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     IMM-2725-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 4 JUILLET 1997.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOYAL

ENTRE :

     IRFAN AHMED,

     requérant,

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                             L-Marcel Joyal
                                     Juge
Traduction certifiée conforme :         
                         F. Blais, LL.L.

     IMM-2725-96

ENTRE :

     IRFAN AHMED,

     requérant,

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL :

     Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié (la " SSR ") de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 15 juillet 1996, rejetant la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention formulée par le requérant.

     Celui-ci cherche à faire annuler la décision de la SSR et de faire renvoyer l'affaire en vue d"un réexamen par un tribunal différemment constitué.

I. LES FAITS

     Le requérant est un musulman ahmadi du Pakistan. Il a 26 ans. Il prétend être un réfugié au sens de la Convention parce qu'il craint d'être persécuté dans son pays d'origine du fait de sa religion.

     Les faits en l'espèce sont incontestés. En ce qui concerne les allégations d'expériences antérieures de persécution qu'a faites le requérant, la SSR a conclu qu'il était crédible et que ses allégations étaient vraies. Pour ce qui est de la situation de la communauté ahmadiyya, l'histoire de l'intolérance religieuse au Pakistan est très bien documentée et aucune des parties, et la SSR non plus, ne l'a mise en doute.

     1.      Expériences personnelles

     Tout au long de sa vie, le requérant a été persécuté du fait de sa religion. Les incidents énumérés ici résument ces expériences :

     a)      Comme enfant, il était régulièrement provoqué et battu par ses camarades de classe du fait de sa religion.

     b)      En 1987, il a été arrêté, emprisonné et battu pendant quatre jours pour avoir écrit le Kalima sur une mosquée ahmadi.

     c)      En 1989, il n'a pas été admis dans les collèges de sa région même si ses résultats scolaires étaient acceptables.

     d)      En mai 1991, deux amis ahmadis et lui ont été attaqués par une bande d'assaillants musulmans et gravement battus. Ils ont signalé l'incident à la police, laquelle leur a dit de rentrer chez eux et de tout oublier. Le requérant a été hospitalisé pendant une semaine et traité pour des coupures et des contusions. Il a été incapable de travailler pendant six semaines environ.

     e)      En 1993, il a été congédié de son emploi lorsque son employeur a appris qu'il était un ahmadi.

     f)      En août 1994, sa maison a été attaquée par une bande d'assaillants musulmans et il croit qu'il aurait été tué si la bande avait pu entrer chez lui.

     2.      Expériences de la communauté ahmadiyya

     Il existe au Pakistan des lois discriminatoires visant à limiter les activités religieuses de la communauté ahmadiyya. Plusieurs de ces restrictions législatives, et surtout les dispositions anti-blasphématoires, font partie du code pénal pakistanais. En 1984, le gouvernement a édicté l'ordonnance XX, qui interdit et criminalise la plupart des pratiques religieuses des ahmadis. De plus, ceux-ci sont exclus des charges publiques. L'effet de ces lois a été de limiter les activités de la communauté religieuse au Pakistan.

II. LA DÉCISION DE LA SSR

     Dans une décision détaillée et très bien articulée, la SSR a décidé que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce qu'il ne craignait pas avec raison d'être persécuté. La conclusion de la SSR est fondée sur sa conclusion générale que les expériences antérieures du requérant mentionnées ci-dessus ne constituent pas de la persécution et qu'elles ne donnent donc pas lieu à une crainte raisonnable de persécution. Elles ne constituent que du harcèlement et de la discrimination.

     À l'appui de sa conclusion, la SSR signale que le requérant n'a jamais été empêché d'aller à la prière hebdomadaire, même si ses pratiques religieuses sont limitées par le code pénal pakistanais. Il a pu trouver du travail au sein de la communauté locale ahmadiyya et n'a jamais été accusé d'une infraction religieuse prévue par ce code. Pour ce qui concerne le fait qu'il n'a pas pu être admis à des études postsecondaires, ce n'est pas de la persécution, mais seulement de la discrimination.

     Dans son mémoire, le requérant fait remarquer que trois semaines après le rejet de sa revendication par la SSR, un des membres du tribunal a rendu une autre décision dans une affaire dont les faits semblent pratiquement identiques à ceux de la présente espèce, mais dans laquelle le tribunal en est arrivé à une conclusion contraire.

III. LES QUESTIONS EN LITIGE

     La question principale en litige soulevée par la demande est de savoir si la SSR a commis une erreur susceptible de révision, c'est-à-dire si elle a agi d'une manière abusive et arbitraire lorsqu'elle a conclu que le requérant ne craignait pas avec raison d'être persécuté. Pour répondre à cette question, il faut examiner les questions suivantes :

1.      La SSR a-t-elle agi de manière abusive et arbitraire lorsqu'elle a décidé que les expériences antérieures du requérant ne constituaient de la persécution?
2.      La SSR a-t-elle agi de manière abusive et arbitraire lorsqu'elle a conclu que les expériences collectives des membres de la communauté ahmadie ne donnaient pas lieu à une simple possibilité de persécution si le requérant était retourné au Pakistan?
3.      Le fait que le président a tiré une conclusion différente dans une affaire dont les faits sont par ailleurs non distinguables de ceux de la présente espèce prouve-t-il que les conclusions de fait de la SSR en l'espèce étaient erronées, abusives et arbitraires?

IV ANALYSE

1.      Expériences antérieures

     Le requérant prétend que la SSR a commis une erreur susceptible de révision lorsqu'elle a conclu que ses expériences antérieures ne constituaient que de la discrimination et non de la persécution et surtout que cette conclusion constitue une erreur susceptible de révision.

     L'intimée concède que la SSR a commis une erreur en déclarant que les expériences antérieures du requérant, particulièrement le fait qu'il ait été illégalement détenu et battu pendant qu'il était en détention, ne constituaient pas des incidents de persécution antérieure1.

     Cependant, la qualification erronée de la SSR n'autorise pas automatiquement la Cour à intervenir. La preuve de la persécution antérieure ne suffit pas en elle-même pour remplir les conditions de la définition de réfugié au sens de la Convention. La définition de réfugié est formulée en fonction de l'avenir. Le revendicateur du statut de réfugié doit démontrer qu'il s'expose à une possibilité grave de persécution s'il devait retourner dans son pays d'origine2.

2.      Persécution future

     L'intimée soutient que la SSR a correctement examiné la question de la crainte de persécution future. Il prétend, et conclut raisonnablement, qu'il n'existait aucune possibilité raisonnable que le requérant serait persécuté au Pakistan s'il y retournait.

     Par ailleurs, le requérant soutient que la SSR a omis de considérer les expériences de la communauté ahmadie dans son ensemble pour déterminer si sa revendication soulevait une possibilité sérieuse de persécution. Invoquant la décision rendue dans l'affaire Salibian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)3, il dit que les poursuites religieuses de tous les ahmadis sont pertinentes quant à tous les revendicateurs du statut de réfugié membres de sa communauté.

     Un tel argument n'est pas déterminant parce que la Cour fédérale du Canada n'a pas encore clairement décidé si les lois discriminatoires du Pakistan constituent effectivement de la persécution à l'égard des ahmadis. Elle a préféré adopter une analyse du cas par cas des craintes de persécution future des revendicateurs du statut de réfugié4. En l'espèce, il ne semble y avoir aucune indication que la SSR a pris sa décision de manière arbitraire sans tenir compte de toutes les circonstances. Cependant, la troisième et dernière question soulevée par le requérant attaque une telle prétention.

3.      Les décisions contradictoires

     Cette question est beaucoup plus problématique. Le requérant fait valoir que le caractère arbitraire de la décision de la SSR est très bien illustrée si on la compare avec l'affaire mettant en cause un autre ahmadi, laquelle a été décidée par le même président. Il est pratiquement impossible d'établir une distinction entre les faits de ces deux affaires. L'analyse juridique dans les deux cas est identique, mais les conclusions tirées sont différentes. À prime abord, les causes semblent effectivement similaires, donnant lieu à ce qui semble être une situation classique de conclusions diamétralement opposées fondées sur la même série de faits. Je dois dire, cependant, que la situation ne résulte pas de l'inadvertance de la Commission du statut de réfugié, tout au contraire. La décision dans cette dernière affaire a trait à une femme originaire d'une autre région du Pakistan, mais dont le formulaire de renseignements personnels est remarquablement semblable dans la forme et sur le fond à celle de l'intéressé en l'espèce, c'est-à-dire qu'elle consiste en une longue énumération de l'histoire troublée des ahmadis au Pakistan. De plus, la décision est semblable, tant dans sa forme que sur le fond, à la décision dont je suis saisi et comporte le même contexte, la même histoire et la même analyse des conditions actuelles. Si on garde à l'esprit que les deux décisions sont rendues par le même tribunal, essentiellement pendant la même période, on ne peut que conclure qu"en statuant sur les deux affaires, la Commission savait très bien ce qu'elle faisait.

     Il n'est donc pas surprenant que le requérant ait fait de cette contradiction son principal argument et prétendu que la décision dont je suis saisi est erronée et devrait être annulée. Malheureusement, je ne suis pas saisi de cette autre affaire et je ne suis pas non plus en position de décider si la décision est correcte ou erronée. Il se pourrait très bien que sur la base du critère approprié, la décision attaquée soit correcte et que l'autre soit erronée. D'ailleurs, les deux décisions pourraient, cela se conçoit, être erronées.

     L'autre aspect qui a été examiné constitue ce que les avocats ont appelé le cas par cas. On a dit que c'est la seule façon efficace d'examiner les revendications du statut du réfugié présentées par les ahmadis. Évidemment, cela veut dire qu'aucune généralisation ne peut être faite à l'égard d'une personne qui prétend avoir été persécutée du fait de son appartenance à ce groupe religieux, et que des conclusions divergentes fondées sur des faits qui paraissent identiques ne sont pas seulement possibles, mais peuvent être salutaires pour la bonne administration de la procédure de reconnaissance du statut de réfugié.

V.      CONCLUSION

     La Cour doit éviter toute tentative d'être amenée à évaluer les deux décisions. La décision en l'espèce est la seule dont je suis saisi et, à cet égard, je dois exercer mon contrôle à son sujet conformément aux critères habituels. Ainsi, j'ai lu attentivement la longue décision très bien articulée de la Commission. J'ai examiné la preuve qui lui a été présentée et étudié l'analyse de cette preuve et les conclusions qui ont été tirées.

     Bien que je sois loin d'aimer la décision rendue, et, en fait, je devrais la qualifier de cas limite, il m'est tout de même difficile de conclure qu'il s'agit du genre d'erreur qui justifierait mon intervention par voie de contrôle judiciaire. La Commission, en tant que juge des faits, a été appelée à entendre l'histoire du requérant, à soupeser l'effet de la preuve documentaire volumineuse qui lui a été présentée et à décider si le requérant était ou non un réfugié au sens de la Convention. La loi confie cette responsabilité à la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, et, à moins que sa décision ne soit manifestement déraisonnable, la Cour ne devrait pas intervenir. Ainsi, tout en exprimant


mes sentiments respectueux envers les deux avocats pour leurs présentations respectives, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

                             L-Marcel Joyal
                                     Juge

O T T A W A (Ontario)

Le 4 juillet 1997.

Traduction certifiée conforme :         
                         F. Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Numéro du greffe : IMM-2725-96

Entre :

     IRFAN AHMED,

     requérant,

ET :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L"IMMIGRATION,

intimé.

MOTIFS DE L"ORDONNANCE

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :              IMM-2725-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          IRFAN AHMED c. M.C.I.
DATE DE L'AUDIENCE :              Le mardi 17 juin 1997
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE JOYAL

EN DATE DU 4 juillet 1997

ONT COMPARU :

Micheal Romoff                  pour le requérant
Kevin Lunney                  pour l"intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Romoff

Toronto (Ontario)                  pour le requérant

George Thomson

Sous-procureur général

du Canada                      pour l"intimée
__________________

1      Ovarzo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1982] 2 C.F. 779 (C.A.).

2      Adjei c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1989] 2 C.F. 680 (C.A.).

3      [1990] 3 C.F. 250 (C.A.).

4      Butt, Abdul Majid (Majeed) c. S.G.C., Cour fédérale1re inst., no IMM-1224-93, 8 septembre 1993.

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