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Date : 19980717


Dossier : IMM-300-98

ENTRE :

    

     FRANÇOIS KEMBI MAKALA,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision en date du 16 décembre 1997, par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [ci-après la Section du statut] a estimé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]      Le demandeur, citoyen du Zaïre (depuis redevenu le Congo), craint d'être persécuté du fait de ses opinions politiques en raison de son appartenance au Parti Lumumbiste Unifié (PALU) et à une organisation étudiante qu'il a créée à l'Université de Kinshasa. Sa crainte d'être persécuté n'est née qu'après qu'il eut quitté le Congo. Le demandeur avait initialement fondé sa revendication sur la nature du régime Mobutu, déchu en mai 1997. À l'audience, il a fondé sa revendication sur la nature du régime Kabila et du parti AFDL.

[3]      La Section du statut a estimé que le demandeur était un sympathisant du PALU plutôt qu'un militant. Les membres de la Section du statut ont en outre estimé que le demandeur n'avait pas été actif politiquement depuis juillet 1995 puisqu'il était étudiant à temps plein.

[4]      La Section du statut a conclu que les autorités ne s'intéresseraient pas au demandeur étant donné le changement de situation intervenu dans le pays. Elle a relevé que c'était à titre de simple participant que le demandeur avait pris part, en novembre 1996, à une manifestation contre Mobutu. La Section du statut a en outre estimé que le demandeur n'avait pas les convictions politiques nécessaires à une activité de militant.

[5]      Et enfin, la Section du statut a relevé que le demandeur avait déclaré qu'un retour au Congo ne lui posait guère de problème étant donné qu'il en était parti à cause de la dictature de Mobutu.

[6]      La Section du statut a refusé de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

LES THÈSES EN PRÉSENCE

1. La thèse du demandeur

[7]      Le demandeur fait en premier lieu valoir que la Section du statut a commis une erreur de droit, qu'elle a enfreint les principes de justice naturelle et fondamentale et outrepassé sa compétence en refusant de recueillir un témoignage par téléphone. Une déléguée nationale du PALU, Dorothée Gizenga, était, semble-t-il, censée assister à l'audience et y affirmer que le demandeur était membre du parti depuis 1990. Elle devait également affirmer que les manifestations qui s'étaient déroulées du 5 au 7 novembre 1996, avaient effectivement eu lieu et que, à partir de la nuit du 6 novembre 1996 et pendant les jours suivants, les autorités s'en étaient pris aux adhérents du PALU, soumettant ceux-ci à des arrestations arbitraires, à des mises en détention et à des violences. Elle devait, enfin, livrer un témoignage concernant la situation actuelle des partisans du PALU sous l'AFDL.

[8]      Selon le demandeur, Mme Gizenga, obligée comme elle l'était d'assurer la garde de ses enfants en raison de la grève des enseignants ontariens, n'a pas pu être présente à l'audience. Selon le demandeur, Mme Gizenga l'aurait appelé pour lui dire qu'elle pourrait toujours témoigner par téléphone. À l'audience, l'avocat du demandeur aurait demandé à ce que Mme Gizenga soit autorisée à témoigner par téléphone, mais la Section du statut aurait refusé, décidant de continuer sans son témoignage. Pour le demandeur, le refus d'entendre ce témoin est contraire tant à la justice naturelle qu'à la justice fondamentale. Le demandeur fait en outre valoir qu'en refusant d'entendre Mme Gizenga, la Section du statut s'est ingérée dans la présentation de la preuve. Le demandeur affirme également que la Section du statut a enfreint le paragraphe 69.1(5) de la Loi sur l'immigration, disposition qui garantit au demandeur la possibilité de produire des éléments de preuve. Le demandeur estime ne pas avoir à démontrer qu'il a subi un préjudice en raison d'une atteinte aux principes de l'équité, mais être uniquement tenu de démontrer la possibilité d'un tel préjudice.

[9]      En second lieu, le demandeur fait valoir que la Section du statut a commis une erreur de fait en affirmant qu'il n'était qu'un sympathisant du PALU et non pas membre de ce parti. Le demandeur affirme avoir dit à l'audience qu'il était membre du parti. D'après lui, il aurait expliqué à l'audience que l'expression " membre sympathisant " voulait dire qu'il était adhérent de base et non pas investi d'une fonction ou d'une responsabilité particulière. Le demandeur affirme que la Section du statut a mal interprété son témoignage sur ce point, commettant en cela une erreur de droit. Le demandeur estime, de plus, qu'il s'agit d'une erreur grave car elle a trait à son activité politique et donc à la force et à l'authenticité de ses convictions politiques. La Section du statut a jugé que le demandeur ne courrait aucun risque étant donné que, par le passé, il n'avait pas manifesté les convictions politiques nécessaires. D'après le demandeur, l'opinion de la Section du statut sur ce point aurait pu être tout autre si ses membres s'étaient rendu compte du fait que le demandeur était bien membre du parti en question et non pas un simple sympathisant.

[10]      Le demandeur fait valoir, en troisième lieu, que c'est à tort que la Section du statut a conclu qu'il avait pris part à la manifestation de novembre 1996 en tant que simple participant puisqu'il en a été, en fait, un des organisateurs. Le demandeur fait valoir qu'il était membre fondateur d'une association étudiante dénommée Groupe d'Étudiants Observateurs (GEO). Le demandeur soutient qu'en tant que membre de cette organisation, il a pu mobiliser des étudiants en vue de leur participation à la manifestation. Il soutient avoir dit à la Section du statut qu'il avait organisé la manifestation. À l'audience, l'avocat du demandeur a convenu que cela ne ressort nullement du dossier.

[11]      Le demandeur affirme, en quatrième lieu, que la Section du statut a mal interprété son témoignage, ne comprenant pas qu'il avait été arrêté lors de la manifestation à laquelle il avait pris part en juillet 1995, et qu'il n'avait été relâché qu'en raison de pressions exercées par son parti. Il estime en outre que la Section du statut n'a pas compris qu'il était un des membres fondateurs du GEO, au sein duquel il militait. Le demandeur fait subsidiairement valoir que la Section du statut n'a pas tenu compte de son témoignage à cet égard et que c'est à tort qu'elle n'a, ce faisant, pas tenu compte de l'ensemble de la preuve. Le demandeur soutien avoir livré un témoignage détaillé sur ses activités au sein du GEO mais que la Section du statut n'en a fait aucune mention. Le demandeur aurait en outre déclaré avoir été arrêté au cours de la manifestation de juillet 1995, et avoir été détenu pendant toute une semaine alors que la Section du statut n'y a fait aucune allusion.

[12]      En cinquième lieu, le demandeur fait valoir que la Section du statut n'a pas motivé son rejet du témoignage de l'oncle du demandeur et a commis une erreur de fait à l'égard de ce témoignage. L'oncle du demandeur, membre de longue date du PALU, a témoigné à l'audience. Selon le demandeur, la Section du statut a estimé que ce témoignage n'avait pas établi l'existence d'un fondement objectif permettant de conclure que la famille du demandeur était persécutée pour un des motifs prévus par la Convention. L'oncle du demandeur s'est rendu au Congo en juin de 1997, et a rendu visite à la famille du demandeur. D'après son témoignage, la famille du demandeur était traquée par les autorités. D'après lui, trois neveux devaient être exécutés en tant que partisans du régime Mobutu, mais son oncle était parvenu à les sortir de ce mauvais pas en faisant appel à des instances internationales, et le père du demandeur avait été contraint d'entrer dans la clandestinité. L'oncle du demandeur a également affirmé qu'une conférence, qui se tenait à Kinshasa sur la situation politique, avait été interrompue par des militaires qui avaient arrêté plusieurs des participants.

[13]      Le demandeur estime que c'est à tort que la Section du statut a conclu que les neveux avaient été exécutés sans en connaître le motif. D'après le demandeur, les neveux n'ont pas été exécutés. Il ajoute que s'ils avaient, effectivement, failli être exécutés, c'était parce qu'ils étaient partisans du régime Mobutu.

[14]      Le demandeur fait remarquer que, selon la Section du statut, il ne ressortait pas du témoignage de son oncle que sa famille était persécutée pour un des motifs prévus dans la Convention. Mais son oncle a témoigné que ses trois neveux devaient effectivement être exécutés pour des motifs d'ordre politique. Le demandeur comprend mal comment ce témoignage pouvait ne pas confirmer les motifs de sa revendication. D'après le demandeur, il incombait à la Section du statut d'expliquer pourquoi elle avait rejeté le témoignage de son oncle.

[15]      Et, enfin, le demandeur affirme que la Section du statut a commis une erreur dans son appréciation de la revendication, par le demandeur, du statut de réfugié " sur place ". Il estime que c'est à tort que la Commission a jugé que le demandeur n'avait pas suffisamment de convictions politiques et que, s'il était renvoyé au Congo, il n'exprimerait aucune opinion politique à l'encontre du régime actuel et que, par conséquent, il ne serait pas persécuté. Le demandeur affirme avoir témoigné qu'il continuerait à lutter contre le régime Kabila et que, par le passé, il avait eu une activité politique. D'après le demandeur, les preuves concernant l'intolérance du régime Kabila à l'encontre des opposants à l'AFDL démontrent qu'il serait effectivement persécuté en raison de ses activités.

2. La thèse du défendeur

[16]      Pour le défendeur, il ne ressort aucunement de la transcription que la Section du statut n'a pas permis à Mme Gizenga de témoigner à l'audience. Il fait subsidiairement valoir que si la Section du statut avait refusé d'entendre Mme Gizenga, il n'y aurait tout de même pas atteinte aux principes de justice fondamentale puisque Mme Gizenga n'aurait rien apporté de nouveau par rapport aux éléments déjà fournis par le demandeur.

[17]      Le défendeur fait en second lieu valoir que la Section du statut n'a commis aucune erreur en jugeant que le demandeur était non pas membre du PALU mais simple sympathisant. D'après le défendeur, il a lui-même déclaré être membre sympathisant, n'ayant aucune fonction ou rôle au sein du parti. La Section du statut a par ailleurs conclu que les autorités ne s'intéresseraient nullement au demandeur étant donné qu'il n'avait pas les convictions politiques nécessaires. Pour le défendeur, cette conclusion n'a pas été tirée de façon arbitraire ou sans tenir compte des preuves produites et, d'ailleurs, la décision de la Section du statut n'était aucunement fondée sur cette conclusion. Le défendeur estime donc qu'il n'y a pas lieu pour la Cour d'intervenir.

[18]      Le défendeur fait ensuite valoir que la Section du statut n'a commis aucune erreur en décidant qu'à la manifestation de novembre 1996 le demandeur était un simple participant. Le demandeur a, en effet, lui-même déclaré s'être rendu à la manifestation mais ne pas avoir su qui l'avait organisée. Étant donné l'absence de preuve que ce serait effectivement le demandeur qui aurait organisé cette manifestation, le défendeur estime que ce n'est pas à tort que la Section du statut a conclu que le demandeur n'avait été qu'un simple participant.

[19]      En quatrième lieu, le défendeur soutient que la Section du statut n'a commis aucune erreur en ne mentionnant pas que le demandeur avait été arrêté lors de la manifestation de juillet 1995. La Section du statut a, en effet, relevé que le demandeur avait été arrêté et détenu en novembre de 1996 et, par conséquent, selon le défendeur, la Section du statut a eu égard au fait que le demandeur avait été arrêté et détenu.

[20]      Le défendeur fait en outre valoir que la Section du statut n'a commis aucune erreur en passant sous silence le fait que le demandeur, en tant que membre du GEO, avait mobilisé des étudiants en vue de la manifestation de 1996. Le défendeur estime, en effet, que la Section du statut ayant jugé que le demandeur n'avait pas été un des organisateurs, elle n'a commis aucune erreur en ne faisant pas mention de ses activités au sein du GEO.

[21]      Le défendeur fait en cinquième lieu valoir que la Section du statut a pesé le témoignage de l'oncle du demandeur et a conclu qu'il n'en ressortait aucunement que la famille du demandeur était persécutée pour un des motifs prévus par la Convention. Selon le défendeur, il s'agit là d'une conclusion raisonnable qui indique d'ailleurs que la Section du statut s'est penchée sur ce témoignage.

[22]      Le défendeur fait enfin valoir que le demandeur n'est pas un réfugié " sur place " étant donné qu'il fonde sa revendication d'un tel statut sur un scénario entièrement hypothétique et non pas sur des faits établis. Selon le défendeur, un demandeur de statut sera considéré comme réfugié " sur place " lorsque sa crainte d'être persécutée prend sa source dans les circonstances survenues, pendant son absence, dans son pays d'origine ou dans l'action qu'il a menée alors qu'il se trouvait en dehors du pays dont il est le ressortissant. Le défendeur estime que le demandeur n'a produit aucune preuve crédible démontrant que sa participation, à l'étranger, à des manifestations anti-gouvernementales aurait attiré l'attention des autorités du Congo. Le défendeur fait en outre valoir que la revendication du statut de réfugié " sur place " ne saurait se fonder sur la simple affirmation, par un demandeur de statut, qu'il prendra part à des manifestations anti-gouvernementales s'il rentre dans son pays d'origine. Il faut, en effet, que le demandeur de statut s'engage dans une action qui attire l'attention des autorités de son pays d'origine.

DISCUSSION

[23]      Il s'agit d'abord de savoir si c'est effectivement à tort que la Section du statut n'a pas permis à Mme Gizenga de témoigner par téléphone lors de l'audience. Il me faudrait d'abord conclure que la Section du statut lui a effectivement refusé la possibilité de témoigner. Ce refus ne ressort nullement de la transcription de l'audience devant la Section du statut. Sur ce point, la preuve consiste en l'affidavit de Mme Gizenga, dans lequel elle déclare ne pas avoir été contactée, alors qu'elle était parfaitement disposée à témoigner par téléphone. Le demandeur a, lui aussi, produit un affidavit dans lequel il déclare :

         [Traduction]                 
         À l'audience, mon avocat a porté la situation à l'attention des membres de la Section du statut et demandé à ce que Mme Gizenga puisse témoigner par téléphone. Cela a donné lieu à une longue discussion. Les membres du Tribunal ont refusé. Ils ont déclaré que cela n'était pas possible. Mon avocat a insisté mais s'est à nouveau fait dire par la Section du statut que cela n'était pas possible.                 

[24]      Comme je l'ai noté à l'audience, il est à mes yeux surprenant que cet échange de propos, s'il a effectivement eu lieu, ne figure pas dans la transcription. Je prends pour acquis qu'afin de préserver l'avenir, un avocat aurait insisté pour que le refus de la Section du statut soit consigné. Notons l'absence, de la part de l'avocat ayant représenté le demandeur à l'audience, de tout affidavit attestant ce fait. Le demandeur ne saurait obtenir gain de cause sur ce point s'il ne fournit aucune preuve objective du fait qu'on aurait refusé de laisser témoigner Mme Gizenga. Or, aucune preuve de cela n'a été produite devant la Cour.

[25]      Il s'agit en second lieu de savoir si c'est à tort que la Section du statut a estimé que le demandeur était simplement sympathisant du PALU, et non pas membre de ce parti. J'ai pris connaissance de la transcription et, la première fois que le demandeur évoque ses liens avec le PALU, il déclare " Moi j'étais en quelque sorte -- je n'avais pas de statut -- je n'avais pas un statut spécial dans le PALU. J'étais qu'un simple membre, un membre sympathisant, parce qu'on n'avait pas grande chose à jouer ". À plusieurs reprises, le demandeur a affirmé avoir été membre, ou membre sympathisant du PALU. Puis, a lieu cet échange de propos :

         McGee :      J'aimerais juste clarifier. Vous n'étiez pas membre du PALU. Est-ce que vous étiez sympathisant ou membre?                 
         Demandeur :      J'étais membre du PALU.                 
         McGee :      Vous étiez membre?                 
         Demandeur :      J'étais membre du PALU, mais j'avais pas des fonctions spéciales dans le PALU, puisqu'il y a des membres qui occupent des postes officiels dans le PALU. Il y a des secrétaires du parti. Moi j'étais membre.                                 
         ...                 
         Filion :      Monsieur, auparavant vous disiez que vous étiez sympathisant, okay, avant la pause.                                 
         Demandeur :      Sympathisant ça veut dire -- je voulais dire par là, je voulais dire que j'avais pas un rôle -- bon, une fonction.                 

         ...

         Demandeur :      J'avais pas de fonction spéciale dans cette structure. Je vous ai dit tantôt là que c'est après que j'ai commencé à aider les secrétaires à établir des procès-verbaux pour --                 
         Filion :      Okay.                 
         Bourassa :      M me Filion, dans mes notes j'ai simplement sympathisant.                 
         Filion :      Sympathisant.                 
         Bourassa :      Je crois qu'il a mentionné qu'il était simplement --                 
         Filion :      Exactement.                 
         Bourassa :      Et qu'il n'avait pas un rôle spécial à l'intérieur.                 
          Demandeur :      Oui, oui.                                 
         Filion :      Mais maintenant il dit que je suis membre, après les questions de Mme McGee. Donc j'ai de la difficulté à comprendre. Vous parlez toujours de membre sympathisant, c'est ça?                 
         Demandeur :      Membre sympathisant ça veut dire -- selon ce que j'entends par là, je veux dire un membre qui n'avait pas un rôle spécial à jouer dans cette structure-là. J'étais pas chef du parti, j'étais pas -- j'étais un membre comme tout autre. Parce qu'il y a des membres qui sont membres secrétaires. Moi j'avais pas ça.                 

[26]      Je comprends bien que c'est peut-être en se fondant sur d'autres considérations que la Section du statut a conclu que le demandeur n'était pas membre du PALU mais simple sympathisant, mais la Section du statut semblait avoir du mal à décider si le demandeur avait déclaré qu'il était membre ou s'il avait déclaré n'être qu'un sympathisant. Si son irrésolution sur ce point découlait uniquement des déclarations du demandeur, elle ne se justifiait guère car le demandeur n'avait jamais affirmé n'être qu'un sympathisant. Il ressort de ce passage de la transcription que le demandeur voulait dire qu'il était membre mais qu'il n'exerçait, au sein du PALU, aucune fonction particulière. Il n'a jamais déclaré n'avoir été qu'un simple sympathisant. Étant donné que la Section du statut n'a pas motivé sa conclusion voulant que le demandeur n'ait pas été membre du PALU, je dois supposer que les membres de la Section du statut ont pensé que le demandeur avait modifié son récit en cours de route. Les déclarations d'un demandeur sont présumées être vraies (Maldonado c. Canada (M.E.I.), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.)) et j'estime que la conclusion de la Section du statut sur ce point n'a d'autre explication qu'une mauvaise interprétation de la preuve. J'estime que la Section du statut a commis une erreur.

[27]      Il s'agit, en troisième lieu, de dire si c'est à tort que la Section du statut a conclu que le demandeur n'avait pas organisé la manifestation de novembre 1996. J'ai lu la transcription de l'audience devant la Section du statut et, si le demandeur y affirme effectivement avoir appartenu au GEO et évoque les activités de ce groupe, il n'a aucunement dit qu'il avait organisé la manifestation. Il y a donc lieu d'écarter ce motif invoqué à l'appui de la demande de contrôle judiciaire.

[28]      Le quatrième point litigieux porte sur la question de savoir si la Section du statut a méconnu ou mal interprété certains éléments de la preuve en ne faisant pas mention du fait que le demandeur avait été arrêté lors de la manifestation de juillet 1995, qu'il n'avait été relâché qu'à la suite de pressions exercées par son parti et qu'il était membre fondateur du GEO, au sein duquel il militait. Pour le défendeur, le fait que la Section du statut ait relevé qu'il avait été arrêté en 1996 veut dire qu'elle a effectivement tenu compte du fait que le demandeur avait été arrêté et détenu. Le défendeur soutient également que la Section du statut ayant estimé que le demandeur ne figurait pas parmi les organisateurs de la manifestation, elle n'avait pas à évoquer ses activités au sein du GEO. Je ne suis guère convaincu par les arguments avancés par le défendeur sur ces deux points. J'estime, en effet, que les témoignages concernant l'arrestation du demandeur peuvent être considérés comme preuve d'une persécution et que ses activités au sein du GEO établissent la hauteur de son engagement politique. S'il est vrai que la Section du statut n'est pas tenue de se reporter à tous les éléments du dossier, il s'agit en l'occurrence d'éléments particulièrement pertinents qui auraient dû être évoqués dans le cadre de la décision. Dans l'affaire Owusu-Ansah c. Canada (M.E.I.) (1989), 8 Imm.L.R. (2d) 106 (C.A.F.), la Cour a écrit, à la page 113 :

     Des explications ont été offertes qui, à tout le moins, n'étaient pas manifestement invraisemblables, et la Commission n'en a aucunement traité dans sa décision. Le défaut de prendre une preuve substantielle en considération a été diversement qualifié par cette Cour dans le cadre de litiges où elle a accueilli des demandes fondées sur l'article 28. Dans l'arrêt Toro c. M.E.I., [1981] 1 C.F. 652, mon collègue le juge Heald a dit au nom de la Cour :         
         Par conséquent, il appert que la Commission, au moment de prendre sa décision, n'a pas tenu compte de la totalité de la preuve produite régulièrement devant elle. La Commission a donc commis une erreur de droit.         

     J'estime donc que la Section du statut n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve et qu'en cela elle a commis une erreur de droit.

[29]      Selon le cinquième argument développé par le demandeur, c'est à tort que la Section du statut a estimé que le témoignage de son oncle n'établissait pas de manière objective que la famille du demandeur était persécutée pour un des motifs prévus dans la Convention. Son oncle a témoigné que la famille du demandeur faisait effectivement l'objet de persécutions. Il a affirmé que ses neveux allaient être exécutés en raison de leur appui au régime Mobutu, ajoutant que le père du demandeur était contraint de vivre dans la clandestinité. Dans son affidavit, le demandeur affirme que presque tous les membres de sa famille appartenaient au PALU. Selon moi, la preuve est ambiguë s'agissant de savoir si les témoignages en question démontrent effectivement que la famille du demandeur est persécutée pour un des motifs prévus dans la Convention. Il semble bien que les cousins aient été persécutés pour des motifs politiques, en raison de leur soutien au régime Mobutu, mais cela n'étaye en rien la thèse du demandeur qui affirme s'être lui-même opposé au régime Mobutu. Le dossier n'explique pas pourquoi au juste le reste de sa famille était la cible d'une répression menée par les autorités. Étant donné que la persécution invoquée doit se rattacher à l'un des motifs prévus dans la Convention, j'estime que sur ce point la preuve ne permet pas d'établir pourquoi la famille du demandeur faisait l'objet de mesures répressives.

[30]      Il s'agit en dernier lieu de savoir si la Section du statut s'est trompée en tranchant la demande de statut de réfugié " sur place " formulée par le demandeur. J'accepte la définition avancée par le défendeur, selon laquelle on peut prétendre au statut de réfugié " sur place " lorsque la crainte d'être persécuté est liée aux circonstances survenues dans son pays d'origine alors même qu'on en est éloigné, ou découle de l'activité menée par le demandeur hors du pays dont il est ressortissant (voir Chaudri c. Canada (M.E.I.) (1986), 69 N.R. 114 (C.A.F.); Chen c. Canada (Solliciteur général) (1993), 68 F.T.R. 9). Le dossier ne comporte aucune preuve touchant l'action menée par le demandeur au Canada, et la revendication du demandeur ne peut donc se fonder que sur le passage, au Congo, du régime Mobutu au régime Kabila. Il s'agit donc de dire si c'est bien avec raison que le demandeur craint d'être persécuté par le régime Kabila. Pour le demandeur, c'est à tort que la Section du statut a conclu à l'insuffisance de ses convictions politiques et au fait que, s'il était renvoyé au Congo, il ne manifesterait contre le régime actuel aucune opinion politique susceptible de lui attirer des persécutions. Il a bien dit qu'il lutterait contre l'AFDL et, à l'appui de sa revendication de statut, il a évoqué son activité politique au Congo.

[31]      Le demandeur a cité le " Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié " diffusé par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (Genève, janvier 1988) et où l'on trouve écrit (à la page 21) :

         Il peut cependant y avoir des cas où l'intéressé n'a pas exprimé ses opinions mais où on peut raisonnablement penser, compte tenu de la force de ses convictions, qu'il sera tôt ou tard amené à le faire et qu'il se trouvera alors en conflit avec les autorités. Lorsqu'on peut raisonnablement envisager cette éventualité, on peut admettre que le demandeur craint d'être persécuté du fait de ses opinions politiques.                 

[32]      Le demandeur soutient que ses convictions sont telles qu'il sera appelé à les exprimer et donc à être persécuté par les autorités. Il ressort effectivement de la preuve que le régime Kabila manifeste une grande intolérance vis-à-vis de ses adversaires politiques. Le défendeur a raison de dire que le demandeur ne peut se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention s'il ne fait qu'affirmer son intention de lutter contre l'AFDL. Mais le demandeur a raison, lui, de soutenir que si la Section du statut a eu tort d'affirmer qu'il n'avait pas fait de politique lorsqu'il était au Congo, l'erreur aurait poussé la Section du statut à conclure, encore une fois à tort, que ses convictions politiques n'étaient pas suffisamment fortes pour le porter à s'engager dans une action anti-gouvernementale dès son retour au Congo. Estimant que c'est à tort que la Section du statut a conclu que le demandeur n'était pas membre du PALU, notant que la Section du statut a passé sous silence l'arrestation et la détention du demandeur en juillet 1995, ainsi que son appartenance au GEO, je considère que ces erreurs ont pu influencer l'appréciation que la Section du statut a portée sur les convictions politiques du demandeur. Le demandeur y voit une autre raison de renvoyer l'affaire pour nouvelle audition devant la Section de statut de réfugié.

CONCLUSION

[33]      Pour l'ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour nouvelle audition devant une formation autrement constituée.

[34]      Le demandeur sollicite de la Cour la certification des questions suivantes :

     1.      En refusant de permettre à un témoin de témoigner par téléphone, la Section du statut va-t-elle à l'encontre de l'alinéa 69.1(5)a) de la Loi sur l'immigration et/ou enfreint-elle les principes de justice naturelle ou fondamentale (tels que définis à l'article 7 de la Charte des droits et libertés)?
     2.      a) Est-il nécessaire, pour que le demandeur se voie reconnaître le statut de réfugié " sur place " que " certaines activités " de celui-ci attirent l'attention des autorités de son pays d'origine?

     ou

     3.      b) Est-il nécessaire, pour que le demandeur se voie reconnaître le statut de réfugié " sur place " en raison d'une crainte bien fondée d'être persécuté du fait de ses opinions politiques , que " certaines activités " du demandeur attirent l'attention des autorités de son pays d'origine?

     La question numéro 2 existe en deux versions, la différence entre les deux étant les mots soulignés.

[35]      La demande étant accueillie, il n'y a pas lieu de voir s'il convient de certifier les questions proposées.

[36]      L'avocat du défendeur n'a demandé la certification d'aucune question.

     " Max M. Teitelbaum "

     juge

Toronto (Ontario)

le 17 juillet 1998

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

    

     Avocats et avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :      IMM-300-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      FRANÇOIS KEMBI MAKALA

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ      ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 16 JUILLET 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE JUGE TEITELBAUM

DATE :      LE 17 JUILLET 1998

ONT COMPARU :      Me Micheal Crane

         pour le demandeur

     Me Susan Nucci

         pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     Micheal Crane

     Barrister & Solicitor

     200-166, Pearl Street

     Toronto (Ontario)

     M5H 1L3

         pour le demandeur

     George Thompson

     Sous-procureur général

     du Canada

         pour le défendeur

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

    


Date : 19980717


Dossier : IMM-300-98

ENTRE :

    

FRANÇOIS KEMBI MAKALA,

     demandeur,

- et -

    

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

    

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

    


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