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                                                                                                                                           Date : 20020813

                                                                                                                             Dossier : IMM-3973-01

                                                                                                            Référence neutre: 2002 CFPI 856

MONTRÉAL (QUÉBEC), LE 13 AOÛT 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

KONSTANTIN DIMITROV ANGUELOV

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La Cour statue sur une demande présentée en vertu du paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration (la Loi) en vue d'obtenir, en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, le contrôle judiciaire d'une décision en date du 25 juillet 2001 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]                 Le demandeur est citoyen de Bulgarie. Il est en partie Rom par son père et en partie d'origine ethnique bulgare par sa mère.

[3]                 Le demandeur a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention du fait de ses origines ethniques.

[4]                 Le demandeur affirme qu'en raison de ses origines ethniques, il a été victime d'intolérance et d'hostilité équivalant à de la persécution tant de la part des autorités que de simples citoyens. Il signale plusieurs incidents au cours desquels il a subi des sévices.

[5]                 En 1997 et en 1998, il aurait été battu par des skinheads.

[6]                 Son grand-père, qui a lui aussi été agressé par des skinheads dans le ghetto rom où il vivait, a fini par mourir des suites de ses blessures.

[7]                 Depuis l'arrivée du demandeur au Canada le 19 décembre 1999, les autorités locales ont détenu son père et son frère en rapport avec un vol qualifié et les ont remis en liberté au bout de quelques jours.


QUESTIONS EN LITIGE

[8]                 1.         La Commission a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son application de la Loi en ce qui concerne son appréciation de la persécution et de la crainte subjective?

  

ANALYSE

1.         La Commission a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[9]                 Non, la Commission n'a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Manque d'éléments de preuve crédibles

[10]            Suivant la jurisprudence de notre Cour, la Commission jouit d'une grande liberté d'appréciation en ce qui concerne l'évaluation de la crédibilité de la preuve. Dans le jugement Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.) le juge Evans a déclaré :


Il est bien établi que l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n'autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits de l'espèce à celle de la Commission, qui a l'avantage non seulement de voir et d'entendre les témoins, mais qui profite également des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d'expertise. En outre, sur un plan plus général, les considérations sur l'allocation efficace des ressources aux organes de décisions entre les organismes administratifs et les cours de justice indiquent fortement que le rôle d'enquête que doit jouer la Cour dans une demande de contrôle judiciaire doit être simplement résiduel. Ainsi, pour justifier l'intervention de la Cour en vertu de l'alinéa 18.1(4)d), le demandeur doit convaincre celle-ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu'elle en est venue à cette conclusion « sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] » .           

[Non souligné dans l'original.]                 

[11]            La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas fourni suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour justifier les aspects les plus importants de sa revendication. Cette conclusion ressort à l'évidence des propos de la Commission. Ainsi, à la première page de la décision de la Commission, on peut lire :

J'ai étudié toute la preuve qui m'a été présentée, y compris les trois pièces documentaires présentées par le conseil à la suite de l'audience. Je conclus que M. Anguelov n'a pu fournir une preuve suffisamment crédible concernant les aspects importants de sa revendication.

[12]            Je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur en tirant des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité.

2.        La Commission a-t-elle commis une erreur dans son application de la Loi en ce qui concerne son appréciation de la persécution et de la crainte subjective?

  

[13]            Le demandeur affirme qu'il a été et qu'il continuera d'être victime de persécution en Bulgarie du fait de ses origines ethniques. Le demandeur estime toutefois que la Commission a mal compris la notion de persécution.


[14]            Notre Cour a défini la persécution comme étant le fait de harceler ou de tourmenter quelqu'un sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires ou comme une succession de mesures prises systématiquement pour punir quelqu'un et la période pendant laquelle ces mesures sont appliquées. Le harcèlement et la discrimination ne suffisent pas en soi pour répondre à cette définition. La Commission a tenu compte de divers incidents pour décider si le demandeur était victime de persécutions. À la page 2 de sa décision, la Commission écrit :

Le fait que le grand-père de M. Anguelov soit décédé ne fait pas de M. Anguelov lui-même une personne persécutée. Il s'agit sûrement d'un événement passé important et horrible, mais quatre ans se sont écoulés depuis, et aucun autre membre de sa famille n'a subi pareil destin depuis.

Les attaques par des skinheads qu'aurait subies le revendicateur par le passé ne constituent pas non plus de la persécution [...] Sa famille a continué à vivre dans le ghetto sans connaître de problèmes qui constitueraient de la persécution [...]

Pour déterminer si la revendication repose bien sur un fondement objectif et crédible, il faut tenir compte des facteurs suivants : en plus d'habiter dans un ghetto, ce qu'il a fait par choix, quelques autres détails permettent de distinguer M. Anguelov en tant que Rom. Il n'est qu'en partie Rom. Sa mère est d'origine ethnique bulgare. Il est instruit et a toujours eu un emploi stable. Il ne fait pas partie des membres les plus vulnérables de ce groupe ethnique. Il n'a pas, par le passé, souffert de discrimination équivalant à de la persécution. Les préjudices qu'il prétend avoir subis par le passé ne constituent pas de la persécution. Les autres membres de sa famille continuent d'habiter en Bulgarie, supposément dans le ghetto, sans faire l'objet de persécution.

   

[15]            Plus loin, à la page 4, on lit ce qui suit :

  

[...] En étudiant l'intégralité de la preuve, je ne peux toutefois conclure que ces incidents sont répandus et systématiques au point de constituer de la persécution. L'importance de ces incidents ne permet pas non plus de conclure que tous les Roms courent le même risque d'être maltraités. La preuve donne plutôt à penser que quelqu'un comme M. Anguelov, compte tenu de son profil et de sa propre histoire, risque très peu de subir suffisamment de mauvais traitements du fait de son origine ethnique pour que cela constitue de la persécution.


[16]            La Commission a conclu que le demandeur ne s'exposerait à rien de plus qu'à une simple possibilité de persécution. Il risquait davantage de faire l'objet de discrimination du fait de ses origines ethniques.

[17]            La distinction entre la discrimination et la persécution ou le harcèlement est mince. Ce qui importe toutefois, c'est le fait que le demandeur ne risque pas personnellement d'être persécuté et qu'il n'est donc pas un réfugié au sens de la Convention.

[18]            Dans l'arrêt Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 796 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[par. 3] Il est vrai que la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer, d'autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, il a été conclu que la discrimination peut fort bien être considérée comme équivalant à la persécution. Il est également vrai que la question de l'existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n'est pas simplement une question de fait, mais aussi une question mixte de droit et de fait, et que des notions juridiques sont en cause. Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.

  

[19]            Je suis d'avis que la Commission n'a pas commis d'erreur en concluant que les expériences vécues par le demandeur ne constituaient pas de la persécution.


Crainte subjective de persécution

[20]            La Commission s'est vu confier la tâche de déterminer si le demandeur était ou non en mesure de satisfaire au critère posé dans l'arrêt Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 67 (C.A.F.) en l'occurrence le critère suivant :

[par. 8] Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d'une part qu'il n'y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c'est-à-dire une probabilité), et d'autre part, qu'il doit exister davantage qu'une possibilité minime. Nous croyons qu'on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de « possibilité sérieuse » , par opposition à une simple possibilité.

[21]            Pour répondre à ce critère, le demandeur doit démontrer qu'il a raison de craindre d'être persécuté s'il retourne en Bulgarie. La Commission a signalé que le demandeur s'était réclamé à nouveau de la protection de la Bulgarie à plusieurs reprises à la suite des présumées agressions. Elle a également fait remarquer que le demandeur était retourné chez ses parents, dans le ghetto, même après avoir été présumément attaqué par des skinheads. À la page 2 de sa décision, la Commission écrit :

[...] Je conclus d'abord que M. Anguelov n'a pas prouvé qu'il éprouve une crainte subjective et crédible d'être persécuté. Ses actes et son comportement vont à l'encontre d'une crainte subjective réelle d'être persécuté du fait de son origine ethnique.

[22]            Je conclus qu'il était raisonnable de la part de la Commission d'inférer que le demandeur n'avait pas réussi à démontrer qu'il éprouvait une crainte subjective et crédible d'être persécuté en raison de ses actes et de son comportement.


Protection de l'État

[23]            Le demandeur affirme que le gouvernement de Bulgarie ne l'a pas protégé. Il affirme que le gouvernement a plutôt fait la preuve de son incapacité à le protéger. Le demandeur n'a cependant pas invoquer d'éléments de preuve clairs et convaincants de cette incapacité conformément au critère établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. Faute de preuve en ce sens, il y a lieu de présumer que le gouvernement bulgare est en mesure de protéger le demandeur.

Preuve documentaire

[24]            Le demandeur affirme que les conclusions de la Commission ne reposent sur aucune preuve. Il conteste plus précisément les conclusions que la Commission a tirées au sujet de la question de savoir si tous les Roms risquent de subir des préjudices assimilables à de la persécution en Bulgarie.

[25]            Le demandeur cite le US Department of State Report de l'an 2000 ainsi que deux (2) rapports d'Amnistie Internationale (juin 1994 et 1996). À la page 3 de sa décision, la Commission déclare ce qui suit au sujet de la preuve documentaire :

Enfin, la preuve documentaire présentée au tribunal ne permet pas de trancher que tous les Roms risquent de subir des préjudices assimilables à de la persécution en Bulgarie. Les documents donnent plutôt à penser que certains membres de la population rome peuvent risquer de subir de durs traitements qui, dans certains cas, constituent de la persécution. La preuve révèle qu'il existe une ambiance de discrimination continue ainsi que certains cas de comportement extrême envers la population rome marginalisée. Si l'on examine l'intégralité de la preuve, cependant, on remarque qu'elle n'indique pas que tous les Roms souffrent de persécution, quelle que soit leur situation propre.


[26]            C'est à la Commission qu'il appartient de déterminer s'il y a lieu de préférer certaines preuves documentaires à d'autres. Il est loisible à la Commission de choisir certains éléments de preuve de préférence à d'autres. Dès lors que les conclusions de la Commission sont raisonnables, notre Cour n'a pas à intervenir.

[27]            Dans le jugement Zvonov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1089 (C.F. 1re inst.), le juge Rouleau a déclaré :

[par. 15] Enfin, je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur en accordant plus de poids à la preuve documentaire qu'au témoignage du requérant. Les membres de la Commission sont « les maîtres à bord » , et il leur appartient d'apprécier les éléments de preuve qui leur sont présentés. En l'espèce, ils ont accueilli le témoignage du requérant, mais ils ont choisi d'accorder davantage d'importance à la preuve documentaire.

[28]            Plus tôt, dans le jugement Tawfik c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 835 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay avait déclaré ce qui suit :

[par. 10] En règle générale, la valeur probante à accorder aux éléments de preuve relève de l'appréciation légitime du tribunal administratif compétent. À moins que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire ne soit jugé déraisonnable, cette Cour n'interviendra pas.


Évaluation de la persécution en fonction de l'effet cumulatif

[29]            Le demandeur affirme que la Commission n'a pas évalué l'effet cumulatif de la discrimination dont il a été victime au fil des années et qu'elle aurait dû en arriver à la conclusion que les incidents de discrimination dont il avait été victime constituaient de la persécution.

[30]            À mon avis, la Commission a correctement appliqué les critères établis par la jurisprudence pour évaluer la preuve soumise, y compris l'effet cumulatif de la discrimination subie par le demandeur.

[31]            En résumé, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas en mesure de se décharger du fardeau de preuve que lui imposait le critère établi dans l'arrêt Adjei, précité. Le demandeur n'a soumis aucune preuve convaincante pour démontrer qu'il serait persécuté du fait de ses origines ethniques. En conséquence, les risques que le demandeur soit persécuté s'il devait retourner en Bulgarie se résument à une simple possibilité.

[32]            En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, étant donné que la décision de la Commission ne renferme aucune erreur de fait ou de droit révisable qui justifierait l'intervention de notre Cour.

[33]            L'avocat du demandeur a suggéré la certification de la question suivante :

L'évaluation de la persécution en fonction de l'effet cumulatif est-elle une question de droit?

  

[34]            À mon avis, il ne s'agit pas là d'une question grave de portée générale. En conséquence, aucune question ne sera certifiée.

  

                                                                                           « Pierre Blais »                   

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


  

                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

  

Date : 20020813

Dossier : IMM-3973-01

ENTRE :

            KONSTANTIN DIMITROV ANGUELOV

                                                                                    demandeur

                                               - et -

             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                          ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                     défendeur

                                                                                                                                                     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

  

                                                                                                                                                     


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-3973-01

INTITULÉ :                                        KONSTANTIN DIMITROV ANGUELOV

                                                                              - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

   

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

  

DATE DE L'AUDIENCE :              29 juillet 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                      13 août 2002

  

COMPARUTIONS :

Me Pamila Bhardwaj                                                             POUR LE DEMANDEUR

  

Me Tamarat Gebeyhu                                                            POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bhardwaj Plhani Law Office                                                POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

  

Morris Rosenberg                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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