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Date : 20050818

 

Dossier : IMM-8607-04

 

Référence : 2005 CF 1130

 

Ottawa (Ontario), le 18 août 2005

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

 

 

                                                         MARIAM ABDELMOUTI

                                                                                                                                       demanderesse

 

                                                                          - et -

 

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                             défendeur

 

 

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

 

[1]               Mariam Abdelmouti (la demanderesse), une citoyenne du Tchad, conteste la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (le tribunal) a conclu, lors de l’audience du 14 septembre 2004, qu’elle n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger.

 

[2]               La demanderesse prétendait craindre avec raison Mohammad Omar, un soi-disant officier militaire haut gradé qu’elle a refusé d’épouser. Elle a indiqué dans son témoignage que M. Omar, qui avait déjà trois épouses, a proféré contre elle et son père des menaces qu’il mettrait à exécution si elle refusait de se soumettre à ses désirs.

 

[3]               Le tribunal a jugé que la demanderesse n’était pas digne de foi et il n’a pas cru son récit.

 

[4]               Le tribunal a relevé une contradiction importante entre le FRP de la demanderesse, qui était corroboré par la déclaration qu’elle a faite à un agent d’immigration au cours de son entrevue selon laquelle son père avait refusé d’accorder sa main, et son témoignage devant le tribunal selon lequel son père avait donné son consentement; mais que ce consentement, qui était également une façade utilisée pendant que des dispositions étaient prises pour que la demanderesse quitte le pays, n’était pas un véritable consentement parce que son père l’avait donné alors que sa vie était menacée.

 

[5]               Selon le tribunal, ce changement dans le récit de la demanderesse a été un point tournant dans son témoignage. Le tribunal a fait les commentaires suivants à ce sujet :

Le tribunal doit mentionner que, par la suite, le témoignage de la demandeure est devenu difficile pour ne pas dire non crédible et même parfois invraisemblable. À titre d’exemple, elle dira qu’elle est allée chez sa tante pour le fait que le climat était malsain chez elle. Le tribunal s’est donc montré surpris devant ce qui précède puisqu’il y avait accord quant au non-mariage de la demandeure. Et donc, pour quel motif le climat aurait été malsain au domicile de la demandeure?

 

 

À ce qui précède, la demandeure ne nous a pas donné de réponses satisfaisantes. [Non souligné dans l’original.]


 

 

[6]               Le tribunal a aussi commenté la prétention du conseil de la demanderesse selon laquelle le fait que les parents aient consenti ou non n’avait aucune importance parce que le mariage de la demanderesse avait toutes les apparences d’un mariage forcé. Il a conclu :

Chose certaine c’est que dans l’histoire originale et à Immigration Canada, la demandeure aurait quitté précipitamment pour le fait que les parents avaient exprimé leur désaccord au prétendant. Au témoignage, les parents auraient donné leur consentement mais qu’ils auraient été, de toute façon, en désaccord mais elle aurait quitté que quelques mois plus tard alors que même certains arrangements concernant le mariage aurait déjà été commencés. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[7]               Le tribunal a ajouté :

Lorsqu’un demandeur jure que les faits sont véridiques, il existe une présomption à l’effet qu’ils le sont [véridiques] à moins qu’il y ait des raisons valables de douter de leur véracité. Or, un indicateur important de la crédibilité du témoin est la cohérence de son récit. Or, pour les motifs élaborés au début de cette décision, le tribunal se doit de conclure que le témoignage de la demandeure est non crédible et donc, conséquemment, je ne peux pas lui donner le bénéfice du doute. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[8]               L’avocat de la demanderesse soutient que la conclusion tirée par le tribunal relativement à la crédibilité est erronée et que la contradiction relevée par celui‑ci n’en était pas réellement une puisque, au fond, les parents de la demanderesse ont toujours été opposés au mariage et n’y ont consenti que sous la contrainte.

 

[9]               Il soutient également que le tribunal n’a pas tenu compte de toute la preuve dont il disposait lorsqu’il a conclu que la raison pour laquelle la demanderesse était allée chez sa tante qui vivait à une certaine distance de chez elle était invraisemblable.


 

[10]           Finalement, il soutient que le tribunal a tiré une conclusion déraisonnable à l’égard du délai qui s’est écoulé avant que la demanderesse quitte le Tchad en avril 2004.

 

[11]           Les erreurs décrites par l’avocat de la demanderesse sont essentiellement des questions de fait auxquelles la Cour doit, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, appliquer la norme établie par le législateur à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, à savoir : la décision du tribunal est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait, de sorte qu’elle est manifestement déraisonnable.

 

[12]           L’avertissement formulé par la Cour suprême du Canada à l’intention des juges de première instance dans Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, est pertinent en l’espèce. Mme la juge L’Heureux-Dubé a écrit ce qui suit, au paragraphe 85 de cet arrêt :

¶85 Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d’un tribunal administratif exige une extrême retenue : Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, le juge La Forest aux pp. 849 et 852. Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n’est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu’une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l’espèce, l’allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve; voir également : Conseil de l’éducation de Toronto, précité, au par. 48, le juge Cory; Lester, précité, le juge McLachlin à la p. 669. La décision peut très bien être rendue sans examen approfondi du dossier : National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, le juge Gonthier à la p. 1370. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[13]           Il est utile également de citer le paragraphe 4 de l’arrêt Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) dans lequel M. le juge Décary a écrit ce qui suit :

 

¶4 Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n’a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d’une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d’un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l’être. L’appelant, en l’espèce, ne s’est pas déchargé de ce fardeau. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[14]           Un examen de la décision du tribunal et du dossier certifié, notamment de la transcription du témoignage de la demanderesse, révèle que le tribunal n’a pas mal interprété la preuve lorsqu’il a dit que le FRP de la demanderesse et les notes de l’agent d’immigration ‑ selon lesquels le père de la demanderesse a refusé la demande de M. Omar ‑ étaient contraires au témoignage de la demanderesse selon lequel ses parents ont donné leur consentement, quoique sous la contrainte, et ont ainsi gagné du temps pour lui permettre de s’enfuir. Il n’y avait rien au dossier quant à cet aspect du récit avant que la demanderesse témoigne.

 

[15]           Le dossier du tribunal confirme que le changement dans le récit de la demanderesse est survenu lorsque le tribunal a rappelé une loi du Tchad selon laquelle les mariages forcés (sans consentement) sont illégaux.

 

[16]           Un examen de la preuve fait ressortir une incongruité : pourquoi la demanderesse est‑elle allée chez sa tante si la ruse fonctionnait et que tous les membres de la famille l’appuyaient en s’opposant au mariage forcé? On ne peut pas dire que le tribunal a agi déraisonnablement en concluant à l’invraisemblance à cet égard.

 

[17]           Finalement, le temps qu’il a fallu à la demanderesse pour quitter son pays ne semble pas, à mon avis, avoir été un facteur dans la décision du tribunal de refuser de lui reconnaître la qualité de réfugiée au sens de la Convention.

 

[18]           En fin de compte, le tribunal a fondé sa décision sur le manque de cohérence du récit de la demanderesse. J’estime que son évaluation était fondée sur la preuve. La Cour ne peut pas apprécier de nouveau la preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

                                        ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée pour tous les motifs exposés ci‑dessus. Aucune question n’a été proposée à des fins de certification.

 

          « François Lemieux »         

           Juge

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

 

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                            IMM-8607-04

 

INTITULÉ :                                                   MARIAM ABDELMOUTI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE MARDI 9 AOÛT 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 18 AOÛT 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leon Damonze                                                 POUR LA DEMANDERESSE

 

Matina Karvellas                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Leon Damonze                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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