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     Date: 19980610

     Dossier: IMM-2540-97

Entre :

     Vladimir MAMONTOV

     Ilan MAMONTOV

     ALEKSANDER BEKKER

     Irina BEKKER

     Zinaida BEKKER

     Partie requérante

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Partie intimée

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]      La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 13 mai 1997 par la Section du statut de réfugié statuant que les requérants, Vladimir Mamontov, son épouse Irina Bekker, madame Zinaida Bekker, la mère de cette dernière, et leurs fils Aleksander Bekker et Ilan Mamontov, ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Préférant la preuve documentaire au témoignage des requérants, le tribunal a jugé que ces derniers n'avaient pas établi, en cas de retour en Israël, une possibilité raisonnable de persécution, selon les termes de l'arrêt Adjei c. Canada (M.E.I.), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.F.), puisque ce pays est "un pays démocratique où les institutions politiques et judiciaires sont capables de protéger ses citoyens".

[3]      Il importe de reproduire l'extrait suivant de la décision du tribunal:

             Les revendicateurs allèguent des mauvais traitements et du harcèlement de la part de leurs voisins. Parce qu'ils n'auraient pas fait circoncire leur nouveau-né dans les huit jours, tout le monde aurait su qu'ils n'étaient pas juifs et leur audit dit qu'Israël n'était pas pour des Russes. Depuis 1989, près d'un million d'immigrants de l'ex-URSS sont venus s'établir en Israël, étant maintenant 20% de la population. De ces derniers, environ un tiers n'est pas juif. Les problèmes auxquels ils ont à faire face sont les mêmes que ceux auxquels les Juifs doivent faire face et il n'y a pas de différence [renvoi omis].                 
             Les revendicateurs ont fait état de plaintes que la police accepte pour des souillures à leur porte ou pour blessure de leur fils alors que la polyclinique refuse de confirmer qu'il s'agit d'une agression.                 
             Ces incidents n'entament pas la présomption qui se dégage de la preuve documentaire produite par l'ACR ni le principe suivant exprimé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Kadenko [renvoi omis]: "Dès lors, en effet, qu'il est tenu pour acquis que l'État (en l'espèce Israël) possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses citoyens, il est certain que le refus de certains policiers d'intervenir ne saurait en lui-même rendre l'État incapable de le faire". La documentation crédible déposée à l'audience indique qu'Israël est un pays démocratique où les institutions politiques et judiciaires sont capables de protéger ses citoyens [renvoi omis].                 

[4]      Depuis l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Zhou c. M.E.I. (18 juillet 1994), A-492-91, la jurisprudence de cette Cour est constante à l'effet qu'il est habituellement loisible à la Section du statut de réfugié d'accorder plus de poids à la preuve documentaire soumise par l'agent d'audience qu'au témoignage d'un requérant. En effet, dans cette affaire, Monsieur le juge Linden a écrit ce qui suit:

             We are not persuaded that the Refugee Division made any error that would warrant our interference. The material relied on by the Board was properly adduced as evidence. The Board is entitled to rely on documentary evidence in preference to that of the claimant. There is no general obligation on the Board to point out specifically any and all items of documentary evidence on which it might rely. The other matters raised are also without merit. The appeal will be dismissed.1                 

[5]      De plus, il est bien établi, depuis l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, que pour satisfaire à la définition de "réfugié au sens de la Convention", un revendicateur du statut de réfugié doit démontrer, par une preuve claire et convaincante, que l'État dont il est le ressortissant est incapable de le protéger. Dans cette affaire, le juge La Forest écrivait ce qui suit, à la page 726:

             Bref, je conclus que la complicité de l'État n'est pas un élément nécessaire de la persécution, que ce soit sous le volet "ne veut" ou sous le volet "ne peut" de la définition. Une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténuée par l'exigence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection. . . .                 

[6]      Subséquemment, dans l'arrêt M.C.I. c. Kadenko et al. (15 octobre 1996), A-388-95,2 concernant précisément l'État d'Israël, Monsieur le juge Décary, pour la Cour d'appel fédérale, a exprimé ce qui suit, à la page 2:

             Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause: plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui2.                 
                         
         2      voir Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171, 176 (C.A.F.), approuvé par Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 725.                 

[7]      En l'espèce, après avoir longuement fait état des renseignements et des témoignages fournis par les requérants, le tribunal dit avoir étudié l'ensemble de la preuve pour conclure essentiellement que les requérants n'avaient pas réussi à repousser la présomption qu'Israël est incapable de les protéger. Après révision de toute la preuve, je suis d'avis que le tribunal, à cet égard, pouvait raisonnablement conclure comme il l'a fait.

[8]      Par ailleurs, même si le tribunal m'apparaît être allé trop loin en affirmant que les non-Juifs doivent faire face aux mêmes problèmes que les Juifs, je suis néanmoins d'avis qu'il ne s'agit pas là d'une erreur suffisamment grave, dans les circonstances, pour justifier l'intervention de cette Cour, le tribunal ayant jugé, de toute façon, que les requérants pouvaient bénéficier de la protection de l'État d'Israël.

[9]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans certification en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration.

                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 10 juin 1998


__________________

1      Voir aussi Victorov c. M.C.I. (14 juin 1995), IMM-5170-94 et Leonid Viacheslavov et al. c. Canada (M.C.I.) (29 novembre 1996), IMM-48-96.

2      Demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada, no 25689, rejetée le 8 mai 1997.

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