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Date : 20041001

Dossier : IMM-112-04

Référence : 2004 CF 1351

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY              

ENTRE :

HUSSAIN MUNWAR, NASREEN THAIRA,

SHAHZADI NEELUM et

AFZAL MOHAMMED

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rendue le 11 décembre 2003. La Commission a décidé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Les questions en litige sont les suivantes :

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en évaluant la crédibilité du demandeur?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en évaluant la preuve documentaire fournie par les demandeurs?

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de ce qu'étaient objectivement les conditions au Pakistan?

[3]                Pour les motifs que j'expose ci-dessous, je réponds par la négative aux trois questions et je rejetterai la demande.

LES FAITS

[4]                Hussain Munwar (le demandeur) est un citoyen du Pakistan qui craint d'être persécuté du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe politique nommé la Ligue musulmane du Pakistan (LMP). Son épouse et deux enfants mineurs intègrent leurs demandes à la sienne.

[5]                La Commission a résumé de la façon suivante les faits allégués. Le demandeur a adhéré à la LMP à la mi-décembre 1996. Par conséquent, il a participé aux élections de 1997.

[6]                En décembre 1999, à la suite du coup d'État, le demandeur a été menacé par les militaires qui, de concert avec les fonctionnaires de la Commission centrale du revenu, ont saisi des documents à son bureau. Ils ont allégué que le demandeur était impliqué dans des activités de corruption et de détournement de fonds avec un chef de la LMP, Haji Imdad Hussain.

[7]                Le 11 octobre 2000, le demandeur a échappé à une arrestation par la police. Il a cependant été arrêté le 28 novembre 2001, alors qu'il distribuait des tracts antigouvernementaux. En avril 2002, les militaires l'ont menacé parce qu'il soutenait le boycottage du référendum constitutionnel et il a été arrêté le 6 avril 2002 pour avoir installé des bannières anti-Musharraf. Il a été torturé pendant sa détention.

[8]                De dix à quinze jours après sa libération, des militaires et des policiers se sont rendus chez le demandeur avec l'intention de l'emmener de nouveau au poste de police. Cependant, vu son mauvais état physique, ils sont repartis en menaçant de revenir.

[9]                Le demandeur a quitté le Pakistan le 26 mai 2002. En route vers le Canada, le demandeur et sa famille sont passés par le Royaume-Uni et les États-Unis. Ils sont restés aux États-Unis pendant environ deux semaines. Ils sont arrivés au Canada le 13 juin 2002 et ont demandé l'asile.


LA DÉCISION CONTESTÉE

[10]            La Commission a considéré qu'il y avait trop d'incohérences dans le témoignage du demandeur pour croire qu'il avait été arrêté et torturé comme il le prétendait. Qui plus est, la Commission a conclu que le témoignage de l'épouse du demandeur n'était pas crédible non plus en raison des contradictions dans les faits qu'elle avait relatés concernant l'arrestation et les blessures.

[11]            La Commission n'a accordé aucune valeur probante au rapport médico-légal présenté par le demandeur, étant donné les nombreuses incohérences concernant les arrestations et les blessures.

[12]            Qui plus est, la Commission n'a donné aucun poids au procès-verbal introductif (PVI) et au mandat d'arrestation qui auraient été délivrés contre le demandeur à la suite de son départ du Pakistan. La Commission a considéré qu'il n'était pas plausible que la police du Pakistan, qui a la réputation d'effectuer des arrestations arbitraires, de procéder à des exécutions sommaires, de torturer des détenus et d'être corrompue, se fût abstenue d'arrêter le demandeur en raison de son état de santé.


[13]            Après avoir pris en considération tout ce qui précède, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas établi sa revendication au moyen d'une preuve crédible et fiable. La Commission a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention et qu'il n'existe pas de preuve que leur besoin de protection est sérieux ou raisonnable.

ANALYSE

La Commission a-t-elle commis une erreur en évaluant la crédibilité du demandeur?

[14]            En l'espèce, la Commission a fondé sa décision sur une évaluation de la crédibilité. C'est en raison de l'inférence qu'elle a tirée sur la crédibilité qu'elle n'a accordé aucune valeur probante à la preuve documentaire et aux conditions objectives au Pakistan.

[15]            La décision manifestement déraisonnable est la norme qui s'applique au contrôle judiciaire des conclusions en matière de crédibilité. En d'autres termes, même dans le cas où la Cour ne serait pas d'accord avec la Commission quant à sa décision, elle n'interviendra que si la Commission a rendu une décision manifestement déraisonnable. La Cour d'appel fédérale a statué que la Commission, comme tribunal spécialisé, a toute la compétence voulue pour juger de la crédibilité d'un témoignage. En effet, la Commission est dans la meilleure position pour apprécier la crédibilité et tirer les conclusions qui s'imposent. Tant et aussi longtemps que ces conclusions ne sont pas déraisonnables, elles ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), aux pages 316 et 317).

[16]            La Commission a mis en doute la crédibilité du demandeur pour différentes raisons, entre autres les incohérences entre son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP) et son témoignage en ce qui concerne les arrestations et les blessures qu'il aurait subies.

[17]            Dans la décision Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1144 (1re inst.) (QL), la Cour, qui a reconnu qu'un demandeur peut très bien omettre certains faits mineurs de son FRP, a souligné que les incidents significatifs doivent être mentionnés. Par conséquent, la Cour doit établir si les contradictions et les incohérences étaient assez importantes en l'espèce pour justifier la conclusion que la Commission a tirée sur la crédibilité.

[18]            L'incapacité des demandeurs Munwar et Thaira de faire, sans introduire d'aussi nombreuses incohérences, le récit des principaux faits qui étayent leur demande justifie la décision de la Commission sur la question de la crédibilité. Dans sa décision, la Commission a mentionné, entre autres, les incohérences suivantes. Au point d'entrée, le demandeur a mentionné à l'agent d'immigration qu'il avait été arrêté sept ou plusieurs fois. En contradiction avec la déposition du demandeur au point d'entrée, son épouse a expliqué que le demandeur avait été arrêté deux fois. Elle a même ajouté que son mari avait été tellement roué de coups par la police à la suite de sa première arrestation qu'il avait été emmené à l'hôpital. Dans le FRP du demandeur, il n'y a aucune mention de l'hospitalisation. Cependant, à l'audience, il s'est révélé que le demandeur avait été emmené à l'hôpital à la suite de sa deuxième arrestation.


[19]            En outre, l'épouse du demandeur a donné un témoignage très confus quant à savoir qui avait emmené son mari à l'hôpital. De plus, la Commission a conclu qu'il n'était pas vraisemblable que la police ne procède pas à l'arrestation du demandeur en raison de son état de santé. La torture et le harcèlement par la police sont le fondement de la demande du demandeur. Néanmoins, le demandeur et son épouse se sont montrés incapables de faire correctement le récit des faits. Par conséquent, la Cour conclut que les conclusions défavorables sur la crédibilité ne sont pas manifestement déraisonnables.

La Commission a-t-elle commis une erreur en évaluant la preuve documentaire fournie par les demandeurs?

La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de ce qu'étaient objectivement les conditions au Pakistan?

[20]            Contrairement à ce que le demandeur affirme, la Commission a bel et bien pris en considération le rapport médico-légal. Elle ne lui a cependant donné aucune valeur probante parce que les faits sous-jacents ntaient pas crédibles. Sur ce point, j'adopte le raisonnement de la juge Reed dans la décision Danailov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1019 (1re inst.) (QL), au paragraphe 2 :

[...] Quant à l'appréciation du témoignage du médecin, il est toujours possible d'évaluer un témoignage d'opinion en considérant que ce témoignage d'opinion n'est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais. Si le tribunal ne croit pas les faits sous-jacents, il lui est tout à fait loisible d'apprécier le témoignage d'opinion comme il l'a fait.

[21]            En outre, le demandeur et son épouse ont échappé à une arrestation de la police le 11 octobre 2000 et sont ensuite retournés chez eux. Entre cette date et le 28 novembre 2001, ils n'ont pas eu de démêlés avec la police, même si le demandeur a continué d'être actif au sein de la LMP.

[22]            Le demandeur a aussi affirmé que la Commission n'avait pas pris en considération les conditions au Pakistan. Il faut le répéter : ce n'est pas que la Commission n'ait pas pris en considération ce type de preuve; elle n'a donné aucun poids aux conditions dans le pays parce que la crédibilité du demandeur était minée par des affirmations peu vraisemblables.

[23]            En ce qui a trait à la conclusion de la Commission quant à la visite de la police en avril 2002, j'estime que la conclusion de la Commission n'est pas manifestement déraisonnable.

[24]            Sur cette question du caractère raisonnable, le juge Pratte, dans l'arrêt Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.F.) (QL), a affirmé qu'il est loisible à la Commission, lorsqu'elle évalue la crédibilité, de s'appuyer sur des critères tels que la rationalité et le bon sens. En l'espèce, le problème de crédibilité est lié aux faits mêmes qui sont invoqués comme base de la demande.


[25]            Il appartient au demandeur d'établir au regard de la prépondérance des probabilités qu'il correspond à la définition de réfugié au sens de la Convention. Dans la présente affaire, le demandeur a expliqué qu'il était persécuté par la police dans son pays. Toutefois, lui et son épouse ont été incapables de relater de façon cohérente les principaux incidents qui les ont amenés à demander l'asile. Comme la Cour d'appel fédérale l'a dit dans l'arrêt Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.), la conclusion générale que le demandeur n'est pas crédible peut très bien s'étendre à toute la preuve pertinente que son témoignage renferme. Par conséquent, si le témoignage du demandeur n'est pas crédible, il est raisonnable de conclure que la preuve documentaire ne peut pas à elle seule établir le bien-fondé d'une revendication.

[26]            Il n'est pas nécessaire que la Cour intervienne dans la présente affaire.

[27]            L'avocat du demandeur a demandé la certification de la question suivante :

[traduction] Est-il juridiquement correct de ne donner aucune valeur probante à un examen neuropsychologique détaillé effectué par un professionnel de la santé canadien, au motif qu'il n'y avait pas d'interprète lors de l'examen, surtout si le professionnel canadien a pris cela en considération dans son analyse?

[28]            J'ai analysé l'évaluation neuropsychologique et j'ai retenu les commentaires suivants du professionnel :

[traduction]

Il a été difficile de déterminer les capacités cognitives générales de Hussain parce qu'il n'a pas une connaissance de l'anglais qui permettrait de faire un test formel. [Page 0351, Dossier du tribunal]

Les capacités orales de raisonnement, mesurées par le test de QI oral, n'ont pas pu être mesurées de façon satisfaisante, étant donné que sa première langue est le urdu et que son anglais, bien que suffisant pour la communication, n'est pas assez développé pour permettre une évaluation formelle; [page 0351, Dossier du tribunal]


Les résultats doivent être interprétés prudemment en raison du manque d'habileté en anglais. [page 0353, Dossier du tribunal]

[29]            Par conséquent, je suis d'accord avec le défendeur que la question ne transcende pas les intérêts des parties au présent litige. Aucune question ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE : La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

              « Michel Beaudry »        

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-112-04

INTITULÉ :                                        HUSSAIN MUNWAR, NASREEN THAIRA, SHAHZADI NEELUM et AFZAL MOHAMMED

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 28 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                       LE 1er OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy                                    POUR LES DEMANDEURS

Lisa Maziade                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Istvanffy                                    POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)                               

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général Canada

Montréal (Québec)


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