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Date : 20040202

Dossier : IMM-1622-03

Référence : 2004 CF 174

ENTRE :

                                        TEERADECH PRAMAUNTANYATH

                                                                                                                              demandeur

                                                                       et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE MACTAVISH


[1]                Teeradech Pramauntanyath a présenté une demande de dispense pour des considérations humanitaires (CH) en novembre 2000. Dans une lettre datée du 2 janvier 2003, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a informé M. Pramauntanyath que sa demande était sous étude et lui a demandé de fournir des renseignements à jour concernant sa situation. La lettre de CIC mentionnait que tout renseignement additionnel que M. Pramauntanyath souhaiterait faire examiner devrait être expédié par la poste à CIC dans un délai de 30 jours à compter de la réception de la lettre.

[2]                L'ancienne avocate de M. Pramauntanyath a déposé un affidavit auprès de la Cour dans lequel elle a déclaré que M. Pramauntanyath lui a fourni un ensemble de renseignements concernant sa situation actuelle et que ceux-ci ont été expédiés par la poste à CIC le 29 janvier 2003.

[3]                Le 20 février 2003, la demande de M. Pramauntanyath a été examinée par une agente d'immigration qui a décidé de ne pas accorder de dispense pour des considérations humanitaires. Il ressort clairement de l'examen des motifs de l'agente d'immigration que celle-ci ne disposait pas des renseignements à jour de M. Pramauntanyath lorsqu'elle a pris la décision de rejeter la demande.

[4]                M. Pramauntanyath cherche à faire annuler la décision rendue par l'agente d'immigration, faisant valoir que le fait que l'agente d'immigration ait omis de tenir compte des prétentions qu'il avait soumises le 29 janvier 2003 avant de prendre sa décision constitue un déni de justice naturelle.


Les faits

[5]                M. Pramauntanyath est arrivé au Canada en provenance de la Thaïlande, en février 1994, muni d'un visa d'étudiant. Après la fermeture de l'école qu'il fréquentait, M. Pramauntanyath a commencé à travailler sans autorisation dans un restaurant de Toronto. En avril 2000, M. Pramauntanyath et deux associés ont ouvert leur propre restaurant. M. Pramauntanyath est propriétaire du restaurant pour le tiers et y travaille comme chef.

[6]                Il semble que le restaurant a obtenu beaucoup de succès. Bien qu'au début il était déficitaire, le restaurant est devenu rentable au cours des dernières années et emploie maintenant dix personnes. Le restaurant a fait l'objet de commentaires très positifs et a été élu meilleur nouveau restaurant de Toronto par le magazine NOW. Les lettres soumises par les associés de M. Pramauntanyath témoignent de ses compétences et le décrivent comme étant un élément clé de l'entreprise.

[7]                M. Pramauntanyath a de toute évidence travaillé dur et a vécu modestement ce qui lui a permis d'accumuler des économies importantes. Il parle maintenant anglais couramment et il est impliqué dans sa collectivité. Il s'occupe activement de son temple et a enseigné la cuisine thaïlandaise dans un collège communautaire. Dans une lettre datée de janvier 2003, le président de la Thai Society of Ontario a décrit M. Pramauntanyath comme étant [traduction] « un jeune travailleur acharné qui fait la joie de l'ensemble de la collectivité thaïlandaise » (sic).


[8]                La demande fondée sur des considérations humanitaires présentée par M. Pramauntanyath n'a été examinée que quatre semaines environ après l'envoi par la poste à CIC de ses prétentions additionnelles. Bien que nul ne conteste que les prétentions ne sont jamais rendues jusqu'au dossier de M. Pramauntanyath, on ne sait pas si elles ont été perdues dans le courrier ou ont été égarées par les autorités de l'immigration. Quant à cette deuxième possibilité, un employé a affirmé dans un affidavit déposé au bureau de l'avocat actuel de M. Pramauntanyath qu'il n'était pas rare que des documents soient égarés ou mal classés par CIC.

[9]                Quelle que soit l'explication, il est admis que la demande fondée sur des considérations humanitaires présentée par M. Pramauntanyath a été examinée uniquement à la lumière de renseignements concernant la situation de M. Pramauntanyath en 2000.

La question en litige

[10]       La question en litige dans la présente demande est de savoir s'il y a eu manquement aux principes de justice naturelle dans la manière selon laquelle la demande fondée sur des considérations humanitaires présentée par M. Pramauntanyath a été traitée, de telle sorte que la décision rendue par l'agente d'immigration devrait être annulée et l'affaire renvoyée pour être examinée à nouveau à la lumière d'un dossier complet.


Les positions des parties

[11]       M. Pramauntanyath soutient qu'il a agi dans les délais imposés par CIC et qu'il a fourni des renseignements pertinents concernant sa situation actuelle. Selon M. Pramauntanyath, il ne devrait pas être pénalisé quant à sa demande par les erreurs d'un tiers, qu'il s'agisse de Postes Canada ou de CIC.

[12]            CIC soutient que les personnes qui présentent des demandes fondées sur des considérations humanitaires ont la responsabilité de voir à ce que des renseignements à jour et pertinents soient soumis dans les délais impartis et qu'il incombe aux demandeurs, et non à CIC, de voir à ce que ces renseignements soient reçus. En l'espèce, M. Pramauntanyath n'a pas expliqué pourquoi les prétentions qu'il avait soumises en 2003 n'avaient pas été reçues.

[13]            CIC prétend de plus que M. Pramauntanyath et son avocate auraient pu soumettre les renseignements plus tôt et n'étaient pas obligés d'attendre trois jours avant la date limite pour transmettre les renseignements. Ayant attendu jusqu'à la dernière minute avant de déposer ses prétentions, M. Pramauntanyath aurait dû prendre d'autres mesures afin de s'assurer que les prétentions soient reçues.


[14]            Le 20 février 2003, l'agente d'immigration a examiné l'ensemble des documents déposés au dossier et a rendu sa décision en conséquence. La décision selon laquelle M. Pramauntanyath ne subirait aucun préjudice indu s'il devait présenter une demande selon le processus normal ne peut être contestée simplement parce que la décision était défavorable.

[15]            Enfin, CIC prétend que M. Pramauntanyath ne devrait pas se plaindre parce que si le gouvernement avait rendu sa décision quant à la demande fondée sur des considérations humanitaires en 2000, ou peu après, les prétentions additionnelles que M. Pramauntanyath cherchent à faire examiner n'auraient pas été disponibles.

L'analyse

[16]       Premièrement, en ce qui concerne la dernière prétention du défendeur, même s'il est vrai que CIC aurait pu traiter la demande fondée sur des considérations humanitaires en 2000 à la lumière de sa situation à l'époque, elle ne l'a pas fait. M. Pramauntanyath n'est pas responsable du fait que l'on a tardé à traiter sa demande. Après avoir pris plus de deux ans pour traiter l'affaire, il était raisonnable que CIC demande des renseignements à jour à M. Pramauntanyath afin que sa demande puisse être traitée à la lumière d'un tableau complet de sa situation actuelle.

[17]            Ayant donné à M. Pramauntanyath la possibilité de fournir ces renseignements additionnels, CIC a créé chez M. Pramauntanyath une attente légitime que tout nouveau renseignement qu'il fournirait serait examiné à condition qu'ils soient envoyés à CIC dans le délai imparti.


[18]            Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a conclu que les personnes qui présentent des demandes fondées sur des considérations humanitaires ont droit à plus qu'un minimum d'équité procédurale. Pour en arriver à cette conclusion, la Cour a examiné un certain nombre de facteurs, notamment l'importance exceptionnelle qu'aura une décision en matière de considérations humanitaires sur la vie du demandeur. La Cour a également souligné que les attentes légitimes d'une personne qui conteste une décision en matière de considérations humanitaires peuvent également affecter le processus qui doit être suivi dans un cas donné.

[19]            En l'espèce, les motifs de l'agente d'immigration indiquent que M. Pramauntanyath n'avait [traduction] « déposé aucune preuve démontrant qu'il était capable de bien gérer ses propres finances, ni déposé aucun état financier » . M. Pramauntanyath est décrit dans les motifs comme étant actionnaire minoritaire dans une entreprise de restauration et il y est mentionné qu'il n'avait fourni aucun renseignement à jour démontrant que l'entreprise était florissante et contribuait à l'économie canadienne.


[20]            La preuve non contestée de l'ancienne avocate de M. Pramauntanyath est que les renseignements soumis par M. Pramauntanyath en 2003 comprennent les états financiers de son entreprise de restauration. Ces états révèlent que l'entreprise avait crû de façon constante en termes de vente et de rentabilité depuis sa création en 2000. CIC a également reçu des éléments de preuve concernant les économies accumulées de M. Pramauntanyath. Il semble donc que les renseignements additionnels fournis par M. Pramauntanyath étaient très pertinents quant à sa demande fondée sur des considérations humanitaires et auraient très bien pu influer sur le résultat.

[21]            La question, alors, est de savoir si une décision en matière de considérations humanitaires devrait être annulée lorsque le décideur, sans qu'il y ait eu faute de sa part, a omis d'examiner la demande à la lumière d'un dossier complet.

[22]            Tout en soulignant qu'il incombe à la personne qui présente une demande fondée sur des considérations humanitaires de voir à ce que l'ensemble des renseignements pertinents soient déposés auprès de CIC, le défendeur renvoie à la décision rendue par la Cour dans Arshad c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2003 CF 1130. Dans Arshad, la Cour a refusé d'annuler une décision rendue quant à une demande d'évaluation des risques avant le renvoi (ERAR) dans le cadre de laquelle des renseignements déposés par le demandeur n'ont été reçus par l'agent chargé de l'ERAR que le jour où la décision a été rendue et qui, par conséquent, n'ont pas été pris en compte par l'agent.


[23]            Selon moi, l'affaire Arshad est différente de la présente affaire. Dans Arshad, le demandeur a omis de déposer les renseignements en litige auprès des services de l'immigration dans le délai de trente jours prévus dans les règlements de l'ERAR. En l'espèce, CIC a demandé à M. Pramauntanyath de lui envoyer tout renseignement additionnel qu'il désirait faire examiner, et ce, par écrit, dans un délai de trente jours. La lettre de CIC ne précise pas que les renseignements devaient être envoyés par service de messagerie ou par courrier recommandé et ne précise pas non plus que les renseignements devaient être en la possession de CIC dans le délai de trente jours. De même, aucune obligation n'est imposée à un demandeur d'assurer un suivi et de voir à ce que les renseignements soient effectivement reçus par l'agent d'immigration chargé du dossier.

[24]            En l'espèce, la preuve non contredite dont la Cour est saisie est que M. Pramauntanyath a fait exactement ce que CIC lui a demandé de faire. Que ce soit en raison d'un problème avec le service postal ou en raison d'une erreur commise dans les bureaux de CIC, sans qu'il y ait faute de la part de M. Pramauntanyath, l'agente d'immigration n'était pas saisie des renseignements additionnels au moment où elle examinait la demande fondée sur des considérations humanitaires de M. Pramauntanyath. Il en a résulté que la demande de M. Pramauntanyath n'a pas été examinée à la lumière d'un dossier complet. Tel qu'il a déjà été mentionné, les renseignements additionnels auraient pu influer sur le résultat.


[25]            Le fait que l'agente d'immigration n'ait pas commis d'erreur pour en arriver à la décision en litige n'est pas déterminant en l'espèce. Un déni de justice naturelle peut se produire sans qu'il y ait faute de la part du décideur. Je suis d'accord avec l'avocat de M. Pramauntanyath que, à cet égard, il est très possible de faire une analogie avec des affaires où une partie a été privée d'une audience équitable en raison de la négligence de son avocat. Dans de tels cas, même si le décideur a tenu l'audience comme il se doit, les actes d'un tiers - en l'espèce, l'avocat du demandeur - peuvent entraîner un déni de justice naturelle : Shirwa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 51, Gulishvili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1200.

[26]            En l'espèce, même si la décision de l'agente d'immigration pouvait être tout à fait appropriée compte tenu des renseignements figurant au dossier, les actes d'un tiers inconnu ont néanmoins empêché que la cause de M. Pramauntanyath soit décidée à la lumière d'un dossier complet. Selon moi, il s'agit là d'un déni de justice naturelle, et, pour ce motif, la décision de l'agente d'immigration devrait être annulée.

[27]            L'avocat de CIC prétend que ce serait imposer un fardeau administratif inacceptable au défendeur que d'obliger les agents d'immigration à chercher les documents manquants avant de rendre une décision. Il n'existe aucune obligation de ce genre en l'espèce. C'est le demandeur qui a le fardeau de voir à ce que l'ensemble des renseignements pertinents soient soumis dans le délai imparti. Ce qui s'est produit en l'espèce semble être une situation exceptionnelle car aucun des avocats n'a pu me renvoyer à une affaire semblable. Ces circonstances exceptionnelles, plus particulièrement l'absence de faute de la part du demandeur, justifient l'intervention de la Cour en l'espèce.


[28]            Par conséquent, la décision de l'agente d'immigration est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen à la lumière d'un dossier complet.

Certification

[29]       Aucune question n'a été soumise à la certification par les parties et, par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

                                                         ORDONNANCE

1. La décision de l'agente d'immigration est annulée et la demande fondée sur des considérations humanitaires de M. Pramauntanyath est renvoyée à un autre agent d'immigration pour nouvel examen, à la lumière d'un dossier complet.

2.    Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« Anne L. Mactavish »

                                                                                                            Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 2 février 2004

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                  COUR FÉDÉRALE

Date : 20040202

Dossier : IMM-1622-03

ENTRE :

                     TEERADECH PRAMAUNTANYATH

                                                                               demandeur

                                            - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                 défendeur

                                                                                                                                

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                                                              


                                                          COUR FÉDÉRALE

                                            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1622-03

INTITULÉ :                                                    TEERADECH PRAMAUNTANYATH

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE 29 JANVIER 2004

ORDONNANCE ET MOTIFS

DE L'ORDONNANCE :                                  LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                     LE 2 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                POUR LE DEMANDEUR

Allison Phillips                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates                                     POUR LE DEMANDEUR                                      

Toronto (Ontario)

Ministère de la Justice                                       POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

                                                                                                                                               


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