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Date : 19990930


Dossier : T-1415-98

ENTRE:

     DANIEL GRENIER

     Demandeur

     - et -



     LE COMITÉ DE DISCIPLINE DU PÉNITENCIER DE DONNACONA

     Me MAXIME LANGLOIS, en sa qualité de

     président du Comité de discipline et

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeurs



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS


[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision du Comité de discipline de l"établissement de Donnacona qui a déclaré le demandeur coupable d"une infraction disciplinaire prévue à l"article 40m) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition .



LES FAITS

[2]      Le 29 mai 1998, le demandeur se rendait à son cours avec ses pantoufles de laine. L"agente correctionnelle G. Lafontaine lui a demandé de les enlever et de mettre des espadrilles ou des souliers. Le demandeur a répondu négativement prétextant qu"il se rendait à ses cours en pantoufles depuis plusieurs semaines et a continué son chemin.

[3]      Madame Lafontaine appela au carrefour pour aviser le gardien de retourner le demandeur à sa cellule. Le demandeur s"est exécuté.

[4]      Une fois arrivé à son pavillon, quatre gardiens étaient appuyés sur le mur. Alors qu"il était à une distance de quatre à cinq pieds de madame Lafontaine, le demandeur lança son paquet de feuilles maintenues par un duotang à proximité de l"agente. Aucun des gardiens présents incluant madame Lafontaine n"est intervenu et le demandeur est entré tout de suite dans son pavillon.

[5]      Une heure plus tard, quatre gardiens sont venus chercher le demandeur en lui disant qu"il irait en détention parce qu"il avait lancé des feuilles à un gardien. Le demandeur a alors été accusé d"avoir tenté de frapper madame Lafontaine contrairement à l"alinéa 40m) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition .

[6]      Le 11 juin 1998, l"audience a eu lieu et le demandeur a été déclaré coupable.

[7]      Le président du Comité a condamné le demandeur à une peine de seize jours de détention en plus des douze jours purgés ainsi que la perte de privilèges qui s"y rattachent.

[8]      La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition1 est la loi applicable dans les circonstances:

40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui_:

(...)

m) crée des troubles ou toute autre situation susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier, ou y participe;



(...)

s) tente de commettre l'une des infractions mentionnées aux alinéas a) à r) ou participe à sa perpétration.

(...)

41. (1) L'agent qui croit, pour des motifs raisonnables, qu'un détenu commet ou a commis une infraction disciplinaire doit, si les circonstances le permettent, prendre toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle.

41(2) Accusation

(2) À défaut de règlement informel, le directeur peut porter une accusation d'infraction disciplinaire mineure ou grave, selon la gravité de la faute et l'existence de circonstances atténuantes ou aggravantes.



(...)

43. (1) L'accusation d'infraction disciplinaire est instruite conformément à la procédure réglementaire et doit notamment faire l'objet d'une audition conforme aux règlements.

43(2) Présence du détenu

(2) L'audition a lieu en présence du détenu sauf dans les cas suivants_:

a) celui-ci décide de ne pas y assister;

b) la personne chargée de l'audition croit, pour des motifs raisonnables, que sa présence mettrait en danger la sécurité de quiconque y assiste;

c) celui-ci en perturbe gravement le déroulement.

43(3) Déclaration de culpabilité

(3) La personne chargée de l'audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l'infraction reprochée.


44(1) Sanctions disciplinaires

44. (1) Le détenu déclaré coupable d'une infraction disciplinaire est, conformément aux règlements pris en vertu des alinéas 96i) et j), passible d'une ou de plusieurs des peines suivantes_:

a) avertissement ou réprimande;

b) perte de privilèges;

c) ordre de restitution;

d) amende;

e) travaux supplémentaires;

f) isolement pour un maximum de trente jours, dans le cas d'une infraction disciplinaire grave.

40. An inmate commits a disciplinary offence who

(...)

(m) creates or participates in

(i) a disturbance, or

(ii) any other activity

that is likely to jeopardize the security of the penitentiary;

(...)

(s) attempts to do, or assists another person to do, anything referred to in paragraphs (a) to (r).

(...)

41. (1) Where a staff member believes on reasonable grounds that an inmate has committed or is committing a disciplinary offence, the staff member shall take all reasonable steps to resolve the matter informally, where possible.

41(2) Charge may be issued

(2) Where an informal resolution is not achieved, the institutional head may, depending on the seriousness of the alleged conduct and any aggravating or mitigating factors, issue a charge of a minor disciplinary offence or a serious disciplinary offence.

(...)

43. (1) A charge of a disciplinary offence shall be dealt with in accordance with the prescribed procedure, including a hearing conducted in the prescribed manner.

43(2) Presence of inmate

(2) A hearing mentioned in subsection (1) shall be conducted with the inmate present unless

(a) the inmate is voluntarily absent;

(b) the person conducting the hearing believes on reasonable grounds that the inmate's presence would jeopardize the safety of any person present at the hearing; or

(c) the inmate seriously disrupts the hearing.

43(3) Decision

(3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.

44(1) Disciplinary sanctions

44. (1) An inmate who is found guilty of a disciplinary offence is liable, in accordance with the regulations made under paragraphs 96(i) and (j), to one or more of the following:

(a) a warning or reprimand;

(b) a loss of privileges;

(c) an order to make restitution;

(d) a fine;

(e) performance of extra duties; and

(f) in the case of a serious disciplinary offence, segregation from other inmates for a maximum of thirty days.

ANALYSE

[9]      En vertu des dispositions de la loi applicable, il appert que la condamnation suivant l"article 40m) est considérée comme étant une infraction disciplinaire grave puisque parmi les peines énumérées à l"article 44(1), il semble que la peine d"isolement pour un maximum de trente jours semble constituer la peine maximum dans le cas d"une infraction disciplinaire grave.

[10]      Dans le cas présent, le demandeur a purgé vingt-huit jours, ce qui constitue, à mon avis, la peine pour une infraction disciplinaire grave suivant les dispositions de l"article.

[11]      J"ai pris connaissance des documents et en aucune façon la preuve présentée par le Service correctionnel ne supporte l"accusation en vertu de l"article 40m) ou encore de l"article 40s).

[12]      La Cour tient à faire remarquer que l"accusation portée soit "de créer des troubles ou toute autre situation susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier" (je souligne) constitue une accusation très grave et je m"interroge sur cet événement, somme toute banal, d"avoir refuser d"enlevé ses pantoufles pour porter des souliers ou des espadrilles.

[13]      Le demandeur a posé un geste déplorable, il est vrai, soit celui d"avoir jeté à terre ses feuilles dans un geste de frustration, cependant, si le geste est déplorable, la preuve est inexistante quant à démontrer que ce geste a mis en danger la sécurité du pénitencier.

[14]      Que ce simple geste ait pu entraîner une accusation et une condamnation de cette importance, apparaît, à ce point, disproportionné par rapport à l"offense, que cela rend la décision manifestement déraisonnable.

[15]      La Cour se demande si on envoie un individu en détention vingt-trois heures sur vingt-quatre pendant vingt-huit jours pour avoir simplement refusé d"enlever ses pantoufles, quelles seront les conséquences pour un geste posé par un détenu qui mettrait véritablement en danger la sécurité du pénitencier.

[16]      Quoi qu"il en soit, la Cour n"a pas à substituer sa décision à celle du Comité de discipline mais à s"assurer que le Comité a agi dans le respect des règles et que la décision rendue n"est pas entachée d"irrégularités ou d"illégalités susceptibles d"entraîner l"intervention de la Cour.

[17]      La Cour a été également troublée à la lecture du paragraphe 11 de l"affidavit du demandeur Daniel Grenier qui affirme que:

Le 10 juin 98, M. François Bénard est venu me rencontrer en détention pour me faire signer une feuille à l"effet que j"avais refusé d"appeler un avocat, ce que je nie formellement;

[18]      La Cour a été étonnée de constater que cette affirmation assermentée du demandeur n"a été, en aucun cas, contredite par le dit François Bénard qui a déposé un affidavit-réponse quelques mois après l"affidavit du demandeur et qui mentionne expressément dans son affidavit avoir pris connaissance de l"affidavit du demandeur.

[19]      Cet élément pourrait paraître sans grande conséquence si le dit François Bénard, surveillant correctionnel, n"avait pas agi par la suite comme assesseur au moment de l"audience devant le Comité de discipline. Cet élément s"ajoute aux autres pour justifier l"intervention de cette Cour.

[20]      Suivant les dispositions de l"article 40.3(3) de la Loi, le Comité de discipline ne peut prononcer la culpabilité de l"accusé que s"il est convaincu, hors de tout doute raisonnable , (je souligne) sur la foi de la preuve présentée que le détenu a bien commis une infraction reprochée.

[21]      À ce propos, une lecture attentive des notes sténographiques donne à penser que le président du Comité de discipline semblait exprimer un doute sur la preuve qui était devant lui mais a décidé néanmoins de reconnaître le demandeur coupable alors que rien dans la preuve ne pouvait conclure comme il l"a fait.

[22]      En effet, aucune preuve n"a été avancée pour démontrer comment le geste du demandeur quel qu"il soit a été susceptible dans les circonstances alléguées de mettre en danger la sécurité du pénitencier. Compte tenu de la preuve devant le Comité la déclaration de culpabilité ne semble pas être justifiée.

[23]      Comment le Comité de discipline peut-il conclure, hors de tout doute raisonnable, selon l"article 43(3) de la Loi, que le demandeur a créé des troubles susceptibles de mettre en danger la sécurité du pénitencier, sans qu"aucune preuve relative à ce danger n"ait été portée devant le Comité?

[24]      Le détenu a été déclaré coupable d"une infraction, sans preuve des éléments constitutifs de l"infraction; cette condamnation a eu des conséquences importantes pour le détenu, soit de modifier sa cote de sécurité et de retarder ses chances de transfert. La Cour conclut, sans hésitation, que le Comité de discipline a erré en droit.

[25]      Bien que la Cour n"a pas juridiction sur la décision administrative concernant sa cote de sécurité, le tribunal ose croire que les défendeurs prendront les mesures qui s"imposent dans les circonstances.

[26]      Pour les motifs exprimés, la Cour casse et annule la décision du Comité disciplinaire du 11 juin 1998.






                         Pierre Blais

                         Juge


OTTAWA, ONTARIO

Le 30 septembre 1999

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1      L.C. (1992), ch.20.

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