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Date : 20010112

Dossier : IMM-3016-99

ENTRE :

ALI MOHAMMAD SAADAT

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision, rendue le 7 novembre 1999, dans laquelle l'agente des visas a refusé de délivrer, dans le cadre de la catégorie des immigrants entrepreneurs, des visas d'immigrant au demandeur et aux personnes qui étaient à sa charge qui l'accompagnaient.

LES FAITS


[2]                Le demandeur, un citoyen de l'Iran, a présenté des demandes de visas d'immigrant pour lui-même et son épouse et deux enfants. Il a demandé à ce que sa demande soit appréciée dans le cadre de la catégorie des immigrants entrepreneurs, conformément au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration, DORS/78-172, modifié (le Règlement).                                                                                                           

[3]                Le demandeur a eu une entrevue avec l'agente des visas Lavelle à l'ambassade du Canada à Téhéran le 29 novembre 1998. L'agente des visas l'a interrogé au sujet de son projet d'établir ou exploiter une entreprise au Canada. Le demandeur a dit qu'un ami possédait une manufacture de tricot au Canada et que son ami et lui-même travailleraient ensemble à la production de produits en laine (en particulier des vêtements) qui seraient vendus au Canada et exportés aux États-Unis. Le demandeur n'avait pas vraiment fait d'étude de marché ou de travaux préparatoires similaires; il n'avait que discuté de façon informelle avec son associé au Canada. Le demandeur a dit à l'agente des visas que le Canada était un pays froid et que des vêtements en laine seraient en demande.

[4]                Parmi ses antécédents, le demandeur comptait cependant plusieurs années d'expérience en tant que propriétaire d'une entreprise similaire en Iran : il se rendait en Allemagne pour acheter de la machinerie et supervisait l'exploitation de son entreprise en Iran, qui employait trois personnes. Il a indiqué qu'il possédait des biens d'une valeur de 2 000 000 $CAN.


[5]                Le 24 février 1999, l'agente des visas a écrit à l'avocate du demandeur pour lui faire part de ses réserves en ce qui concerne la question de savoir si le demandeur pouvait immigrer au Canada en tant qu'entrepreneur. Même si le demandeur possédait une expérience considérable en ce qui concerne la supervision de sociétés en Iran, l'agente des visas a estimé que le demandeur avait principalement exercé des fonctions techniques plutôt que des fonctions de gestion. L'agente des visas avait également des réserves au sujet de la viabilité du projet du demandeur, étant donné que celui-ci n'avait fait aucune recherche à cet égard. Elle a invité le demandeur à lui fournir toute autre information dont il pourrait disposer.                                                                                                         

[6]                Le demandeur a répondu à la lettre le 12 septembre 1999, et un autre agent des visas (qui avait pris la place de Lavelle) a examiné le dossier, après avoir reçu la lettre du demandeur, et décidé de rejeter la demande. Voici ce que la lettre de refus de l'agent des visas mentionne dans sa partie pertinente :

[TRADUCTION] À votre entrevue, vous avez démontré que vous ne possédiez que des connaissances très limitées en ce qui concerne l'établissement d'une entreprise au Canada. Les renseignements supplémentaires que vous avez fournis par télécopieur en septembre 1999 ne traitaient suffisamment d'aucune des préoccupations qui vous ont été communiquées à l'entrevue.

En conséquence, vous faites partie de la catégorie des personnes inadmissibles que décrit l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration et vous ne satisfaites pas les dispositions de la Loi et du Règlement qui s'appliquent. Pour ces motifs, conformément au paragraphe 9(4) de la Loi sur l'immigration, votre demande a été rejetée.

[7]                Voici le raisonnement sur lequel s'appuie le rejet :


[TRADUCTION] . . . J'ai remarqué que le projet qu'il propose et décrit dans sa lettre était fondé sur « . . . la commercialisation faite par mes amis qui vivent au Canada et Zarrin Tex Co., qui se trouvent à Toronto, à l'hiver et au printemps 1999, et le fait que le Canada est une région froide où la demande en vêtements de tricot est élevée et la production, faible » . En examinant cette lettre, le dossier, les notes d'entrevue de Mme Lavelle et l'ensemble des documents déjà soumis, j'ai remarqué que la lettre ne comprenait aucune information importante qui n'avait pas déjà été présentée dans la demande et qu'ignorait Mme Lavelle lorsqu'elle a fait part de ses réserves à M. Saadat lors de son entrevue. Monsieur Saadat a fait très peu de recherches, voire aucune, au sujet d'éventuels clients, de la concurrence à laquelle il serait confronté et de la viabilité de l'entreprise qu'il souhaitait établir au Canada.

Monsieur Saadat a amplement eu l'occasion de démontrer qu'il était en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante, et qu'il avait l'intention et la capacité de participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce. Après avoir examiné l'ensemble des documents dont je disposais, y compris les renseignement supplémentaires qui ont été soumis le 12 septembre 1999, j'étais d'avis que M. Saadat ne satisfaisait pas aux exigences de la définition d' « entrepreneur » .

(Affidavit de Nectoux, aux paragraphes 4 et 5)

LES PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[8]                Le demandeur soutient que l'agente des visas a mal interprété la définition d' « entrepreneur » et qu'elle y a ajouté une exigence selon laquelle il aurait dû faire une étude de marché en tant que condition préalable en vue de pouvoir être considéré en tant qu' « entrepreneur » . Les investisseurs immigrants ne sont plus tenus de produire et suivre un plan d'entreprise en bonne et due forme pour recevoir leur visa d'immigrant.


[9]                Le demandeur estime qu'il ressort du dossier que l'agente des visas avait des réserves en ce qui concerne les recherches qu'il avait faites et les mesures qu'il avait prises pour se préparer, et non à l'égard de la question de savoir s'il était en mesure d'établir et d'exploiter une entreprise. Le demandeur soutient également que pour cette raison, l'agente des visas a négligé de tenir compte d'autres éléments de preuve dont elle disposait, et que cela constitue une erreur de droit.

[10]            Compte tenu de l'ensemble de la preuve au dossier, le demandeur soutient que l'agente des visas a pris une décision déraisonnable qu'on ne saurait étayer.

LES PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[11]            Le défendeur soutient que l'omission de faire suffisamment de recherches est pertinente pour ce qui est de l'examen de la question de savoir si le demandeur est en mesure d'établir une entreprise au Canada. Il ressort de la jurisprudence que le fait que l'éventuel immigrant n'a pas fait de recherche et ne dispose pas d'un projet clair a une très grande incidence sur sa capacité d'établir une entreprise.                                               

[12]            En ce qui concerne les autres arguments que le demandeur a soulevés, le défendeur soutient que ces questions constituent simplement une demande dans laquelle on invite la Court à remplacer la décision de l'agente des visas par la sienne.

LE DROIT APPLICABLE

[13]            Voici comment le paragraphe 2(1) du Règlement définit le terme « entrepreneur » :



« entrepreneur » désigne un immigrant

a) qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante, de façon à contribuer de manière significative à la vie économique et à permettre à au moins un citoyen canadien ou résident permanent, à part l'entrepreneur et les personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi, et

b) qui a l'intention et est en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce;

"entrepreneur" means an immigrant

(a) who intends and has the ability to establish, purchase or make a substantial investment in a business or commercial venture in Canada that will make a significant contribution to the economy and whereby employment opportunities will be created or continued in Canada for one or more Canadian citizens or permanent residents, other than the entrepreneur and his dependants, and

(b) who intends and has the ability to provide active and on-going participation in the management of the business or commercial venture;


[14]            Il ressort de la jurisprudence qu'il convient d'examiner toute une gamme de facteurs pour trancher la question de savoir si un individu est visé par la définition d'entrepreneur; parmi ces facteurs, on compte la viabilité de l'entreprise.                            

[15]            Dans la décision Chiu c. Canada (M.C.I.) (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 281 (C.F. 1re inst.), la Cour a conclu que l'agent des visas a compétence pour s'assurer que l'intéressé a l'intention d'établir un commerce viable. Il arrive souvent que des recherches insuffisantes de la part de l'éventuel immigrant empêche toute conclusion favorable en matière de viabilité.


[16]            La décision Chiu, précitée, a été citée par le juge Décary dans l'affaire Bakhshaee c. Canada (M.C.I.) (1998), 45 Imm.L.R. (2d) 196. Bien que l'appel dans cette affaire portât principalement sur une autre question, le juge Décary a approuvé la décision de l'agent des visas selon laquelle le demandeur ne pouvait être un entrepreneur étant donné qu'il n'avait pas exposé de façon précise l'entreprise qu'il entendait établir et la viabilité de cette dernière ni mené d'études au sujet de ses éventuels clients, des loyers et salaires présentement en vigueur, et d'autres aspects concernant l'établissement d'une entreprise.

[17]            Voici les questions litigieuses que le demandeur a soulevées :

1.                   L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant et appliquant la définition d'entrepreneur?

2.                   L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en négligeant de tenir compte d'éléments de preuve pertinente?

3.                   L'agente des visas est-elle parvenue à une décision défavorable?

L'ANALYSE ET LA DÉCISION

[18]             La première question litigieuse

L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant et appliquant la définition d'entrepreneur?

Monsieur le juge Décary a fait les remarques suivantes dans l'arrêt Bakhshaee, précité, à la page 197 :

L'agent des visa a expliqué qu'à l'entrevue, le demandeur a été vague en ce qui concernait son entreprise projetée et la viabilité de celle-ci. Le demandeur ne savait pas s'il s'exposerait à la concurrence, n'avait aucune idée des loyers actuels ni des salaires au Canada, n'avait fait aucune recherche sur les clients éventuels, attendrait jusqu'à son admission au Canada avant de faire des enquêtes sur les besoins du pays et avait fait peu de recherche, s'il en était, sur la faisabilité de l'établissement de son entreprise projetée.


Ces facteurs, comme l'a noté le juge Simpson dans l'affaire Chiu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 121 F.T.R. 39, se rapportent, dans une très grande mesure, à l'enquête menée par un agent des visas. Ma collègue s'exprime en ces termes à la page 42 :

le texte de la définition précise que la viabilité éventuelle est une caractéristique essentielle des propositions d'un requérant. Aucun agent ne peut être obligé de décider si une entreprise peut faire une contribution économique et employer des gens à moins que, nécessairement, l'agent conclue également que l'entreprise a une chance réaliste de succès.


Il ne fait pas de doute que le demandeur a acquis une expérience considérable en affaires dans son pays d'origine et qu'il a connu du succès au fil des ans; cependant, il doit tout de même satisfaire aux exigences du Règlement afin de pouvoir immigrer au Canada. La définition d' « entrepreneur » que contient le Règlement prévoit que le demandeur doit avoir l'intention d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante, « de façon à contribuer de manière significative à la vie économique et à permettre à au moins un citoyen canadien ou résident permanent [...] d'obtenir ou de conserver un emploi » . Il me semble que l'agent des visas doit estimer que l'entreprise paraît viable avant de trancher la question de savoir si l'entreprise projetée contribuera à la vie économique du Canada ou créera des possibilités d'emploi. L'agent des visas doit disposer de renseignements au sujet de l'entreprise projetée afin d'en déterminer la viabilité. Pour satisfaire à la définition d'entrepreneur, le demandeur doit démontrer à l'agent des visas que son projet contribuerait de manière significative à la vie économique canadienne ou créerait des possibilités d'emploi. En l'espèce, l'agente des visas n'a pas conclu que le demandeur l'avait convaincue de cela. Il s'agit-là d'une des conclusions raisonnables que l'agente des visas pouvait tirer. Il n'incombe pas à notre Cour de substituer son opinion à celle de l'agente des visas, pourvu que la décision satisfasse au critère que la Cour suprême du Canada a énoncé dans l'arrêt Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8:

C'est [. . .] une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

Je suis d'avis que la décision de l'agente des visas satisfait à ce critère. De plus, appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter, je conclus que la décision était raisonnable.

[19]             La deuxième question litigieuse

L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en négligeant de tenir compte d'éléments de preuve pertinente?

Je ne saurais conclure que l'agente des visas a négligé de tenir compte d'éléments de preuve pertinente. En fait, l'agente des visas paraît avoir tenu compte de l'ensemble de la preuve qui lui a été soumise, et elle a même demandé que d'autres preuves soient produites.


[20]             La troisième question litigieuse

L'agente des visas est-elle parvenue à une décision déraisonnable?

J'ai déjà répondu à cette question dans l'analyse que j'ai faite en ce qui concerne la première question litigieuse; par conséquent, j'estime que l'agente des visas n'a pas pris une décision déraisonnable.

[21]       Les avocats des parties auront l'occasion de demander la certification d'une question grave de portée générale. L'avocate du demandeur devra, le cas échéant, déposer des observations écrites au plus tard le 19 janvier 2001 concernant la certification d'une question grave. L'avocat du défendeur devra, le cas échéant, déposer sa réponse écrite au plus tard le 26 janvier 2001.

[22]             La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                             « John A. O'Keefe »              

                                                                                               J.C.F.C.                     

Ottawa (Ontario)

Le 12 janvier 2001.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                 IMM-3016-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                Ali Mohammad Saadat c. Le ministre de la                                                                    Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 11 août 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE PAR : Monsieur le juge O'Keefe

EN DATE DU :                                     12 janvier 2001

ONT COMPARU :

Mme Barbara Jackman                                      POUR LE DEMANDEUR

M. Stephen Gold                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Barbara Jackman                                      POUR LE DEMANDEU

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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