Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020724

Dossier : IMM-3501-01

                                                                                       Référence neutre : 2002 CFPI 819

ENTRE :

           

                             STELIAN PAUL MURESAN, LIANA MURESAN,

                     DENISA ANTONIA MURESAN et MARIANA MURESAN

demandeurs

- et -

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION

[1]                Stelian Paul Muresan, Liana Muresan, Denisa Antonia Muresan et Mariana Muresan (les demandeurs) cherchent à obtenir le contrôle judiciaire de la décision, en date du 28 juin 2001, de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) selon laquelle les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention parce qu'ils avaient une possibilité de refuge intérieur dans leur pays d'origine.

FAITS

[2]                M. Muresan et Mme Liana Muresan, les parents de Denisa Antonia Muresan, sont mari et femme. Mme Mariana Muresan est la soeur de M. Muresan.


[3]                M. Muresan, Mme Liana Muresan et Mme Mariana Muresan revendiquent le statut de réfugié au sens de la Convention sur le fondement qu'ils craignent d'être persécutés, particulièrement par la police, en Roumanie du fait de leur ethnie : ils sont des Roms.

[4]                M. Muresan et Mme Mariana Muresan ont relaté des incidents, survenus sur une longue période, au cours desquels les autorités policières de leur ville natale, Dej, ont infligé de la discrimination et des mauvais traitements. L'un et l'autre ont raconté le meurtre inexpliqué de leur père et la mort de leur mère, quelques années plus tard, dans un accident de la route. Ils ont déclaré que leur mère soupçonnait la police d'être impliquée dans le meurtre de leur père. Ils ont témoigné soupçonner la police d'avoir également un lien avec la mort de leur mère.

[5]                Mme Mariana Muresan a aussi été attaquée par trois hommes, le 15 janvier 2000. Elle a allégué avoir été violée par ses assaillants et a prétendu que l'un d'eux était un policier avec qui elle avait déjà eu des démêlés.

[6]                Mme Liana Muresan, qui a épousé Stelian en janvier 2000, a témoigné de la discrimination dont elle a souffert quand elle était à l'école et de celle pratiquée par les policiers. Elle était présente quand sa belle-soeur a été attaquée en janvier 2000, mais a réussi à s'enfuir.


[7]                Mme Liana Muresan, sa petite fille et Mme Mariana Muresan ont fui la Roumanie en février 2000 et sont entrées au Canada. La Commission a décidé que M. Muresan et sa femme n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention au motif que les mauvais traitements qu'ils ont subis dans le passé ne constituaient pas de la persécution. La Commission n'était pas convaincue que la preuve présentée était suffisante pour conclure que les demandeurs seraient encore victimes de discrimination dans le futur. La Commission a appliqué le critère de la prépondérance des probabilités pour apprécier le caractère raisonnable de la crainte de persécution alléguée et est parvenue à une conclusion défavorable.

[8]                La Commission a alors examiné s'il existait une possibilité de refuge intérieur pour les demandeurs en Roumanie, à Bucarest. Elle a tranché la revendication de la petite Denisa Antonia Muresan sur le fondement de celle de ses parents.

[9]                La Commission a conclu que la demanderesse Mme Mariana Muresan était une réfugiée au sens de la Convention en raison des traitements qu'elle avait subis dans le passé en Roumanie. La Commission a alors examiné s'il existait une possibilité de refuge intérieur pour la demanderesse et a conclu que Bucarest en était une. En conséquence, la Commission a décidé que Mme Mariana Muresan n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

QUESTION

[10]            Dans la présente instance, la question est de savoir si la Commission a commis une erreur en décidant qu'il existait une possibilité de refuge intérieur pour les demandeurs à Bucarest.

ANALYSE

[11]            La Commission a commis une erreur dans le choix du critère qu'elle a appliqué pour décider qu'il n'était pas raisonnable que les demandeurs Paul Muresan, sa femme Liana et leur enfant Denisa Antonia craignent d'être persécutés.


[12]            Le critère à appliquer n'est pas celui de la prépondérance des probabilités. À cet égard, le juge MacGuigan de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Adeji c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1989] 2 C.F. 680, à la page 683, a expliqué :

Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d'une part qu'il n'y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c'est-à-dire une probabilité), et d'autre part, qu'il doit exister davantage qu'une possibilité minime.

[13]                        En l'espèce, la mauvaise interprétation du critère par la Commission ne constitue cependant pas une erreur susceptible de contrôle parce que la Commission a ensuite examiné la possibilité de refuge intérieur pour chacun des demandeurs. Cette analyse était correcte puisque la définition de « réfugié au sens de la Convention » exige que la possibilité de refuge intérieur soit examinée. À ce sujet, je me reporte à l'arrêt Thirunavukkarasu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 163 N.R. 232 (C.A.F.), dans lequel la Cour a statué que la définition de « réfugié au sens de la Convention » comprenait la notion de possibilité de refuge intérieur. Il incombe au revendicateur de prouver qu'il n'existe pas de possibilité de refuge intérieur.

[14]                        Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la Commission au sujet de la possibilité de refuge intérieur à Bucarest était déraisonnable, car il n'était pas prouvé qu'ils ne risquaient pas d'y être persécutés par les policiers. La Commission a fait remarquer que les demandeurs auraient, à Bucarest, à s'inscrire auprès de la police, puisqu'il s'agit d'une des exigences pour s'établir dans cette ville. Elle a toutefois conclu qu'il n'était pas prouvé que les autorités policières de Bucarest s'intéresseraient particulièrement à eux ou qu'elles contacteraient leurs homologues de Dej, la ville natale des demandeurs. Même si la police de Bucarest contactait celle de Dej, il n'y a pas de mandat d'arrêt contre les demandeurs et, selon la prépondérance des probabilités, la police ne s'intéressera pas à eux.


[15]            Il appert, au vu du dossier certifié du tribunal, que lors de l'examen préliminaire des revendications des demandeurs, la Commission a relevé la possibilité d'un refuge intérieur comme étant une question à trancher.

[16]            Dans l'arrêt Thirunavukkarasu, précité, la Cour a examiné la nécessité que la Commission dispose de preuves pour conclure à l'existence d'une possibilité raisonnable de refuge. À mon avis, les conclusions de la Commission à cet égard dans la présente affaire sont contestables parce qu'elles ne sont pas appuyées par la preuve.

[17]            Je conclus que les prétentions des demandeurs sont fondées et que la conclusion de la Commission au sujet de la possibilité de refuge intérieur n'est pas étayée par la preuve.

[18]            La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie et l'affaire est renvoyée à la Commission pour que celle-ci, différemment constituée, procède à un nouvel examen.

[19]            Aucune question n'a été soumise aux fins de certification.

« E. Heneghan »

Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 24 juillet 2002

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.


                        COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                   IMM-3501-01

INTITULÉ :                                                   STELIAN PAUL MURESAN, LIANA MURESAN, DENISA ANTONIA MURESAN et MARIANA MURESAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                           CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                         LE 11 JUILLET 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :             MADAME LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                                 LE 24 JUILLET 2002

COMPARUTIONS :

Mme D. JEAN MUNN                                   POUR LES DEMANDEURS

Mme TRACY KING                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CARON & PARTNERS                              POUR LES DEMANDEURS

CALGARY (ALBERTA)

M. MORRIS ROSENBERG                         POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.