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Date : 20020322

Dossier : IMM-5821-00

Référence neutre : 2002 CFPI 322

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                        FAKHR AL-DIN MOHAMED

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire, selon l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, de la décision d'une agente d'immigration (l'agente) en date du 2 novembre 2000, par laquelle l'agente avait décidé de ne pas recommander une décision favorable fondée sur des considérations humanitaires selon ce que prévoit le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.

[2]                 Le demandeur sollicite un bref de certiorari cassant ou annulant la décision du représentant du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et renvoyant l'affaire pour nouvelle décision conforme aux directives que la Cour pourra juger à propos.

Rappel des faits

[3]                 Le demandeur, né au Caire en 1964, est un ressortissant égyptien. Il est arrivé au Canada le 11 octobre 1996 à la faveur d'un visa de visiteur, qui était valide jusqu'au 10 avril 1997. Le demandeur a continué de rester au Canada après l'expiration de son visa.

[4]                 Le frère du demandeur vit au Canada avec son épouse et trois enfants à charge. Le frère est propriétaire d'un dépanneur en Ontario.

[5]                 Le demandeur avait auparavant demandé l'immigration au Canada en se fondant sur une offre d'emploi que lui avait faite son frère. La demande a été rejetée, notamment parce que l'entreprise du frère n'était en activité que depuis peu et parce que l'entreprise n'avait pas démontré une rentabilité suffisante.

[6]                 Durant son séjour au Canada, le demandeur a travaillé dans le dépanneur de son frère. Le frère du demandeur espère aujourd'hui agrandir l'entreprise avec l'aide du demandeur.

[7]                 En juillet 1999, le demandeur a présenté, en application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, une demande de dispense d'application de la règle relative au droit d'établissement, en invoquant des considérations humanitaires.

[8]                 À sa demande fondée sur des considérations humanitaires, le demandeur a joint un état financier indiquant que le dépanneur de son frère avait pour l'exercice se terminant le 30 avril 1999 un revenu net de 32 072 $.

[9]                 Le 6 novembre 2000, le demandeur a reçu de l'agente une lettre datée du 2 novembre 2000 qui l'informait que sa demande fondée sur des considérations humanitaires ne serait pas accordée et que son statut de visiteur expirait le 30 janvier 2001. C'est cette décision qui est l'objet du contrôle judiciaire.

Arguments du demandeur

[10]            Le demandeur affirme que l'agente a interprété ou appliqué incorrectement les critères des lignes directrices qui servent à déterminer s'il existe des considérations humanitaires suffisantes justifiant la dispense demandée.


[11]            Le demandeur affirme que l'agente d'immigration qui a procédé à son entrevue n'est pas la même personne que celle qui a pris la décision, et que cela contrevient au principe d'équité selon lequel c'est à celui qui instruit une affaire qu'il appartient d'en disposer. Le demandeur avance que l'agente d'immigration n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale qu'il était tenu d'observer.

[12]            Le demandeur affirme que l'agente s'est appuyée sur une preuve extrinsèque qui ne figurait pas dans le dossier du demandeur, et cela sans en informer le demandeur ou sans le confronter à cette preuve et sans lui donner l'occasion d'offrir une explication susceptible de dissiper les préoccupations de l'agente. Le demandeur affirme que l'agente d'immigration a irrégulièrement restreint son pouvoir discrétionnaire en tenant compte d'aspects qui ne devaient pas être considérés ou en négligeant de considérer des aspects qui lui avaient été valablement soumis.

[13]            Le demandeur affirme que l'agente qui s'est chargée de l'entrevue a montré une absence de bonne foi et que cela attestait une partialité de sa part. Le demandeur affirme que, s'il n'y a pas eu effectivement partialité, il y avait crainte raisonnable de partialité eu égard aux questions posées par l'agent.

Arguments du défendeur

[14]            Le défendeur affirme que l'examen d'une demande fondée sur des considérations humanitaires constitue un moyen additionnel et spécial d'obtenir une dispense d'application des lois canadiennes sur l'immigration, lesquelles sont par ailleurs d'application universelle.

[15]            Le défendeur affirme que l'agente a procédé à l'examen intégral et équitable de la demande fondée sur des considérations humanitaires, en application du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.

[16]            Le défendeur affirme que le dossier soumis à la Cour montre que le demandeur n'avait pas avancé de raisons suffisantes d'ordre humanitaire pour justifier une entorse aux règles habituelles régissant les demandes de résidence permanente.

[17]            Selon le défendeur, le demandeur semble faire valoir que la décision de l'agente de refuser sa demande atteste en elle-même un parti pris à l'encontre du demandeur. Le défendeur affirme qu'il ne s'agit pas là d'une question sérieuse.

[18]            Le défendeur affirme que l'argument du demandeur concernant la preuve extrinsèque est que l'agente a agi irrégulièrement en téléphonant à la famille du demandeur après l'entrevue, pour s'enquérir de l'emploi du demandeur dans le magasin de son frère. Le défendeur affirme que le dossier ne donne nullement à entendre que l'agente avait des doutes sur la question de l'emploi du demandeur dans le magasin de son frère. Selon le défendeur, il n'y a aucun fondement à l'affirmation du demandeur selon laquelle l'agente s'est fondée sur une preuve extrinsèque au préjudice du demandeur.


[19]            Le défendeur affirme que la norme de contrôle à appliquer pour les décisions en matière de considérations humanitaires est la norme de la décision raisonnable et que les tribunaux devraient montrer une « retenue considérable » envers les décisions prises par le ministre ou son représentant dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire.

[20]            Le défendeur affirme qu'en l'espèce il n'y a pas lieu pour la Cour d'intervenir.

[21]            Points en litige

1.          L'agente a-t-elle mal interprété les directives ou mal appliqué les critères applicables aux considérations d'ordre humanitaire?

2.          L'agente s'est-elle à tort fondée sur une preuve extrinsèque lorsqu'elle a rendu la décision?

3.          La décision a-t-elle été rendue par une personne autre que l'agent qui a rencontré le demandeur?

4.          L'agente s'est-elle réellement montrée partiale ou a-t-elle prêté le flanc à une crainte raisonnable de partialité?


Dispositions applicables

[22]            Les dispositions applicables de la Loi sur l'immigration sont les suivantes :

3. La politique canadienne d'immigration ainsi que les règles et règlements pris en vertu de la présente loi visent, dans leur conception et leur mise en oeuvre, à promouvoir les intérêts du pays sur les plans intérieur et international et reconnaissent la nécessité_ :

. . .

c) de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et résidents permanents avec leurs proches parents de l'étranger . . .

3. It is hereby declared that Canadian immigration policy and the rules and regulations made under this Act shall be designed and administered in such a manner as to promote the domestic and international interests of Canada recognizing the need

  

. . .

(c) to facilitate the reunion in Canada of Canadian citizens and permanent residents with their close relatives from abroad . . .

9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.

9. (1) Except in such cases as are prescribed, and subject to subsection (1.1), every immigrant and visitor shall make an application for and obtain a visa before that person appears at a port of entry.

114. (2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

114. (2) The Governor in Council may, by regulation, authorize the Minister to exempt any person from any regulation made under subsection (1) or otherwise facilitate the admission of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.


[23]            La disposition applicable du Règlement de 1978 sur l'immigration, DORS/78-172, est la suivante :

2.1 Le ministre est autorisé à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe 114(1) de la Loi ou à faciliter l'admission au Canada de toute autre manière.

2.1 The Minister is hereby authorized to exempt any person from any regulation made under subsection 114(1) of the Act or otherwise facilitate the admission to Canada of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.

  

Analyse et décision

[24]            La norme de contrôle à appliquer dans cette affaire est la norme de la décision raisonnable simpliciter (voir l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817).

[25]            Point no 1

L'agente a-t-elle mal interprété les directives ou mal appliqué les critères applicables aux considérations d'ordre humanitaire?


Des raisons d'ordre humanitaire existent lorsque des difficultés inhabituelles, injustes ou indues seraient causées à la personne sollicitant l'examen de son cas si elle devait quitter le Canada. Après son analyse, l'agente a conclu que le demandeur n'avait pas prouvé l'existence de difficultés injustes ou indues au point de justifier une dispense fondée sur des considérations humanitaires. Je ne vois dans la preuve rien qui donne à entendre que l'agente a mal interprété les directives ou les critères applicables. Le demandeur ne m'a pas convaincu que l'agente a commis sur ce point une erreur.

[26]            Point no 2

L'agente s'est-elle à tort fondée sur une preuve extrinsèque lorsqu'elle a rendu la décision?

Dans son affidavit, le demandeur affirme que, après l'entrevue, il a appris de son frère que l'agente avait téléphoné pour s'enquérir de ses allées et venues et pour poser des questions à propos du rôle du demandeur dans l'entreprise de son frère. Le demandeur affirme que l'agente s'est de la sorte fondée irrégulièrement sur une preuve extrinsèque. Dans son affidavit, l'agente affirme qu'elle a téléphoné au frère du demandeur pour vérifier certains renseignements portant sur les études du frère du demandeur à l'université York et non pour s'assurer que le demandeur travaillait au magasin de son frère. L'agente a déclaré qu'il y a dans ses notes manuscrites une indication se rapportant aux études à l'université York.

[27]            L'agente doit être libre de vérifier la validité des affirmations du demandeur. Il n'apparaît pas dans le dossier que l'agente ait eu des doutes sur la question de l'emploi du demandeur dans le magasin de son frère. Je ne suis pas convaincu que l'agente s'en est remise à une preuve extrinsèque au préjudice du demandeur.

[28]            Point no 3

La décision a-t-elle été rendue par une personne autre que l'agente qui a rencontré le demandeur?

La lettre de l'agente datée du 2 novembre 2000 renferme la phrase suivante :

[TRADUCTION]

Le 2 novembre 2000, un représentant du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a examiné les circonstances particulières de votre demande de dispense d'application du paragraphe 9(1) et a décidé que telle dispense ne vous sera pas accordée.

Selon le demandeur, cela montre que la décision a été prise par une tierce personne non désignée, et non par l'agente qui a rencontré le demandeur. Le demandeur affirme que c'est là une violation du principe d'équité. Le même agent qui a rencontré le demandeur a rédigé et signé la lettre contenant la décision. La lettre mentionne que la décision a été prise par « un représentant du ministre » à la même date que la lettre, et l'agent qui a rédigé la lettre est le représentant en question. L'agente a déclaré dans son affidavit que c'est elle qui a examiné la demande fondée sur des considérations humanitaires. Il n'y a pas ici d'erreur sujette à révision.

[29]            Point no 4

L'agente s'est-elle réellement montrée partiale ou a-t-elle prêté le flanc à une crainte raisonnable de partialité?

Selon le demandeur, les questions de l'agente, ainsi que les observations qui les ont suivies, attestent une attitude partiale. Le demandeur dit que la partialité ressort des observations suivantes de l'agente :


[TRADUCTION]

Le requérant a passé son temps au Canada surtout à aider son frère dans la gestion du magasin. C'est sa propre faute s'il n'a pas d'emploi auquel retourner en Égypte.

Je ne suis pas convaincu que les propos susmentionnés donnent lieu à une partialité réelle ou prêtent le flanc à une crainte raisonnable de partialité. La première phrase se rapporte à l'emploi du demandeur au Canada. La deuxième phrase concerne la raison pour laquelle le demandeur n'a pas d'emploi auquel retourner en Égypte. Cette deuxième phrase pouvait être utile pour la question de savoir s'il existe des difficultés inhabituelles, injustes ou indues qui pourraient empêcher le demandeur d'obtenir un emploi en Égypte. Le reste du même paragraphe des observations de l'agente se présente ainsi :

[TRADUCTION]

Il est pris note que cette affaire laisse voir une certaine dépendance. Ils n'ont pas pour autant démontré que le séjour nécessaire à l'étranger entraînerait des difficultés inhabituelles. Le requérant a de la famille en Égypte. Sa famille au Canada pourrait devoir prendre d'autres arrangements en ce qui concerne à la fois l'éducation de l'enfant et les activités de l'entreprise. Ils pensent qu'ils sont aujourd'hui en position de satisfaire aux conditions d'immigration à la faveur d'un parrainage pour entreprise familiale. Le requérant est disposé à investir dans l'entreprise de son frère. Il n'a pas prouvé un degré d'établissement tel que son séjour à l'étranger entraînerait des difficultés injustes. En conclusion, la famille Taher n'a pas montré que les difficultés seraient indues si le requérant devait présenter sa demande de visa à un bureau des visas à l'étranger, en vertu d'autres dispositions de la Loi et du Règlement sur l'immigration.

[30]            Les observations de l'agente, considérées globalement, révèlent une interrogation sur la nature de la requête du demandeur, mais à mon avis elles ne montrent pas une partialité effective ni ne donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[31]            La décision à laquelle est arrivée l'agente d'immigration est une décision raisonnable. Il convient de garder à l'esprit que le rôle de la Cour n'est pas de substituer son opinion à celle de l'agente, dans la mesure où la décision de l'agente est raisonnable.

[32]            Aucune des deux parties n'a souhaité que soit certifiée une question grave de portée générale.

ORDONNANCE

[33]            IL EST ORDONNÉ que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                 « John A. O'Keefe »             

                                                                                                             Juge                          

Ottawa (Ontario)

le 22 mars 2002

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                            IMM-5821-00

  

INTITULÉ :                                                    Fakhr Al-Din Mohamed c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                           Toronto (Ontario)

  

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 15 novembre 2001

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   Monsieur le juge O'Keefe

  

DATE DES MOTIFS :                                  le 22 mars 2002

  

ONT COMPARU :

M. Joseph Farkas                                                                             POUR LE DEMANDEUR

M. David Tyndale                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Joseph Farkas                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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