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Date : 19990428

Dossier : T-2711-97

OTTAWA (ONTARIO), le 28 avril 1999

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                        AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

                                                          L.R.C. (1985), ch. C-29,

                                                            ET UN APPEL de la

                                             décision d'un juge de la citoyenneté,

                                                                            ET

Raza Ally Agha.

                                                                                                                                                                 

                                                                             

                                                               J U G E M E N T

            L'appel est accueilli.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           François Lemieux       

                                                                                                          

                                                                                                                                                                                                  J U G E             

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.



                                                                                                                                                                                                                                                            Date : 19990428

Dossier : T-2711-97

ENTRE :

                                  AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

                                                          L.R.C. (1985), ch. C-29,

                                                                 ET UN APPEL DE

                                          la décision d'un juge de la citoyenneté,

                                                                                                                                                ET

Raza Ally Agha,

appelant.

                                                                                               

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEMIEUX :


Page : 2

INTRODUCTION

1               Il s'agit des motifs de l'appel en date du 4 décembre 1997 de Raza Ally Agha, d'une décision en date du 17 octobre 1997 de la juge de la citoyenneté Nicole Caron qui a rejeté la demande de citoyenneté canadienne de l'appelant.

2              La partie pertinente de la décision de la juge de la citoyenneté Caron dit ceci :

[TRADUCTION] Je conclus que vous remplissez toutes les conditions de citoyenneté énoncées dans la Loi sur la citoyenneté, à l'exception de la condition de résidence. En vertu de l'alinéa 15(1)c) de la Loi, un demandeur est tenu d'avoir accumulé au moins trois ans de résidence au Canada au cours des quatre ans précédant immédiatement sa demande.

Selon les éléments de preuve au dossier et ceux soumis à l'audition, vous êtes venu au Canada le 7 avril 1993. Vous avez obtenu le statut de résident permanent le 7 avril 1993. Vous avez présenté une demande de citoyenneté canadienne le 3 septembre 1996, et à ce moment-là, vos absences du Canada totalisaient 890 jours. Dans ces circonstances, il vous incombait de me convaincre, afin de satisfaire aux conditions de résidence, que vos absences du Canada pouvaient être considérées comme des périodes de résidence au Canada.

La jurisprudence de la Cour fédérale exige que, pour prouver la résidence, une personne démontre l'intention et la réalité de centraliser son mode de vie au Canada. S'il y a preuve d'une telle résidence, les absences du Canada n'ont pas de portée sur la résidence pour autant qu'il est établi que la personne s'est absentée pour une fin temporaire et a maintenu au Canada une forme tangible et réelle de résidence.

J'ai soigneusement examiné votre cas afin de décider si vous avez établi votre résidence au Canada avant de vous absenter de sorte que vos absences puissent être considérées comme une période de résidence et si pendant votre absence, vous avez conservé suffisamment d'attache au Canada. Les faits m'amènent à conclure que vous n'avez ni établi ni maintenu de résidence au Canada et en conséquence vous ne remplissez pas les conditions de résidence.


                                                                                                                                       [non souligné dans l'original]

3              De plus, la juge de la citoyenneté Caron n'a pas formulé de recommandation au ministre, relativement à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de ce dernier prévu à l'article 15 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, de dispenser, pour des motifs humanitaires, de l'exigence de résidence, ni n'a-t-elle fait de recommandation au gouverneur en conseil d'indiquer au ministre d'accorder la citoyenneté à l'appelant à titre de personne en situation particulière et inhabituelle de détresse ou pour récompenser des services exceptionnels rendus au Canada. La juge de la citoyenneté Caron a indiqué, dans sa décision, qu'elle a demandé, lors de l'audition, s'il y avait des circonstances justifiant une telle recommandation. La juge de la citoyenneté Caron a noté que l'appelant a été incapable de lui fournir des éléments de preuve en ce sens et, qu'en conséquence, elle n'a pas trouvé de motif de faire une telle recommandation au ministre.

4              J'ai entendu le présent appel à Halifax (Nouvelle-Écosse) le 13 avril 1999, sous forme de nouveau procès, en vertu de la règle 912 des anciennesRègles de la Cour fédérale, C.R.C. 1978, ch. 663, et modifications, et non en vertu des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, qui sont entrées en vigueur le 25 avril 1998 (les nouvelles règles). En vertu des nouvelles règles, l'alinéa 300c) dispose que la partie V, régissant les demandes, s'applique aux appels en matière de citoyenneté interjetés en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, et modifications.

5              Le motif de procéder par voie de nouveau procès tient à ce que l'appel de l'appelant est daté du 4 décembre 1997, avant l'entrée en vigueur des nouvelles règles (voir Fai Alex Chan, dossier T-2842-96, décision du juge Rothstein (c'était alors son titre), en date du 25 mai 1998).

6              M. Raza a été le seul témoin entendu par moi et a été soumis à contre-interrogatoire par l'amicus curiae.

7               Dans son avis d'appel, M. Raza a interjeté appel sur le moyen suivant :

[TRADUCTION] La loi canadienne n'exige pas, en toutes circonstances, la présence physique au Canada afin de satisfaire aux conditions de résidence. J'ai conservé un lien important avec le Canada depuis mon arrivée ici et pendant mes absences. Je satisfait aux conditions de résidence.

LES FAITS

8              Les faits sont établis par le dossier certifié ou dans le témoignage donné de vive voix par l'appelant et par le contre-interrogatoire de l'amicus curiae.

9              M. Agha est né au Pakistan; il est ingénieur civil et homme d'affaires.

10            Au Pakistan, M. Agha exploitait, depuis 1979, un commerce de construction appelé Allied Construction, lequel se spécialisait dans la construction de ponts. Il s'agissait d'une société fermée comptant quelques actionnaires.

11             M. Agha possédait d'autres commerces. Il possédait de l'équipement de construction, qu'il louait à Allied Construction. Il possédait deux boutiques, qu'il utilisait pour les opérations de courtage immobilier. Il était propriétaire de quelques terrains commerciaux et d'autres valeurs.

12            M. Agha est arrivé au Canada le 7 avril 1993 à titre de résident permanent étant admissible dans la catégorie entrepreneur. Il s'était départi de son commerce de construction au Pakistan. Il était accompagné de toute sa famille immédiate, soit son épouse et ses trois fils. À leur arrivée au Canada, M. Agha et sa famille se sont établis dans le comté d'Halifax. M. Agha et son épouse ont immédiatement acquis une maison en copropriété. Cette maison a été meublée et utilisée comme résidence familiale.

13            Il a constitué à l'été 1993 une société commerciale sous le nom de Canpak International Ltd. comme entreprise de construction. À l'été et à l'automne 1993, Canpak a acheté ou acquis à bail sept terrains résidentiels à Darthmouth (N.-É.) et a construit cinq maisons sur ces terrains.

14            Le dossier certifié comporte des indices de résidence de la part de M. Agha, notamment des déclarations d'impôt sur le revenu au Canada, des paiements de taxes foncières, l'ouverture de comptes de banque, l'achat de placements, la possession d'une voiture, la détention d'un permis de conduire, d'un numéro d'assurance sociale et la présentation d'une demande d'inscription à l'Association of Professional Engineers of Nova Scotia à titre de d'ingénieur en formation.

15            Le dossier certifié montre également que les enfants de la famille Agha se sont inscrits à des écoles et des universités canadiennes.

16            Le projet de construction de M. Agha n'a pas réussi; ce dernier a dit qu'il s'agissait d'un échec, même s'il n'y a pas eu de faillite. Les maisons ne se vendaient pas ou se vendaient à perte et les épargnes de la famille Agha étaient immobilisées dans ce projet de construction.   

17             M. Agha a témoigné que l'échec du projet de construction de 1993 a profondément touché sa stabilité personnelle et financière. Il a déclaré qu'il était, à l'époque, sujet à une dépression grave et était incapable de subvenir aux besoins de sa famille.

18            Après discussion avec son épouse, il a décidé de retourner au Pakistan le 6 décembre 1993 parce qu'il y avait des amis capables de l'aider à se faire soigner et de lui fournir la possibilité de gagner sa vie de manière à pouvoir subvenir aux besoins de sa famille demeurée au Canada. La preuve indique aussi que M. Agha est retourné au Pakistan pour un autre motif, celui de disposer de certains biens et de régler des questions de finances.

19            M. Agha a confié son entreprise canadienne, Canpak International, à son fils aîné lorsqu'il a décidé de retourner au Pakistan.

20           M. Agha a témoigné qu'à Karachi, au Pakistan, il a obtenu de l'aide. Il m'a dit que son ancien médecin traitant a diagnostiqué la source de ses ennuis de santé et l'a référé à un psychiatre de la même ville qui a été en mesure de l'aider à recouvrer la santé, ce qui est presque fait maintenant.

21            M. Agha a mentionné qu'il s'est mis en relation avec son ancien associé d'affaires dans la société Allied Construction qui lui a confié la gérance, moyennant une rémunération mensuelle, d'une petite entreprise de construction de Karachi, appelée Allied Associates, comptant vingt-deux employés à plein temps.    M. Agha m'a dit qu'il ne détenait pas d'action dans cette société et qu'il travaillait irrégulièrement à cause de sa maladie.

22            Les absences du Canada de M. Agha, loin de sa famille, ont été nombreuses et prolongées. Lors de son premier retour au Pakistan, M. Agha a été absent du Canada du 6 décembre 1993 au 26 novembre 1994, date à laquelle il est rentré au Canada pour un séjour d'environ trois semaines.

23            Lors de son deuxième voyage au Pakistan, M. Agha a été absent du 12 décembre 1994 au 11 novembre 1995, alors qu'il est revenu au Canada pour un séjour d'environ cinq semaines.

24            Lors de son troisième voyage à Karachi, M. Agha a été absent du 8 janvier 1996 au 17 juillet 1996, date de son retour pour un séjour de deux mois.

25           Lors de son quatrième voyage à l'étranger, M. Agha a été absent du 8 septembre 1996 au 11 avril 1997, date de son retour pour un autre séjour de trois semaines.

26           Toutes les fois qu'il est parti pour le Pakistan, M. Agha avait en sa possession un visa de retour pour résident délivré par le gouvernement canadien.

27            Après avril 1997, M. Agha est retourné au Pakistan pour quelques courts séjours et, depuis septembre 1997, il est resté principalement au Canada mais, jusqu'à récemment, il n'a eu que peu de succès dans ses démarches d'emploi et d'affaires.

28           Les biens dont M. Agha était propriétaire au moment de venir au Canada sont les suivants :

                (a)beaucoup d'équipement de construction;

                (b)deux boutiques;

                (c)deux terrains;

                (d)une automobile;

                (e)il est encore propriétaire de la résidence familiale et il y a habité lors de ses séjours au Pakistan entre 1993 et 1997. Il m'a dit que cette maison est offerte en vente et qu'il ne l'a pas mise en vente plus tôt parce que le marché immobilier à Karachi n'était pas très favorable.

29           M. Agha m'a dit que lors de ses voyages de retour au Pakistan, il s'était occupé de vendre les biens qu'il y possédait et qu'il n'avait plus maintenant que la résidence familiale qui soit à vendre. Il maintient encore le contact avec son psychiatre au Pakistan à cause de ses antécédents médicaux et affirme qu'il a encore besoin de son aide à l'occasion.

30           Maintenant, l'épouse de M. Agha et ses trois fils sont citoyens canadiens.

LE DROIT

A.LA NORME DE CONTRÔLE

31            Dans l'affaire Lam c. Canada, T-1310-98, 26 mars 1999, le juge Jutfy a longuement examiné la norme de contrôle que la Cour devrait appliquer à l'occasion d'appels en vertu de la Loi sur la citoyenneté à la différence des instances de contrôle judiciaire en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale et ce, dans le contexte de l'entrée en vigueur des Règles de la Cour fédérale (1998) lesquelles disposent que ces appels soient institués par voie de demande en vertu de la règle 300 et non plus par voie de nouveau procès.

32            Bien que l'affaire qui m'est soumise soit un nouveau procès parce que M. Agha a inscrit cet appel avant l'entrée en vigueur des nouvelles règles, le raisonnement du juge Lutfy dans Lam est des plus utiles.

33            Selon moi, d'ici à ce que le Parlement adopte la nouvelle Loi sur la citoyenneté, que les appels procèdent par voie de nouveau procès ou par voie de demande, la norme de contrôle reste la justesse.

34            La norme de justesse n'écarte cependant pas l'obligation de la part de l'appelant de convaincre la Cour que la cour de citoyenneté a commis une faute ou une erreur, notamment de s'être fondée sur un principe non approprié, d'avoir absolument mal apprécié les faits ou d'avoir rendu une décision fautive pour des raisons irrésistibles qui exigent l'intervention de notre Cour dans la décision. Pour cela, il ne convient pas que la Cour substitue simplement une nouvelle décision à celle du juge de la citoyenneté (voir : Re Kerho (1988), 21 F.T.R. 180, à la page 184).

B. Le critère de la condition de résidence

35           Dans l'affaire Lam, le juge Lutfy a analysé la jurisprudence de la Cour relativement aux différentes nuances adoptées par la Cour pour déterminer si la condition de résidence prévue à la Loi sur la citoyenneté est remplie.

36           Je suis de l'avis des juges Lutfy et Evans, dans l'affaire Young c. Canada, T-408-98, 16 mars 1999, selon lesquels la tendance prédominante de la jurisprudence récente de la Cour consiste à interpréter la condition de résidence de manière semblable à celle du juge Reed dans l'affaire Re Koo, [1993] 1 C.F. 286. Le critère consiste à « savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant vit régulièrement, normalement ou habituellement » . Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? »

37            Dans l'affaire Re Koo, le juge Reed a mentionné certains des facteurs à examiner ou des questions à se poser pour arriver à déterminer si la situation correspond au critère. Ce sont :

               

1)la personne était-t-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2)où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3)la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

4)quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5)l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

6)quelle est la qualité des attaches du requérant avec la Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

38           Pour ce qui est du facteur (f) ci-dessus, le juge Reed dit ceci, dans l'affaire Koo à la page 294 :

À mon sens, pour qu'une période d'absence physique soit considérée comme une période de résidence au sein du pays afin d'obtenir la citoyenneté, la qualité des attaches de la personne en question avec le pays doit montrer la primauté ou le caractère prioritaire de la résidence au Canada (les attaches avec le Canada doivent être plus importantes que celles qui peuvent exister avec un autre pays).

39           À mon avis, le critère appliqué dans l'affaire Koo place bien l'accent sur l'importance de la présence physique au Canada pour satisfaire à la condition de résidence énoncée dans la Loi sur la citoyenneté et correspond à l'intention du législateur, en vertu de l'alinéa 5(1)c) de la Loi, d'exiger que le demandeur de la citoyenneté ait, dans les quatre ans précédant immédiatement la date de sa demande, accumulé au moins trois ans de résidence au Canada.

40           La présence physique au Canada permet « à une personne de se familiariser avec ce que c'est que d'être Canadien, c'est-à-dire d'apprendre à connaître les droits et les obligations d'un citoyen du Canada » (voir Re To (1997), 37 Imm.L.R., (2d) 274, jugement du juge Teitelbaum).

41            Dans l'affaire Pourghasemi (1993), 19 Imm.L.R. (2d) 259, le juge Muldoon énonce l'objet de l'alinéa 5(1)c) de la Loi en ces termes (à la page 260) :

                        Il est évident que l'alinéa 5(1)c) vise à garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyenneté canadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d'acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de « se canadianiser » . Il le fait en côtoyant les Canadiens au centre commercial, au magasin d'alimentation du coin, à la bibliothèque, à la salle de concert, au garage de réparation d'automobiles, dans les buvettes, les cabarets, dans l'ascenseur, à l'église, à la synagogue, à la mosquée ou au temple - en un mot là où l'on peut rencontrer des Canadiens et parler avec eux - durant les trois années requises.

42            Tout en mettant l'accent sur le facteur de la présence physique au Canada, le critère de l'affaire Koo reconnaît que, dans des circonstances particulières, l'absence physique du Canada peut quand même être comptée comme de la résidence pour l'application de la Loi.

43            Dans l'arrêt Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, rendu par le juge en chef adjoint Thurlow, celui-ci énonce clairement cette proposition en disant aux pages 213 et 214 :

Il me semble que les termes « résidence » et « résident » employés dans l'alinéa 5(1)b) de la nouvelle Loi sur la citoyenneté ne soient pas strictement limités à la présence effective au Canada pendant toute la période requise, ainsi que l'exigeait l'ancienne loi, mais peuvent aussi comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence au Canada, qu'elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisante [sic] fréquente pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente, même si elles en ont été absentes pendant un certain temps. [...]

                        Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [TRADUCTION] « essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question » .

44            Il existe un autre aspect du critère de l'affaire Koo lequel exige que le Canada soit l'endroit où le demandeur « vit régulièrement, normalement ou habituellement » lorsqu'il s'agit de tenir compte de la jurisprudence acceptée - ou d'appliquer cette jurisprudence - selon laquelle les absences physiques du Canada peuvent compter pour les fins de résidence en vertu de la Loi sur la citoyenneté.

45           À mon avis, le critère de l'affaire Koo oblige le juge de la citoyenneté à examiner soigneusement la nature, l'objet, la durée des absences physiques du Canada et toutes leurs circonstances afin de déterminer la nature véritable du rapport et des liens du demandeur avec le Canada et son engagement envers celui-ci.

46           Dans cette perspective, le critère de l'affaire Koo centre l'attention sur les indices importants de résidence au Canada, par opposition aux facteurs moins importants comme le fait de détenir des comptes de banque, de faire des placements, d'effectuer le paiement de loyers (ou d'être propriétaire d'un appartement), de posséder des meubles, de détenir un permis de conduite ou une carte d'assurance-maladie et de produire des déclarations d'impôt sur le revenu.

APPLICATION DU CRITÈRE À L'ESPÈCE

47            Les motifs de la juge de la citoyenneté Caron sont reproduits au paragraphe 2 ci-dessus. Ils ne comportent aucune analyse des faits mentionnés au dossier certifié ni de ce qui s'est passé à l'audition.

48           Le critère de l'affaire Koo oblige le juge de la citoyenneté à examiner soigneusement, la nature, l'objet, et la durée de toutes les circonstances de l'absence physique du Canada afin de déterminer la nature véritable de la centralisation du mode de vie du demandeur au Canada.

49           L'absence d'analyse de la part de la juge de la citoyenneté en l'espèce constitue une erreur de principe qui m'enlève toute hésitation que je pourrais avoir d'arriver à une conclusion différente sur les faits même s'il s'agit d'un nouveau procès.

50           Selon la jurisprudence, le fardeau de preuve auquel M. Agha devait satisfaire, en l'espèce, consistait à établir, par des faits concrets, deux liens distincts avec le Canada:

                (a)d'abord qu'il avait centralisé son mode de vie au Canada avant ses absences physiques du pays; et

                (b)puis que, malgré ses absences physiques du Canada, il a maintenu un mode de vie centralisé au Canada.

A. L'établissement

51            Je n'ai pas de difficulté à arriver à la conclusion que M. Agha a établi un mode de vie centralisé au Canada entre le 7 avril 1993 et décembre 1993, alors qu'il a quitté le Canada et est retourné au Pakistan pour la première fois.

52           Les principaux facteurs qui m'amènent à cette conclusion sont :

                (i)son arrivée au Canada avec toute sa famille immédiate;

                (ii)l'établissement immédiat d'une entreprise au Canada dont il était le principal dirigeant et dans laquelle il a investi des ressources financières importantes;

                (iii)des mesures concrètes qu'il a prises afin d'exploiter cette entreprise au Canada et l'y implanter;

                (iv)l'acquisition d'un résidence familiale en copropriété avec son épouse;

                (v)l'intégration de sa famille à la société canadienne y compris la fréquentation scolaire de ses enfants et les premières démarches pour être reconnu comme ingénieur civil en Nouvelle-Écosse;

                (vi)les autres indices normaux de résidence, soit l'ouverture de comptes de banque, la production de déclarations d'impôt sur le revenu, l'acquisition d'un permis de conduire et d'un numéro d'assurance sociale, etc.;

                (vii)la rupture importante, quoique incomplète, de ses liens ave le Pakistan.

53           Je suis convaincu que M. Agha a établi une résidence au Canada avec l'intention de maintenir des racines permanentes dans le pays. Son principal lieu de résidence était le Canada.

B. Le maintien

54           La question suivante à résoudre est de savoir si M. Agha a, pendant toute la durée de la période de trois ans en cause, maintenu une forme tangible et effective de lien avec le Canada et une résidence au Canada. Autrement dit, le caractère de résidence principale ou prioritaire pour M. Agha est-il passé du Canada au Pakistan de sorte qu'il avait un lien plus important avec le Pakistan qu'avec le Canada.

55           Les faits objectifs appuyant le maintien de sa résidence au Canada pour M. Agha sont beaucoup plus faibles que ceux étayant l'établissement par lui d'une résidence au Canada dans la partie de l'enquête portant sur cette question.

56           Il en est de même parce que, sous plusieurs aspects, le centre d'intérêt de la vie de M. Agha était revenu au Pakistan, bien qu'il faille tenir compte que son épouse et ses fils étaient restés au Canada.

57            M. Agha a trouvé du travail au Pakistan, il a pu s'y faire soigner. Lorsqu'il était à Karachi, il habitait son ancienne résidence familiale. Les absences de M. Agha du Canada ont été longues et importantes puisque au cours des vingt-quatre mois suivant son départ du Canada, M. Agha n'y est revenu que pour deux courts séjours.

58           Après avoir examiné toutes les circonstances dans l'affaire de M. Agha, je suis convaincu que ses liens avec le Canada étaient plus importants que ceux qu'il avait au Pakistan, de sorte qu'il satisfait à la partie de l'enquête portant sur le maintien de sa résidence même si ses liens avec le Pakistan ont été importants. J'arrive à cette conclusion pour les motifs suivants :

                (a)Les voyages de M. Agha au Pakistan n'étaient ni un choix délibéré, ni ne dépendaient de sa volonté. Ils étaient rendus obligatoires par l'échec de son entreprise immobilière au Canada, par la nécessité de trouver un travail susceptible de lui permettre de subvenir aux besoins de sa famille et celle de terminer les affaires qu'il avait au Pakistan. Je n'oublie cependant pas le fait que M. Agha a choisi librement ses conseillers médicaux.

                (b)Les absences de M. Agha ont été temporaires. Il devait se remettre sur pied tant pour ses affaires que pour sa santé et vendre les biens qu'il avait encore au Pakistan, dont la résidence familiale. C'est ce qu'il a fait; il n'a pas fait de nouvel investissement au Pakistan, il avait, en tout temps, un visa de retour au Canada chaque fois qu'il a quitté le pays; il a tout vendu sauf un seul bien qui lui reste.

                (c)Le caractère temporaire des absences de M. Agha ressort du fait que depuis septembre 1997, il a vécu principalement au Canada. Je suis autorisé à tenir compte du temps écoulé entre l'appel et la date de l'audition, (voir Re To, (précité), et Wang c. Canada, T-1881-98, 1er avril 1999, le juge Reed) dans le but limité de vérifier la nature des absences. Manifestement, ces périodes de temps ne peuvent compter dans la période de trois ans exigée en vertu de l'alinéa 5(1)b) de la Loi. Cette période doit s'écouler avant la demande de citoyenneté.

                (d)La famille de M. Agha est constamment demeurée au Canada. Le juge Dubé dit dans l'affaire Re Huang (1997), 37 Imm.L.R. (2d) 113 à la page 116 :

L'indice le plus éloquent de résidence est l'établissement d'une personne et de sa famille dans ce pays, en plus de la manifeste intention de faire de l'établissement leur foyer permanent.

                                                                                                                                       [non souligné dans l'original]


CONCLUSION

59           À mon avis, il y avait des circonstances spéciales et exceptionnelles aux absences de M. Agha du Canada qui justifiaient de tenir compte des ces absences pour juger de la condition de résidence imposée par la Loi sur l'immigration. Ces circonstances découlaient directement de l'échec de son entreprise commerciale au Canada, de la nécessité de se remettre sur pied ce qui pouvait plus facilement se produire au Pakistan et de la nécessité de liquider les affaires qu'il y avait encore.   

60           L'espèce ressemble à l'affaire Re Leung (1998), 42 Imm.L.R. (2d) 161 par opposition, par exemple, à l'affaire Choi c. Canada, T-304-98, 30 mars 1999, dans laquelle le juge Blais a statué, vu les faits qui lui avaient été présentés, que le demandeur vivait à Hong Kong et revenait, à l'occasion, au Canada rendre visite à sa famille.

61            L'appel est accueilli.

                                                                                                                                                                           François Lemieux       

                                                                                                                                                                                                                                                               

                                                                                                                                                                                                   J U G E             

OTTAWA (ONTARIO)

Le 28 avril 1999        

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             T-2711-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :                   Loi sur la citoyenneté c. Raza Ally Agha

LIEU DE L'AUDITION :       Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDITION :                       le 13 avril 1999

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

DATE :                                                     le 28 avril 1999

COMPARUTIONS :

Me Lee Cohen                                                     pour l'appelant

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Me Kelly Sullivan                                                              amicus curiae

Halifax (Nouvelle-Écosse)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Lee Cohen                                                     pour l'appelant

Avocat

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Burchell Hayman Barnes                                            amicus curiae

Halifax (Nouvelle-Écosse)

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