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Date: 19980604

Dossier: IMM-4253-97

OTTAWA, ONTARIO, CE 4e JOUR DU MOIS DE JUIN 1998

Présent :              MONSIEUR LE JUGE J.E. DUBÉ

Entre :

                                                        Igor KUSLITSKY

                                                        Maria QOSLITZQI

                                                        Boris CHARNOV

                                                   Tatiana PROSKURINA,

                                                                                                               Partie requérante,

                                                                    - et -

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                  ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                      Partie intimée.

                                                         ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

                                                                                                                                                                                   

                                                                                                                                        Juge


Date: 19980604

Dossier: IMM-4253-97

Entre :

                                                        Igor KUSLITSKY

                                                        Maria QOSLITZQI

                                                        Boris CHARNOV

                                                   Tatiana PROSKURINA,

                                                                                                               Partie requérante,

                                                                    - et -

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                  ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                      Partie intimée.

                                               MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE DUBÉ:

[1]                     Le requérant et son épouse sont des citoyens d'Israël qui ont, sans l'assistance d'un avocat, revendiquéle statut de réfugiéauprès de la Section du statut de réfugié("la Section du statut" ou "le Tribunal") en alléguant une crainte fondée sur leur nationalité. En l'occurrence, l'époux est de nationalitéjuive alors que sa conjointe soutient qu'elle est de nationalitérusse et de religion orthodoxe. Les requérants ont essentiellement baséleur allégation de persécution sur le fait que l'épouse est reconnue en Israël comme étant de nationalitérusse.

[2]                     Le Tribunal a conclu que les requérants n'étaient pas crédibles au motif qu'ils ont "menti sur un point aussi fondamental de leur revendication" que la nationalitéde l'épouse. Le Tribunal a voulu voir la carte d'identitéisraélienne de cette dernière et elle a répondu avoir perdu ce document à l'occasion d'un incendie à leur domicile. Selon le Tribunal, la demanderesse aurait consenti à ce qu'il obtienne une confirmation de la nationalitéde la requérante auprès du Consulat israélien à Montréal.


[3]                     Le Tribunal a reçu une réponse du Consulat peu de temps après l'audience à l'effet que l'épouse est de nationalitéjuive. Se fondant sur ce document, copie duquel il a fait parvenir aux requérants, le Tribunal, en leur absence, a décidéqu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[4]                     L'avocate des requérants soumet que le Tribunal se devait de convoquer les requérants pour les confronter à la réponse du Consulat israélien surtout qu'ils n'étaient pas représentés par un avocat devant le Tribunal et que leur consentement à une telle procédure n'est pas clair et évident.

[5]                     Effectivement, la transcription des témoignages à l'audience révèle que le consentement des requérants était pour le moins fragile et obscur. Les passages suivants rapportés aux pages 171 et 215 méritent d'être considérés:

PAR L'AGENT CHARGÉDE LA REVENDICATION(à la personne en cause no 2)

-            Alors Madame, dans ce formulaire, vous autorisez le tribunal à divulguer...non, vous demandez au consulat général d'Israël à divulguer, vous autorisez le tribunal à demander au consulat qu'il divulgue ce qui est écrit sur votre teudad-zheut.

Q.         Est-ce que vous donnez cette autorisation?

R.          Pourquoi pas non.

Q.         Pardon? Pourquoi pas, vous dites oui?

PAR L'INTERPRÈTE(à l'agent chargéde la revendication)

-            Pourquoi pas non, elle dit. Oui, elle dit.

R.          Je cherche l'endroit oùils signent.

-            En bas peut-être, non.

...


PAR LE MEMBRE AUDIENCIER(aux personnes en cause)

-            Alors, on va attendre la réponse du consulat d'Israël, pour cela on donne un délai jusqu'au 27 août 1997. Àpartir de cette date, on va prendre la cause en délibéréet la décision vous sera alors communiquée dans les meilleurs délais.

[6]       Il me semble clair que cette procédure suivie par le Tribunal n'est pas acceptable vu qu'elle ne répond pas aux exigences de la Loi sur l'immigration ("la Loi") et de la justice naturelle. En l'espèce, il est évident que l'information demandée auprès du Consulat israélien et obtenue en l'absence des parties intéressées ne pouvait être considérée comme finale et déterminante. Le Tribunal se devait de réouvrir l'audience afin de permettre aux requérants de considérer et de réfuter la nouvelle preuve, ou même de contre-interroger l'auteur du document en question.


[7]       Dans l'affaire Lawal c. Canada[1], le juge Hugessen de la Cour d'appel fédérale s'est référé aux articles 67 et 68 de la Loi gouvernant la compétence et les pouvoirs de la Section du statut ainsi que la procédure à suivre par ce Tribunal. Il a conclu que la Section du statut n'est pas liée par des règles légales ou techniques de présentation de la preuve et peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles, dignes de foi en l'occurrence, et fonder sa décision en vertu du paragraphe 68(3). En vertu de l'alinéa 67(2)(d) la Section du statut a le pouvoir de faire des enquêtes mais seulement "dans le cadre d'une audience". Voici ce qu'il dit à la page 411:

Certes, il se peut, comme l'a prétendu l'avocate du ministre, que la Commission tienne du paragraphe 67(2) le pouvoir de faire enquête de sa propre initiative; mais il est clair que ces pouvoirs doivent être exercés seulement ndans le cadre d'une audienceo. Plus particulièrement, le pouvoir conférépar l'alinéa 67(2)d) et invoquépar l'avocate ne peut être exercéque si cela est nnécessaire[. . .] à une instruction approfondie de l'affaireo[soulignements ajoutés].

[8]       Le paragraphe 68(5) de la Loi prévoit également que la Section du statut doit informer le ministre, s'il est présent à l'audience, et "la personne visée par la procédure" de son intention d'admettre d'office des faits, renseignements ou opinions et leur donne la possibilitéde présenter leurs observations à cet égard". Comme le disait le juge Hugessen à la page 411: "Il est tout à fait clair que, compte tenu de l'économie des articles 67 à 69.1 inclusivement, la Commission doit se prononcer sur les revendications du statut de réfugiéseulement par voie d'audience".

[9]       Tel que l'exprimait ce même juge dans l'affaire Anesse Gracielome[2], les requérants doivent être confrontés avec un document qui les contredit. Il disait ceci à la page 3:

Il est à noter que dans aucun des trois cas n'a-t-on confrontéles requérants avec leurs prétendues contradictions ni demandéqu'ils s'expliquent à ce sujet.


[10]     Dans l'affaire Sajid Khan[3], la juge Tremblay-Lamer traitant d'événements postérieurs à l'audience, tirait cette conclusion que j'adopte d'emblée:

Ainsi, il est clair que la Section du statut, au moment de rendre sa décision, a considéréun fait survenu postérieurement à l'audition. Je suis d'accord avec le requérant que le tribunal ne pouvait tenir compte de cette nouvelle preuve documentaire sans faire réouvrir l'audience pour permettre au requérant de s'exprimer sur cette preuve, en vertu du paragraphe 68(5) de la Loi et de l'affaire Lawal c. M.E.I. , 13 Imm.L.R., (2d), 163 (C.A.F.). Il a donc errésur ce point.

[11]     Dans les circonstances, il me semble évident qu'en l'absence d'un consentement formel entre les parties à adopter une telle procédure, la Commission du statut ne peut tout simplement obtenir un document après l'audience, baser sa décision sur ce document sans au préalable avoir accordéaux requérants l'opportunitéde présenter leurs observations ou de contre-interroger l'auteur. Cette procédure constitue un déni de justice naturelle.

[12]     En conséquence, la demande est accueillie, l'affaire est renvoyée devant la Commission du statut composée de membres différents.

[13]     Àmon avis, il n'y a pas de question d'importance générale à certifier.


O T T A W A, Ontario

le 4 juin 1998

                                                                                                                                             

                                                                                                    Juge


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DE LA COUR:                        IMM-4253-97

INTITULÉ :                                    Igor KUSLITSKY et autres c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :            Montréal, Québec

DATE DE L'AUDIENCE :          le 22 mai 1998 MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE Dubé EN DATE DU                                                      4 juin 1998

COMPARUTIONS

Me Michelle Langelier                                          POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

Me Ian Hicks                                                 POUR LA PARTIE INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Me Michelle Langelier                                                           POUR LA PARTIE REQUÉRANTE Montréal, Québec

M. George Thomson                                                              POUR LA PARTIE INTIMÉE Sous-procureur général du Canada



[1]                                    [1991] 2 C.F. 404.

[2]                                    A-507-88, 30 mai 1989.

[3]                                    IMM-1433-94, 27 février 1995.


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