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Date : 19980923


Dossier : IMM-2317-97

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

     AHMAD MORADI,

     MEHRAD MORADI,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     Vu la demande des demandeurs visant à obtenir le contrôle judiciaire et une ordonnance portant annulation de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a statué le 7 mai 1997 qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention;

     Vu l'audition des avocats des demandeurs et du ministre défendeur, à Toronto, le 6 mai 1998, date à laquelle la décision a été remise à plus tard, et vu l'étude des arguments qui y ont alors été présentés;

     O R D O N N A N C E

     IL EST ORDONNÉ que :

     1.      La demande soit accueillie.
     2.      La décision datée du 7 mai 1997 soit annulée et que les revendications des demandeurs soient renvoyées devant la Section du statut de réfugié pour nouvel examen.

                                 W. Andrew MacKay

                            

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


Date : 19980923


Dossier : IMM-2317-97

ENTRE :

     AHMAD MORADI,

     MEHRDAD MORADI,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY :

[1]      Les demandeurs cherchent à obtenir le contrôle judiciaire et une ordonnance portant annulation de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (le tribunal) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a statué le 7 mai 1997 qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Les demandeurs sont un père et son fils mineur. La revendication de ce dernier dépend de celle de son père (le demandeur) et c'est la revendication du père qui est prise en considération pour leur statut et qui a été rejetée par le tribunal.

[3]      Le demandeur, qui était partisan du régime du Schah, en Iran, travaillait comme administrateur pour le ministère des Finances. Ayant joui d'un niveau de vie élevé pendant le règne du Schah, il a pu s'y maintenir après la révolution en détruisant toutes les preuves attestant ses liens d'amitié avec des membres de la monarchie.

[4]      Bien que le demandeur ait pu conserver ses biens après la révolution, son frère a, quant à lui, été détenu pendant cinq ans après que les autorités eurent découvert des preuves qu'il continuait à soutenir le Schah. Le demandeur, craignant que sa démission soit considérée comme une opposition au gouvernement et espérant faire libérer son frère, n'a pas démissionné du ministère à la suite du renversement du Schah. Après la libération de son frère, le demandeur a remis sa démission en 1984, mais a changé d'idée quand on lui a demandé s'il s'opposait au régime. Par la suite, il a été rétrogradé au poste de percepteur des impôts. En 1988, il s'est disputé avec des commerçants au sujet de leurs taxes. Ces gens d'affaires avaient des relations avec les forces de sécurité locales qui ont arrêté et battu le demandeur.

[5]      En 1988, son frère a été arrêté de nouveau et, en 1989, a été exécuté. Au service funèbre de son frère, le demandeur a été arrêté et on l'a détenu pendant un mois, au cours duquel il a été battu. Il a été libéré en promettant de ne pas honorer la mémoire de son frère de nouveau.

[6]      À son travail, le demandeur a de nouveau été rétrogradé, cette fois à un poste dans un entrepôt. En 1993, il a été détenu pendant plusieurs mois et battu après avoir dit à un autre employé que le gouvernement gaspillait de l'argent. On a menacé le demandeur de tuer son fils, s'il cachait des renseignements aux autorités. Après la libération du demandeur, on l'a congédié et on lui a interdit de quitter le pays. De plus le demandeur a été forcé de signer un document disant qu'il ne s'opposerait pas au régime.

[7]      D'août 1994 à février 1995, le demandeur a été détenu parce qu'il s'était trouvé par hasard à proximité d'une manifestation. À sa libération, il a dû signer un autre engagement lui intimant de s'abstenir de participer à des activités antirévolutionnaires. On l'a menacé d'être condamné par le tribunal de la révolution s'il devait se faire arrêter pour de telles activités. Après sa libération, le demandeur a travaillé pour un ami de la famille, concessionnaire d'automobiles. Indigné par la manière dont il avait été emprisonné, le demandeur prétend avoir, en secret, soutenu financièrement un mouvement monarchiste clandestin, le Saltanat Talaban. Il a assisté à des réunions et a participé à la distribution de tracts, activités qui ont été interrompues par une descente de police. À la suite de cette descente, le demandeur s'est caché avec son fils, craignant qu'on se serve de ce dernier pour l'atteindre lui ou qu'on lui fasse du mal. Il n'éprouvait pas de craintes semblables à l'égard de sa femme.

[8]      Le demandeur, qui s'est enfui de l'Iran vers la fin de 1995 ou le début de 1996, est arrivé au pays en avril 1996. Après son départ, deux de ses collègues du groupe monarchiste clandestin ont été exécutés. Des membres de la famille du demandeur, dont plusieurs cousins, ont eu des problèmes avec le régime à cause de leur association avec le mouvement de guérilla des moudjahidines et à cause de leur opposition aux politiques du régime relatives aux droits de la personne.

[9]      Le tribunal a conclu que les demandeurs n'avaient pas raison de craindre d'être persécutés. Il ressort de cette conclusion que le tribunal était d'avis que la revendication du demandeur n'était pas crédible à cause des contradictions et des invraisemblances dans la preuve de ce dernier. La décision du tribunal précise que, bien qu'aucune conclusion n'ait été suffisante en elle-même pour trancher de l'affaire, ses différentes conclusions prises en considération ensemble, cumulativement, conduisent à cette décision.

[10]      Les décisions d'un tribunal fondées sur son évaluation de la crédibilité ne sont pas annulées à la légère. Comme je l'ai fait remarquer dans la décision Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), non publiée, no du greffe IMM-551-96, 14 mars 1997, à la page 6; [1997] A.C.F. no 296 (C.F. 1re inst.), au paragraphe [14] :

         Dans le cas où la décision de la formation de jugement est centrée en dernière analyse sur son appréciation de la crédibilité, la charge de la preuve qui incombe à celui qui se pourvoit en contrôle judiciaire est bien lourde, puisque la Cour doit être persuadée que la décision de la formation de jugement est abusive ou arbitraire, ou rendue au mépris des éléments de preuve dont elle dispose. Ainsi donc, dans le cas même où la Cour pourrait tirer une conclusion différente des preuves produites, elle n'interviendra pas à moins que le requérant n'arrive à prouver que la décision de la formation de jugement n'est fondée sur aucune preuve.                 

[11]      J'estime que la décision du tribunal en l'espèce n'est pas fondée sur la preuve présentée et qu'il est justifié de l'annuler. Ce que le tribunal a appelé des contradictions n'étaient pas des contradictions dans les éléments de preuve du demandeur, mais plutôt, entre son récit et ses actions, notamment parce que le tribunal a mal interprété les éléments de preuve. En outre, certaines des invraisemblances constatées n'étaient simplement pas attestées par les éléments de preuve.

[12]      Le tribunal a conclu que le fait que le demandeur n'ait pas quitté le pays avant la fin de l'année 1995 était incompatible avec la thèse de la crainte fondée de persécution et que l'explication qu'il a fournie pour ne pas l'avoir fait plus tôt, à savoir qu'il aimait son pays et qu'il n'avait pas craint la persécution avant la fin de l'année 1995, était très difficile à croire si le récit de son expérience en Iran était exact. À mon avis, le tribunal a mal interprété la preuve que la démission envisagée par le demandeur de son emploi au sein du ministère des Finances en 1984 était le moment à partir duquel il a été identifié comme un opposant au régime révolutionnaire. De l'avis du tribunal, cette expérience et celles qui ont suivi, de même que la persécution vécue par des membres de la famille du demandeur, auraient dû amener ce dernier à craindre la persécution avant 1995. Le tribunal croyait que, compte tenu de l'attitude du régime révolutionnaire envers ses opposants, les expériences du demandeur auraient entraîné de fait sa persécution avant 1995. Or, le demandeur n'a pas présenté d'éléments de preuve à cet égard et l'appréciation du tribunal était la sienne propre et n'était pas fondée sur la preuve dont celui-ci disposait.

[13]      Le tribunal a également jugé qu'il était contradictoire que le demandeur ait quitté l'Iran avec son fils mineur, mais y ait laissé sa femme. De l'avis du tribunal, si, comme le demandeur l'a prétendu, son fils courrait un risque, alors sa femme aussi. Dans sa preuve, le demandeur soutient que les autorités avaient menacé la vie de son fils pour parvenir à le maîtriser lui, mais qu'aucune menace n'avait été proférée quant à la sécurité de sa femme et que d'ailleurs celle-ci ne souhaitait pas quitter l'Iran. J'estime que le fait que la femme du demandeur ne se soit pas enfuie avec lui serve à discréditer le récit de ce dernier et que de plus on n'ait pas tenu compte de la preuve qu'il a présentée, est tout simplement inapproprié.

[14]      Parmi les invraisemblances que le tribunal a constatées, certaines étaient fondées sur une mauvaise interprétation des éléments de preuve du demandeur, selon laquelle, à compter du moment où ce dernier a envisagé de démissionner du ministère des Finances en 1984, il a été [TRADUCTION] " identifié comme un opposant monarchiste au régime ". Cette première identification ne faisait pas partie des éléments de preuve du demandeur. Néanmoins, compte tenu des éléments de preuve documentaire selon lesquels les opposants au régime étaient durement traités, le tribunal a conclu qu'il était invraisemblable que le demandeur ait continuellement été libéré après des périodes de détention relativement courtes et invraisemblable que les [TRADUCTION] " autorités iraniennes aient continué à libérer un dissident politique présumé en lui faisant signer des engagements quand cet individu n'a jamais respecté de tels engagements auparavant? ... nous croyons que non. " En outre, le tribunal a conclu qu'il était invraisemblable que [TRADUCTION] " le régime iranien garde au service de la fonction publique une personne qui était un dissident politique présumé, une personne qui enfreignait continuellement (à leur avis) ses engagements? Une fois de plus, nous croyons que non. "

[15]      Compte tenu des éléments de preuve documentaire portant sur le dur traitement que fait subir le régime iranien aux groupes monarchistes et de l'absence d'une documentation attestant que certains groupes sont effectivement actifs actuellement en Iran, le tribunal a conclu qu'il était impossible que le témoignage du demandeur quant à une association à un groupe monarchiste au cours des dernières années puisse être crédible, même s'il a affirmé que le groupe auquel il s'était associé était clandestin.

[16]      Enfin, le tribunal a refusé d'admettre le témoignage du demandeur selon lequel il avait eu des problèmes avec un interprète ne parlant pas Parsi, la langue du demandeur, par l'entremise duquel il avait exposé son récit aux agents d'immigration à son arrivée au Canada. Le tribunal, qui n'a pas cru à cette explication justifiant que ne soient pas mentionnées dans les notes prises à cette occasion les détentions du demandeur à l'exception de celles ayant eu lieu en 1993-1994, a par la suite conclu que la revendication que le demandeur a ultérieurement déposée, dans laquelle était mentionnées d'autres détentions, manquait de crédibilité.

[17]      J'estime que les conclusions principales du tribunal sur la présence de contradictions et d'invraisemblances ne sont pas justifiées par la preuve dont il disposait. En outre, le tribunal n'a pas abordé la question soulevée par le demandeur dans son témoignage relativement à sa participation active à un groupe monarchiste au Canada comme fondement possible d'une revendication du statut de réfugié sur place. Que le demandeur ait revendiqué précisément ce statut ou non, le tribunal aurait dû tenir compte des éléments de preuve faisant état des activités pro-monarchistes du demandeur au Canada, compte tenu notamment du fait qu'il s'était montré disposé à reconnaître la répression des monarchistes par les autorités iraniennes.

[18]      Dans son argumentation, à l'audition de la présente affaire, l'avocat du demandeur a insisté sur le fait qu'en l'espèce la décision du tribunal comportait plusieurs passages qui étaient [TRADUCTION] " passe-partout ", c'est-à-dire des passages qui figurent dans d'autres décisions des mêmes membres du tribunal et, dans le cas présent, qui ne font pas suffisamment référence aux éléments de preuve présentés en l'espèce. Il a même souligné que les passages [TRADUCTION] " passe-partout " en l'espèce se retrouvaient dans d'autres revendications provenant d'un ou de plusieurs pays autres que l'Iran. Je conviens qu'un tribunal peut avoir recours dans ses décisions à des expressions ou à des passages " passe-partout " quand ceux-ci peuvent être rattachés à la preuve dont le tribunal dispose, ou qu'il apparaît clairement qu'ils s'y réfèrent. La légitimité du recours à ces passages est une question de jugement et à moins de conclure que les renvois du tribunal sont arbitraires ou qu'ils ne tiennent pas compte de la preuve, la Cour devrait être, comme en l'espèce, peu disposée à intervenir simplement parce que le tribunal a eu recours à de telles expressions dans sa décision.

[19]      Je ne tire pas de conclusion sur l'argument du demandeur à cet égard et je refuse de certifier la question proposée par l'avocat du demandeur, en vue de l'examen par la Cour d'appel, aux termes du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, relativement au recours à des passages " passe-partout " par un tribunal de la Section du statut de réfugié dans ses décisions.

Conclusion

[20]      Pour ces motifs, l'ordonnance accueille la demande de contrôle judiciaire et annule la décision contestée en l'espèce. La revendication du demandeur, et celle de son fils qui en dépend, sont renvoyées devant un tribunal différemment constitué de la Section du statut de réfugié pour nouvel examen.

                                 W. Andrew MacKay

                            

     Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 23 septembre 1998.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  IMM-2317-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Ahmad Moradi et autre c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto

DATE DE L'AUDIENCE :          le 6 mai 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :          le juge MacKay

EN DATE DU :                  23 septembre 1998

ONT COMPARU :

M. Raoul Boulakia                          pour les demandeurs

Mme Sally Thomas                          pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Raoul Boulakia

Toronto (Ontario)                          pour les demandeurs

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada              pour le défendeur

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