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     Date: 20010123

     Dossier: IMM-5470-99


Entre :

     CLARA LUSSIKILA MUSANSI

     RUDOLPH MANDEVO NOMBE

     Demandeurs

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE PINARD :

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) rendue le 12 octobre 1999 statuant que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, (la Loi) parce que exclus de l'application de la Convention aux termes du paragraphe 1Fa).

[2]      Le demandeur, M. Nombe, et la demanderesse, MmeMusansi, sont conjoints. Ils sont tous deux citoyens de la République démocratique du Congo (l'ex-Zaïre) et membres du Parti lumumbiste unifié (PALU). Ils allèguent avoir été persécutés au Congo en raison de leurs opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social particulier. À l'audition devant moi, le procureur du défendeur a indiqué son consentement au maintien de la demande de contrôle judiciaire au profit de la demanderesse seulement.

[3]      Le fardeau de la preuve dont le défendeur doit se décharger pour démonter qu'une personne est visée par la clause d'exclusion 1F de la Convention est moindre que celui de la prépondérance des probabilités. Il est aussi bien établi que la complicité dépend de l'existence d'un objectif commun partagé et sur la connaissance de cet objectif par tous les intéressés, ce qui est essentiellement une question de fait (voir les arrêts de la Cour d'appel fédérale Ramirez c. M.E.I. (1992), 135 N.R. 390, 89 D.L.R. (4th) 173, Moreno et Sanchez c. M.E.I. (1993), 159 N.R. 210 et Sivakumar c. M.E.I. (1993), 163 N.R. 197). À mon sens, madame le juge Reed, dans le jugement Penate c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (26 novembre 1993), 93-A-292, a bien interprété cette jurisprudence en écrivant :

             Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération.


[4]      Après révision de la preuve, je ne trouve aucun élément sérieux établissant la complicité des demandeurs aux actes reprochés aux Services d'actions et de renseignements militaires (le SARM), organisme au sein duquel le demandeur exerçait un emploi civil relié au classement de dossiers d'affaires sociales. L'observation du tribunal à l'effet que le demandeur avait appris dès 1992 que des membres du SARM procédaient à des enlèvements au Zaïre semble s'appuyer uniquement sur les propos suivants émanant du témoignage du demandeur au sujet des journaux qu'il avait lus en 1992 :

         R. On disait en général que les... le SARM et les agents du SARM ont... ont enlevé un... un certain nombre de... de personnes à tel endroit parce qu'ils manifestaient. C'est plus des informations de ce genre-là, du... du genre général.
         [. . .]
         Q. Donc, en `92, il y a des informations à l'effet que les gens du SARM font des enlèvements?
         R. Il y a des informations qui restent encore des informations puisque moi, comme je l'ai dit, je n'avais jamais été témoin de cela, ni de près ni de loin. Donc, pour moi, ça restait des informations et je... dont je prenais connaissance par les éditions de... de la presse écrite.
         [. . .]
         Q. Vous croyez ce qui est indiqué dans les journaux?
         R. C'est... je sais pas s'il faut croire à ça puisque je n'ai... moi, personnellement, je n'ai pas de preuve pour ça, cela ne m'enchantait pas bien sûr. Cela ne m'enchantait pas, mais je ne pouvais... je ne pouvais (inaudible). Le seul... le seul moment où j'ai vu qu'il y avait un problème, je l'ai dit et c'est ce qui nous a conduit jusqu'ici. Cela ne m'enchantait pas non plus, mais je ne pouvais pas me... sur la seule base qu'une... qu'un journal a écrit, prendre une position, je ne sais pas.


[5]      Ces réponses du demandeur, en soi, sont loin d'être suffisantes pour établir la « participation personnelle et consciente » dont parle la jurisprudence ci-dessus. Il est vrai qu'en outre le demandeur a, au printemps 1996, découvert sur le bureau de son patron des documents confidentiels reliés à des arrestations arbitraires et des tueries que préparaient les autorités du SARM contre les dirigeants du PALU. Tant le demandeur que son épouse, à qui il se confiait, ont expliqué pourquoi il n'était pas prudent pour la sécurité du demandeur de quitter rapidement son emploi au sein du SARM. De fait, le demandeur a fait part de sa découverte des documents confidentiels au PALU qui, ainsi, a pu éviter le désastre. Ayant été avisé par une connaissance que le SARM savait que lui et son épouse avaient transmis l'information au PALU et que leurs vies étaient en danger, ayant été marqués comme traîtres politiques, ils ont quitté le Zaïre en septembre 1996, après que leur maison eut été saccagée et que leurs biens matériels eurent été pillés. Dans ces circonstances, je ne vois pas comment on pouvait reprocher au demandeur de ne pas s'être dissocié du SARM immédiatement après la découverte des documents confidentiels, au printemps 1996.

[6]      Ainsi, la complicité tant du demandeur que celle de son épouse, un élément essentiel pour entraîner l'application de la clause d'exclusion 1Fa), n'a pas été établie par le défendeur.


[7]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est maintenue, la décision de la SSR est cassée et l'affaire est retournée pour nouvelle audition de la Section du statut de réfugié différemment constituée.

[8]      Vu la jurisprudence bien établie en regard de l'application, en droit, de la clause d'exclusion concernée et vu, par ailleurs, la simple appréciation des faits reliée à cette application, il n'y a pas ici matière à certification.




                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 23 janvier 2001


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