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Date : 20060419

Dossier : IMM-4092-05

Référence : 2006 CF 498

Toronto (Ontario), le 19 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

HUIZHEN LI

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Li demande le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’immigration (l’agent) dans laquelle l’agent a conclu qu’il n’y a pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant que Mme Li n’ait pas à présenter sa demande de visa hors du Canada, comme l’exige le paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

 

I. Le contexte

[2]               Mme Li est une citoyenne de la Chine de 56 ans. Elle est arrivée au Canada en juin 2001 et a déposé une demande d’asile deux mois plus tard. En janvier 2004, elle a retiré sa demande d’asile. Depuis son arrivée au Canada, elle habite avec sa fille, qui est résidente permanente, et sa petite-fille, qui est citoyenne canadienne.

 

[3]               En janvier 2003, Mme Li demandait qu’il lui soit permis de rester au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire (demande CH). Le 21 avril 2005, elle a présenté à l’agent des renseignements à jour. Une demande de parrainage, présentée par la fille de Mme Li, était annexée à la demande CH. L’agent a examiné la demande de parrainage et évalué le revenu total pour une famille comportant trois membres et a conclu que le salaire de la fille de la demanderesse ne correspondait pas au minimum requis pour parrainer sa mère. L’agent a noté que la LIPR prévoyait ce genre de situation et que, lorsque sa situation financière aurait changé, la fille de Mme Li pourrait parrainer sa mère à titre de parent par l’intermédiaire du bureau des visas à l’étranger.

 

[4]               Mme Li a principalement fondé sa demande sur l’allégation qu’elle courrait un risque si elle retournait en Chine en raison de ses croyances religieuses parce qu’elle était une adepte du tian dao. Elle a présenté une copie de son formulaire de renseignements personnels (FRP) avec sa demande. L’agent a mentionné dans ses notes qu’il a lu le FRP, mais qu’il concluait que Mme Li n’avait pas présenté suffisamment de preuves documentaires à l’appui de sa demande. L’agent a aussi tenu compte du fait que Mme Li avait retiré sa demande d’asile. En raison de ce retrait, l’agent était convaincu qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une appréciation des risques. Mme Li n’a pas réussi à convaincre l’agent qu’elle subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle retournait en Chine.

 

[5]               En ce qui a trait à l’établissement, l’agent a conclu que Mme Li était établie au Canada dans une certaine mesure, mais pas assez pour justifier une exemption aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR. L’agent a noté que Mme Li avait un fils en Chine, avec qui elle habitait avant de venir au Canada. De plus, ses parents habitent en Chine. Mme Li a travaillé à son propre compte en Chine comme couturière pendant plus de 15 ans.

 

[6]               L’agent a conclu, après avoir examiné tous les renseignements, que Mme Li ne subirait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait retourner en Chine et présenter une demande de la manière habituelle.

 

II. Les questions en litige

[7]               Mme Li allègue que l’agent a commis deux erreurs :

(1)        l’agent n’a pas tenu compte, au cours de son évaluation, de l’intérêt supérieur de l’enfant né au Canada;

(2)        l’agent a manqué au principe d’équité procédurale en ne renvoyant pas la demande de Mme Li à un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR), contrairement au mandat décrit à l’article 13.4 de la Directive 5 sur le traitement des demandes au Canada.

 

III. La norme de contrôle

[8]               La norme de contrôle applicable aux décisions rendues pour des demandes CH est la décision raisonnable : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker).

IV. Analyse

A. L’intérêt supérieur de l’enfant

[9]               Mme Li soutient que l’agent devait obligatoirement tenir compte de l’intérêt supérieur de sa petite-fille. Mme Li n’avait pas fait référence à l’intérêt supérieur de l’enfant et n’avait pas demandé à l’agent d’examiner cet intérêt dans sa demande CH ni dans aucun autre document. L’agent a tout de même noté que Mme Li habitait avec sa fille et sa petite-fille.

 

[10]           Dans l’affaire Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 2 R.C.F. 635 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a statué qu’un demandeur a le devoir de présenter suffisamment de preuves à l’appui de sa demande CH. L’intérêt d’un enfant ne peut être examiné que s’il existe une preuve de cet intérêt. Les documents présentés à l’appui d’une demande doivent être suffisamment clairs au sujet du fait que le demandeur s’appuie sur ce facteur. En l’espèce, Mme Li ne s’est pas acquittée de cette obligation parce qu’elle n’a pas mentionné sa petite-fille. Par conséquent, sa demande ne peut pas être accueillie à cet égard.

 

B. Manquement à l’équité procédurale

[11]           Les directives ministérielles n'ont pas force de loi et ne lient pas le ministre et ses représentants. Cependant, elles sont accessibles au public et la Cour suprême les a qualifiées de très utiles à la Cour : Baker; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh).

 

[12]           Mme Li se fonde sur l’affaire Babilly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 259 F.T.R. 280 (C.F.), pour appuyer l’allégation selon laquelle le défaut de renvoyer sa demande à un agent d’ERAR pour un examen des risques constitue un manquement à l’équité procédurale. Le défendeur soutient que les directives n’enlèvent pas tout le pouvoir discrétionnaire à l’agent d’évaluer, en fonction des documents présentés avec la demande, s’il est justifié d’effectuer un ERAR. Le défendeur cite de nombreux précédents à l’appui de ce point de vue. Toutes les décisions qu’il cite ont été rendues sous le régime de l’ancienne loi et il est évident que les directives sous le régime de l’ancienne loi ne sont pas exactement les mêmes que celles sous le régime de la LIPR.

 

[13]           Les directives sont, selon les termes de la Cour suprême du Canada, des « lignes directrices établies par le ministère lui-même » « destinées aux agents d’immigration » : Suresh, au paragraphe 36.

 

[14]           Même si j’étais convaincue (et je ne tire aucune conclusion de la sorte) que le défendeur avait raison, afin d’évaluer si la décision de l’agent de ne pas renvoyer la demande de Mme Li à un agent d’ERAR est raisonnable (conformément au raisonnement exposé dans l’affaire Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 (Ryan), aux paragraphes 55 et 56), il faut tenir compte des documents dont était saisi l’agent. Malheureusement, ceci n’est pas possible.

 

[15]           Il est clair que l’agent avait reçu le FRP de Mme Li, et ses motifs notent qu’il l’a lu et examiné. Cependant, le FRP ne se trouve pas dans le dossier certifié du tribunal. Bien que le défaut de présenter un dossier certifié conforme aux Règles ne justifie pas, en soi, une annulation automatique de la décision : Hawco c. Canada (Procureur général) (1998), 150 F.T.R. 106 (C.F. 1re inst.); Murphy c. Canada (Procureur général) (1997), 131 F.T.R. 33 (C.F. 1re inst.), certains précédents donnent à penser que l’application du paragraphe 17 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 est obligatoire. Le tribunal doit constituer un dossier composé de tous les documents pertinents qui sont en la possession ou sous la garde du tribunal. La décision peut être annulée si le dossier est incomplet : Gill c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 34 Imm. L.R. (3d) 29 (C.F.); Kong et al. c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 73 F.T.R. 204 (C.F. 1re inst.).

 

[16]           Je suis consciente que l’examen des facteurs pertinents ne fait pas partie des fonctions de la Cour lors du contrôle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre : Suresh; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.). Ceci dit, même si j’acceptais l’argument du défendeur aux fins de la présente demande, je ne suis pas en mesure de déterminer si la décision de l’agent (prise en contravention des Directives) de ne pas transférer la demande à un agent d’ERAR peut résister à un examen assez poussé, parce que je n’ai pas vu la preuve dont l’agent était saisi.

 

[17]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée devant un autre agent pour un nouvel examen. Les avocats n'ont pas proposé de question à certifier et les faits n'en soulèvent aucune.


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée devant un autre agent d’immigration pour un nouvel examen.

 

                                                                                                      « Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4092-05

 

INTITULÉ :                                       HUIZHEN LI c.

                                                            MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 avril 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Layden-Stevenson

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 avril 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Calvin Chung Huong

 

POUR LA DEMANDERESSE

Anshumala Juyal

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRIT AU DOSSIER :

 

Calvin Chung Huong

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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