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                                                                                                                                  Date : 20010326

                                                                                                                         Dossier : ITA-8856-99

                                                                                                       Référence neutre : 2001 CFPI 241

Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,

                                                                          - et -

Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes : la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-emploi,

Entre :

                                                          JEAN-GUY MATHERS

                                                                                                                             Débiteur judiciaire

                                                                            ET

                                                 CINÉPARC ST-EUSTACHE INC.

                                                                                                                                          Opposante

                                                                            ET

                                      SOUS-MINISTRE DU REVENU DU QUÉBEC

                                                                                                                                         Intervenant

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]         L'opposante en appelle de la décision rendue le 21 février 2001, par le protonotaire Morneau, à l'effet de ne pas se récuser face à l'apparence et à la crainte raisonnable de partialité alléguée contre lui dans cette affaire.


[2]         Les critères d'intervention de cette Cour siégeant en appel de la décision d'un protonotaire ont été bien énoncés par le juge MacGuigan dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, aux pages 462 et 463 :

Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal [renvoi omis].

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

[3]         Comme, en l'espèce, l'ordonnance discrétionnaire du protonotaire ne porte pas sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, je ne saurais donc exercer mon propre pouvoir discrétionnaire sans qu'il ne soit démontré que l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante.

[4]         Or, à cet égard, il appert d'abord des paragraphes 26 à 30 de sa décision, que le protonotaire s'est appuyé sur les bons principes :

[26]      Il est opportun de débuter notre analyse par les propos suivants de la Cour suprême tirés de l'arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, page 528, relativement aux notions d'impartialité et de partialité:

          Dans l'arrêt Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, à la p. 685, le juge Le Dain a conclu que la notion d'impartialité désigne "un état d'esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige et des parties dans une instance donnée". Il a ajouté: "[l]e terme "impartial" [...] connote une absence de préjugé, réel ou apparent". Voir également R. c. Généreux, [1992]1 R.C.S. 259, à la p. 283. Dans un sens plus positif, l'impartialité peut être décrite - peut-être de façon quelque peu inexacte - comme l'état d'esprit de l'arbitre désintéressé eu égard au résultat et susceptible d'être persuadé par la preuve et les arguments soumis.

          Par contraste, la partialité dénote un état d'esprit prédisposé de quelque manière à un certain résultat ou fermé sur certaines questions.


[27]      Quant au "test" ou critère applicable à l'évaluation de la crainte raisonnable de partialité, le juge Bastarache de la Cour suprême nous rappelait récemment ce qui suit:

          Le critère applicable à la crainte de partialité tient compte de la présomption d'impartialité. Une réelle probabilité de partialité doit être établie (R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, aux par. 112 et 113).

                                         (Mes soulignés)

[28]      Dans l'arrêt R. c. S. (R.D.), en page 532, la Cour suprême souligne comme suit la rigueur dont il faut faire preuve avant de conclure à la présence de partialité:

          Peu importe les mots précis utilisés pour définir le critère, ses diverses formulations visent à souligner la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente. C'est une conclusion qu'il faut examiner soigneusement car elle met en cause un aspect de l'intégrité judiciaire. De fait, l'allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l'intégrité personnelle du juge, mais celle de l'administration de la justice toute entière.

[29]      Du même souffle, la Cour indique que l'examen soigneux dont il est question sera entièrement fonction dans chaque cas de la preuve apportée par la partie soulevant la crainte raisonnable de partialité:

          La charge d'établir la partialité incombe à la personne qui en allègue l'existence: Bertram, précité, à la p. 28; Lin, précité, au par. 30. De plus, la crainte raisonnable de partialité sera entièrement fonction des faits de l'espèce.

[30]      Dans l'arrêt Droit de la Famille -1559 (C.A.), [1993] R.J.Q. 625, en page 633, le juge Delisle, au nom de la majorité de la Cour d'appel du Québec, après avoir rappelé les propos maintenant célèbres du juge De Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978]1 R.C.S. 369, pages 394-95, analyse la crainte raisonnable de partialité suivant l'approche pragmatique suivante:

          Pour être cause de récusation, la crainte de partialité doit donc:

          a) être raisonnable, en ce sens qu'il doit s'agir d'une crainte, à la fois, logique, c'est-à-dire qui s'infère de motifs sérieux, et objective, c'est-à-dire que partagerait la personne décrite à b) ci-dessous, placée dans les mêmes circonstances; il ne peut être question d'une crainte légère, frivole ou isolée;

          b) provenir d'une personne:

           1 ° sensée, non tatillonne, qui n'est ni scrupuleuse, ni angoissée, ni naturellement inquiète, non plus que facilement portée au blâme;

           2 ° bien informée, parce que ayant étudié la question, à la fois, à fond et d'une façon réaliste, c'est-à-dire dégagée de toute émotivité; la demande de récusation ne peut être impulsive ou encore, un moyen de choisir la personne devant présider les débats; et

          c) reposer sur des motifs sérieux; dans l'analyse de ce critère, il faut être plus exigeant selon qu'il y aura ou non enregistrement des débats et existence d'un droit d'appel.

                                         (Mes soulignés)

[5]         Quant aux faits soumis à l'appréciation du protonotaire, ils sont tous énoncés à l'affidavit déposé à l'appui de la requête en récusation, principalement et essentiellement aux paragraphes 3 à 7 :


3.             Me Chantal Comtois, la représentante de Sa Majesté la Reine dans le présent dossier, fait partie de la direction des affaires fiscales du Ministère de la Justice du Canada, bureau de Montréal;

4.             Me Pascale O'Bomsawin travaille également à la direction des affaires fiscales du Ministère de la Justice du Canada, bureau de Montréal;

5.             Me Chantal Comtois et Me Pascale O'Bomsawin travaillent donc dans le même secteur au Ministère de la Justice du Canada;

6.             Me Chantal Comtois et Me Pascale O'Bomsawin sont appelées à travailler toutes deux sur les dossiers de l'Agence des douanes et du revenu du Canada;

7.             J'ai été informé par des avocats travaillant au ministère de la Justice du Canada que Me Pascale O'Bomsawin serait la conjointe du protonotaire Me Richard Morneau;

[6]         Ces faits ont été tenus pour véridiques ou acceptés pour ce qu'ils révèlent, tel qu'il appert de l'extrait suivant de la décision du protonotaire :

[12]      Il est sans conteste que les faits mentionnés aux paragraphes 3, 4 et 7 de cet affidavit sont véridiques.

[13]      Quant aux faits mentionnés aux paragraphes 5 et 6 du même affidavit, nous pourrions les accepter pour ce qu'ils révèlent et l'analyse qui suit (paragraphes 26 et suivants) ainsi que le sort de la présente requête ne seraient point différents. . . .

[7]         Dans les circonstances, non seulement l'opposante n'a-t-elle pas réussi à démontrer que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe, mais elle a aussi fait défaut d'établir sa mauvaise appréciation des faits. La preuve soumise au protonotaire étant limitée aux allégués de l'affidavit déposé au soutien de la requête en récusation, je suis loin de voir une appréciation mauvaise dans celle voulant que le fait que l'avocate d'une partie travaille comme employée dans le même secteur du même ministère fédéral que la conjointe du protonotaire ne constitue pas en soi un motif de récusation.


[8]         Ainsi, comme l'ordonnance n'est pas entachée d'erreur flagrante, je ne suis pas tenu d'exercer mon propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début et il ne m'appartient pas de me substituer au protonotaire dans l'appréciation des faits. Mon intervention n'est donc pas justifiée.

[9]         Par ailleurs, s'appuyant sur l'arrêt Nation et Bande des Indiens Samson c. Canada, [1998] 3 C.F. 3, paragraphe [15], le protonotaire a ajouté au dossier des faits qui lui ont été confiés par sa conjointe et qui sont énoncés aux paragraphes 15 à 24 de sa décision. Toutefois, il a pris bien soin de préciser que son analyse et le sort de la requête en récusation « ne seraient point différents » sans ces faits. Vu mon refus d'intervention dans le contexte des autres faits qui lui ont été soumis, soit ceux énoncés dans l'affidavit déposé au soutien de la requête en récusation et jugés par lui suffisants, à eux seuls, pour justifier le rejet de cette dernière requête, il ne me sera donc pas nécessaire de considérer les arguments additionnels de l'opposante reliés aux faits « ajoutés » aux paragraphes 15 à 24 de la décision en cause.

[10]       Par ces motifs, la requête est rejetée avec dépens.

                                                               

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 26 mars 2001

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