

Raj Sharma

POUR LA DEMANDERESSE

W. Brad Hardstaff

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Raj Sharma

Avocat

Calgary (Alberta)

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

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