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Date : 20030714

Dossier : IMM-4526-02

Référence : 2003 CF 871

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SANDRA J. SIMPSON

ENTRE :

                                                 MANOHARAN INDRANI THABITA

                                                  MANOHARAN NOEL HARSHANA

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision (la décision) par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, en date du 10 septembre 2002, que Indrani Thabita Manoharan (la revendicatrice adulte) et Noel Harshana Manoharan (le revendicateur mineur) (nommés ensemble les demandeurs) ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]                 Les demandeurs sont des citoyens du Sri Lanka qui ont vécu en Allemagne de juillet 1985 à octobre 1999. Cependant, ils n'ont plus de statut juridique en Allemagne. La revendicatrice adulte craint d'être persécutée au Sri Lanka du fait de sa race, du fait de son appartenance à trois groupes sociaux, à savoir (a) celui des jeunes femmes tamoules, (b) celui des mères célibataires et (c) celui des victimes de violence conjugale, et du fait des opinions politiques qui lui sont imputées (soit qu'elle appuyait les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET)). Le revendicateur mineur craint d'être persécuté au Sri Lanka du fait de son origine tamoule, du fait des opinions politiques qui lui sont imputées (soit le fait d'être d'âge pour être recruté par les TLET) et du fait de son appartenance à un groupe social, soit celui des jeunes Tamouls.

[3]                 Les demandeurs sont entrés au Canada le 11 novembre 1999 et ils ont présenté une revendication du statut de réfugié fondée sur des événements récents survenus au Sri Lanka.

Les questions en litige

[4]                 Les demandeurs soulèvent deux questions principales. Premièrement, ils prétendent que la Commission a commis une erreur en omettant de traiter la revendication présentée séparément par le revendicateur mineur. Deuxièmement, ils prétendent que la Commission a commis des erreurs en tirant ses conclusions défavorables quant à la crédibilité.


Le revendicateur mineur

[5]                 Les demandeurs prétendent que la Commission a omis de traiter la revendication présentée séparément par le revendicateur mineur en tant que jeune Tamoul qui serait exposé à de la persécution par les TLET et par l'armée sri-lankaise. Le défendeur prétend qu'étant donné que le revendicateur mineur n'a pas déposé son propre exposé des faits et qu'étant donné que sa revendication est liée à la présence des demandeurs au Sri Lanka en 1999, les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées à l'endroit de la revendicatrice adulte entraînent le rejet des deux revendications.

[6]                 À mon avis, la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a omis de trancher séparément la question des risques auxquels le revendicateur mineur serait exposé. La Commission a clairement reconnu que le revendicateur mineur avait des motifs distincts pour présenter une revendication, mais elle n'a pas traité séparément sa revendication. Il s'agit d'une erreur susceptible de contrôle à l'égard de la revendication présentée par le revendicateur mineur.

Les conclusions quant à la crédibilité


[7]                 Les demandeurs prétendent que toutes les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées à l'endroit de la revendicatrice adulte, sauf une, traitent de [TRADUCTION] « questions incidentes » . Étant donné que ces conclusions ne touchaient pas l'essence des prétentions à l'égard de la persécution, les demandeurs prétendent que le rejet de leurs revendications ne peut pas être fondé sur ces conclusions. Le défendeur prétend que les conclusions défavorables quant à la crédibilité révèlent une forme très importante de tromperie par la revendicatrice adulte qui a entaché la crédibilité de la revendication dans son ensemble.

[8]                 La norme de contrôle applicable aux conclusions quant à la crédibilité tirées par la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable. La Cour n'interviendra pas à l'égard d'une décision à moins que les conclusions soient manifestement déraisonnables, qu'elles ne soient pas fondées sur la preuve ou qu'elles soient viciées par une omission d'avoir pris en compte les facteurs appropriés (voir à cet égard les décisions Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 173 F.T.R. 280 (1re inst.), et Dudar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1277 (1re inst.)).

[9]                 La Commission a décelé trois divergences contenues dans les deux FRP soumis par les demandeurs et dans les renseignements fournis au point d'entrée. Ces divergences touchent la période de résidence en Allemagne, le temps passé aux États-Unis et l'itinéraire suivi pour venir au Canada.

[10]            Le premier FRP établissait que les demandeurs avaient vécu en Allemagne de novembre 1989 à octobre 1999. Les demandeurs ont soumis un FRP modifié en décembre 2000 qui établissait qu'ils avaient vécu en Allemagne de juillet 1985 à octobre 1999. La preuve révèle cette divergence et par conséquent la conclusion défavorable quant à la crédibilité à l'égard de cette divergence n'est pas manifestement déraisonnable.


[11]            Par la suite, la Commission a conclu que la revendicatrice adulte « n'a pas mentionné le mois qu'elle a passé à New York, aux États-Unis, d'octobre à novembre 1999 » . La Commission a conclu que la revendicatrice « a délibérément omis son passage aux États-Unis afin de ne pas avoir à expliquer pourquoi elle n'avait pas demandé l'asile dans ce pays » . Bien que les demandeurs aient raison lorsqu'ils déclarent que la revendicatrice adulte a mentionné dans le premier FRP, dans le FRP modifié et lors de son entrevue au point d'entrée qu'elle s'était arrêtée aux États-Unis, et que par conséquent la Commission ne pouvait pas correctement conclure que la raison de la divergence dans les déclarations était que la demanderesse voulait éviter d'avoir à expliquer pourquoi elle n'avait pas demandé asile aux États-Unis, je suis néanmoins convaincue qu'il n'était pas déraisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur des éléments de preuve contradictoires. Même si la Commission a commis une erreur dans son hypothèse faite à l'égard des raisons de la revendicatrice adulte, il reste que la revendicatrice adulte a déclaré à différentes reprises qu'elle était demeurée aux États-Unis pendant une période différente. Dans ces circonstances, il n'était pas manifestement déraisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[12]            Finalement, la Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur le fait que l'itinéraire que les demandeurs ont déclaré avoir suivi n'était pas le même dans le premier FRP et dans le FRP modifié. Une fois de plus, cette conclusion se fonde sur la preuve et elle n'est pas manifestement déraisonnable.

[13]            La Commission, en appliquant ces conclusions à la revendication présentée par les demandeurs, a conclu ce qui suit :

La détermination du tribunal repose sur l'évaluation de la preuve jugée crédible et sur l'aspect « prospectif » de la définition de réfugié au sens de la Convention. Quand on envisage la preuve dans son ensemble, les contradictions entre les deux FRP, l'effort délibéré de cacher le fait que les revendicateurs sont partis de l'Allemagne - et non du Sri Lanka - pour venir au Canada, et de cacher aussi leur passage aux États-Unis, où ils auraient pu demander l'asile, la citation d'une fausse date pour leur bref retour au Sri Lanka depuis l'Allemagne, tous ces éléments révèlent un manque de crédibilité et de véracité dans les récits que la revendicatrice a soumis à la considération du tribunal.

Étant donné la preuve décidément trompeuse présentée par la revendicatrice adulte, la seule conclusion rationnelle qui reste au tribunal est la suivante : il n'y a pas une parcelle de vérité dans la preuve - documentaire et orale - visant à montrer qu'ils sont retournés au Sri Lanka en juin 1999 et ont été harcelés par la police de Colombo, laquelle aurait été informée par le mari de la revendicatrice adulte depuis l'Allemagne qu'il existait des liens entre les revendicateurs et les TLET.

[14]            Bien qu'il soit exact que les divergences précédemment décrites ne touchent pas directement le prétendu incident au Sri Lanka, la Commission pouvait tirer une conclusion générale quant au manque de crédibilité.

[15]            La Commission s'est ensuite penchée sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité qui touche directement le fond de la revendication présentée par les demandeurs, à savoir la prétendue détention des demandeurs au Sri Lanka par la police de Colombo. La Commission a déclaré ce qui suit :


Le tribunal ne peut pas concevoir que le mari de la revendicatrice ait risqué sa propre liberté en contactant la police de Colombo, après avoir fui le Sri Lanka en 1985 et avoir revendiqué le statut de réfugié en Allemagne. Il est plutôt logique d'inférer que le mari, en 1985, aurait désigné la police et les autorités cinghalaises comme étant la source de ses craintes au Sri Lanka. La revendicatrice adulte sait très bien que tout soupçon de participation au mouvement des TLET présente un risque pour n'importe quel Tamoul, y compris ceux de Colombo, à la hauteur d'une sérieuse possibilité de persécution. Compte tenu de ses conclusions en matière de crédibilité, le tribunal estime que les prétendues dénonciations à la police de Colombo ont été fabriquées de toutes pièces pour donner l'impression que les revendicateurs étaient menacés.

[16]            À mon avis, la conclusion tirée dans le premier passage de l'analyse précédemment mentionnée est manifestement déraisonnable. La conclusion de la Commission selon laquelle l'époux de la revendicatrice adulte pouvait risquer sa propre liberté en contactant la police de Colombo depuis l'Allemagne n'est pas fondée sur de la preuve.

[17]            Les demandeurs prétendent que la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée à l'endroit de la revendicatrice adulte ne peut pas être retenue étant donné que cette conclusion était la seule qui était directement liée au fond de la revendication et qu'elle a été tirée de façon erronée. Bien que je partage l'opinion selon laquelle la conclusion était manifestement déraisonnable, cette conclusion a été tirée après que la Commission eut contesté la crédibilité de la revendicatrice dans son ensemble en se fondant sur des divergences importantes dans son récit à toutes les étapes de sa revendication et, par conséquent, elle n'est pas déterminante.

Conclusion

[18]            Bien que la Commission ait effectivement commis une erreur susceptible de contrôle à l'égard de la revendication du revendicateur mineur, elle n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation du témoignage de la revendicatrice adulte. Par conséquent, la demande présentée à l'égard de la revendication de la revendicatrice adulte sera rejetée et la revendication présentée par le revendicateur mineur sera renvoyée à la Commission afin qu'elle soit tranchée à nouveau.


                                           ORDONNANCE

APRÈS avoir examiné le dossier et après avoir pris en compte les observations des avocats des deux parties à Toronto le 3 juillet 2003;

ET APRÈS avoir été informée qu'aucune question n'est proposée aux fins de la certification.

LA COUR ORDONNE MAINTENANT PAR CONSÉQUENT :

1.          La demande présentée par la revendicatrice adulte est par la présente rejetée.

2.          La revendication du revendicateur mineur est renvoyée à la Commission afin qu'elle soit tranchée à nouveau.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                              IMM-4526-02

INTITULÉ :                                           MANOHARAN INDRANI THABITA ET AL c. MCI

DATE DE L'AUDIENCE :                    Le 3 juillet 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :    La juge Simpson

DATE DES MOTIFS :              Le 14 juillet 2003

COMPARUTIONS :                         Barbara Jackman

                                                                                                                  Pour les demandeurs

                                                               Pamela Larmondin

                                                                                                                     Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :       Barbara Jackman

                                                                             Toronto (Ontario)

                                                                                                                     Pour les demandeurs

                                                                           Stephen Gold

                                                                           Ministère de la Justice

                                                                           130, rue King Ouest, bureau 3400, case postale 36

                                                                           Toronto (Ontario)

                                                                           M5X 1K6

                                                                           Téléphone : 416-973-1544

                                                                           Télécopieur : 416-954-8982

                                                                                                                        Pour le défendeur             

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