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Date : 20060313

Dossier : T-792-05

Référence : 2006 CF 321

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

ENTRE :

MOSES MSUYA

demandeur(s)

et

SUNDANCE BALLOONS INTERNATIONAL LIMITED

défenderesse(s)

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

Le contexte

[1]                Le demandeur, Moses Msuya, est un pilote de montgolfière titulaire d'une licence. Il a travaillé dans cet emploi pour la défenderesse, Sundance Balloons International Limited (Sundance), pendant cinq (5) ans avant d'être licencié par lettre datée du 12 avril 2004.

[2]                Comme il s'agissait d'un emploi saisonnier, l'une des conditions d'emploi du demandeur était qu'il signe un contrat d'emploi annuel. Pour la saison de vol 2003 (du 1er mai 2003 au 2 novembre 2003), le demandeur et Sundance ont passé un contrat qui décrivait le demandeur à la fois comme un [traduction] « employé contractuel » et comme un [traduction] « pilote de montgolfière et directeur de marché » . Le demandeur a également signé une entente accessoire de confidentialité et de non-sollicitation.

[3]                Le demandeur a déposé une plainte pour congédiement injuste en vertu des dispositions de la section XIV du Code du travail du Canada (le Code), L.R. 1985, ch. L-2 et cette plainte s'est finalement rendue à l'arbitre nommé en vertu de l'article 242 du Code. Cette disposition prévoit :

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.

Pouvoirs de l'arbitre

(2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre :

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

Décision de l'arbitre

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre :

a) décide si le congédiement était injuste;

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.

Restriction

(3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

Cas de congédiement injuste

(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur :

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

Powers of adjudicator

(2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

(c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

Decision of adjudicator

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

Limitation on complaints

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

(b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.

Where unjust dismissal

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

(b) reinstate the person in his employ; and

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

[4]                L'arbitrage de la plainte du demandeur s'est déroulé en deux (2) jours en mars 2005. Par décision rendue le 7 avril 2005, l'arbitre a conclu que le demandeur n'avait pas qualité pour déposer la plainte parce qu'il était un directeur, donc exclu du paragraphe 167(3) du Code. Cette disposition, qui empêche en effet un directeur de recourir à la procédure d'arbitrage en cas de congédiement injuste, est exposée à la section XIV du Code et prévoit :

167. (3) La section XIV ne s'applique pas aux employés qui occupent le poste de directeur.

167. (3) Division XIV does not apply to or in respect of employees who are managers.

[5]                Il apparaît que l'arbitre a refusé d'être saisi de la plainte du demandeur sur le fond parce qu'il a conclu que le titre de [traduction] « directeur de marché » qui figurait dans le contrat d'emploi était en lui-même déterminant à l'égard du statut d'emploi du demandeur. Les conclusions de l'arbitre énoncent sa position :

[traduction] Je ne suis saisi d'aucun élément de preuve concernant le mandat ou les fonctions de M. Msuya à titre de directeur de marché. Il est possible que ces termes figurent effectivement dans le guide de vol des pilotes, mais ce guide n'a pas été produit en preuve par le plaignant ou la défenderesse.

Sous le terme « poste » , il est clairement dit que M. Msuya travaille comme pilote de montgolfière et directeur de marché.

Il existe une certaine ambiguïté sur le fait de savoir si ses fonctions principales sont celles de pilote ou de directeur.

Ce qui n'est pas ambigu, par contre, est que M. Msuya a signé la lettre d'entente et l'entente d'exclusivité, de confidentialité et de non-sollicitation d'avril 2003.

La lettre d'entente du 9 avril 2003 comportait, comme élément du corps de l'entente, des dispositions prévoyant que si M. Msuya avait besoin d'éclaircissements ou avait des questions au sujet de la lettre d'entente, il devait communiquer avec Dave Monson, vice-président de l'exploitation, qui avait rédigé les conditions de la lettre d'entente.

Selon la preuve dont je suis saisi, M. Msuya n'a pas fait part à M. Monson de préoccupations ou de questions qu'il pouvait avoir, ce qui en soi ne signifie pas qu'une injustice n'a pas été commise à l'égard de M. Msuya. Cela signifie simplement qu'il n'a fait part d'aucune préoccupation à M. Monson.

J'estime que la présente plainte devrait être tranchée par la voie d'une décision sur le fond en vue de redresser un tort, mais à titre d'arbitre je suis confiné dans ma décision aux paramètres prévus au Code du travail.

....

S'il existe peut-être des ambiguïtés sur la nature précise des fonctions de M. Msuya comme directeur de marché de Sundance Balloons, en revanche les dispositions du Code du travail du Canada sont claires : « La section XIV ne s'applique pas aux employés qui occupent le poste de directeur. »

Par conséquent, dans l'affaire de l'Arbitrage en vertu de la section XIV, Partie III du Code du travail du Canada, Plainte de congédiement injuste, je conclus que Moses Msuya n'a pas qualité pour déposer la plainte et donne gain de cause à la défenderesse, Sundance Balloons International.

[6]                Le demandeur demande un redressement à l'égard de cette décision et, en particulier, l'annulation de la décision de l'arbitre et le renvoi de l'affaire à l'arbitre pour qu'il l'examine de nouveau de manière appropriée.

Les questions soulevées

1.                   Quelle est la norme de contrôle appropriée?

2.                   La décision de l'arbitre résiste-t-elle au contrôle judiciaire?

Analyse

Question n ° 1               Quelle est la norme de contrôle appropriée?

[7]                Bien que la détermination de la qualité de directeur aux termes du paragraphe 167(3) du Code soit déterminante pour décider ensuite si l'arbitre est compétent pour procéder à l'examen, cet aspect de compétence ne me décharge pas de mon obligation d'adopter la méthode pragmatique et fonctionnelle pour identifier la norme de contrôle correcte. C'est la position qu'adopte la juge en chef Beverley McLachlin dans l'arrêt Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia 2003 CSC 19, [2003] 1 RCS 226, aux paragraphes 24 et 25 :

24             Tout comme les catégories d'exceptions à la règle du ouï-dire peuvent converger et mener au résultat de l'analyse de l'arrêt Smith, la méthode de contrôle judiciaire fondée sur les catégories d'erreurs ou sur les erreurs nommées peut donner le même résultat que l'analyse pragmatique et fonctionnelle. C'est pour cette raison qu'il n'y a pas lieu d'écarter entièrement l'apport de la jurisprudence antérieure en droit administratif. Par exemple, dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la juge L'Heureux-Dubé invoque l'ancienne analyse par catégories des décisions discrétionnaires dans l'arrêt Associated Provincial Picture Houses, Ltd. c. Wednesbury Corp., [1948] 1 K.B. 223 (C.A.), pour illustrer le haut degré de déférence traditionnellement donné aux décisions ministérielles (voir aussi Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1, par. 29-30), mais reconnaît que cette approche doit maintenant céder le pas devant l'analyse fondée sur des principes. De même, le juge Binnie reconnaît dans Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), [2001] 2 R.C.S. 281, 2001 CSC 41, par. 54, que suivant la méthode pragmatique et fonctionnelle, même « la norme de contrôle en matière d'abus de pouvoir discrétionnaire peut en principe aller de la norme de la décision correcte, en passant par celle du caractère déraisonnable, jusqu'à la norme du caractère manifestement déraisonnable » . Si les motifs nommés, le libellé de la disposition habilitante et les interprétations sclérosées des formulations législatives demeurent utiles comme repères familiers, ils ne dictent plus le cheminement.

25             C'est pour cette raison que, dorénavant, il ne suffit plus de classer une question donnée dans une catégorie précise de contrôle judiciaire et d'exiger sur ce fondement que le décideur ait rendu une décision correcte. De même, l'interprétation donnée par une cour de révision à une clause privative ou à un mécanisme de contrôle ne suffit plus à elle seule pour déterminer la norme de contrôle applicable : Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100, 2001 CSC 36, par. 27. La méthode pragmatique et fonctionnelle appelle une analyse plus nuancée fondée sur l'examen de plusieurs facteurs. Cette méthode s'applique chaque fois qu'une cour entreprend le contrôle d'une décision d'un organisme administratif. Comme le professeur D. J. Mullan le signale dans Administrative Law (2001), p. 108, avec la méthode pragmatique et fonctionnelle, [TRADUCTION] « la Cour a établi une théorie générale ou unificatrice du contrôle des décisions de fond prises par tout décideur qui exerce une prérogative ou un pouvoir conféré par la loi » . Le contrôle des conclusions d'une instance administrative doit commencer par l'application de la méthode pragmatique et fonctionnelle. [Non souligné dans l'original.]

[8]                La méthode pragmatique et fonctionnelle me demande d'examiner quatre facteurs contextuels :

1.                   les objets de la loi et la disposition qui est examinée;

2.                   l'expertise du tribunal en regard de celle de la Cour sur la question visée;

3.                   la présence ou l'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi;

4.                   la nature de la question (de droit, de fait ou mixte de droit et de fait).

[9]                Pour cette analyse, deux décisions antérieures de la Cour d'appel fédérale qui traitent de dispositions similaires du Code me sont éminemment utiles.

[10]            L'arrêt H & R Transport Ltd. c. Baldrey 2005 CAF 151, [2005] A.C.F. n ° 729 traitait des dispositions du Code sur le congédiement injuste et la question dont l'arbitre était saisie faisait intervenir l'application de la common law à la notion de congédiement. La Cour a statué que la norme de la décision correcte s'appliquait au choix par l'arbitre des principes de common law à appliquer. La norme du caractère raisonnable a été adoptée pour l'application du droit aux faits de l'espèce.

[11]            L'arrêt H & R Transport, précité, s'appuyait sur un arrêt antérieur de la Cour, Dynamex Canada Inc. c. Mamona 2003 CAF 248, [2003] A.C.F. n ° 907. L'arrêt Dynamex portait sur une décision rendue par un arbitre nommé en vertu de l'article 251.12 du Code, mais la Cour a conclu dans l'arrêt H & R Transport, aux fins de la comparaison, que la fonction d'un tel arbitre était analogue à celle d'un arbitre nommé en vertu de l'article 242 du Code : voir le paragraphe 5. La Cour a ensuite appliqué les principes de l'arrêt Dynamex aux faits de l'espèce.

[12]            Les arrêts H & R Transport et Dynamex discutent les quatre facteurs pragmatiques et fonctionnels dans le contexte de processus d'arbitrage équivalant à ceux de la présente affaire.

[13]            Dans l'arrêt Dynamex, la Cour a fait observer que l'objet fondamental du Code est de protéger les travailleurs individuels en fournissant des normes minimales de travail et en établissant des mécanismes en vue de résoudre efficacement les différends (voir le paragraphe 35). La Cour n'a pas attribué de signification particulière à cet objet de la loi dans son analyse pragmatique et fonctionnelle. Dans ce contexte, l'objectif de l'efficacité de l'arbitrage me semble être un facteur neutre.

[14]            S'agissant de la question de l'expertise du tribunal en regard de celle de la Cour, la Cour a noté dans l'arrêt Dynamex que la retenue judiciaire à exercer repose largement sur la question faisant l'objet du contrôle. Plus la question s'éloigne de l'expertise spéciale du tribunal, moins on doit faire preuve de retenue à l'égard des conclusions du tribunal. Cette position ressort au paragraphe 45 :

45             Selon moi, la décision de l'arbitre concernant les principes de common law applicables dans la détermination du statut d'employé doit être examinée en utilisant la norme de la décision correcte. J'en viens à cette conclusion, malgré la présence de clauses privatives, car il s'agit d'une question de droit de la même nature que celles habituellement décidées par les différents tribunaux. Il ne s'agit pas d'une question exigeant une expertise particulière de l'arbitre. Toutefois, la façon dont ces principes sont appliqués aux faits, ce qui constitue une question mixte de droit et de fait, doit être examinée en utilisant la norme de la décision raisonnable. Ainsi, si la décision de l'arbitre ne contient aucune erreur en droit et que les conclusions sont jugées raisonnables après examen, la décision sera maintenue.

[15]            Dans l'examen de la même clause privative applicable en l'espèce, la Cour a conclu dans l'arrêt Dynamex qu'elle suggérait un degré élevé de retenue.

[16]            Le dernier facteur pragmatique et fonctionnel est de savoir si la question qui fait l'objet du contrôle en est une de droit, de fait ou mixte de droit et de fait. Tant dans l'arrêt H & R Transport que dans l'arrêt Dynamex, précités, la Cour a conclu qu'à l'égard des questions de droit, la norme de contrôle était la décision correcte. Cette conclusion est conforme à une abondante jurisprudence qui établit qu'on fait généralement preuve d'une retenue faible, voire nulle, à l'égard des décisions d'un tribunal administratif sur des questions de droit. Cela dit, la méthode pragmatique et fonctionnelle peut ne pas toujours faire appel à la norme de la décision correcte pour trancher une question de droit pure. Par exemple, si une question de droit touche l'aspect central de l'expertise spéciale d'un tribunal administratif, la retenue judiciaire peut être exigée : voir l'arrêt Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers' Union, Local 92 2004 CSC 23, [2004] 1 RCS 609, au paragraphe 29. Cependant, lorsqu'une question de droit est déterminante à l'égard de la compétence d'un tribunal administratif pour connaître d'une affaire, la jurisprudence indique que la décision correcte est immanquablement la norme de contrôle appropriée. C'est ce qui ressort de l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2002] A.C.F. n ° 1, [2002] 1 RCS 84, au paragraphe 24 :

24             En l'espèce, les facteurs supplémentaires favorisent aussi la norme de la décision correcte. La S.A.I. n'a aucune expertise particulière dans le domaine du droit faisant l'objet du contrôle judiciaire. Dans Pushpanathan, le contrôle visait une question de droits de la personne, un domaine de droit qui habituellement ne bénéficie pas du principe de déférence; en l'espèce, il s'agit d'une question de compétence, un domaine exigeant également peu de déférence. En règle générale, les organismes administratifs doivent déterminer correctement la portée de leur mandat délégué puisqu'ils sont entièrement créés par la loi. Comme le juge Bastarache le dit dans Pushpanathan, « il convient toujours, et il est utile, de parler des "questions de compétence" que le tribunal doit trancher correctement pour ne pas outrepasser sa compétence » (par. 28). Même si la S.A.I. a une expertise considérable dans la détermination de l'importance à accorder aux facteurs dont elle tient compte lorsqu'elle exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'al. 70(1)b) de la Loi, la portée de ce pouvoir discrétionnaire est une question de droit qui doit en fin de compte être contrôlée par les tribunaux. Le caractère juridique de la question est particulièrement évident dans des affaires comme l'espèce où le ministre soutient que la S.A.I. a usurpé sa compétence. Le facteur de l'expertise favorisait la thèse contraire dans Baker parce que le ministre « a une certaine expertise par rapport aux tribunaux en matière d'immigration, surtout en ce qui concerne les dispenses d'application des exigences habituelles » (par. 59). Le contrôle dans Baker ne visait pas une question de compétence comme en l'espèce, de sorte qu'une norme de plus grande déférence se justifiait.

[17]            L'avocate de Sundance a fait valoir que la question à laquelle avait répondu l'arbitre en l'espèce était une question mixte de droit et de fait et qu'à ce titre, elle appelait une retenue considérable. Elle a souligné que l'arbitre avait été saisi d'éléments de preuve qui indiquaient que M. Msuya était un directeur et que, par conséquent, il existait un fondement rationnel qui justifiait de tirer cette conclusion.

[18]            C'est en théorie seulement que la question à laquelle a répondu l'arbitre est une question mixte de droit et de fait. L'arbitre a conclu que M. Msuya était un directeur sur le fondement d'un seul fait, soit que le demandeur était désigné dans le contrat d'emploi comme un [traduction] « directeur de marché » .

[19]            Pour conclure que M. Msuya était un directeur au sens du paragraphe 167(3) du Code, il fallait, dans une première étape, adopter un critère juridique approprié, ce qui concerne un point de droit : voir l'arrêt Canwell Enviro-Industries Ltd. c. Baker Petrolite Corp 2002 CAF 158, aux paragraphes 50 à 53, [2002] A.C.F. n ° 614.

[20]            La détermination de la signification du terme « directeur » au paragraphe 167(3) du Code n'est pas particulièrement politique ou polycentrique. C'est une décision qui est rendue dans le contexte d'un différend entre deux parties adverses, où les intérêts des tiers ne sont pas en cause. La question en est également une sur laquelle l'arbitre ne peut être réputé disposer d'une expertise particulière étant donné qu'elle vise une définition juridique simple, appliquée dans le contexte d'une relation d'emploi de nature privée. Enfin, et il s'agit du point le plus important, c'est une question de droit qui touche directement la compétence de l'arbitre en matière de règlement des différends. L'ensemble de ces considérations nous amène à conclure que la norme de contrôle à l'égard de la décision d'un arbitre au sujet de ce qui constitue un « directeur » aux termes du paragraphe 167(3) du Code est la norme de la décision correcte. J'appuie mon opinion sur une décision antérieure du juge Andrew MacKay, dans l'affaire Waldman c. Conseil de bande Eskasoni 2001 CFPI 867, [2001] A.C.F. n ° 1228, où il a conclu au paragraphe 8 :

8               L'avocat du conseil de bande d'Eskasoni et celui de M. Waldman ont convenu que la norme de la décision correcte était la norme de contrôle applicable en ce qui a trait à la question concernant la compétence de l'arbitre, soit la question de savoir si M. Waldman était un directeur au sens du Code. Une réponse affirmative à cette question signifiera que l'arbitre n'avait pas le pouvoir d'examiner la demande d'indemnité que le défendeur a déposée par suite du congédiement injuste reproché. La norme de contrôle applicable à cette question est la norme de la décision correcte, puisqu'elle permet de déterminer la compétence de l'arbitre (voir CIBC c. Bateman (1991), 41 F.T.R. 218, conf. (1992), 140 N.R. 399 (C.A.F.), et Société canadienne des postes c. Pollard (1993), 161 N.R. 66 (C.A.F.)).

Question n ° 2              La décision de l'arbitre résiste-t-elle au contrôle judiciaire?

[21]            La question demeure entière, l'arbitre a-t-il commis une erreur de droit en concluant que M. Msuya était un directeur et qu'il était de ce fait hors du champ d'application des dispositions du Code sur l'arbitrage?

[22]            Ce que l'arbitre était tenu de faire en l'espèce était d'abord d'identifier le critère juridique correct pour décider si le demandeur était un directeur, puis d'entendre les éléments de preuve pertinents à l'égard de ce critère et de les appliquer. En l'espèce, l'arbitre n'a fait ni l'un ni l'autre.

[23]            Il existe une abondante jurisprudence qui traite de l'attribution à une personne de la qualité de directeur selon le paragraphe 167(3) du Code. Le critère fondamental est de décider si cette personne avait une autonomie, un pouvoir discrétionnaire et une autorité importants dans l'entreprise de l'employeur. On trouve une recension très fouillée de la jurisprudence pertinente dans la décision Isaac c. Listuguj Mi'gmaq First Nation [2004] CLAD n ° 287 de l'arbitre A.E. Bertrand. Cette décision fournit également une liste utile des facteurs et principes qui devraient normalement être pris en compte pour établir si une personne est un directeur au sens du paragraphe 167(3) (voir le paragraphe 164). L'approche de l'arbitre Bertrand dans la décision Isaac, précitée, est l'approche correcte.

[24]            En l'espèce, l'arbitre a conclu à tort que le critère permettant de décider si M. Msuya était un directeur était uniquement la considération de son titre dans le contrat d'emploi. Il s'agit là d'une erreur juridique fondamentale maintes fois critiquée dans la jurisprudence, qui établit avec cohérence que le titre d'emploi attribué à une personne n'a qu'une pertinence minime, voire aucune pertinence, pour établir si la personne est un directeur au sens du paragraphe 167. C'est la position prise par le juge Marc Noël dans la décision Leontsini c. Business Express Inc. [1997] A.C.F. n ° 26, où il a déclaré :

11             Ce n'est donc pas le titre qui est attribué à un cadre, ni sa situation dans la pyramide hiérarchique qui doit servir à déterminer si un employé est un directeur au sens de l'article 167(3) mais bien la nature du travail réellement effectué. Un membre de la direction qui de fait a comme tâche principale celle de diriger est un directeur au sens de l'article 167(3) qu'il se situe au haut ou au bas de la pyramide de direction.

[25]            L'arbitre a commis une seconde erreur juridique importante dans son approche de la question du statut d'emploi de M. Msuya. Il fait à juste titre observer à la page 20 de la décision qu'il n'était saisi d'aucun élément de preuve sur la nature réelle des fonctions de direction de M. Msuya, mais conclut ensuite qu'il est un directeur. Il est clair que le fardeau de la preuve établissant qu'un employé est un directeur au sens du paragraphe 167(3) du Code repose sur la partie qui fait cette affirmation (Sundance en l'espèce). Ce principe a été reconnu par le juge MacKay dans la décision Waldman, précitée, lorsqu'il dit aux paragraphes 15 et 16 :

15             En dernier ressort, l'arbitre a décidé qu'il appartenait au conseil de bande de prouver que M. Waldman échappait à l'examen prévu au Code à titre de « directeur » . Selon l'arbitre, la preuve ne permettait pas de conclure qu'en raison des fonctions qu'il exerçait, M. Waldman échappait à cet examen à titre de « directeur » . Il a donc statué qu'il avait compétence pour examiner la plainte.

16             À mon avis, l'arbitre a eu raison d'agir ainsi.

Au terme du processus d'enquête sur les faits, s'il n'est pas établi que la personne est exclue à titre de directeur, l'arbitre doit se déclarer compétent pour connaître de l'affaire.

Conclusion

[26]            La décision de l'arbitre est annulée pour les motifs exposés ci-dessus. En dépit de l'erreur de l'arbitre qui s'est déclaré incompétent, il me semble qu'aucune raison ne l'empêche de procéder à un nouvel examen de l'affaire. Cependant, compte tenu du délai qui s'est écoulé depuis l'audience, je laisse à la discrétion du ministre en vertu de l'article 242 du Code le soin de décider de la personne qui sera nommée pour connaître de l'affaire à nouveau.

[27]            En addendum, je traiterai un point de procédure soulevé par l'avocate de Sundance au début de sa plaidoirie. Sundance s'est opposée au contenu de deux affidavits qui avaient été déposés pour soutenir le demandeur, au motif que l'auteur de l'affidavit n'avait pas une connaissance personnelle des faits et que les affidavits comportaient des éléments d'argumentation et ne se limitaient pas à des affirmations factuelles. Sundance cherchait à faire radier certaines dispositions des affidavits. Comme je n'ai pas jugé nécessaire de prendre en compte les affidavits pour tirer ma conclusion en l'espèce, je rejette la requête au motif de son caractère théorique.


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE que la décision de l'arbitre soit annulée et que l'affaire soit renvoyée pour un nouvel examen.

            LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT que la requête de la défenderesse visant à faire radier certains passages des affidavits à l'appui du demandeur soit rejetée.

            LA COUR ORDONNE EN OUTRE que le demandeur ait droit à ses dépens sur la base partie-partie.

                                                                                                « R. L. Barnes »   

                                                                                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-792-05

INTITULÉ :                                        MOSES MSUYA

                                                                                                                                           demandeur

et

SUNDANCE BALLOONS INTERNATIONAL LTD.

défenderesse

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 21 FÉVRIER 2006

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :              LE 13 MARS 2006

COMPARUTIONS :

Bernard Verbanac                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Lorraine Por                                                                              POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morell Kelly P.C

Professional Corp.

Kitchener (Ontario)                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Harrison Pensa LLP

London (Ontario)                                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

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