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Date : 20060201

Dossier : IMM-1433-05

Référence : 2006 CF 94

Ottawa (Ontario), le 1er février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

HUSNAH MOHAMMED AL MASHTOULI, AHMAD MAHMOUD JABALLAH ET ASH-SHAYMAA ES-SAYJID JABALLAH, AL-MUNZIR ES-SAYJID JABALLAH ET AFNAN MAHMOUD ES-SAYJID JABALLAH, représentés par leur tuteur à l'instance HUSNAH MOHAMMED AL MASHTOULI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a reconnu le statut de réfugiés aux demandeurs en 2003. Ces derniers ont ensuite demandé la résidence permanente. En 2005, un agent d'immigration a rejeté leur demande parce qu'elle n'avait pas été reçue au cours de la période de 180 jours établie au paragraphe 175(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

[2]                Les demandeurs prétendent que l'agent a commis des erreurs de faits et de droit et qu'il ne les a pas traités équitablement. Ils me demandent d'ordonner au défendeur de traiter leur demande de résidence permanente dans un délai précis plutôt que de simplement la renvoyer à un autre agent. Je conviens que leur demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, mais je n'irai pas jusqu'à accorder toutes les mesures de réparation réclamées par les demandeurs.

I. Question

[3]                Les demandeurs ont avancé de nombreux arguments en leur faveur. Cependant, parce que j'ai conclu qu'une seule question permettra aux demandeurs d'obtenir gain de cause, je m'y limiterai :

L'agent a-t-il commis une erreur en concluant que la demande de résidence permanente des demandeurs devait être rejetée parce qu'elle avait été reçue après la période de 180 jours?

[4]                Étant donné qu'il s'agit d'une question mixte de faits et de droit, je ne peux annuler la décision de l'agent qui si je conclus qu'elle était déraisonnable.

II. Contexte factuel

[5]                La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a accordé aux demandeurs le statut de réfugié le 10 avril 2003. Le 15 septembre 2003, ils ont présenté leur demande de résidence permanente, soit un mois avant la fin du délai de 180 jours établi au paragraphe 175(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (les dispositions pertinentes sont transcrites dans l'annexe). Ils n'ont reçu aucune réponse de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) jusqu'au 6 juillet 2004, après que leur avocat se fut informé de l'état de leur demande. Cette communication de juillet 2004 de CIC contenait une lettre datée du 20 novembre 2003 informant les demandeurs qu'il manquait une signature à leur demande. On invitait les demandeurs à présenter de nouveau leur demande avant le 20 février 2004, soit cinq mois plus tôt, ce qui constituait de toute évidence un délai impossible.

[6]                Il semble que les demandeurs, en plus d'avoir oublié une signature dans une des parties du formulaire de demande (la signature se trouvait dans une section adjacente du formulaire), ont fait une erreur en inscrivant leur adresse. Un chiffre était erroné dans le numéro de leur appartement. Alors, quand CIC a tenté d'envoyer la demande afin qu'elle soit correctement signée, Postes Canada l'a retournée à CIC parce que l'adresse était incorrecte. La demande a été envoyée de nouveau aux demandeurs, de même que la lettre du 20 novembre 2003, en juillet 2004.

[7]                Après avoir reçu l'avis les informant que leur demande devait être signée de nouveau, les demandeurs ont présenté pour la deuxième fois leur demande le 6 août 2004. L'avocat des demandeurs s'est informé par la suite à de nombreuses reprises pour savoir où en était la demande, mais il n'a reçu aucune nouvelle jusqu'à ce qu'il reçoive une lettre datée du 10 février 2005

communiquant la décision faisant l'objet du présent appel - le refus d'accorder aux demandeurs la résidence permanente parce que leur demande avait été reçue trop tard.

III. Paramètres juridiques

[8]                Le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) établit ce que doivent contenir les demandes de résidence permanente. Aux fins de la présente affaire, les éléments les plus pertinents sont les suivants :

·              la demande est signée (alinéa 10(1)b));

·              la demande comporte les nom, date de naissance, adresse, nationalité et statut d'immigration du demandeur et de chacun des membres de sa famille (alinéa 10(2)a));

·              la demande comprend une déclaration attestant que les renseignements fournis sont exacts et complets (alinéa 10(2)d));

·              les demandes qui ne satisfont pas aux exigences réglementaires sont retournées au demandeur (article 12).

IV. Analyse

[9]                L'agent a jugé que les demandeurs n'avaient pas présenté leur demande avant la limite de 180 jours prévue au Règlement. Le défendeur soutient que la décision de l'agent était correcte, car les demandeurs n'ont pas présenté de demande complète avant août 2004, soit plus de dix mois après l'échéance.

[10]            Selon le raisonnement du défendeur, le document que les demandeurs ont présenté en septembre 2003 ne constituait pas une « demande » parce qu'il y manquait une signature. En outre, la section du formulaire que les demandeurs n'avaient pas signée était la déclaration voulant que les informations soient complètes et exactes. Conséquemment, la demande ne comportait pas la déclaration requise. La position du défendeur est donc que les demandeurs n'ont pas réellement présenté de « demande » avant août 2004, soit bien après l'échéance, quand ils ont présenté un formulaire entièrement rempli.

[11]            À mon avis, la prétention du défendeur n'est soutenue ni par le Règlement, ni par les propres politiques de CIC, ni par les principes à la base de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Le Règlement prévoit un délai de 180 jours (au paragraphe 175(1)), mais il n'énonce pas que les demandes incomplètes présentées à temps doivent être rejetées. Au contraire. L'article 12 du Règlement prévoit simplement que les demandes incomplètes seront retournées aux demandeurs. Si le gouverneur en conseil avait souhaité que les demandes incomplètes soient entièrement rejetées, il l'aurait précisé. En effet, c'est exactement ce qu'il a fait pour les demandes de parrainage. Une demande de parrainage qui n'est pas conforme aux exigences « est réputée non déposée » (paragraphe 10(6)). Il n'existe aucune disposition semblable pour les demandes de résidence permanente.

[12]            Selon les politiques de CIC, les demandes incomplètes, y compris celles qui ne sont pas signées, doivent être renvoyées aux demandeurs avec des instructions les informant de présenter de nouveau la demande dans les 90 jours (disposition 9.2 de PP4 Traitement des demandes du statut de résident permanent présentées au Canada par des personnes protégées). Ainsi, CIC n'interprète pas le Règlement de la manière que propose le défendeur.

[13]            Parmi les objectifs de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, se trouvent les suivants :

Objet relatif aux réfugiés

Objectives - refugees

3.(2) S'agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet :

3.(2) The objectives of this Act with respect to refugees are

a) de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution;

(a)     to recognize that the refugee program is in the first instance about saving lives and offering protection to the displaced and persecuted;

[...]

...

e) de mettre en place une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d'une part, de l'intégrité du processus canadien d'asile et, d'autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain;

(e) to establish fair and efficient procedures that will maintain the integrity of the Canadian refugee protection system, while upholding Canada's respect for the human rights and fundamental freedoms of all human beings;



[14]            À mon sens, l'interprétation que fait le défendeur du Règlement ne s'accorderait pas à ces objectifs.

[15]            À mon avis, l'agent a donc commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que la demande de résidence permanente des demandeurs devait être refusée pour avoir été déposée en retard.

V. Dispositif

[16]            Les demandeurs ont réclamé que soit décernée une ordonnance de mandamus obligeant le défendeur à traiter leur demande de résidence permanente dans un délai précis. Je ne suis pas convaincu, au point où nous en sommes, qu'une telle ordonnance soit nécessaire. La position qu'a adoptée le défendeur devant moi était que, si le point de droit discuté ci-dessus était tranché en faveur des demandeurs, leur demande de résidence permanente serait traitée. Pour cette raison, je ne décernerai pas d'ordonnance de mandamus pour le moment. Je vais plutôt suspendre la demande des demandeurs pour un an. Si leur demande de résidence permanente n'a pas été traitée à cette date, je reconsidérerai le besoin de fixer une échéance. J'adopte la même position à l'égard de la demande des demandeurs quant aux dépens. La demande des demandeurs est suspendue pour un an et, si leur demande de résidence permanente n'a pas été traitée à ce moment, j'examinerai alors la question des dépens.   

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                   La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'immigration pour réexamen.

2.                   La demande de mandamus est suspendue pour un an. Si la demande de résidence permanente n'est pas traitée d'ici là, la Cour reconsidérera le besoin de fixer une échéance;

3.                   La demande des demandeurs quant aux dépens est également suspendue pour un an et ne sera examinée que si la demande de résidence permanente n'a pas été traitée d'ici là.

« James W. O'Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


Annexe

Règlements sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

Forme et contenu de la demande

Form and content of application

10. (1) Sous réserve des alinéas 28b) à d), toute demande au titre du présent règlement :

10. (1) Subject to paragraphs 28(b) to (d), an application under these Regulations shall

[...]

...

b) est signée par le demandeur;

(b) be signed by the applicant

Renseignements à fournir

Required information

(2) La demande comporte, sauf disposition contraire du présent règlement, les éléments suivants :

(2) The application shall, unless otherwise provided by these Regulations,

a) les nom, date de naissance, adresse, nationalité et statut d'immigration du demandeur et de chacun des membres de sa famille, que ceux-ci l'accompagnent ou non, ainsi que la mention du fait que le demandeur ou l'un ou l'autre des membres de sa famille est l'époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d'une autre personne;

(a) contain the name, birth date, address, nationality and immigration status of the applicant and of all family members of the applicant, whether accompanying or not, and a statement whether the applicant or any of the family members is the spouse, common-law partner or conjugal partner of another person;

[...]

...

d) une déclaration attestant que les renseignements fournis sont exacts et complets.

(d) include a declaration that the information provided is complete and accurate.

[...]

...

(6) Pour l'application du paragraphe 63(1) de la Loi, la demande de parrainage qui n'est pas faite en conformité avec le paragraphe (1) est réputée non déposée.

(6) A sponsorship application that is not made in accordance with subsection (1) is considered not to be an application filed in the prescribed manner for the purposes of subsection 63(1) of the Act.

12. Si les exigences prévues aux articles 10 et 11 ne sont pas remplies, la demande et tous les documents fournis à l'appui de celle-ci sont retournés au demandeur.

12. If the requirements of sections 10 and 11 are not met, the application and all documents submitted in support of the application shall be returned to the applicant.

Délai de demande

Application period

175. (1) Pour l'application du paragraphe 21(2) de la Loi, la demande de séjour au Canada à titre de résident permanent doit être reçue par le ministère dans les cent quatre-vingts jours suivant la décision de la Commission ou celle du ministre visées à ce paragraphe.

175. (1) For the purposes of subsection 21(2) of the Act, an application to remain in Canada as a permanent resident must be received by the Department within 180 days after the determination by the Board, or the decision of the Minister, referred to in that subsection.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1433-05

INTITULÉ :                                                    HUSNAH MOHAMMED AL MASHTOULI

                                                                        ET AL.

                                                                        c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 15 DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                           LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 1er FÉVRIER 2006

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

POUR LES DEMANDEURS

Lorne McClenaghan

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

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