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Date : 20050914

Dossier : IMM-9162-04

Référence : 2005 CF 1263

Ottawa (Ontario), le mercredi 14 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

ADEBAYO ADEYINKA ADERETI (ALIAS ADEYINKA ADEBAY ADERETI)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]                Adebayo Adeyinka Adereti est un citoyen du Nigeria qui affirme craindre avec raison d'être persécuté au Nigeria par les membres de la faction Gani Adams de l'Oodua People's Congress (l'OPC). La demande de M. Adereti visant à obtenir le statut de réfugié et de personne protégée a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. M. Adereti a introduit la présente demande de contrôle judiciaire à l'encontre de cette décision défavorable.

[2]                M. Adereti fait valoir deux erreurs susceptibles de révision de la part de la SPR. Premièrement, il affirme qu'elle a permis à l'agente de protection des réfugiés (l'APR) de commettre des actes délictueux lors de l'audience, niant ainsi les principes de justice naturelle à son égard. Deuxièmement, il affirme que la SPR a commis une erreur en omettant [traduction] « d'évaluer le Brésil en tant que pays de référence ainsi que la situation dans ce pays pour apprécier la crédibilité du demandeur » .

La SPR a-t-elle permis à l'APR de commettre des actes délictueux lors de l'audience, manquant ainsi aux principes de justice naturelle?

[3]                M. Adereti soutient que son audience a dépassé les limites du décorum. Il fait valoir que, bien que son conseil ait tenté de le protéger contre le comportement abusif de l'APR, la SPR ne l'a pas protégé et n'a pas non plus discipliné son personnel. M. Adereti déclare ce qui suit dans son affidavit : [traduction] « J'ai dû témoigner dans une atmosphère venimeuse. Je n'aurais jamais imaginé cela au Canada, à savoir qu'on pouvait interroger quelqu'un d'une manière digne de la plupart des dictatures. » Il fait valoir que les [traduction] « fonctionnaires » ont passé des heures à le harceler, que l'APR ne l'a pas laissé répondre aux questions et que, à un moment donné, elle était à peine à quatre pouces de son visage, criant après lui. M. Adereti affirme que l'APR s'est dirigée si violemment vers lui qu'il a cru qu'elle allait le frapper. Il prétend avoir ressenti la même crainte de la torture que dans son pays et que, à partir de ce moment, il est devenu [traduction] « déconnecté psychologiquement » du processus d'audience.

[4]                J'ai lu avec soin la transcription de l'instance devant la SPR. Rien n'y indique que l'interrogatoire mené par l'APR l'a été de façon inappropriée ou différente de celui mené par le propre conseil de M. Adereti. Il n'y a rien qui démontre que M. Adereti a été harcelé ou qu'on l'a empêché de répondre à des questions. L'APR avait le droit d'interroger M. Adereti dans le but de clarifier son témoignage. Je suis convaincue que l'APR a posé des questions opportunes et raisonnables et que rien dans la transcription n'indique qu'il y a eu un comportement inapproprié.

[5]                Je reconnais, et j'en ai tenu compte, qu'il y a des choses comme le volume, le ton et la cadence des questions, ainsi que la proximité de l'interrogateur par rapport au témoin, qui ne sont pas inscrites dans la transcription. Toutefois, lors de l'audience, M. Adereti était représenté par un conseil. Nonobstant la prétention de M. Adereti selon laquelle son conseil a tenté de le protéger, il est révélateur que la transcription démontre que le conseil de M. Adereti n'a soulevé qu'une seule objection au cours de l'interrogatoire mené par l'APR. Son conseil avait fait objection selon quoi une question avait été antérieurement posée et répondue. Il est également révélateur, à mon avis, que M. Adereti n'ait fait aucun commentaire ou qu'il n'y ait pas autrement d'indication de son inconfort dans le dossier.

[6]                Je conclus que ce motif de contrôle est sans fondement et qu'il n'y a pas eu de manquement aux principes de justice naturelle.

Le Brésil

[7]                En toute déférence, M. Adereti n'a pas très bien exposé cette question. Dans sa plaidoirie, son avocat a confirmé que la question comportait en fait deux éléments distincts. Premièrement, la SPR a-t-elle commis une erreur de droit en ne considérant pas le Brésil comme un pays de référence? Deuxièmement, la SPR a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité sur la base du temps que M. Adereti a passé au Brésil?

[8]                Avant d'aborder ces deux questions, il est nécessaire de situer, dans les faits, le lien de M. Adereti avec le Brésil dans le contexte de sa demande d'asile.

[9]                Au point d'entrée, M. Adereti a déclaré qu'il était un citoyen de la Sierra Leone et il est arrivé avec une carte d'identité de la Sierra Leone. Toutefois, dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP), M. Adereti a prétendu être un citoyen du Nigeria et d'aucun autre pays. Devant la SPR, il a témoigné qu'il avait fait la fausse déclaration au sujet de la Sierra Leone à son arrivée au Canada parce que l'intermédiaire qui l'avait aidé à venir au Canada lui avait dit de le faire. M. Adereti a affirmé que, après consultation auprès d'un conseiller juridique au Canada, il a dit la vérité lorsqu'il a rempli son FRP. La SPR a accepté ses explications comme étant raisonnables et elle a conclu, en se basant sur ces explications et sur les deux passeports nigérians présentés lors de l'audience, que M. Adereti était un citoyen du Nigeria.

[10]            Au point d'entrée, M. Adereti a également affirmé que son père était un journaliste et un défenseur des droits de la personne en Sierra Leone qui avait été détenu pendant six ans, que ses parents étaient vivants, mais que le décès de son père avait été monté de toutes pièces et que sa mère était en prison. Dans son FRP, M. Adereti a initialement écrit qu'il avait quitté le Nigeria le 7 avril 2002, qu'il était arrivé au Canada environ cinq jours plus tard et qu'il avait formulé une demande d'asile le 12 avril 2002.

[11]            Toutefois, au commencement de l'audience relative au statut de réfugié, M. Adereti a modifié son FRP pour mentionner qu'il avait quitté le Nigeria en mars 1998 pour se rendre à Sao Paulo, au Brésil, et qu'il avait passé quatre ans au Brésil avant d'arriver au Canada en avril 2002. Il a témoigné que l'histoire concernant le fait que son père était un journaliste et un défenseur des droits de la personne en Sierra Leone avait également été concoctée par l'intermédiaire qui l'avait aidé à partir pour le Canada.

[12]            La SPR a toutefois conclu que le FRP de M. Adereti était « remarquable par ses omissions » et qu'il avait sciemment omis toute mention de ses quatre années passées au Brésil. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il avait fait cela, M. Adereti a affirmé qu'il tentait d'oublier cette période de sa vie et qu'il n'avait fréquenté aucun Nigérian. La SPR a affirmé que, lorsqu'on a insisté sur ce point, M. Adereti n'a pas été en mesure d'expliquer, de manière concrète, pourquoi il voulait oublier cette période de sa vie ni d'expliquer en quoi le fait de mentionner le temps qu'il avait passé au Brésil au point d'entrée ou dans son FRP le mettrait en danger. La SPR a fait remarquer que M. Adereti avait modifié d'autres renseignements dans son FRP pour que cela concorde avec l'omission de son séjour au Brésil : il avait transmis seulement les pages 1 à 3 de son passeport, omettant la page sur laquelle se trouvait le visa brésilien et il avait modifié sa prétendue date de départ, de même que son trajet vers le Canada.

[13]            La SPR a conclu que le séjour de M. Adereti au Brésil était une indication de l'absence de crainte subjective. Il n'y a pas fait de demande d'asile. Il avait un statut juridique au Brésil, lequel lui permettait de travailler en tant que professeur d'anglais et il aurait pu devenir résident permanent après avoir passé cinq ans au Brésil. La SPR n'a pas trouvé crédible que M. Adereti ait abandonné son statut sûr au Brésil pour faire face à une situation inconnue à son arrivée au Canada de manière clandestine, s'il craignait vraiment d'être persécuté dans son pays d'origine. Selon la SPR, les explications que M. Adereti a données pour avoir quitté le Brésil, selon lesquelles il craignait les membres de l'OPC dans ce pays parce qu'il avait refusé de les appuyer financièrement, n'étaient étayées d'aucune façon et n'étaient pas plausible. La SPR a déclaré que le Brésil était un énorme pays et que M. Adereti n'avait fait aucun effort pour y obtenir une protection.

La SPR a-t-elle commis une erreur en ne considérant pas le Brésil comme un pays de référence?

[14]            M. Adereti fait valoir que la SPR doit, en droit, enquêter au sujet de la question de savoir si un demandeur ne peut pas ou ne veut pas se réclamer de la protection de tous et chacun des pays de nationalité (voir, à cet égard, Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 751). Par conséquent, on affirme que l'omission de la part de la SPR d'examiner la question de savoir si M. Adereti ne peut pas ou ne veut pas solliciter la protection au Brésil constitue une erreur susceptible de révision.

[15]            Je ne souscris pas à cette observation pour les motifs suivants.

[16]            Premièrement, comme on a conclu que M. Adereti n'avait pas raison de craindre d'être persécuté au Nigeria, la SPR n'était pas tenue de considérer la situation au Brésil, puisqu'il pouvait être renvoyé en toute sécurité vers le Nigeria. Quant aux préoccupations découlant du renvoi potentiel de M. Adereti du Canada vers le Brésil, elles sont correctement prises en compte dans le cadre d'une demande d'évaluation des risques avant renvoi.

[17]            Deuxièmement, la notion de pays de référence en est une qui est généralement employée pour restreindre la protection auxiliaire au motif qu'il y a un autre pays de référence auquel le demandeur devrait demander la protection.

[18]            Bien qu'il y ait eu une certaine ambiguïté dans la preuve quant à savoir si M. Adereti avait le statut de résident permanent au Brésil, rien dans la preuve ne donne à penser qu'il y a acquis la citoyenneté. La Cour a décidé que les demandeurs ne devaient solliciter la protection que des pays desquels ils pouvaient revendiquer la citoyenneté. (Voir : Basmenji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 140 F.T.R. 292. Voir également : Waldman, Immigration Law and Practice, édition à feuilles mobiles (Markham (Ontario) : Butterworths, 1992), aux pages 8.224 à 8.230 et 8.234 à 8.236). Étant donné que M. Adereti n'avait aucun statut juridique à titre de citoyen au Brésil, il n'y avait, à mon avis, aucune obligation d'examiner la question de savoir s'il existait une protection adéquate pour lui dans ce pays.

La SPR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité?

[19]            M. Adereti souligne le fait que la SPR a cru qu'il n'était pas un citoyen de la Sierra Leone et qu'elle a accepté son témoignage selon lequel il avait fait une fausse déclaration à cet égard à son arrivée au Canada, parce que l'intermédiaire qui l'avait aidé à venir au Canada lui avait dit de le faire. Toutefois, il fait valoir que ces mêmes explications n'étaient plus acceptables pour la SPR lorsqu'elle a décidé qu'il n'était pas crédible du fait de ses antécédents au Brésil et qu'elle a commis une erreur en tirant des conclusions incompatibles quant à la crédibilité.

[20]            L'observation de M. Adereti ne m'a pas convaincue. La SPR a accepté ses explications quant aux raisons pour lesquelles il avait menti au sujet du fait qu'il était citoyen de la Sierra Leone et elle a conclu que son témoignage, selon lequel il était un citoyen du Nigeria, était véridique, en particulier du fait que ce témoignage était corroboré par ses passeports nigérians. Cela n'empêche toutefois pas la SPR de rejeter d'autres aspects du témoignage de M. Adereti.

[21]            La SPR a invoqué l'admission du séjour de M. Adereti au Brésil comme une indication d'une absence de crainte subjective. La SPR a conclu que dans son témoignage, M. Adereti avait dépeint une vie passablement stable et sûre au Brésil; s'il avait réellement craint d'être renvoyé au Nigeria, M. Adereti n'aurait pas risqué son statut sûr au Brésil en se rendant au Canada. La SPR n'a pas tiré une conclusion incompatible quant à la crédibilité, parce qu'elle a accepté la véracité du témoignage de M. Adereti selon lequel il avait vécu et travaillé au Brésil.

[22]            M. Adereti n'a pas démontré que l'une ou l'autre des conclusions de la SPR quant à la crédibilité était manifestement déraisonnable.

[23]            Il s'ensuit que la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[24]            Les avocats n'ont proposé aucune question de portée générale en vue de la certification et je conviens qu'aucune question ne découle du présent dossier.

ORDONNANCE

[25]            LA COUR ORDONNE :

1.        La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-9162-04

INTITULÉ :                                                                ADEBAYO ADEYINKA ADERETI (ALIAS : ADEYINKA ADEBAY ADERETI)

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 17 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 14 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Joel Etienne                                                                   POUR LE DEMANDEUR

John Provart                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joel Etienne                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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