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Date : 20040903

Dossier : IMM-7485-03

Référence : 2004 CF 1217

Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                                                IRURA MOUISSI

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La demande d'asile d'Irura Mouissi a été rejetée par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié parce que la Commission a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve convaincants pour étayer la prétention de Mme Mouissi qu'elle était une activiste politique en République du Congo, ou qu'elle était ciblée relativement à ces activités. De la même façon, la Commission a rejeté sa prétention qu'elle a été emprisonnée et qu'elle a subi des agressions physiques et sexuelles aux mains des forces gouvernementales.

[2]                Mme Mouissi cherche à faire annuler la décision de la Commission, affirmant que la Commission a ignoré et mal interprété les éléments de preuve dont elle disposait et que, par conséquent, ses conclusions sur la crédibilité étaient manifestement déraisonnables.

Les allégations de madame Mouissi

[3]                Mme Mouissi est une citoyenne du Congo. Elle prétend avoir une crainte fondée de persécution en raison de ses opinions politiques, du fait de son appartenance dans le Mouvement congolais pour la démocratie et le développement intégral (MCDDI).

[4]                Mme Mouissi dit s'être jointe au MCDDI en 1995, alors qu'elle était étudiante. En 1999, lors d'une réunion politique tenue à Brazzaville, Mme Mouissi a été arrêtée par les forces gouvernementales. Elle dit avoir été détenue pendant une journée, au cours de laquelle elle a été interrogée et battue. Elle a ensuite été relâchée.

[5]                Mme Mouissi dit qu'elle a été arrêtée à nouveau en mars 2000, après avoir distribué, avec cinq autres membres du MCDDI, des pamphlets dans lesquels on accusait le président congolais Sassou-Nguesso d'être un criminel. La police aurait dispersé la foule à l'aide de gaz lacrymogène, et Mme Mouissi a été arrêtée et détenue pour une semaine. Mme Mouissi dit qu'au moment de cet incident, elle était enceinte de quatre mois et qu'à cause des mauvais traitements qu'elle a subis elle a fait une fausse couche.

[6]                Mme Mouissi dit qu'elle a participé à une manifestation à Brazzaville le 25 novembre 2000. Le but de la manifestation était de dénoncer les arrestations arbitraires, les disparitions et l'exécution de membres du MCDDI aux mains du régime Sassou-Nguesso. Mme Mouissi dit avoir été arrêtée avec une trentaine d'autres personnes. Cette fois, Mme Mouissi dit avoir été emprisonnée pendant plus de quatre semaines. Pendant son incarcération, elle a subi des agressions physiques et sexuelles.

[7]                Après sa libération de prison le 31 décembre 2000, et après avoir discuté de l'affaire avec un collègue, Mme Mouissi a décidé de dévoiler publiquement le récit des viols dont elle avait été victime. Elle a dit avoir agi ainsi dans le but d'attirer l'attention sur le traitement réservé aux femmes dans les prisons congolaises. Puisque ce geste a eu pour effet d'attirer davantage l'attention négative des autorités, le mari de Mme Mouissi a pris des mesures pour qu'elle puisse s'enfuir du Congo. Elle s'est rendue au États-Unis, puis au Canada, où elle a présenté sa demande d'asile.

La décision de la Commission


[8]                C'est uniquement sur ses conclusions sur la crédibilité que la Commission s'est appuyée pour conclure que Mme Mouissi n'était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. La Commission a conclu que la preuve documentaire n'étayait pas les allégations de Mme Mouissi que les membres du MCDDI faisaient l'objet de persécution. La Commission a aussi tiré un certain nombre de conclusions défavorables sur la crédibilité relativement à d'autres éléments de son témoignage.

[9]                Par exemple, Mme Mouissi a prétendu qu'elle avait été incapable de compléter ses études universitaires en raison de son activisme politique. Toutefois, la Commission a conclu que la demanderesse avait un peu de difficulté à expliquer jusqu'où elle s'était rendue dans ses études, et quels cours elle avait suivis à l'université. À un certain moment, on a constaté que Mme Mouissi avait dit qu'elle n'avait pas fait ses examens universitaires au cours de l'année académique 1999/2000. Toutefois, elle a affirmé par la suite avoir échoué ces examens.

[10]            Même si elle prétendait avoir été très active politiquement, la Commission a conclu que la demanderesse paraissait ne pas être au courant de la situation politique actuelle au Congo. Elle ne savait pas si le MCDDI avait participé aux plus récentes élections. Elle n'était pas certaine non plus si le MCDDI était un parti légalement constitué, mais elle a pu affirmer que les réunions politiques n'étaient pas permises. La Commission a conclu que ce dernier témoignage n'était pas compatible avec la preuve documentaire qui mentionnait que le MCDDI était le deuxième parti politique en importance au pays et qu'il gouvernait le Congo conjointement avec le Parti congolais du travail (PCT), dirigé par Sassou-Nguesso.


[11]            La Commission a constaté que Mme Mouissi avait omis de mentionner que le MCDDI s'était scindé en 1997 et qu'il existait maintenant deux factions. L'une, dirigée par Michel Mampouya, partage le pouvoir avec le gouvernement, alors que l'autre paraît être marginalisée. Mme Mouissi n'a pas prétendu s'exposer à un risque parce qu'elle était associée à cette dernière faction. Selon la Commission, les renseignements dont elle disposait sur la situation dans le pays n'étayaient pas la prétention que les membres du MCDDI faisaient l'objet de persécution au Congo.

[12]            Selon la Commission, Mme Mouissi ne savait pas non plus que Bernard Kolélas, le fondateur et ancien chef du MCDDI, avait été le maire de Brazzaville de 1994 à 1997, même si elle prétendait avoir adhéré au parti en 1995. Il est également noté qu'elle a dit que Kolélas avait été premier ministre de 1992 à 1997. Toutefois, la Commission a fait remarquer que la preuve documentaire dont disposait le défendeur montrait que Kolélas avait été nommé premier ministre en août 1997, ayant quitté le poste en octobre de la même année, au moment où le président congolais a été destitué par Sassou-Nguesso.


[13]            La Commission a également constaté que le témoignage de Mme Mouissi n'était pas compatible en ce qui avait trait à ses allégations d'agressions sexuelles. Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), elle a dit que sa détention avait duré environ un mois et qu'elle avait été violée quelques jours avant sa libération. Toutefois, au cours de son témoignage de vive voix, elle aurait dit que les viols s'étaient produits après deux semaines de détention. On a également conclu que son témoignage comprenait des incompatibilités quant à savoir si tous les viols s'étaient produits la même journée. La Commission a noté que les allégations d'agression sexuelle constituaient un élément-clé de la demande de Mme Mouissi, et a tiré une inférence défavorable des incompatibilités qu'elle a relevées dans le témoignage de la demanderesse sur cette question.

[14]            Enfin, la Commission a conclu que la description offerte par Mme Mouissi relativement à sa décision de dévoiler publiquement son récit de viol, dans le but de mettre au jour la corruption de la police et le traitement réservé aux femmes dans les prisons congolaises, n'était pas compatible avec d'autres aspects de son récit. En particulier, la Commission a renvoyé au fait que Mme Mouissi avait préalablement témoigné qu'elle avait eu trop honte de sa propre situation pour même demander aux autres détenues si elles avaient été violées.

[15]            Par conséquent, la Commission a conclu que Mme Mouissi n'avait pas réussi à fournir suffisamment d'éléments de preuve crédibles au soutien de sa demande, et cette dernière a été rejetée.

Question en litige

[16]            La seule question soumise à la Cour est de savoir si les conclusions de la Commission sur la crédibilité étaient manifestement déraisonnables.


Analyse

[17]            La Commission de l'immigration et du statut de réfugié possède une compétence bien établie dans la détermination des questions de fait, y compris l'appréciation de la crédibilité des demandeurs d'asile. En effet, de telles déterminations se situent au coeur même de la compétence de la Commission. En tant que juge des faits, il est loisible à la Commission de tirer des conclusions raisonnables concernant la crédibilité du récit d'un demandeur, en se fondant sur des invraisemblances, le bon sens et la raison. Par conséquent, pour que la Cour annule une conclusion de fait de la Commission, il doit être établi que cette conclusion est manifestement déraisonnable : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 40, et Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

[18]            Je suis d'accord avec le défendeur que la Commission, ayant vu Mme Mouissi, était dans la meilleure position pour décider de sa crédibilité. Cela dit, toutefois, et ayant eu la possibilité d'étudier l'ensemble de la transcription de l'audience, j'estime évident qu'à plusieurs occasions, la Commission a relevé des incompatibilités dans le récit de Mme Mouissi là où il n'y en avait pas.


[19]            À titre d'exemple, il y avait en effet à l'origine une certaine confusion de la part de Mme Mouissi relativement à la question de savoir si elle avait « réussi » ses examens universitaires. Toutefois, à la lecture des transcriptions, il est clair que cette confusion ressort d'un malentendu sur le plan linguistique, et non d'une quelconque incompatibilité dans les réponses de Mme Mouissi. Même si sa langue maternelle est le français, Mme Mouissi a témoigné en anglais lors de l'audition de sa demande d'asile. Même s'il est clair que Mme Mouissi parle couramment l'anglais, il ressort clairement de l'échange en question qu'elle était un peu confuse en ce qui concerne l'utilisation du mot anglais passed. Elle était apparemment confuse quant à savoir si la question était d'établir si elle avait fait les examens ou si elle avait obtenu la note de passage aux examens. Une fois la question expliquée, la réponse de Mme Mouissi a été claire.


[20]            Fait plus important encore, relativement à ce que la Commission a reconnu être une question-clé sous-jacente à la demande d'asile de Mme Mouissi, la Commission a conclu qu'il y avait une incompatibilité entre le témoignage de Mme Mouissi et son FRP, alors qu'il n'y en avait pas. Cette prétendue incompatibilité se rapportait à la question de savoir à quel moment, au cours de l'incarcération, les viols se sont produits. Selon la Commission, Mme Mouissi a dit dans son FRP que les viols se sont produits vers la fin du mois qu'elle a passé en prison, alors que dans son témoignage, elle aurait dit que les viols se sont produits tout juste deux semaines après le début de son incarcération. Une lecture de la transcription révèle que la Commission a mal interprété le témoignage de Mme Mouissi à cet égard, et que son témoignage sur cette question était entièrement compatible avec celui que contient son FRP. Mme Mouissi a témoigné qu'elle a été enfermée dans la même cellule pendant environ deux semaines. Après deux semaines passées dans cette cellule, on l'a déplacée dans une autre cellule. Elle dit que les viols se sont produits environ deux semaines après avoir été enfermée dans la deuxième cellule - c'est-à-dire, quatre semaines après le début de son incarcération, et peu de temps avant sa libération, ayant passé un mois en prison.

[21]            Je ne suis pas non plus convaincue de l'existence d'une réelle incompatibilité dans les éléments de preuve relatifs à la question de savoir si Mme Mouissi a été violée plusieurs fois au cours de la même journée, ou si les agressions se sont étalées sur plusieurs jours.

[22]            L'analyse de la Commission présente également certains problèmes relativement aux connaissances de Mme Mouissi sur le MCDDI, son histoire et son chef. Par exemple, la Commission a dit que Mme Mouissi ne savait pas que Bernard Kolélas avait été le maire de Brazzaville, alors que la transcription montre qu'elle le savait.

[23]            De plus, la Commission a conclu que le témoignage de Mme Mouissi selon lequel les réunions politiques du MCDDI n'étaient pas permises n'était pas compatible avec la documentation relative à la situation dans le pays qui montre que le MCDDI était le deuxième parti politique en importance au Congo. Toutefois, cette conclusion paraît avoir été fondée sur des renseignements vieux de dix ans concernant la situation dans le pays, qui ne traduisaient pas nécessairement la situation actuelle dans ce pays.

[24]            Par conséquent, même si l'on tient compte du niveau élevé de retenue judiciaire qui s'applique à la norme de contrôle dont il est question dans la présente affaire, je suis convaincue que la décision de la Commission doit être annulée.

Certification

[25]            Ni l'une ni l'autre des parties n'a soulevé de question pour certification et aucune question ne ressort du présent dossier.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué afin que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                          « Anne L. Mactavish »          

                                                                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-7485-03

INTITULÉ :                                                    IRURA MOUISSI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE LUNDI LE 30 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                   LE 3 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Mary E.E. Boyce                                               POUR LA DEMANDERESSE

Michael Butterfield                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mary E.E. Boyce                                               POUR LA DEMANDERESSE

Avocate

69, rue Elm

Toronto (Ontario)

M5G 1H2

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20040903

                                            Dossier : IMM-7485-03

ENTRE :

IRURA MOUISSI

                                                            demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                    


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