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Date : 20020125

Dossier : IMM-281-01

Référence neutre : 2002 CFPI 92

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                    CONFIDENTIEL

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                         MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, introduite en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, d'une décision en date du 2 janvier 2001 [la décision écrite a en fait été rendue le 29 décembre 2000] par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]                 Le demandeur est un ressortissant libyen qui est arrivé au Canada en août 1999 pour revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. Ainsi que le demandeur l'a expliqué dans son formulaire de renseignements personnel (FRP), sa famille possède des biens à Tripoli, en Libye, notamment un garage que son père l'a autorisé à louer ou à vendre. À la fin de 1998, le demandeur a loué le garage en question à M. Rajab, un homme pour lequel il avait travaillé dans un atelier.

[3]                 Le demandeur affirme qu'environ trois mois après avoir loué le garage, des agents des services de sécurité libyens ont arrêté M. Rajab à son domicile à deux heures de la nuit et qu'ils l'ont ensuite emmené au garage loué vers cinq heures du matin. À 6 h, un ami du demandeur qui avait été témoin des événements qui s'étaient produits au garage loué a téléphoné au demandeur pour le mettre au courant des événements. Le demandeur a appris que M. Rajab conservait des armes (des khalishnikovs) dans le garage et qu'il avait donné le nom du demandeur aux agents de sécurité. Alors que le demandeur séjournait à l'extérieur de Tripoli et qu'il rendait visite à des connaissances à El-Amamra, les autorités libyennes se sont rendues à son domicile pour interroger son père.


[4]                 Après avoir discuté de la situation avec son père et des amis de la famille, le demandeur a décidé de venir au Canada comme étudiant et il a reçu une lettre d'acceptation d'une université canadienne en juillet 1999. Pour obtenir son visa, le demandeur a franchi clandestinement la frontière avec l'aide d'autres personnes pour être reçu en entrevue à l'ambassade canadienne en Tunisie le 29 juillet 1999. Le 31 juillet, il est retourné en Libye, là encore avec l'aide d'autres personnes. Le demandeur a expliqué dans son FRP et à l'audience qu'il avait obtenu un passeport en avril 1999 en versant des pots-de-vin. Le passeport a été délivré à son nom. Le 6 août 1999, encore une fois avec l'aide d'autres personnes, le demandeur a réussi à passer par un aéroport libyen et à monter à bord d'un avion en partance pour le Canada.

[5]                 Le demandeur affirme que, depuis son arrivée au Canada, il a appris par son frère que les services de sécurité libyens étaient toujours à sa recherche. Il estime que les autorités libyennes n'hésiteraient pas à le tuer. Le demandeur affirme qu'il n'était pas au courant des armes qui ont été trouvées dans le garage qu'il avait loué. Il soutient en outre qu'il s'oppose aux méthodes employées par le gouvernement libyen mais qu'il n'a jamais rien dit parce qu'il avait peur.

[6]                 La revendication du demandeur a été instruite par deux commissaires de la SSR le 9 septembre et le 12 décembre 2000. Dans une décision verbale prononcée le 15 décembre 2000 et dans les motifs écrits publiés par la suite le 29 décembre 2000, les commissaires saisis de l'affaire ont refusé de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention. Voici les conclusions que la SSR a formulées dans ses motifs du 29 décembre 2000 :

[TRADUCTION]

Après avoir examiné l'affaire dans son ensemble, nous en concluons qu'il semble qu'il ait inventé cette version des faits pour que sa revendication du statut de réfugié soit acceptée. Nous ne croyons aucune partie de sa version des faits : celle-ci est tout simplement invraisemblable. Les réponses que le revendicateur a données n'étaient pas raisonnables et le revendicateur n'était pas crédible.


Nous ne croyons pas que sa revendication soit bien fondée ou que l'un ou l'autre de ces incidents se soit produit. Nous en concluons qu'il n'y a rien de plus qu'une simple possibilité qu'il serait persécuté pour l'un des motifs énumérés dans la Convention s'il devait retourner dans son pays.

[7]                 Question en litige

La décision de la Section du statut de réfugié devrait-elle être annulée?

[8]                 Dispositions législatives applicables

Le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, dispose :

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne_ :

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_ :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;

[9]                 Analyse et décision

La SSR a jugé le demandeur non crédible et a exposé les raisons pour lesquelles elle en arrivait à cette conclusion. En règle générale, si les commissaires saisis de l'affaire concluent que le revendicateur n'est pas crédible et qu'ils citent des exemples clairs tirés de la preuve pour étayer leur conclusion, notre Cour ne modifie pas leur conclusion. La SSR peut toutefois commettre des erreurs qui donneront à la Cour le pouvoir de réviser la conclusion de non-crédibilité tirée par la SSR. Dans l'arrêt Zalzali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 605, (1991) 14 Imm.L.R. (2d) 81 (C.A.F.), le juge Décary a déclaré ce qui suit à la page 83 :

Un des éléments retenus par la section du statut pour mettre en doute la crédibilité de l'appelant est le fait qu'il n'aurait quitté le Liban « qu'environ quatre mois » après qu'il eût reçu des menaces de mort. Or, la preuve révèle, et le procureur de l'intimé concède ce point, que l'appelant a quitté le Liban deux jours, et non pas quatre mois après qu'il eût reçu ces menaces. Il s'agit là d'une erreur grossière dans l'appréciation de la preuve, erreur qui a de toute évidence influencé de façon déterminante la section du statut, laquelle la commet à deux reprises. Ce genre d'erreur autorise cette Cour à remettre en question la conclusion de non-crédibilité à laquelle en est venue la section du statut.

[10]            En l'espèce, le demandeur soutient que la SSR a commis des erreurs dans son appréciation de la preuve lorsqu'elle a conclu que le revendicateur n'était pas crédible. Voici les présumées erreurs en question :

1.          À la page 3 de sa décision, la SSR a conclu que le demandeur avait, trois mois après son départ, reçu un appel téléphonique l'informant que M. Rajab, qui avait loué son garage, avait été arrêté. Un examen des pièces versées au dossier démontre que l'appel téléphonique a été reçu à 6 h, le matin de l'arrestation.


2.          La SSR a également conclu qu'à l'audience, le demandeur avait obtenu tous les renseignements relatifs à l'arrestation à partir de faits de notoriété publique qui avaient été obtenus indirectement à la suite des renseignements que la femme de M. Rajab avaient divulgués après en avoir été informée. Il ressort du dossier que cela n'est pas exact, étant donné que le demandeur a été mis au courant des détails concernant l'arrestation par un de ses amis, Ehemed Al Shivani.

[11]            À mon avis, nous sommes en présence d'une situation identique à celle qui s'était produite dans l'affaire Zalzali, précitée. La Commission a fondé ses conclusions de non-crédibilité sur des faits qui n'étaient pas exacts. Par conséquent, la décision de la Commission doit être annulée et l'affaire doit être renvoyée à une autre formation de la Commission.

[12]            En raison de ma conclusion au sujet de la question de la crédibilité, il n'est pas nécessaire que j'examine toute autre question concernant la décision de la Commission.

[13]            Aucune des deux parties n'a désiré soumettre à l'examen de la Cour une question grave de portée générale.


ORDONNANCE

[14]            LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire et RENVOIE l'affaire à la Commission pour qu'elle soit examinée par un tribunal différemment constitué.

                                                                                 « John A. O'Keefe »       

                                                                                                             Juge                     

Ottawa (Ontario)

Le 25 janvier 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 IMM-281-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :             CONFIDENTIEL

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                   OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 8 AOÛT 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                        25 JANVIER 2002

COMPARUTIONS :

RUSSEL KAPLAN                                                                       POUR LE DEMANDEUR

RITU NANERJEE                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PFEIFFER & ASSOCIATES                                                     POUR LE DEMANDEUR

OTTAWA (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG                                                              POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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