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Date : 20040331

Dossier : T-1576-99

Référence : 2004 CF 489

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL                         

ENTRE :

                                        HOESCHST MARION ROUSSEL CANADA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

et

               LE CONSEIL D'EXAMEN DU PRIX DES MÉDICAMENTS BREVETÉS

                                                                                                                                         intervenant

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La Cour est saisie d'un appel interjeté en vertu de l'article 51 des Règles de la Cour fédérale (1998) sous forme de requête présentée par la demanderesse, Hoescht Marion Roussel Canada, d'une décision en date du 14 novembre 2003 par laquelle la protonotaire Aronovitch a rejeté la demande présentée par la demanderesse en vertu des articles 317 et 318 des Règles de la Cour fédérale (1998) en vue de forcer l'office fédéral intervenant (le Conseil) à produire certains documents.

GENÈSE DE L'INSTANCE

[2]                La demanderesse est titulaire d'une licence exclusive de vente d'un produit pour aider à cesser de fumer. Ce produit libère de la nicotine par voie cutanée dans la circulation systémique de façon continue au moyen d'un timbre transdermique de nicotine. Le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés (le Conseil) affirme que ce produit est un médicament pour lequel la demanderesse est titulaire de certains brevets. Il soutient également que la demanderesse vend le produit en question à un prix excessif. Une procédure visant à déterminer si la demanderesse a pratiqué des prix excessifs a été introduite au moyen d'un avis d'audience daté du 20 avril 1999.

[3]                Lorsque le prix d'un produit lui semble excessif, le personnel du Conseil fait enquête et remet son rapport au président du Conseil.


[4]                Tant que le Conseil n'est pas saisi de la question lors d'une audience publique, aucun membre du Conseil ne participe à l'enquête menée par le personnel quant aux allégations de prix excessifs d'un médicament, ni informé des résultats de cette enquête, sauf le président du Conseil, en sa qualité de premier dirigeant du Conseil. Dans le cas qui nous occupe, aucun des membres du Conseil n'a vu le rapport produit par le personnel (le rapport du personnel), à l'exception du président, en sa qualité de premier dirigeant du Conseil.

[5]                Après que le personnel eut terminé son enquête, la demanderesse a été invitée à soumettre un engagement de conformité volontaire. C'est ce qu'elle a fait. Suivant le Compendium des Lignes directrices, politiques et procédures du Conseil (le Compendium), pour décider s'il accepte l'engagement de conformité volontaire, le président tient compte de la politique du Conseil suivant laquelle le prix du produit doit être rajusté pour respecter les Lignes directrices. Par ailleurs, le breveté doit rembourser les recettes excédentaires qu'il a perçues au cours de la période où le prix était supérieur au prix maximal autorisé par les Lignes directrices.

[6]                Le Compendium prévoit aussi que, sur réception du rapport du personnel, le président examine l'affaire et peut tenir une audience en publiant un avis d'audience « s'il est d'avis que l'enquête a révélé que le prix dépassait ce que précisent les Lignes directrices ou d'une autre manière est ou a été excessif [...] » .

[7]                En l'espèce, après réception et examen du rapport du personnel, l'engagement de conformité volontaire de la demanderesse a été refusé et un avis d'audience a été publié le 20 avril 1999. Le président s'est désigné lui-même pour présider le comité de membres devant qui l'audience devait avoir lieu.


[8]                Le Conseil a demandé à la demanderesse de répondre aux allégations de prix excessifs et, après avoir été avisé de l'opposition formulée par la demanderesse à la publication de l'avis d'audience pour divers motifs, le Conseil a invité la demanderesse à soumettre ses moyens d'opposition devant les membres du Conseil au moyen d'une requête.

[9]                Le 25 mai 1999, la demanderesse a soumis à un comité du Conseil une requête (la requête déclinatoire de compétence) par laquelle elle requérait le Conseil d'annuler l'avis d'audience au motif qu'il avait été publié en violation des principes de l'équité procédurale. D'autres questions portant sur la question de savoir si le timbre transdermique de nicotine constitue un médicament et sur l'applicabilité de certains brevets ont été traitées séparément par le Conseil et font l'objet d'une demande distincte de contrôle judiciaire.

[10]            À l'appui de sa requête déclinatoire de compétence, la demanderesse plaidait ce qui suit :

[traduction]

i)               la Loi sur les brevets permet un chevauchement illicite des fonctions d'enquêteur, de poursuivant et d'arbitre du Conseil dans les cas présumés de prix excessifs, ce qui en soi porte atteinte au droit à un procès impartial garanti par l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits;

ii)              à titre subsidiaire, indépendamment de l'ampleur du chevauchement autorisé par la Loi sur les brevets, le Conseil a structuré ses activités de manière à dépasser la limite de chevauchement autorisée par la Loi.

[11]            La demanderesse a formulé les objections suivantes au sujet de la procédure suivie par le Conseil :

a. La nature « concluante » des allégations du personnel du Conseil suite à son enquête sur le prix du Nicoderm.

b. Le président a jugé d'avance certaines questions de fait essentielles lorsqu'il a refusé l'engagement de conformité volontaire.

c. Le président qui décide de tenir une audience publique après avoir lu le rapport du personnel du Conseil et l'engagement de conformité volontaire ne devrait pas siéger au sein du groupe de membres du Conseil appelés à trancher la question.


d. Le président n'a pas fait preuve d'équité procédurale envers la demanderesse lors de son examen de la proposition d'engagement de conformité volontaire.

[12]            Au soutien de sa requête déclinatoire de compétence, la demanderesse a invoqué les quatre moyens suivants :

a)              Le Nicoderm n'est pas un médicament au sens de la Loi sur les brevets;

b)              La procédure suivie par le Conseil était entachée de partialité institutionnelle;

c)              HMRC n'était pas titulaire des brevets mentionnés dans l'avis d'audience et, de toute façon, un seul des brevets se rapporte au Nicoderm;

d)              L'avis d'audience n'était pas suffisamment détaillé pour que HMRC soit en mesure de répondre aux accusations dont elle faisait l'objet.

[13]            Les questions b) et d) étaient énoncées aux paragraphes 6, 7 et 9 de l'avis de requête joint à la requête déclinatoire de compétence soumise au Conseil. Le Conseil a statué sur les questions b) et d) de la requête lors de son audience du 5 juillet 1999 et il a rendu sa décision sur la première partie de la requête déclinatoire de compétence le 3 août 1999. Le Conseil a refusé de mettre fin à l'instance et d'annuler l'avis d'audience.

[14]            Le 2 septembre 1999, la demanderesse a introduit une demande de contrôle judiciaire de la décision sur la première partie de la requête (dans le dossier T-1576-99 (la demande)). Dans son avis de demande, la demanderesse a réclamé les documents suivants :

[traduction]

1. Tous les mémoires, rapports ou autres documents soumis au Conseil ou à son président, par le personnel du Conseil, avant que le Conseil ou son président ne décide de publier l'avis d'audience daté du 20 avril 1999.

2. Les autres documents et pièces qui se trouvaient devant le Conseil ou devant son président lorsqu'il a été décidé de publier l'avis d'audience daté du 20 avril 1999.


3. Les documents ou pièces qui font état du choix fait par le président du Conseil en ce qui concerne les membres du comité appelés à tenir l'audience ou les audiences visées par l'avis d'audience daté du 20 avril 1999.

[15]            Le Conseil s'est opposé à la demande de production des documents et a informé la demanderesse de son opposition par lettre datée du 21 septembre 1999. Le Conseil s'est opposé à la demande pour les motifs suivants :

[traduction]

a)              Les documents désignés dans les paragraphes 1 et 2 susmentionnés ne sont pas pertinents compte tenu du principe posé dans le jugement Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Canada (Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés);

b)              En ce qui concerne le paragraphe 3 de la demande du Conseil, il n'existe pas de documents de la catégorie mentionnée;

c)              Aucun des documents demandés n'était devant le Conseil et HMRC n'avait pas demandé qu'ils lui soient soumis au soutien de la requête présentée au Conseil.

[16]            La demanderesse sollicite également le contrôle judiciaire de la décision sur la seconde partie de la requête dans le dossier no T-1671-00.

[17]            Dans la requête qu'elle a soumise à la protonotaire Aronovitch, la demanderesse réclamait une foule de documents se rapportant à la demande de contrôle judiciaire présentée dans le dossier T-1576-99. Toutefois, lors de l'instruction de la requête, les parties ont convenu que la demande de la demanderesse se limitait à la production du rapport du personnel.

[18]            Parmi les moyens invoqués pour justifier le contrôle de la décision du Conseil de refuser d'annuler l'avis d'audience en réponse à la demande du 2 septembre 1999, il y a lieu de mentionner les suivants :

[traduction]

La manière dont le Conseil s'y est pris suscite une crainte raisonnable de partialité de sa part ou, subsidiairement, de la part de son président, et cela parce que :

a.              le fonctionnement du Conseil permet un chevauchement illicite des fonctions d'enquête et des fonctions de décision de la part du personnel du Conseil et de la part de son président,

b.             le Conseil, par l'entremise de son personnel et de son président, est arrivé, avant de publier l'avis d'audience et lors de la publication de l'avis d'audience, à des conclusions qui donnent des raisons de craindre qu'il avait préjugé de l'issue de certaines questions devant être débattues à l'audience,

c.             le président, après examen des documents que lui avait soumis le personnel du Conseil, a publié l'avis d'audience, et nommé les membres du Conseil, dont le président lui-même, qui allaient former le comité d'enquête.

PREUVE PRÉSENTÉE À L'APPUI DE LA REQUÊTE SOUMISE AU CONSEIL

[19]            Lors de l'instruction de la requête qui a été soumise au Conseil au sujet de sa compétence et qui a donné lieu à la décision sur la première partie de la requête, la demanderesse a déposé en preuve deux lettres adressées par la demanderesse à la directrice de la Direction générale de la conformité et de l'application.

[20]            L'avis d'audience et des pièces à l'appui faisaient également partie de ce dossier.

[21]            La demanderesse n'a jamais, avant l'instruction de la première partie de la requête déclinatoire de compétence par le Conseil ou au cours de celle-ci, demandé que d'autres éléments de preuve ou documents - provenant du Conseil ou d'autres sources - soient versés au dossier pour être examinés lors de l'instruction de la requête. Par conséquent, les documents réclamés par la demanderesse dans la requête dont elle a saisi la protonotaire Aronovitch n'avaient pas été portés à la connaissance des membres du Conseil qui ont examiné la requête déclinatoire de compétence.

[22]            Ainsi qu'il est précisé dans la décision sur la première partie de la requête déclinatoire de compétence, la demanderesse avait fait valoir dans la première partie de sa requête que, parce qu'il était la seule personne qui avait pris connaissance du rapport du personnel avant la publication de l'avis d'audience, le président ne devait pas siéger au sein du groupe de membres du conseil appelés à statuer sur la requête. Toutefois, la demanderesse n'a pas demandé que le rapport du personnel et l'engagement de conformité volontaire - ou tout autre document - soient produits en vue d'être examinés par le Conseil en vue de trancher cette question.


[23]            Sur les quatre membres du Conseil qui ont rendu la décision visée par le présent contrôle judiciaire, trois n'avaient jamais vu ou examiné le rapport du personnel que réclame la demanderesse. De plus, le contenu du rapport du personnel ne faisait pas partie du dossier de la requête déclinatoire de compétence ou du raisonnement suivi dans la décision sur la première partie de la requête. Seul le président du Conseil a vu d'autres documents que ceux qui ont été versés au dossier de la requête, et le président a examiné le rapport du personnel et l'engagement de conformité volontaire dans le seul but limité dont il est question dans la décision sur la première partie de la requête avant la publication de l'avis d'audience.

LA DÉCISION À L'EXAMEN

[24]            Le 25 juin 2003, la demanderesse a saisi la protonotaire Aronovitch d'une requête visant à obtenir la production de documents en la possession du Conseil qui intéressaient sa demande de contrôle judiciaire.

[25]            Lors de l'instruction de la requête, les parties se sont accordées pour dire qu'aux fins de la requête, la demande de Hoechst se limiterait à la production du rapport du personnel du Conseil sur les prix excessifs qui avait été soumis au président avant la publication de l'avis d'audience.

[26]            Le 14 novembre 2003, la protonotaire Aronovitch a rendu une ordonnance par laquelle elle déboutait la demanderesse de sa requête en production des documents. Voici ce qu'elle a dit (au paragraphe 21) :

... je ne vois aucune raison d'élargir le sens évident des mots « le décideur les avait en sa possession au moment de la prise de décision » de sorte à augmenter artificiellement le dossier de l'office fédéral pour y inclure un document auquel le comité appelé à se prononcer, dont faisait partie le président, ne s'est pas référé ou qu'il n'a pas utilisé dans sa décision au fond.

[27]            La protonotaire a fondé sa conclusion sur le fait que le Conseil ne disposait pas du rapport du personnel au moment où le Conseil a pris sa décision. La protonotaire Aronovitch s'est également dite d'avis que, comme la question de la partialité avait été soulevée dès le début de l'instance, la demanderesse n'avait pas droit à la production du rapport du personnel pour établir le bien-fondé de ses arguments quant à la crainte de partialité. Elle a expliqué que la demanderesse aurait dû essayer d'obtenir la production forcée du rapport du personnel aux fins de l'audience dans le cadre de l'instance se déroulant devant les membres du Conseil saisis de la requête déclinatoire de compétence. Elle a expliqué ce qui suit (au paragraphe 39) :

... je suis d'avis que la production du rapport du personnel n'est pas nécessaire. Je relève encore une fois que Hoechst, après avoir soulevé l'argument d'une crainte de partialité pour contester la compétence du Conseil, notamment la crainte découlant de « la manière dont le Conseil s'y est pris pour rendre sa décision avant d'émettre l'avis d'audience » , n'a pas jugé nécessaire de forcer la communication du rapport du personnel dans la procédure introduite devant le comité qui a statué sur lesdites allégations. À mon avis, les motifs du Conseil ne donnent pas naissance à ce que Hoechst présente essentiellement comme un nouveau grief de partialité. Aspect plus important, la présumée partialité n'est pas celle d'un membre du tribunal dont la demanderesse cherche à faire annuler la décision dans la demande de contrôle judiciaire.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[28]            La Loi sur les brevets confère au Conseil certains pouvoirs et notamment, en vertu de l'article 83, le pouvoir d'enjoindre au breveté qui vend sur un marché canadien un médicament à un prix qu'il juge être excessif de baisser le prix de vente maximal du médicament dans ce marché au niveau qu'il précise de façon qu'il ne puisse pas être excessif (Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, art. 83).


QUESTIONS EN LITIGE

Voici, selon la demanderesse, les questions que soulève la présente requête en annulation de la décision rendue le 14 novembre 2003 par la protonotaire Aronovitch et en production de certains documents :

a.          Quelle est la norme de contrôle applicable dans le cas d'une ordonnance d'un protonotaire?

b.        La protonotaire Aronovitch a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a précisé les documents ou éléments matériels qui étaient pertinents à la demande qui se trouvaient en la possession de l'office fédéral au sens de l'article 317 des Règles?

c.          La protonotaire Aronovitch a-t-elle commis une erreur en concluant que le rapport du personnel n'était pas devant le Conseil lorsque celui-ci a rendu sa décision le 3 août 1999?

d.         La protonotaire Aronovitch a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse était tenue de réclamer la communication du rapport du personnel à l'audience se déroulant devant les membres du Conseil?

e.         La protonotaire Aronovitch a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n'avait pas droit à la communication du rapport du personnel pour démontrer que le Conseil avait fait preuve de partialité en publiant l'avis d'audience dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire?


ANALYSE                  

A.         Quelle est la norme de contrôle applicable dans le cas d'une ordonnance d'un protonotaire?

[1]                Le paragraphe 51(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) prévoit que l'ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à la Cour fédérale.

[2]                Une ordonnance d'un protonotaire comme celle dont il s'agit en l'espèce peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire par un juge de la Cour fédérale si elle est manifestement erronée en ce sens qu'elle est fondée sur un mauvais principe de droit ou sur une appréciation erronée des faits. Si le protonotaire a commis une erreur de droit qui l'a empêché d'exercer convenablement son pouvoir discrétionnaire, le juge des requêtes est justifié d'exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), à page 463).

B.         Portée de l'article 317 des Règles

[3]                La demanderesse affirme que la décision de la protonotaire Aronovitch était « manifestement erronée » à plusieurs égards au sens de l'arrêt Aqua-Gem, précité.


[4]                En tout premier lieu, la demanderesse soutient que la protonotaire Aronovitch a commis une erreur parce qu'elle a estimé que le rapport du personnel ne tombait pas sous le coup de l'article 317 des Règles étant donné que le Conseil ne s'était pas fondé sur ce document pour rendre sa décision du 3 août 1999.

[5]                La demanderesse affirme que le rapport du personnel intéresse la demande de contrôle judiciaire principale parce que celle-ci vise à mettre fin à la procédure qui a été introduite au moyen de l'avis d'audience en raison d'une crainte raisonnable de partialité de la part du Conseil, ou de son président, en ce sens que, par le biais de son personnel et de son président, le Conseil avait, avant la publication de l'avis d'audience et lors de la publication de celui-ci, tiré des conclusions qui donnaient des raisons de craindre qu'il avait préjugé de l'issue de certaines des questions qui devaient être débattues à l'audience.

[6]                Suivant la demanderesse, il est de jurisprudence constante qu'en cas de contrôle judiciaire, les documents qui peuvent s'avérer pertinents ne se bornent pas à ceux dont disposait l'office fédéral qui a rendu la décision ou sur lesquels celui-ci s'est fondé pour rendre sa décision, surtout lorsqu'il y a chevauchement des fonctions d'enquête et des fonctions de décision de l'office fédéral en question. À cet égard, la demanderesse cite les jugements suivants :

1185740 Ontario Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), (1999), 247 N.R. 287 (C.F. 1re inst.), à la page 289

Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), (1997), 130 F.T.R. 206 (C.F. 1re inst.)

Hiebert c. Canada (Services correctionnels), (1999), 182 F.T.R. 18 (C.F. 1re inst.)

Association Pauktuutit des femmes inuit c. Canada (2003), 229 F.T.R. 25 (C.F. 1re inst.)


Canadian Arctic Resources Committee Inc. c. Diavik Diamond Mines Inc., (2000), 183 F.T.R. 267 (C.F. 1re inst.).

[7]                Voici comment la protonotaire Aronovitch a traité cette question dans sa décision :

15. Quels sont les documents qui sont jugés pertinents pour les fins qui nous concernent? Dans l'arrêt Pathak c. Commission canadienne des droits de la personne (1995), 180 N.R. 152, au paragraphe 1 (C.A.F.), la Cour disait qu'un document intéresse une demande de contrôle judiciaire « s'il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande » . Le point de savoir si un document a été examiné ou utilisé par un office fédéral n'est pas le facteur à prendre en compte à cette fin, d'affirmer la demanderesse. S'appuyant principalement sur le jugement Friends of the West Country Assoc. c. Ministre des Pêches et des Océans (1997), 130 F.T.R. 206, au paragraphe 28 (C.F. 1re inst.) (le jugement Friends of the West), Hoechst soutient que les documents qui sont pertinents sont ceux qui se rapportent aux moyens avancés dans l'acte introductif d'instance.

[16] Le jugement Friends of the West ne constitue pas cependant le point de vue prédominant et il est appliqué d'une manière étroite (Hiebert c. Canada (Service correctionnel), [1999] A.C.F. no 1957 (QL)) (le jugement Hiebert). Le juge Pelletier fait observer en effet dans le jugement Hiebert que la majorité des précédents qui traitent de la production de documents dans les demandes de contrôle judiciaire donnent à entendre que seuls les documents qui se trouvaient devant le décideur sont susceptibles de communication. Puis il conclut ainsi :

La Cour d'appel fédérale a, dans l'arrêt 1185740 c. Canada (Ministre du Revenu national) (1998), 150 F.T.R. 60, confirmé le point de vue adopté par le juge Nadon. Je conclus, par conséquent, que l'on ne peut ordonner la production des documents que si le décideur les avait en sa possession au moment de la prise de décision (au paragraphe 10).

[8]                Suivant la demanderesse, la protonotaire Aronovitch a commis une erreur manifeste en retenant cette approche et en écartant la thèse défendue par la demanderesse au sujet de la pertinence. L'erreur de la protonotaire Aronovitch aurait été, selon la demanderesse, de ne pas comprendre l'objet de la demande de contrôle judiciaire et, notamment, de ne pas avoir traité des conclusions en prohibition articulées dans sa demande. Suivant la demanderesse, cette erreur ressort manifestement des paragraphes 21 et 38 de la décision de la protonotaire :


21. S'agissant de la décision qui est contestée dans la demande de contrôle judiciaire, cette décision concerne la conclusion du Conseil relative à sa compétence. Plus précisément, le point est de savoir si le Conseil avait ou non compétence pour enquêter sur le prix du Nicoderm, eu égard aux présumées violations des règles de la justice naturelle, notamment celles qui ont déjà été examinées. Eu égard aux circonstances, je ne vois aucune raison d'élargir le sens évident des mots « le décideur les avait en sa possession au moment de la prise de décision » de sorte à augmenter artificiellement le dossier de l'office fédéral pour y inclure un document auquel le comité appelé à se prononcer, dont faisait partie le président, ne s'est pas référé ou qu'il n'a pas utilisé dans sa décision au fond.

[..]

38. La crainte de partialité à laquelle, selon la demanderesse, donnent lieu les motifs du Conseil concerne la décision du président d'ordonner la tenue d'une audience, décision qui conduit alors à la publication d'un avis d'audience. Ce qui est contesté dans la demande de contrôle judiciaire, ce n'est pas le point de vue ou l'opinion du président conduisant à l'émission de l'avis d'audience. Le décideur en cause est le comité qui a statué sur l'exception d'incompétence et dont il est admis que le président était membre. La décision contestée est la décision au fond à laquelle est arrivé ce comité.

[9]                La demanderesse explique que les conclusions en prohibition qu'elle articule dans sa demande de contrôle judiciaire ne sont pas tributaires de la décision rendue le 3 août 1999 par le Conseil au sujet de la compétence. En d'autres termes, les allégations relatives à la crainte raisonnable de partialité dont le président aurait fait preuve n'ont aucun rapport avec la décision rendue par le Conseil, et la protonotaire Aronovitch a retenu une conception beaucoup trop étroite en ce qui concerne la demande de contrôle judiciaire principale, ce qui l'a amenée à se tromper sur la question de la pertinence.


[10]            Les distinctions que la demanderesse cherche à établir au sujet de la portée de la demande de contrôle judiciaire semblent contredire sa propre demande. La demande de contrôle judiciaire du 2 septembre 1999 est en effet ainsi libellée : « IL S'AGIT D'UNE DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE de la décision rendue par le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés (le Conseil) le 3 août 1999 [...] » .

[11]            On ne saurait donc guère reprocher à la protonotaire Aronovitch de se fier aux documents mêmes de la demanderesse pour conclure que « le décideur en cause est le comité qui a statué sur l'exception d'incompétence et dont il est admis que le président était membre. La décision contestée est la décision au fond à laquelle est arrivé ce comité » . Il s'agit de la décision du 3 août 1999.

[12]            Mais la demanderesse cherche à élargir la portée de sa demande de contrôle judiciaire de façon à pouvoir dire que la protonotaire Aronovitch n'a pas tenu compte des conclusions en prohibition articulées dans sa demande de contrôle judiciaire.

[13]            La protonotaire Aronovitch explique ce qui suit dans sa décision :

19. Si je comprends bien l'argument de Hoechst, cet argument se rapporte à la fois à la délivrance de l'avis d'audience et à la décision du comité sur l'exception d'incompétence. Comme on peut le voir d'emblée, bien que l'avis d'audience soit émis à l'instigation du président, c'est le Conseil qui l'émet. Hoechst soutient que, puisque le président avait connaissance du rapport, on peut dire que le Conseil avait le rapport à sa disposition lorsqu'il a émis l'avis d'audience et, de même, bien que le rapport ne fît pas partie du dossier qui se trouvait devant le Conseil, on peut également affirmer que le rapport se trouvait devant le comité lorsque celui-ci a statué sur les oppositions de Hoechst à l'encontre de sa compétence.


[14]            La protonotaire Aronovitch précise bien que, sauf erreur, « la crainte de partialité à laquelle, selon la demanderesse, donnent lieu les motifs du Conseil concerne la décision du président de convoquer une audience, décision qui conduit alors à l'émission d'un avis d'audience » . Ce à quoi elle répond : « [Ce] qui est contesté dans la demande de contrôle judiciaire, ce n'est pas le point de vue ou l'opinion du président conduisant à l'émission de l'avis d'audience » .

[15]            Évidemment, la demanderesse affirme qu'elle n'attaque pas la décision du président d'ordonner la tenue d'une audience. Il s'agit là d'une décision distincte qui n'est pas mentionnée dans la demande de contrôle judiciaire principale, laquelle fait seulement mention de la décision rendue le 3 août 1999 par le Conseil.

[16]            Voilà pourquoi, selon moi, la demanderesse en est maintenant réduite à prétendre que la protonotaire Aronovitch n'a pas tenu compte des conclusions en prohibition articulées dans sa demande de contrôle judiciaire et à soutenir que la réparation que constitue la prohibition n'exige pas le prononcé d'une décision.

[17]            À mon avis, il s'agit là d'un argument indéfendable que la demanderesse est forcée d'invoquer en raison de la stratégie qu'elle a suivie en l'espèce. Or, le dossier ne lui permet pas de faire valoir un tel argument.

[18]            Tout d'abord, la demande de contrôle judiciaire précise bien qu'elle vise la décision rendue le 3 août 1999 par le Conseil. Voici les principales réparations sollicitées dans cette demande :

[traduction]

LA DEMANDERESSE SOLLICITE LES MESURES SUIVANTES :

1.              En vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée, une ordonnance sursoyant à la procédure entamée par suite de la publication de l'avis d'audience par le Conseil jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été rendue au sujet de la présente demande;

2.              En vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée, une ordonnance annulant la décision rendue par le Conseil le 3 août 1999;

3.              En vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée, une ordonnance interdisant au Conseil de tenir l'audience visée par l'avis d'audience publié par le Conseil le 20 avril 1999 ou, à titre subsidiaire, annulant toute décision que pourra rendre le Conseil par suite de cette audience.

[19]            La demande de contrôle judiciaire est entièrement axée sur la décision que le Conseil a rendue le 3 août 1999 et, en particulier, sur le refus du Conseil d'accéder à la demande de la demanderesse d'annuler l'avis d'audience. Le Conseil aborde la question du parti pris dans sa décision sur la requête déclinatoire de compétence :

3.              Le Président qui après avoir lu le rapport du personnel du Conseil et l'engagement de conformité volontaire a décidé de tenir une audience publique ne devrait pas siéger au sein du panel de membres du Conseil qui entendra la cause


Comme nous l'avons mentionné précédemment, le Président prend connaissance du rapport du personnel du Conseil dans l'unique but de déterminer s'il est dans l'intérêt public d'ordonner la tenue d'une audience publique. Dans le cours de son évaluation, le Président tente de voir si les allégations formulées par le personnel du Conseil, dans l'éventualité où elles seraient fondées, confirmeront à première vue un cas de prix excessifs par un breveté qui relève de la compétence du Conseil. Le Président n'effectue toutefois aucune analyse qui l'amènerait à conclure si les faits invoqués sont ou seront confirmés. Ainsi, le fait que le Président ordonne la tenue d'une audience publique après avoir pris connaissance de l'engagement de conformité volontaire du breveté ne nous permet pas de conclure à une prédétermination du bien-fondé de la cause.

Considérant le rôle du Président à titre de chef de la direction, la structure et le mode de fonctionnement du Conseil ainsi que son mandat de tribunal expert qui conçoit et applique les politiques pertinentes, le Conseil estime qu'il est à la fois utile et approprié que son Président participe aux audiences publiques. Considérant l'objet limité de l'examen du rapport du personnel du Conseil et de l'engagement de conformité volontaire, le Conseil estime qu'il n'y a pas lieu de craindre que le Président fasse preuve de partialité lorsqu'il siège au sein du panel dans le cadre des audiences publiques.

[20]            La demande de prohibition contenue au paragraphe 3 de la demande de contrôle judiciaire renvoie manifestement à la demande d'annulation de la décision du Conseil et au principal grief adressé au Conseil, en l'occurrence d'avoir « refusé d'annuler l'avis d'audience du 20 avril 1999 » .

[21]            Rien dans la décision de la protonotaire Aronovitch ne permet de penser qu'elle n'a pas tenu compte des conclusions en prohibition articulées dans la demande de contrôle judiciaire principale. Le Conseil a explicitement abordé les allégations relatives à la crainte de partialité dans sa décision du 3 août 1999 et la Cour les abordera lorsqu'elle statuera sur la demande de contrôle judiciaire.

[22]            L'allégation de crainte raisonnable de partialité faisait effectivement partie de l'avis de requête que la demanderesse a soumis au Conseil lorsqu'elle a demandé l'annulation de l'avis d'audience :


[traduction]

6. Le Conseil n'a pas compétence pour faire enquête sur le prix réclamé par l'intimée pour le Nicorderm, étant donné qu'il existe un présumé chevauchement des fonctions du Conseil, à savoir les fonctions d'enquêteur, de poursuivant et d'arbitre, qui donne raisonnablement lieu de craindre à un parti pris contre l'intimée qui ne peut être excusé en droit et qui va à l'encontre des principes de justice fondamentale et de la Déclaration canadienne des droits.

7. Le Conseil n'a pas compétence en l'espèce car l'avis d'audience a été publié en violation des principes de justice naturelle et de l'équité procédurale. La manière dont le Conseil s'y est pris en tirant des conclusions avant de publier son avis d'audience suscite une crainte raisonnable de partialité et permet de conclure que le Conseil a refusé d'accorder à l'intimée une possibilité raisonnable d'être entendue.

[23]            La façon dont le Conseil s'y est pris et dont, selon la demanderesse, la protonotaire Aronovitch n'a pas tenu compte, représentait un aspect important de la requête déclinatoire de compétence et de la décision rendue par le Conseil au sujet de la compétence.

[24]            Lorsqu'elle a abordé ces questions devant le Conseil, la demanderesse n'a pas cherché à verser le rapport du personnel au dossier. La demanderesse affirme maintenant que sa demande de contrôle de la décision rendue par le Conseil le 3 août 1999 exige que le rapport du personnel soit versé au dossier.

[25]            Autoriser cette mesure permettrait à la demanderesse d'invoquer dans le cadre du contrôle judiciaire des moyens différents de ceux qu'elle a plaidés devant le Conseil alors qu'aucune question de parti pris différente de celles qui avaient été portées à la connaissance du Conseil n'a été soulevée.

[26]            Voilà pourquoi, en l'espèce, la protonotaire Aronovitch a refusé d'appliquer le jugement Friends of the West Country Assoc. c. Ministre des Pêches et Océans, (1997), 130 F.T.R. 206, et a estimé que les balises proposées par le juge Pelletier dans le jugement Hiebert c. Canada (Services correctionnels), [1999] A.C.F. no 1957 (C.F. 1re inst.) constituaient une solution plus appropriée. Si elle s'était déterminée différemment, la protonotaire aurait, vu les faits de l'espèce, permis à la demanderesse de plaider à l'étape du contrôle judiciaire les mêmes questions que celles qu'elle a soulevées devant l'office fédéral, en se fondant toutefois sur un dossier différent.

[27]            À mon avis, la protonotaire Aronovitch était parfaitement consciente des arguments soulevés par la demanderesse, y compris des conclusions en prohibition articulées dans la demande principale, et elle a correctement appliqué le droit. Le rapport du personnel n'était pas un document « pertinent à la demande » au sens de l'article 317 des Règles.

C.         Le rapport du personnel était-il devant le Conseil lorsque celui-ci a rendu sa décision le 3 août 1999?


[28]            La demanderesse affirme que la protonotaire Aronovitch a commis une erreur manifeste en concluant que le Conseil n'avait pas en mains le rapport du personnel lorsqu'il a rendu sa décision du 3 août 1999. La demanderesse soutient essentiellement que, pour l'application de l'article 317 des Règles, il n'est pas nécessaire, pour être considéré comme un document pertinent en la possession de l'office fédéral, qu'un document ait été versé au dossier officiel. Or, comme le président l'avait en mains, le rapport du personnel doit être considéré comme ayant été soumis au Conseil, puisque c'est le président qui présidait l'audience du Conseil.

[29]            Je répète que cet argument me semble peu crédible. Si la demanderesse avait réellement cru que le dossier du personnel avait été porté à la connaissance du Conseil et qu'elle avait estimé que le contenu de ce rapport était important pour sa cause, comment expliquer qu'elle n'a pas demandé de le consulter pour étayer sa thèse devant le Conseil.

[30]            Quant à la question de savoir si le Conseil avait en mains le rapport du personnel parce que son président était au courant de son existence, la protonotaire Aronovitch a examiné les fonctions et le rôle conférés respectivement par la Loi au président, au Conseil et au personnel et elle a conclu que le « rapport lui-même n'a pas été utilisé comme élément de preuve devant le comité du Conseil » . La protonotaire en a de toute évidence déduit, dans sa décision, que le fait que le président était au courant du rapport du personnel en sa qualité de président ne faisait pas en sorte, en raison du rôle joué respectivement par le président, le Conseil et le personnel, que le Conseil était réputé être au courant de ce document lors de l'examen, par un comité de membres du Conseil, de la requête déclinatoire de compétence présentée par la demanderesse. La connaissance du rapport du personnel par le président ne prouve pas que ce rapport ou son contenu avaient été portés à la connaissance du comité du Conseil chargé d'examiner la requête déclinatoire de compétence. En fait, la décision rendue le 3 août 1999 par le Conseil suggère exactement le contraire, lorsqu'elle évoque le rôle respectif des intéressés.


[31]            L'avis d'audience soumis au comité du Conseil renfermait les allégations du personnel du Conseil concernant les brevets associés au Nicoderm ainsi que les prix actuels et antérieurs du Nicoderm. Le Conseil explique la situation dans les extraits suivants de sa décision du 3 août 1999 :

Même si la Loi ne l'oblige pas à le faire, le Conseil a adopté des procédures qui distinguent nettement ses fonctions juridictionnelles de ses fonctions de contrôle et d'enquête [...]

[...]

Avant la tenue de l'audience, aucun membre du Conseil n'est impliqué dans l'enquête menée par le personnel quant aux allégations de prix excessifs d'un médicament, ni informé des résultats de cette enquête, sauf le Président du Conseil dans le cadre de ses fonctions de gestionnaire à titre de chef de la direction, tel qu'énoncé ci-dessous. Les membres du Conseil ne sont informés qu'au moment de l'émission de l'Avis d'audience et ne sont saisis des éléments de preuve fournis par le personnel qu'au cours de l'audience publique.

Lorsque le personnel du Conseil remet son rapport au Président concernant un cas de prix excessifs, le Président, à titre de chef de la direction du Conseil, prend connaissance du rapport dans le seul but de déterminer si une audience publique servira l'intérêt public. Le Président du Conseil doit alors évaluer, entre autres, si les allégations formulées par le personnel du Conseil, dans l'éventualité où elles seraient fondées, permettront d'établir prima facie si des prix excessifs ont été demandés par le breveté qui relève de la compétence du Conseil. Dans un tel contexte, le Président joue un rôle de cadre supérieur du Conseil qui dirige ses activités et voit à ce que les audiences publiques soient tenues, et ce exclusivement, dans les cas opportuns. Son rôle n'est pas décisionnel et il n'effectue aucune analyse à savoir si les faits allégués par le personnel du Conseil sont ou seront prouvés.

Si le Président du Conseil arrive à la conclusion qu'il est dans l'intérêt public de tenir une audience, le Conseil émet alors un Avis d'audience et le Président constitue un panel de membres qui présideront l'audience. Au cours de l'audience, le personnel du Conseil fait valoir ses arguments voulant que le prix d'un médicament breveté qui relève de la compétence du Conseil soit excessif tandis que le breveté tente d'infirmer telle allégation. Le panel de membres du Conseil entend la preuve et rend sa décision. Tout au cours du processus de l'audience, le panel est assisté par son propre avocat.

[...]

La nature « concluante » des allégations du personnel du Conseil suite à son enquête sur le prix du Nicoderm


HMRC reproche à la directrice - Conformité et Application d'avoir formulé des « conclusions » sur les questions devant être soumises à la décision du Conseil dans la communication des observations du personnel du Conseil concernant le prix du Nicoderm. HMRC soulève cette question comme si elle devait s'ajouter à la plainte générale concernant le chevauchement des fonctions du Conseil, bien que le Conseil considère que cette question découle de la plainte générale.

Les conclusions formulées dans la correspondance adressée à HRMC pour l'informer d'abord des résultats préliminaires et ensuite des résultats définitifs de l'enquête sur le prix du Nicoderm étaient celles de la Directrice de la Conformité, qui fait partie du personnel du Conseil. Ces résultats sont résumés dans l'Avis d'audience à titre d'allégations du personnel du Conseil que le Conseil devra considérer dans le cours de l'audience.

Le Conseil ne voit rien d'irrégulier à ce que le personnel du Conseil présente les résultats de son enquête sous forme de conclusions. Le personnel du Conseil a effectué une enquête dans le but bien précis de déterminer s'il se trouve à première vue devant un cas de prix excessifs par un breveté qui relève de la compétence du Conseil. Dans sa lettre, la directrice - Conformité et Application informait HMRC des résultats de l'enquête effectuée par le personnel du Conseil et avisait officiellement HMRC que son cas serait porté à la connaissance du Président afin qu'il détermine s'il y a lieu d'émettre un Avis d'audience.

Les résultats de l'enquête du personnel du Conseil auraient pu être formulés dans des termes tels que « Le personnel du Conseil estime que les faits présentés en preuve à l'audience tenue sur ce cas permettront de conclure que ... » , mais telle formulation est implicite considérant le fonctionnement du Conseil et le contexte dans lequel ces énoncés ont été formulés. Cette lettre visait simplement à informer HMRC des conclusions de l'enquête et il était tout à fait approprié que ces conclusions soient formulées en termes non ambigus afin que HMRC puisse y répliquer en toute connaissance de cause.

Le test [sic] utilisé pour déterminer s'il y a risque raisonnable de partialité est le suivant :

« À quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique? »

Comme nous l'avons vu, étant donné que les conclusions n'ont pas été tirées par le panel du Conseil appelé à trancher la question, mais plutôt par le personnel du Conseil, il n'existe pas de l'avis du Conseil un risque de partialité.

[...]

Le Président qui après avoir lu le rapport du personnel du Conseil et l'engagement de conformité volontaire a décidé de tenir une audience publique ne devrait pas siéger au sein du panel de membres du Conseil qui entendra la cause


Comme nous l'avons mentionné précédemment, le Président prend connaissance du rapport du personnel du Conseil dans l'unique but de déterminer s'il est dans l'intérêt public d'ordonner la tenue d'une audience publique. Dans le cours de son évaluation, le Président tente de voir si les allégations formulées par le personnel du Conseil, dans l'éventualité où elles seraient fondées, confirmeront à première vue un cas de prix excessifs par un breveté qui relève de la compétence du Conseil. Le Président n'effectue toutefois aucune analyse qui l'amènerait à conclure si les faits invoqués sont ou seront confirmés. Ainsi, le fait que le Président ordonne la tenue d'une audience publique après avoir pris connaissance de l'engagement de conformité volontaire du breveté ne nous permet pas de conclure à une prédétermination du bien-fondé de la cause.

Considérant le rôle du Président à titre de chef de la direction, la structure et le mode de fonctionnement du Conseil ainsi que son mandat de tribunal expert qui conçoit et applique les politiques pertinentes, le Conseil estime qu'il est à la fois utile et approprié que son Président participe aux audiences publiques. Considérant l'objet limité de l'examen du rapport du personnel du Conseil et de l'engagement de conformité volontaire, le Conseil estime qu'il n'y a pas lieu de craindre que le Président fasse preuve de partialité lorsqu'il siège au sein du panel dans le cadre des audiences publiques.

[32]            Rien dans cette décision ne permet de savoir si le Conseil a examiné le rapport du personnel avant de rendre sa décision ou s'il était nécessaire qu'il en prenne connaissance. Les membres du Conseil saisis de l'affaire se montrent par ailleurs bien au courant du rôle du président et de la nature de la décision qu'il est appelé à prendre lorsqu'il décide de publier un avis d'audience. Hormis les allégations formulées dans l'avis d'audience, le contenu du rapport du personnel n'était d'aucune utilité pour les membres du Comité qui étaient appelés à se prononcer sur la question de la compétence. C'est la raison pour laquelle la protonotaire Aronovitch a conclu que le rapport du personnel « n'a pas été utilisé comme élément de preuve devant le comité du Conseil » .


[33]            La demanderesse cherche à ébranler cette conclusion en faisant valoir que la protonotaire Aronovitch va trop loin en affirmant que « la loi habilitante précise clairement que le président et le Conseil ont chacun leurs fonctions propres » . Ainsi que le comité du Conseil le souligne dans la décision du 3 août 1999, c'est le Conseil qui a mis en place un système qui assure la séparation des fonctions et procure les garanties nécessaires. Il n'en demeure pas moins que ce système existe et que, comme le comité du Conseil le précise bien dans sa décision, le contenu du rapport du personnel n'a joué aucun rôle dans cette décision et il ne faisait pas partie des débats. Et, je le répète, il n'y a rien dans la décision du 3 août 1999 ou dans le dossier qui permette de penser que la demanderesse ait jamais soulevé devant le comité la question du contenu du rapport du personnel.

[34]            La protonotaire Aronovitch n'a à mon avis commis aucune erreur à cet égard.

D.         Communication du rapport du personnel à l'audience du Conseil

[35]            Voici comment la protonotaire Aronovitch aborde cette question dans sa décision :

Comme le fait observer le Conseil, la présente affaire peut se distinguer des précédents cités, car ici la question de la partialité a été soulevée par Hoechst dès le départ. Les griefs du contrôle judiciaire qui concernent une crainte de partialité ne sont pas sensiblement différents des moyens plaidés devant le Conseil à propos de sa compétence. Dans ces conditions, si la demanderesse avait eu besoin du rapport du personnel pour plaider la crainte de partialité, il lui incombait de tenter de forcer la production de ce rapport aux fins de l'audience tenue devant le comité qui examinait ces allégations elles-mêmes.

[36]            La demanderesse conteste cette conclusion en faisant valoir ce qui suit :


1.          Si la demanderesse avait exigé la production du rapport du personnel aux fins de l'audience devant le comité chargé d'examiner les allégations de crainte de partialité, tous les membres de ce comité auraient été mis au courant du rapport du personnel, ce qui aurait empêché un examen au fond par les membres « non contaminés » par un rapport suscitant une crainte raisonnable de partialité (en supposant que les allégations de la demanderesse soient bien fondées);

2.          La protonotaire Aronovitch a commis une erreur en établissant entre la présence espèce et l'affaire Beno c. Canada (Commissaire et président de la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie - Commission Létourneau), [1996] A.C.F. no 1129 (QL), [1996] A.C.F. no 1493 (QL) (C.A.F.) une distinction fondée sur le fait que la question de la partialité n'avait pas été soulevée dès le départ dans l'affaire Beno alors qu'en fait, c'était le contraire;

3.          La protonotaire Aronovitch a commis une erreur en se fondant sur la décision du juge Gibson dans l'affaire Société canadienne des postes c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1999] A.C.F. 356 (1re inst.), dans laquelle il n'y avait pas d'allégations de parti pris analogues à celles qu'a formulées la demanderesse en l'espèce et dans laquelle, le juge Gibson n'a été renvoyé ni aux déclarations de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Beno, précité, ni à la décision de la juge Reed dans l'affaire Majeed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 68 F.T.R. 75 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 3.

[37]            Selon les observations écrites de la demanderesse, la présumée crainte de partialité dont il est question en l'espèce tient au fait que « le Conseil, par l'entremise de son personnel et de son président, est arrivé, avant de publier l'avis d'audience, et au moment de la publication de l'avis d'audience, à des conclusions » qui suscitent une crainte raisonnable de partialité. La demanderesse affirme que le rapport du personnel a trait à cette question et qu'il devrait être produit.


[38]            Il n'y a cependant pas d'allégation de partialité en ce qui concerne la décision que le Conseil a rendue le 3 août 1999 et qui, selon les propres documents de la demanderesse, fait l'objet de sa demande de contrôle judiciaire. Il y a lieu de signaler que la contestation du rôle du président, peu importe le qualificatif qu'on lui donne, était une question qui était soumise au Conseil et qui est abordée dans la décision du 3 août 1999. La demanderesse a entrepris de contester cette décision par voie de contrôle judiciaire et prétend qu'elle n'attaque pas la décision du président de publier l'avis d'audience mais qu'elle s'inquiète plutôt du fait que « le Conseil, par l'entremise de son personnel et de son président, est arrivé [...] à des conclusions qui « suscitent une crainte raisonnable de partialité » . Lorsqu'elle parle du fait que le Conseil agissait « par l'entremise de son président » , la demanderesse songe à sa décision de publier l'avis d'audience. La demanderesse, à ce qu'il me semble, est simplement en désaccord avec les conclusions formulées par le Conseil dans sa décision du 3 août 1999 au sujet du rôle distinct et spécifique joué respectivement par les membres du Conseil et par le président lorsque ce dernier agit en sa qualité de dirigeant. Il s'agit là d'un argument qui sera examiné lors du contrôle judiciaire. Nous ne sommes pas en présence d'une allégation de partialité distincte qui, selon la jurisprudence, donnerait à la demanderesse le droit de compléter le dossier. Et c'est la raison pour laquelle, à mon avis, la protonotaire Aronovitch a rejeté les arguments de la demanderesse et a invoqué les précédents qu'elle a cités.

[39]            C'est aussi la raison pour laquelle, selon moi, elle laisse entendre que si le rapport du personnel intéresse la question de la crainte de partialité, la demanderesse aurait dû essayer de le verser au dossier de la requête dont elle a saisi le Conseil. L'allégation de partialité qui sera soulevée lors du contrôle judiciaire est exactement la même que celle qui a été formulée devant le Conseil et que le Conseil a examinée.


[40]            Je trouve peu convaincante l'explication de la demanderesse suivant laquelle elle n'a pas cherché à verser le rapport du personnel au dossier soumis au Conseil parce que cette façon de procéder aurait « contaminé » tous les membres du comité du Conseil et aurait empêché un examen au fond. Si l'on en croit ses explications, la demanderesse aurait fait passer l'intégrité du processus de la requête devant ses intérêts personnels et il serait impossible d'aborder les questions relatives à la contamination. Si la demanderesse a effectivement choisi de protéger les membres du comité, elle a pris une décision de stratégie avec laquelle il lui faut maintenant composer. Si la demanderesse avait réclamé le rapport du personnel à ce moment-là, toutes les difficultés auraient été abordées avant la décision rendue par le Conseil le 3 août 1999 ou lors de celle-ci. La demanderesse ne peut maintenant prétendre que, comme elle a décidé de ne pas traiter du rapport du personnel à l'étape de l'examen par l'office fédéral, elle devrait pouvoir en traiter à l'étape du contrôle judiciaire. Il ressort selon moi de la décision de la protonotaire Aronovitch que celle-ci était bien au courant des questions que la demanderesse avait soulevées à cet égard et qu'elle les a examinées en conformité avec la jurisprudence dominante.

[41]            Je ne suis pas convaincu que la décision de la protonotaire Aronovitch était manifestement erronée sur cette question.

D.         La demanderesse avait droit à la communication du rapport du personnel pour pouvoir démontrer que le Conseil avait fait preuve de partialité en publiant l'avis d'audience.

[42]            La demanderesse affirme que, même si le rapport du personnel n'avait pas été porté à l'attention du Conseil, elle a droit à la production de ce document pour démontrer le bien-fondé de ses allégations de crainte raisonnable de partialité de la part du Conseil ou de son président.


[43]            Les observations incidentes que la Cour d'appel fédérale a formulées à la note 1 dans l'arrêt Beno, précité, et sur lesquelles la demanderesse table si fortement pour affirmer que « dans une demande de contrôle judiciaire et de prohibition fondée sur une crainte raisonnable de partialité concernant un membre d'un tribunal administratif, le demandeur a toujours le droit de produire, au soutien de sa demande, tout élément de preuve tendant à montrer la présumée partialité » ne visait pas, selon moi, à étayer la thèse de la demanderesse dans la présente affaire où, après avoir saisi le Conseil d'une requête dans laquelle elle décline la compétence du Conseil et évoque la possibilité d'un parti pris de la part du président, et après avoir constitué le dossier nécessaire pour étayer cette requête, la demanderesse pourrait ensuite tenter de modifier le dossier dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire qui ne soulève aucune autre question de partialité.

[44]            Je répète qu'il n'y a rien, dans les éléments dont je dispose, qui me convainc que la protonotaire Aronovitch a eu tort de conclure que « le rapport lui-même n'a pas été utilisé comme élément de preuve devant le comité du Conseil » et que la demanderesse n'a pas établi « l'intérêt du rapport pour une présumée partialité du décideur concerné » .

Dispositif

[45]            La demanderesse ne m'a pas convaincu que la décision de la protonotaire Aronovitch était manifestement erronée au sens des principes posés dans l'arrêt Aqua-Gem, précité. En conséquence, la présente requête doit être rejetée.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La requête est rejetée.

2.          Le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés a droit aux dépens de la présente requête, qui seront payables sans délai, indépendamment de l'issue de la cause.

          « James Russell »         

                   Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1576-99

INTITULÉ :               HOECHST MARION ROUSSEL CANADA INC.

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

CONSEIL D'EXAMEN DU PRIX DES MÉDICAMENTS BREVETÉS (intervenant)

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 11 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 31 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Martin Mason                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Andrew Hayes                                                 

Gordon Cameron                                              POUR L'INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.                                    POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Blake, Cassels & Graydon s.r.l.                                     POUR L'INTERVENANT

Ottawa (Ontario)


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