Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision





Date : 19990630


Dossier : IMM-4618-98


Ottawa (Ontario), le mercredi 30 juin 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE GIBSON

ENTRE :

            

     MAZHIR IQBAL MIRZA et ABID HUSSAIN MIRZA,

                                     demandeurs,

     et

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                     défendeur.


     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section du statut de réfugié en l'instance est annulée et les revendications de statut de réfugié au sens de la Convention, présentées par les demandeurs, sont renvoyées à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour examen et décision par un nouveau tribunal.


FREDERICK E. GIBSON

Juge

Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier





Date : 19990630


Dossier : IMM-4618-98


ENTRE :

     MAZHIR IQBAL MIRZA et ABID HUSSAIN MIRZA,

                                     demandeurs,


     et


     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                     défendeur.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON :

[1]      Ces motifs trouvent leur origine dans une décision de la Section du statut de réfugié (la SSR), de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SSR a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, telle que cette expression est définie au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1. Cette décision de la SSR est datée du 21 août 1998.

[2]      Les demandeurs sont frères et citoyens du Pakistan. Ils résidaient à Dandi, dans le district Tehsil Kharian de l'État du Gujerat. Les motifs de la SSR décrivent le plus âgé des frères, Mazhir, comme le " demandeur ", et Abid comme le " frère du demandeur ". Aux fins de ces motifs, j'adopte la même terminologie. Le demandeur allègue qu'il craint d'être persécuté, s'il retourne au Pakistan, en raison de ses opinions politiques, en tant que membre de la Ligue musulmane du Pakistan et ancien membre du Parti du peuple du Pakistan. Il serait persécuté par les membres du Parti du peuple du Pakistan, par des " gangsters " associés à ce parti, et par les forces policières. Il soumet que la protection de l'État ne peut lui être assurée, puisque les forces policières sont une des sources de ses craintes.

[3]      Le frère du demandeur, qui est aussi membre de la Ligue musulmane du Pakistan, fonde sa crainte de persécution sur ce statut, ainsi que sur le fait qu'il est membre d'un groupe social, à savoir sa famille.

[4]      Le demandeur est d'abord venu au Canada en 1988 mais, suite à des circonstances inhabituelles, il a été renvoyé au Pakistan par les autorités américaines en 1990. Il s'est à nouveau enfui du Pakistan pour venir au Canada le 7 mars 1996, et il fonde sa revendication sur des événements qui se seraient produits entre son retour au Pakistan et sa deuxième fuite vers le Canada. Le frère du demandeur est venu au Canada pour la première fois le 2 octobre 1996.

[5]      Le demandeur soutient qu'il a été harcelé, battu et constamment menacé, situation qui s'est aggravée alors qu'il a participé, en août 1995, à l'organisation d'une rencontre dont l'objet était de discuter des mauvaises actions présumées du Parti du peuple du Pakistan. La police a effectué une descente sur les lieux de la réunion et arrêté et emprisonné deux organisateurs, le demandeur réussissant à s'échapper. Des policiers sont venus à la recherche du demandeur à son domicile, et ils ont menacé d'arrêter les membres de la famille si ce dernier ne mettait pas fin à ses activités politiques. Le demandeur a manifesté en faveur de la libération des organisateurs qui étaient en détention. En conséquence, il a été arrêté, interrogé et brièvement emprisonné en janvier 1996. En février 1996, les policiers ont à nouveau cherché à se saisir de lui. Comme ils n'ont pu le trouver, ils ont harcelé et battu son père et ils ont menacé de tuer le demandeur. Les policiers ont fait cinq autres tentatives pour se saisir du demandeur avant que ce dernier ne prenne la fuite et quitte le pays. Après son départ, les policiers ont cherché à se saisir de lui à nouveau au moins à trois autres occasions. Le 11 novembre 1996, un mandat d'arrestation qui aurait été fondé sur des accusations mensongères a été lancé contre lui.

[6]      Le frère du demandeur était aussi impliqué dans l'organisation de la rencontre d'août 1995. Après que le demandeur s'est enfui du Pakistan, les policiers ont cherché à se saisir de son frère à quatre occasions. Un mandat d'arrestation a été lancé contre ce dernier au moment où on lançait celui visant le demandeur.

[7]      La SSR a longuement examiné le bien-fondé des revendications du demandeur et de son frère, de façon générale ainsi qu'à la lumière d'un changement dans les conditions au pays suite à l'élection d'un gouvernement contrôlé par la Ligue musulmane du Pakistan. Elle s'est aussi brièvement penchée sur la question de savoir si le demandeur et son frère avaient une possibilité de refuge dans une autre partie du Pakistan. Elle a conclu que le demandeur et son frère n'avaient pas établi une base objective à leur revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, et que, même s'ils l'avaient fait, ils jouissaient de possibilités de refuge dans une autre partie du pays.

[8]      La SSR a fait état de divergences entre la documentation qui lui a été présentée par le demandeur et son frère et leurs témoignages, sans toutefois tirer une conclusion défavorable quant à leur crédibilité. La SSR écrit ceci :

         [traduction]

         Le tribunal constate que les revendicateurs ont présenté en preuve de leur crainte permanente de persécution les mandats d'arrestation lancés contre eux. Le tribunal a examiné la preuve documentaire portant sur les mandats d'arrestation et les premiers rapports de renseignements. Le tribunal conclut que la preuve documentaire est de nature indépendante et qu'elle est fiable, en plus de provenir de sources diverses. Le tribunal constate que chacun des mandats d'arrestation est contestable pour les motifs suivants. Il n'est pas fait mention du tribunal qui a délivré chacun des mandats. Les mandats d'arrestation sont adressés aux revendicateurs, et non aux policiers ou autres personnes en autorité qui ont la responsabilité d'y donner suite. La preuve documentaire porte que le mandat d'arrestation est adressé à un ou plusieurs policiers ou, s'il n'y a pas de policier disponible, à toute autre personne. On indique aussi à la même page qu'une copie du mandat d'arrestation est disponible, et qu'une telle copie serait certifiée. Le tribunal constate qu'il n'y a aucune indication sur les documents présentés par les revendicateurs portant qu'il s'agirait de copies certifiées. La preuve documentaire indique aussi ... qu'un mandat d'arrestation porterait l'adresse du poste de police auquel il est adressé et la date à laquelle la personne en cause devrait se présenter devant le tribunal; de plus, ... elle indique qu'un mandat d'arrestation contient des renseignements quant à l'infraction ainsi qu'aux dispositions pertinentes de la législation qui commandent à la personne de se présenter. Dans les mandats d'arrestation fournis par le revendicateur, on ne trouve rien quant à la nature de l'infraction présumée. [les citations sont omises]

[9]      Des copies des mandats d'arrestation sont consignées aux pages 46 et 56 du dossier du tribunal. Des traductions certifiées des mandats d'arrestation se trouvent aux pages 45 et 55. Chaque traduction certifiée porte le nom du tribunal qui a délivré le mandat et indique à quelle force policière il est destiné. On trouve aussi dans chacun la nature de l'infraction que le demandeur et son frère sont accusés d'avoir commise. Il semblerait que la SSR a simplement négligé de tenir compte de cette partie importante de la preuve qui lui était soumise, ou alors qu'elle l'a fort mal interprétée.

[10]      La SSR ne fait aucune mention de diverses lettres qui sont au dossier, savoir : du père du demandeur, du frère du demandeur, d'un agent autorisé du Parti du peuple du Pakistan et d'un avocat appelé en consultation par le père et le frère du demandeur. Or, tous ces documents font état des risques auxquels le demandeur et son frère devraient faire face, par suite des mandats d'arrestation en question, si jamais ils retournaient au Pakistan. La SSR écrit ceci :

         [traduction]

         De plus, même si les mandats d'arrestation étaient valables, le tribunal conclut que, vu les circonstances du pays, on n'y donnerait aucune suite.

La SSR ne cite aucune source fiable pour fonder cette conclusion qui vient contredire les prédictions de conséquences catastrophiques que l'on trouve dans les lettres susmentionnées. J'en conclus que cette " conclusion " n'est rien d'autre que de la spéculation pure et simple.

[11]      Finalement, la SSR écrit :

         [traduction]

         Subsidiairement, le tribunal conclut que les revendicateurs avaient une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays (PRI), à supposer que leur crainte de persécution soit fondée dans la région où ils habitaient. La présumée persécution, le harcèlement et l'intimidation dont les revendicateurs font état avaient une origine locale. Lorsqu'on leur a demandé ce qu'il en était d'une relocalisation dans un autre endroit, les revendicateurs n'ont présenté aucune preuve concrète établissant qu'ils n'avaient pas de PRI. Étant donné la conclusion du tribunal qu'ils ne sont pas recherchés par les forces policières ni par d'autres autorités, il n'est pas raisonnable de croire qu'ils seraient persécutés à l'extérieur de leur région.

[12]      La conclusion de la SSR au sujet de la PRI n'est pas fondée, au vu des omissions et malentendus quant aux mandats d'arrestation qui lui ont été soumis. À la page 320 du dossier du tribunal, le paragraphe suivant est cité dans une réponse à une demande de renseignements datée du 18 juin 1997 :

         [traduction]

         Les forces policières donnent régulièrement suite à des mandats d'arrestation délivrés dans d'autres provinces ou d'autres districts de police. Le code de procédure criminelle du Pakistan prévoit qu'un mandat d'arrestation peut être exécuté n'importe où au Pakistan, quel que soit l'endroit où il a été délivré. Un mandat d'arrestation délivré par un tribunal local est même valide à l'extérieur des frontières d'une province. Il est courant que les autorités policières d'une province ou d'un district de police demandent l'aide de leurs confrères d'un autre ressort afin de localiser une personne recherchée. Ces derniers sont tenus par la loi d'offrir leur aide dans la recherche de la personne en cause.


La SSR semble, encore une fois, avoir négligé de tenir compte de la preuve qui lui était présentée.

[13]      Compte tenu des erreurs de fait majeures que j'ai identifiées et que la SSR a commises en négligeant de tenir compte de l'ensemble de la documentation qui lui était présentée, et de la spéculation non fondée, de la part de la SSR, quant au fait que les mandats d'arrestation, même valides, ne seraient pas exécutés, je conclus que la décision en l'instance ne peut être maintenue. Cela ne veut pas dire qu'il n'était pas loisible à la SSR d'arriver à cette décision. Je dis simplement que l'analyse de la SSR et les conclusions qu'elle en tire sont tellement viciées que l'intervention de la Cour est justifiée.

[14]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR en l'instance est annulée, et les revendications de statut de réfugié au sens de la Convention, présentées par le demandeur et son frère, sont renvoyées à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour examen et décision par un nouveau tribunal.


[15]      Aucun des avocats n'a recommandé qu'une question soit certifiée. Aucune question ne sera certifiée.


FREDERICK E. GIBSON

Juge


Ottawa (Ontario)

Le 30 juin 1999






Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              IMM-4618-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      MAZHIR IQBAL MIRZA et autres c. MCI



LIEU DE L'AUDIENCE :          CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 15 JUIN 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :              30 JUIN 1999



ONT COMPARU :

M. BIRJINDER MANGAT                  POUR LE DEMANDEUR

Mme LORRAINE NEILL                  POUR LE DÉFENDEUR




AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. BIRJINDER MANGAT                  POUR LE DEMANDEUR



M. BRAD HARDSTAFF                  POUR LE DÉFENDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2 (modifiée).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.