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Date : 19980527

 

Dossier : IMM-2044-97

 

 

 

ENTRE :

ANAB ALI HUSEIN,

FADUMO OSMAN MAHAMED,

LIBAN ABDIQADIR MAHAMED,

ASAD AHMED ABDISALAN,

MANDEQ HASAN BANI,

 

Demandeurs,

 

- et -

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE l'IMMIGRATION,

 

Défendeur.

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

LE JUGE JOYAL

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a statué, le 24 avril 1997, que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention en vertu du paragraphe 2(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

 


Les faits

[2]               La principale demanderesse  (la demanderesse), sa mère et ses trois enfants, sont de citoyens de la Somalie. Avant le début de la guerre, elle avait été mariée trois fois et elle avait quatre enfants, tous de père différent. Son cadet est décédé à Mogadishu en 1991.

 

[3]               En 1990, après le renversement du gouvernement de Siad Barre, la demanderesse et les membres de sa famille ont commencé à craindre pour leur vie parce qu'ils appartenaient au clan Darod. Des membres de ce clan étaient ciblé s et tués par le nouveau régime.

 

[4]               En janvier 1991, la demanderesse a emménagé avec ses enfants dans la maison de ses parents. Son troisiè me mari, mécontent de sa décision de déménager, a divorcé à la fin janvier. Par la suite, la maison a été attaquée par des membres du Congrès de la Somalie unifiée (CSU) et son oncle et son cadet ont été tués. Après l'incident, la demanderesse  s'est sauvée avec sa mère et ses autres enfants dans une autre partie de la ville, Medina, où une petite concentration de membres du clan Darod avaient trouvé refuge. Son père est demeuré sur place pour enterrer les morts.

 

[5]               La famille est demeurée à Medina seulement jusqu'au lendemain, puis elle s'est rendue à pied à Afgoye. En arrivant, la demanderesse a appris que son père avait été tué. À partir d'Afgoye, la demanderesse et les membres de sa famille ont voyagé en camion jusqu'à Kismayo, où ils ont vécu dans une école abandonnée, jusqu'à ce qu'ils échappent à une attaque des rebelles du CSU, en avril 1991. Ils se sont alors embarqués pour Mombassa, au Kenya, où ils ont vécu jusqu'à la fin de l'année 1993. Ils ont ensuite habité avec des parents à Nairobi de 1993 à 1995. En mars 1995, ils ont quitté l'Afrique pour le Canada, où ils sont arrivé s le même mois.

 

La décision de la Commission

[6]               La Commission n'a pas jugé la principale demanderesse crédible sur la question de l'identité. Les seuls documents produits étaient les certificats de naissance des enfants et la Commission n'était pas convaincue de leur authenticité. Après avoir noté d'autres incohérences entre le témoignage de la principale demanderesse, son formulaire de renseignements personnels et le témoignage de sa soeur, la Commission a décidé qu'elle ne pouvait pas accorder foi à son témoignage relativement à des aspects essentiels de sa revendication du statut de réfugié et elle a conclu que les revendicateurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

 

Questions en litige

[7]               Les demandeurs ont soumis à l'examen de la Cour trois questions qui peuvent se résumer à  une seule : la Commission a-t-elle commis une erreur de droit en concluant à l'absence de crédibilité du témoignage de la principale demanderesse parce que cette conclusion se fondait sur des conjectures et ne tenait pas compte de la totalité de la preuve?

 


 

Analyse

            a)         La crédibilité

[8]               Dans le cadre d'une revendication du statut de réfugié, l'appréciation de la crédibilité est une question de fait 1  qui relève de la compétence de la Commission. Bien que le caractère déraisonnable d'une décision soit plus évident en ce qui concerne la plausibilité, la Commission est toujours la mieux placée pour évaluer la crédibilité d'un revendicateur 2. Il est reconnu que des contradictions et des incohérences dans la preuve peuvent justifier une conclusion d'absence de crédibilité 3. La Cour ne devrait pas modifier la conclusion de la Commission à moins qu'elle ne soit manifestement déraisonnable 4.

 

[9]               Lorsqu'elle rend sa décision, la Commission doit respecter certaines conditions afin de se mettre à l'abri d'une procédure de contrôle judiciaire. Une conclusion défavorable sur la crédibilité doit être motivée « en termes clairs et non équivoques » 5, en regard de la totalité de la preuve. Un revendicateur doit avoir l'occasion d'expliquer les contradictions 6  et, pour apprécier la preuve, la Commission doit s'assurer de ne pas appliquer les normes occidentales de rationalité à la situation particulière d'un revendicateur 7. Néanmoins, c'est à la demanderesse qu'il incombe de démontrer que les inférences tirées par la Commission sont déraisonnables compte tenu de la preuve qui lui a été soumise.

 

[10]           Comme je l'ai déjà mentionné, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en concluant que son témoignage n'était pas suffisamment crédible parce que cette conclusion se fonde sur des conjectures et ne tient pas compte de la totalité de la preuve. La demanderesse fait valoir que la Commission aurait dû accepter ses explications concernant l'authenticité des certificats de naissance parce qu'elle était confuse et que les questions incessantes de la Commission l'effrayaient.

 

[11]           Dans une situation de cette nature, j'estime que la norme de contrôle judiciaire applicable consiste à lire la transcription de la preuve. En l'espèce, si le dossier est vague en raison des nombreuses mentions «  inaudible » figurant dans la transcription, le texte est remarquablement clair sur la question des certificats de naissance. La principale demanderesse a affirmé s'être rendue une seule fois au bureau municipal pour y obtenir les certificats de naissance de ses enfants. Le fait que les certificats portent des dates différentes tracassait la Commission. Elle se demandait en outre pourquoi, dans une société aussi patriarcale que la Somalie, le nom d'aucun père ne figurait sur les certificats. Enfin, le fait que ces certificats constituaient l'unique preuve objective de l'identité des personnes en cause posait un problème de l'avis de la Commission.

 

[12]           La lecture de la transcription de la décision de la Commission, en ce qui concerne les certificats de naissance et les contradictions dans le témoignage de la principale demanderesse, ne laisse guère de doute sur le fait que la Commission a donné à  la principale demanderesse l'occasion de dissiper entièrement les doutes de la Commission. Il est aussi clair que les ré ponses de la demanderesse n'ont tout simplement pas convaincu la Commission.

 

            b) La totalité de la preuve

[13]           Il reste à trancher la question du défaut de la Commission de tenir compte de la totalité de la preuve concernant la crainte bien fondée de la demanderesse d'être persécutée en Somalie. Je suis d'avis qu'il n'était pas nécessaire que la Commission poursuive son analyse de la preuve après avoir conclu que l'identité des revendicateurs n'était pas établie ou que la principale demanderesse n'avait pas prouvé qu'elle était bien la personne qu'elle prétendait être. La question de l'identité revêtait une importance cruciale en l'espèce. Le défaut de la demanderesse principale de prouver qu'elle appartenait bien à un clan victime de persécution a véritablement porté atteinte à la crédibilité de sa prétention qu'elle avait une crainte bien fondée d'être persécutée.


Conclusion

[14]           En l'espèce, malgré les efforts déployés par l'avocate de la demanderesse, je conclus qu'aucun motif ne justifierait mon intervention. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 

 

          L-Marcel Joyal         

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

27 mai 1998

 

Traduction certifiée conforme

 

Laurier Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

NUMÉRO DU GREFFE :                           IMM-2044-97

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                     Anab Ali Husein et autre c. M.C.I.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          Toronto

 

DATE DE L'AUDIENCE :                         20 mai 1998

 

MOTIFS DE  L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE JOYAL

 

DATE DES MOTIFS :                                 27 mai 1998

 

ONT COMPARU :

 

Me Sian E. Williams                                        pour les demandeurs

 

Me David Tyndale                                           pour le défendeur

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Me Sian E. Williams                                                    pour les demandeurs

 

Me  George Thomson                                                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada                            

 

 



1                      White v. R., [1947] R.C.S. 268.

2                      Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

3                      Rajarathan c. Canada (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.).

4                      Aguebor c. M.E.I., précitée.

5                      Hio c. Canada (1992), 15 Imm. L.R. (2d) 201 (C.A.F.).

6                      Rajarathan c. Canada, précité.

7                      Ye c. Canada (1992), 17 Imm. L.R. (2d) 77 (C.A.F.).

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