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Date : 19990409


Dossier : T-928-98

ENTRE :

     OSVALDO MOSTI,

     demandeur,

     et

     ONTARIO HYDRO,

     défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON :

[1]      Les présents motifs ont trait à une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté la plainte déposée par le demandeur qui estimait avoir été l'objet, de la part de la défenderesse, d'une discrimination en matière d'emploi en raison de son âge et de son origine nationale. La décision de la Commission porte la date du 26 mars 1998.

[2]      Le demandeur est originaire d'Argentine. Il s'est vu accorder le droit d'établissement au Canada le 1er juin 1987. Il est ingénieur en électro-mécanique. Il est entré en fonction chez la défenderesse le 20 novembre 1989 à la centrale nucléaire Bruce en tant que stagiaire dans le poste de superviseur technique adjoint. La défenderesse l'a licencié le 24 août 1990 car, selon elle, le demandeur ne satisfaisait pas aux critères de travail applicables à son poste. À l'époque, le demandeur avait 48 ans.

[3]      Dans le cadre de son emploi auprès de la défenderesse, le demandeur relevait de deux superviseurs et il s'était vu en outre affecter un " mentor ". Il a fait l'objet de trois évaluations de rendement, dont on s'est entretenu avec lui. Il avait à tenir un registre de son activité quotidienne qui, chaque jour, était vérifié par un de ses superviseurs.

[4]      Selon le demandeur, durant son emploi auprès de la défenderesse, il a été l'objet de critiques tout à fait disproportionnées par rapport à celles adressées aux autres employés dans des circonstances analogues, s'est vu reprocher de manière inconvenante le fait de ne pas travailler assez vite, a vu son travail passé au peigne fin, s'est vu adresser, par son mentor, un commentaire discriminatoire fondé sur son origine nationale et s'est vu rabaisser devant d'autres collègues de travail.

[5]      La plainte du demandeur a été portée devant la Commission aux environs du 28 juin 1994. La Commission a confié le dossier à un enquêteur. La défenderesse a eu l'occasion de présenter ses observations. Le demandeur a eu l'occasion de répondre aux observations de la défenderesse et a effectivement présenté ses propres observations dans une lettre en date 20 octobre 1995. Un premier rapport fut rédigé par l'enquêteur. Ce rapport fut porté à la connaissance du demandeur qui, une fois encore, a présenté des observations écrites, en date du 8 avril 1997. L'approfondissement de l'enquête donna lieu à la rédaction d'un rapport révisé. Ce rapport révisé fut, lui aussi, porté à la connaissance du demandeur qui, une fois encore, présenta ses observations. Le rapport final de l'enquêteur, avec une note d'accompagnement, fut transmis à la Commission. Le 9 juillet 1997, la Commission rejetait la plainte du demandeur, concluant à l'absence de preuves confirmant que le demandeur aurait effectivement été l'objet d'une discrimination fondée sur un motif prohibé.

[6]      Le demandeur déposa une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Commission. Sur consentement, il se désista, étant entendu qu'il aurait la possibilité de présenter ses observations concernant la note d'accompagnement transmise à la Commission. Un rapport complémentaire fut rédigé par l'enquêteur et porté à la connaissance du demandeur. À trois reprises, au cours de mois de février 1998, le demandeur a présenté ses observations concernant le dossier. Son avocat a, lui aussi, présenté des observations. L'affaire fut à nouveau portée devant la Commission qui rendit la décision ici en cause.

[7]      La décision en question avait la teneur suivante :

                 [traduction] Avant de rendre leur décision, les membres de la Commission se sont penchés sur le rapport qui a été porté à votre connaissance ainsi que sur les observations déposées en réponse à ce rapport. Après avoir examiné ces divers éléments du dossier, la Commission a conclu au rejet de la plainte. En cela, la Commission s'est fondée sur les motifs suivants :                 
                      Conformément au sous-alinéa 44 (3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a décidé de rejeter la plainte car :                         
                      les éléments du dossier ne confirment pas les allégations voulant que le plaignant ait été l'objet d'une différence de traitement le défavorisant et qu'il ait été licencié en raison de son origine nationale ou ethnique et de son âge.                         
                      les éléments contenus au dossier n'étayent pas l'allégation voulant que le plaignant ait fait l'objet d'un traitement différent et qu'il ait été licencié en raison de son âge (48 ans). Le plaignant est une des 47 personnes engagées en novembre 1989 et dont les âges variaient entre 26 et 52 ans. Le plaignant a été licencié neuf mois plus tard. D'autres personnes licenciées au cours de cette même période avaient de 33 à 47 ans.                         
                      les éléments du dossier ne confirment pas les allégations avancées par le plaignant et selon lesquelles ses antécédents professionnels avaient fait l'objet d'une vérification indue, qu'il avait été affecté à des tâches incongrues et que les appréciations de rendement dont il avait fait l'objet étaient injustes.                         
                      les éléments du dossier ne permettent pas de confirmer l'allégation avancée par le plaignant et selon laquelle il avait été l'objet d'une surveillance plus étroite que ses collègues de travail.                         

[8]      Le demandeur affirme qu'est constitutif d'erreur le fait, pour la Commission, d'avoir mal exercé son pouvoir discrétionnaire dans le cadre de l'enquête sur la plainte du demandeur; que la Commission a failli au devoir d'équité procédurale qu'elle a envers le demandeur en ne fournissant pas à celui-ci l'ensemble des renseignements qu'il avait demandés pour pouvoir répliquer de manière efficace au rapport d'enquête et en refusant au demandeur la tenue d'une audience dans le cadre de laquelle les éléments de preuve fournis par la défenderesse auraient pu être vérifiés; et que la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[9]      L'article 43 de la Loi canadienne sur les droits de la personne1 confère à la Commission le pouvoir de désigner un " enquêteur " chargé de la plainte. Ce pouvoir a été exercé en l'espèce. L'enquêteur désigné est tenu d'enquêter sur la plainte et, en vertu du paragraphe 44(1), " L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête. ". Sur réception du rapport rédigé par l'enquêteur dans ce dossier, la Commission a agi conformément au paragraphe 44(3), dont la partie applicable en l'espèce est rédigée comme suit :


(3) On receipt of a report referred to in subsection (1) , the Commission

...

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

...

(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

...

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

...

[10]      Dans l'affaire Slattery c. Commission canadienne des droits de la personne2, le juge Hugessen a affirmé que :

Le pouvoir discrétionnaire de la Commission de rejeter une plainte conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i)... est libellé dans des termes encore plus généraux que ceux sur lesquels s'est penchée la Cour suprême du Canada dans l'affaire Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) et autres [1989] 2 R.C.S. 879; ... dans laquelle la nature de l'obligation d'équité dans de telles affaires a été décrite comme suit par le juge Sopinka, au nom de la majorité :

     " Je partage l'avis du juge Marceau qu'il incombait à la Commission d'informer les parties de la substance de la preuve réunie par l'enquêteur et produite devant la Commission. Celle-ci devait en outre offrir aux parties la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant. "         
     " La Commission pouvait prendre en considération le rapport de l'enquêteur, les autres données de base qu'elle jugeait nécessaires ainsi que les arguments des parties. Elle était alors tenue de rendre sa propre décision en se fondant sur ces renseignements. " [certaines références n'ont pas été reprises ici].         

[11]      Dans l'affaire Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier3, le juge Décary a affirmé, à la p. 136 :

Il est établi en droit que, lorsqu'elle décide de déférer ou non une plainte à un tribunal à des fins d'enquête en vertu des articles 44 et 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission exerce " des fonctions d'administration et d'examen préalable " (Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne) , [1996] 3 R.C.S. 854, à la page 893, le juge La Forest) et ne se prononce pas sur son bien-fondé (voir Territoires du Nord-Ouest c. Alliance de la fonction publique du Canada (1997), 208 N.R. 385 (C.A.F.)). Il suffit que la Commission soit " convaincue [que] compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié " (paragraphes 44(3) et 49(1)). Il s'agit d'un seuil peu élevé et les faits de l'espèce font en sorte que la Commission pouvait, à tort ou à raison, en venir à la conclusion qu'il y avait " une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante " (Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne ), précité, paragraphe 30, à la page 899, juge Sopinka, approuvé par le juge La Forest dans Cooper, précité, à la page 891).

J'estime que le même seuil peu élevé s'applique lorsque la Commission considère, à tort ou à raison, que vu l'ensemble des circonstances qui entourent la plainte, un examen ne se justifie pas.

[12]      Puis, à la page 137, le juge Décary poursuit en ce sens :

La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l'exécution de sa fonction d'examen préalable au moment de la réception d'un rapport d'enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d'expressions comme " à son avis ", " devrait ", " normalement ouverts ", " pourrait avantageusement être instruite ", " des circonstances ", " estime indiqué dans les circonstances ", qui ne laissent aucun doute quant à l'intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a )) ou, carrément, de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d'opinion (voir Latif c. Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 698, le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.

[13]      Dans le contexte de cette incitation à la retenue en matière de contrôle judiciaire des décisions de la Commission telles que celle dont je suis saisi en l'espèce, et pour reprendre l'expression utilisée par le juge Décary dans la première citation tirée de l'affaire Bell Canada citée plus haut, compte tenu des circonstances de la plainte, j'estime que la Commission pouvait validement conclure, à tort ou à raison, qu'il n'y avait aucune justification raisonnable pour renvoyer la plainte devant le président du Comité du tribunal canadien des droits de la personne. Je conclus, ce faisant, que la Commission n'a commis aucune erreur de fait ou de droit justiciable du contrôle judiciaire.

[14]      Je passe maintenant au problème de l'équité procédurale. Dans l'affaire Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne)4, le juge Nadon a affirmé, à partir de la page 604 :

Les règles d'équité procédurale exigent simplement que le plaignant connaisse l'essentiel de la preuve constituée contre lui. Pour reprendre les mots de lord Denning, M.R., dans l'arrêt Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All ER 12 (C.A.), à la page 19, cité par le juge Sopinka dans l'arrêt S.E.P.Q.A. (à la page 900) :

     [TRADUCTION] La règle fondamentale est que, dès qu'on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu'on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l'enquête et du rapport, il faut l'informer de la nature de la plainte et lui permettre d'y répondre. Cependant, l'organisme enquêteur est maître de sa propre procédure. Il n'est pas nécessaire qu'il tienne une audition. Tout peut se faire par écrit. Il n'est pas tenu de permettre la présence d'avocats. Il n'est pas tenu de révéler tous les détails de la plainte et peut s'en tenir à l'essentiel.         

La conclusion de l'enquêteuse en l'espèce portait :

...

L'adoption de cette conclusion par la Commission a suffi amplement à fournir à la requérante les " motifs généraux " de la preuve produite contre elle, étant donné la description détaillée des éléments de preuve de l'affaire qui figure dans le rapport.

Le fait que l'enquêteuse n'ait pas interrogé chacun des témoins recommandés par la requérante et le fait que la conclusion tirée par l'enquêteuse ne mentionne pas chacun des prétendus incidents de discrimination n'ont pas non plus de conséquence absolue. Cela est encore plus vrai lorsque la requérante a l'occasion de combler les lacunes laissées par l'enquêteuse en présentant subséquemment ses propres observations. En l'absence de règlements qui lui donnent des lignes directrices, l'enquêteuse, tout comme la CCDP, doit être maître de sa propre procédure, et le contrôle judiciaire d'une enquête prétendument déficiente ne devrait être justifié que lorsque l'enquête est manifestement déficiente. En l'espèce, je constate que l'enquêteuse n'a pas omis d'examiner l'un ou l'autre des aspects fondamentaux de la plainte de la requérante, telle qu'elle était formulée, et qu'il n'y avait aucun autre point, moins important mais néanmoins pertinent, qui ait été traité de façon insatisfaisante et qui n'ait pu être repris dans les observations présentées en réponse par la requérante.

Ainsi, je ne trouve aucun motif qui justifierait de réviser la décision prise par la CCDP de rejeter la plainte de la requérante, pour manque de rigueur de l'enquête ou quelque autre violation des règles d'équité procédurale5.

[15]      Compte tenu des faits de la cause, je parviens à la même conclusion.

[16]      Cela étant, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[17]      L'avocat du demandeur a fait valoir qu'au cas où la Cour conclurait, comme elle le fait effectivement, au rejet de la demande, il y aurait lieu pour elle d'exercer son pouvoir discrétionnaire en n'adjugeant pas les dépens. L'avocat de la défenderesse a fait valoir pour sa part que les dépens devraient suivre l'issue de la cause.

[18]      Je souscris à l'argument développé sur ce point par l'avocat du demandeur. La plainte du demandeur a d'abord été portée, somme toute raisonnablement, devant la Commission des droits de la personne de l'Ontario. Cela ne s'est pas révélé être la bonne démarche. L'affaire fut portée devant la Commission mais il y eut désistement lorsque la Commission a reconnu que, jusque-là, sa procédure ne s'était pas déroulée régulièrement. Conformément aux règles de la Cour en vigueur à l'époque, le désistement n'a pas donné lieu à l'adjudication des dépens. La présente demande est la troisième demande de contrôle judiciaire qu'ait déposée le demandeur, avec les dépenses que cela a pu lui occasionner. Compte tenu de tout cet ensemble de circonstances, et en vertu du pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour, il n'y aura aucune adjudication des dépens.

" Frederick E. Gibson "

Juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 9 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

No du greffe :                          T-928-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :              OSVALDO MOSTI
                             et
                             ONTARIO HYDRO

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE MARDI 6 AVRIL 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE GIBSON

DATE :                          LE VENDREDI 9 AVRIL 1999

ONT COMPARU :                      Marshall Swadron

                                 pour le demandeur

                             Eric R. Finn

                                 pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Swadron Associates

                             Avocats

                             1100-30, rue Saint Patrick

                             Toronto (Ontario)

                             M5T 3A3

                            

                                 pour le demandeur

                             Ontario Hydro

                             Bureau de l'avocat général

                             Section du contentieux

                             H18F24-700, ave. University

                             Toronto (Ontario)

                             M5G 1X6

            

                                 pour la défenderesse

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19990409

                        

         Dossier : T-928-98

                             Entre :

                             OSVALDO MOSTI,

                            

     demandeur,

                             et
                             ONTARIO HYDRO,

     défenderesse.

                    

                            

                                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                            

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. H-6, et modifications.

2      (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.).

3      [1999] 1 C.F. 113 (C.A.F.).

4      [1994] 2 C.F 574 (C.F. 1re inst.), conf. : supra, note 2.

5      S.E.P.Q.A. : Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879.

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