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Date : 19971124


Dossier : T-1034-96

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE McGILLIS

ENTRE :


DALJIT DHANJAL,

requérant.


- et -


AIR CANADA,

intimée.


- et -


COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,


intervenante.


ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                         D. McGillis

                                     _______________________

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.


Date : 19971124


Dossier : T-1034-96

ENTRE :


DALJIT DHANJAL,

requérant.


- et -


AIR CANADA,

intimée.


- et -


COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,


intervenante.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE MCGILLIS

[1] En dépit de l"argumentation très habile de l"avocat du requérant, je suis arrivée à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le "Tribunal") doit être rejetée.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[2] Après vingt-cinq jours d"audience, le Tribunal a rendu une décision longue et détaillée dans laquelle il arrive à la conclusion que le requérant n"a pas apporté, selon les alinéas 7 b) et 14 c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne , L.R.C. (1985), ch. H-6, dans sa forme modifiée, un commencement de preuve d"une discrimination ou d"un harcèlement fondé sur la race ou la religion. Dans son analyse, le Tribunal étudie minutieusement la preuve produite par les parties et tire des conclusions précises se rapportant à la crédibilité des divers témoins pour chacune des affirmations du requérant. Le Tribunal a rédigé des motifs détaillés et convaincants à l"appui de chacune desdites conclusions, et il fait des observations précises sur le comportement de plusieurs des témoins, y compris le requérant. Une lecture intégrale de la décision révèle que, selon le Tribunal, le requérant n"était pas crédible sur des aspects importants de son témoignage, et cela pour une foule de raisons, toutes minutieusement expliquées.

PRÉTENDUES ERREURS DE FAIT

[3] Attaquant la décision du Tribunal, l"avocat du requérant affirme, entre autres choses, que le Tribunal a commis une erreur lorsqu'il a tiré des conclusions abusives ou arbitraires dans au moins trois différents aspects de son analyse. J"ai examiné attentivement la preuve versée dans le dossier et j"ai étudié les arguments détaillés de tous les avocats. À mon avis, les conclusions et déductions factuelles tirées par le Tribunal dans sa décision sont suffisamment appuyées par la preuve1 .

___________________________

1 Le Tribunal canadien des droits de la personne est un tribunal spécialisé et les cours de justice doivent en général faire preuve d'une grande réserve à l'égard de ses conclusions de fait. [Voir l"affaire Canada (P.G.) c. Mossop , [1993] 1 R.C.S. 554, 577-578]. Dans l"arrêt Aguebor c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), le juge Décary s"exprime ainsi sur la démarche à adopter dans l"examen des conclusions de fait tirées par un tribunal spécialisé :

     Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu"est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d"un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d"un récit et de tirer les inférences qui s"imposent ? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d"attirer notre intervention, ses conclusions sont à l"abri du contrôle judiciaire. Dans Giron , la Cour n"a fait que constater que, dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d"une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron , à notre avis ne diminue en rien le fardeau d"un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l"être.

De plus, même si je devais accepter l"argument selon lequel la décision renfermait certaines erreurs de fait, le Tribunal était, compte tenu de mon examen de l"ensemble de la preuve, fondé à rendre la décision qu"il a rendue1. J"arrive à cette conlusion en étant consciente également des commentaires très négatifs faits par le Tribunal à propos du comportement du requérant comme témoin.

PRÉTENDUES ERREURS DE DROIT

[4] L"avocat du requérant conteste aussi la décision pour le motif que le Tribunal aurait commis une erreur de droit lorsqu'il a omis de conclure que le requérant avait démontré une preuve prima facie d"une discrimination fondée sur la race. Plus précisément, il affirme que le Tribunal a commis une erreur sous les aspects suivants :

            i)      il ne s"est pas demandé s"il existait une différence systématique de traitement ou une discrimination systématique;            
            ii)      il a imposé un critère préalable qui ne convenait pas pour établir la preuve prima facie;            
            iii)      il n"a pas tenu compte du "renvoi injustifié" du requérant par son employeur.            
                       

[5] À l"appui de sa conclusion selon laquelle le Tribunal a commis une erreur de droit en ne se demandant pas s"il y avait discrimination ou harcèlement systématique, l"avocat du requérant a souligné que le Tribunal avait étudié séparément la preuve se rapportant aux six catégories distinctes de comportement qui, selon le requérant, avaient constitué une discrimination ou un harcèlement. Il affirme donc que le Tribunal n"a pas saisi le régime qui existait en ce qui concerne le traitement appliqué au requérant. Je ne puis accepter cette conclusion. Vu la durée de l"audience et la quantité d"information, le Tribunal ne saurait être critiqué pour avoir analysé les dépositions des témoins sous des rubriques distinctes se rapportant à chacune des six "catégories de comportement" qui, selon le requérant, constituaient une discrimination ou un harcèlement. Au contraire, la manière dont le Tribunal a effectué son analyse est l"assurance qu"il a tiré les conclusions factuelles nécessaires en ce qui concerne toutes les affirmations faites par le requérant. D"ailleurs, la décision ne permet nullement d"affirmer que le Tribunal a négligé d"étudier collectivement l"ensemble des faits dans l"évaluation de la plainte du requérant.

[6] L"avocat du requérant soutient aussi que le Tribunal a commis une erreur de droit en imposant un critère préalable mal à propos pour établir une preuve prima facie . Je ne puis accepter cette affirmation. À mon avis, la décision, considérée globalement, montre que le Tribunal a appliqué le bon critère juridique. Plus précisément, il comprenait parfaitement que les affirmations du requérant devaient être crédibles pour autoriser la conclusion selon laquelle il existait un commencement de preuve1.

[7] Le Tribunal a rejeté la preuve du requérant pour toutes ses plaintes de discrimination ou de harcèlement, sauf en ce qui a trait à une allusion raciste proférée par son surveillant. Ayant conclu qu"une allusion raciste avait été faite à l"endroit du requérant, le Tribunal a entrepris de se demander si cet "incident isolé", pour lequel le surveillant s"était immédiatement excusé, suffisait à constituer une preuve prima facie d"une discrimination ou d"un harcèlement fondé sur la race. Dans son analyse de ce point, le Tribunal donne son interprétation juridique et applique cette interprétation à l"incident en question. Je n"ai pas été persuadée que le Tribunal a commis quelque erreur dans sa manière de dire le droit ou de l"appliquer. Cependant, à un endroit de sa longue décision, le Tribunal utilise une formulation quelque peu déroutante. Après avoir conclu à la page 16 de sa décision que le requérant n"avait établi l"existence que d"un seul incident à connotation raciale, le Tribunal affirme ensuite, à la page 50, que, puisque "la Commission a fait la preuve, prima facie, d"un incident à connotation raciale", il était nécessaire de dire si le requérant était la victime d"une discrimination ou d"un harcèlement au titre de la race. Après examen et application du droit, le Tribunal arrive à la conclusion, à la page 63, que le requérant n"a pas été victime de harcèlement et qu"aucun commencement de preuve n"a été produit. Je suis persuadée, après examen de l"ensemble de la décision que, même si le Tribunal se sert d"une formulation impropre et déroutante à la page 50 lorsqu"il parle de la "preuve prima facie d"un incident à connotation raciale", sa conclusion générale selon laquelle il y a absence de preuve prima facie ou de commencement de preuve d"une discrimination ou d"un harcèlement est néanmoins claire et sans équivoque.

[8] Finalement, pour démontrer l"existence d"une preuve prima facie , l"avocat du requérant soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne considérant pas comme une preuve prima facie le fait que le requérant a été renvoyé injustement de son emploi. Un examen de l"ensemble de la décision révèle que, selon le Tribunal, l"offre d"une retraite anticipée présentée au requérant par l"intimée n"était fondée d"aucune manière sur sa race, sa couleur ou sa religion. À mon avis, le Tribunal pouvait valablement faire cette déduction, compte tenu de la preuve versée dans le dossier. Eu égard aux circonstances, on ne saurait dire que le Tribunal a commis une erreur en droit pour n"avoir pas considéré comme une preuve prima facie le prétendu "renvoi injustifié".

PRÉTENDUE PARTIALITÉ ET PRÉTENDUS MANQUEMENTS À L"ÉQUITÉ DANS LA PROCÉDURE

[9] Dans ses conclusions écrites, l"avocat du requérant a prétendu que le Tribunal a fait preuve de partialité à l'égard du requérant et qu"il a commis certains manquements à l"équité dans la procédure. Dès le début de l"audience, j"ai fait observer à l"avocat que le requérant n"avait nulle part établi dans ses affidavits la preuve de telle partialité ou de tels manquements, comme le prévoit la règle 1603(1) des Règles de la Cour fédérale . L"avocat du requérant, qui ne représentait pas le requérant au moment où les pièces ont été produites à la Cour, a affirmé que cette preuve figurait dans le dossier et que la Cour devrait entendre les arguments concernant la partialité et les manquements à l"équité dans la procédure. J"ai sursis au prononcé du jugement sur la question du vice de forme et j"ai entendu les arguments de l"avocat sur ces aspects. Après examen de l"affaire, je suis d"avis que, le requérant ne s"étant pas conformé aux normes de preuve fixées par la règle 1603(1) des Règles de la Cour fédérale, il ne peut maintenant alléguer partialité ou manquement à l"équité. Malgré ma conclusion sur ce point, je voudrais mentionner que j"ai néanmoins entendu et étudié les arguments de l"avocat du requérant. Même si je concluais à tort que le requérant n"a pas produit la preuve requise à l"appui de ses affirmations, je suis persuadée, compte tenu des arguments oraux et écrits de l"avocat du requérant, que les allégations de partialité et de manquement à l"équité sont sans fondement.

DÉCISION

[10] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                     D. McGillis

                                 ________________________________

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :          T-1034-96
INTITULÉ :              DALJIT DHANJAL c. AIR CANADA ET AL.
LIEU DE L"AUDIENCE :      OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L"AUDIENCE :      LE 10 NOVEMBRE 1997

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE MCGILLIS

EN DATE DU 24 NOVEMBRE 1997

ONT COMPARU :


M. PETER ENGELMANN

POUR LE REQUÉRANT


M. GUY DUFORT

M. STÉPHANE FILLION

POUR L"INTIMÉE


M. EDDIE TAYLOR

POUR L"INTERVENANTE


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

CAROLINE ENGELMANN GOTTHEIL

OTTAWA (ONTARIO)

POUR LE REQUÉRANT


HEENAN, BLAIKIE

MONTRÉAL (QUÉBEC)

POUR L"INTIMÉE


COMMISSION CANADIENNE DES

DROITS DE LA PERSONNE

POUR L"INTERVENANTE


__________________

2 Voir l"arrêt Medina c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) No du greffe A-93-90 (C.A.F.)), dans lequel le juge Heald mentionne, aux pages 4 et 5, que les motifs d"un tribunal ne doivent pas être examinés à la loupe, mais plutôt " ... dans le cadre de l"ensemble de la preuve produite".

3Voir l"arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et Theresa O"Malley c. Simpsons-Sears Limited et al, [1985] 2 R.C.S. 536, 558.

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