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Date: 20001218

Dossier : T-1420-96

Ottawa, Ontario, le lundi 18 décembre 2000

EN PRÉSENCE DE : Madame le juge Dawson

ENTRE :

                                SUN CONSTRUCTION COMPANY LIMITED

                                                                                                                           demanderesse

                                                                    - et -

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                            défenderesse

                                                             JUGEMENT

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

La demande de la demanderesse est rejetée.

La défenderesse a droit à ses dépens, qui seront taxés selon les règles habituelles.

                 « Eleanor R. Dawson »               

        juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


Date: 20001218

Dossier : T-1420-96

ENTRE :

                                SUN CONSTRUCTION COMPANY LIMITED

                                                                                                                           demanderesse

                                                                    - et -

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                            défenderesse

                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

JUGE DAWSON


[1]         En juillet 1995, Sun Construction Company Limited (Sun) a présenté une soumission à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (Travaux publics), par laquelle elle proposait de fournir à Sa Majesté la Reine du chef du Canada la totalité de l'outillage, du travail, de l'équipement, du matériel et des matériaux requis pour l'amélioration de la voie d'accès au quai public de Hopedale, dans le district des monts Torngat, au Labrador (le projet). La soumission de Sun a été acceptée et les documents contractuels ont été dûment signés. Puis, les travaux ont été exécutés par la demanderesse, le projet a été tenu pour achevé et la défenderesse a effectué le paiement à la demanderesse. La présente demande met en question la suffisance de ce paiement.

[2]         Dans sa partie portant sur les matériaux, le contrat entre les parties comportait une Entente à prix unitaire, selon laquelle le montant du paiement devait être déterminé en multipliant un prix convenu par le nombre d'unités de mesurage de chaque catégorie de matériaux requis et mis en oeuvre aux termes du contrat. Sun affirme avoir été payée pour des quantités insuffisantes de matériaux qu'elle a fournis aux termes du contrat, et allègue, dans sa poursuite, que le paiement n'a pas été fait conformément au contrat. Sun allègue également le principe du quantum meruit.

LES FAITS

[3]         Le principal responsable du projet à Travaux publics était Bernard Jacobs, un ingénieur civil. M. Jacobs a témoigné, à l'instruction, qu'il avait élaboré les plans et devis afférents au projet. Selon ces plans et devis, le projet consistait, d'une part, à construire un nouveau noyau en remblai protégé par des enrochements formant une sous-couche et une carapace, et, d'autre part, à enlever, stocker temporairement et remettre en place la sous-couche et la carapace de la voie d'accès existante au quai (travaux ou travaux initiaux). Le devis précisait les caractéristiques des matériaux de remblai, des pierres de sous-couche et des pierres de carapace requis pour le projet.


[4]         L'action de la houle a tôt fait d'éroder les matériaux du noyau. C'est pourquoi on dispose sur le noyau une sous-couche qui dissipe l'énergie de la houle et le protège. Lorsque l'on prévoit une action importante de la houle ou des glaces, une carapace en pierres est à son tour disposée par-dessus la sous-couche. Les pierres filtrantes de la sous-couche exigées par les plans et devis devaient peser de 350 à 1 000 kg. Quant aux pierres de carapace, la moitié devait peser de 3 à 4 tonnes et l'autre moitié, de 4 à 5 tonnes.

[5]         Chaque soumissionnaire devait établir sa proposition en fonction de quatre catégories de travail, d'outillage et de matériaux. Pour la première catégorie, soit la mobilisation et la démobilisation pour le projet dans une région éloignée du Labrador, un prix fixe devait être proposé. Les trois autres catégories avaient trait aux matériaux de remblai pour le noyau, à la pierre filtrante pour la sous-couche et à la pierre de carapace. Un prix unitaire devait être proposé dans chaque catégorie, pour chaque mètre cube de matériaux fournis et mis en oeuvre.

[6]         Le dossier de soumission mis à la disposition des soumissionnaires potentiels comportait un dessin réalisé sous la direction de M. Jacobs, illustrant son projet et portant le titre : Site Plan & Sections (plan de situation et coupes). Le dessin comportait, entre autres, une coupe partielle de l'ouvrage tel qu'il devait être construit.


[7]         Les documents du dossier de soumission établissaient à 2 100 mètres cubes le volume estimatif de matériaux de remblai nécessaires pour le noyau et à 450 et 600 mètres cubes, respectivement, le volume des pierres de carapace et de pierres de sous-couche nécessaires pour réaliser l'ouvrage.

[8]         Ces quantités estimatives avaient été établies par M. Jacobs. Pour en arriver à ces chiffres, il avait obtenu et examiné les levés bathymétriques et topographiques du quai de Hopedale et de la voie d'accès existante. Ces levés, réalisés en 1988 (levés de 1988), donnaient les élévations et les profondeurs, pour la zone qui couvrait l'emplacement des travaux. Les levés topographiques sont des mesures de la hauteur des éléments terrestres, tandis que les levés bathymétriques établissent la profondeur de l'eau.


[9]         Pour évaluer les quantités de matériaux nécessaires, M. Jacobs s'est appuyé sur les levés de 1988 pour dresser une ligne de base, essentiellement parallèle à un pipeline existant et perpendiculaire à la façade du quai. Il a alors déterminé un certain nombre de stations le long de la ligne de base, à des intervalles d'environ 5 mètres, dans toute la zone où les travaux devaient être exécutés. Des coupes, perpendiculaires à la ligne de base et parallèles à la façade du quai, ont ensuite été dessinées à chaque station. Puis, M. Jacobs a calculé la superficie de chaque coupe à l'intérieur de la zone des travaux projetés, en utilisant les levés de 1988 pour établir le profil du fond avant les travaux et les élévations existantes, et en utilisant les plans et devis pour établir les contours après l'achèvement des travaux. Une fois établie la superficie de chaque coupe, M. Jacobs a utilisé la méthode dite « des profils » pour évaluer les quantités de matériaux de remblai, de pierres de sous-couche et de pierres de carapace nécessaires pour réaliser l'ouvrage tel que montré sur les plans et décrit dans le devis. Il s'agissait essentiellement de calculer le volume des matériaux nécessaires pour amener les profondeurs et les élévations existantes conformes aux profondeurs et aux élévations prescrites dans les plans et devis.

[10]       En se fondant sur les quantités estimatives de matériaux nécessaires ainsi établies, et en prévoyant un montant pour la mobilisation et la démobilisation, M. Jacobs a estimé à 145 000 $ le coût du projet. Cette information a été communiquée au ministère qui avait demandé les travaux, pour lui donner une idée du coût du projet.

[11]       Trois soumissions ont été déposées en réponse à l'appel d'offres. L'une, celle de Sun, proposait un prix de 151 000 $, et les deux autres, des prix de 158 720 $ et de 211 000 $ respectivement. L'offre de Sun se décomposait comme suit, selon chaque catégorie de travail, d'outillage et de matériaux :

[TRADUCTION]

Catégorie de travail, d'outillage ou de matériaux

Unité de mesurage

Prix unitaire

Prix estimatif total              

Mobilisation et démobilisation

Prix fixe

25 000 $

Matériaux remblai

m3

20,00 $

42 000 $

Pierre de sous-couche

m3

80,00 $

36 000 $

Pierre de carapace

m3

80,00 $

48 000 $

151 000 $


Le prix estimatif total proposé par Sun pour chaque catégorie de matériaux était simplement le produit du prix unitaire soumis par Sun multiplié par les quantités estimatives établies par M. Jacobs.

[12]       Sun a été informée que son offre était gagnante par une lettre d'adjudication datée du 7 août 1995. La lettre désignait également M. Jacobs gestionnaire du projet, c'est-à-dire [TRADUCTION] « la personne autorisée spécialement par l'Ingénieur à accomplir, en son nom, n'importe laquelle des fonctions qui lui sont confiées en vertu du contrat » . La lettre d'adjudication était accompagnée de deux séries de documents contractuels à signer. Le contrat stipulait que le travail devait être achevé le 16 octobre 1995.

[13]       En temps et lieu, Sun a fait expédier au chantier, par bateau, un chargeur, une excavatrice et deux camions à essieu tandem équipés de bennes pour le transport de la pierre, et les travaux ont débuté le ou vers le 29 août 1995. Le surintendant de chantier pour Sun était M. Kevin Melvin. Le représentant du Maître de l'ouvrage sur le chantier, désigné l'Inspecteur, était M. Welgie Smith.

[14]       Il n'y avait sur place aucune bascule pour le pesage des charges de matériaux transportées par camion. Mais l'Inspecteur et les employés de Sun consignaient le nombre de charges amenées au chantier depuis une carrière située à proximité, ce que l'on appelait le « compte des camions » .


[15]       Tous les témoins à l'instruction au courant du projet se sont entendus pour dire que les travaux se sont bien déroulés et qu'aucun différend ou problème véritable n'a surgi entre l'Inspecteur et les employés de Sun. Selon le témoignage de M. Smith, c'est l'un des ouvrages les mieux faits qu'il lui ait été donné de voir, pour ce qui est de la mise en place et de l'imbrication des éléments de la carapace.

[16]       Pendant le déroulement des travaux, des travaux supplémentaires ont été autorisés à deux reprises par M. Jacobs.

[17]       Le premier lot de travaux supplémentaires comportait le remblayage d'environ 168 mètres carrés de plus sur la voie d'accès, tel qu'indiqué sur un croquis à main levée. L'approbation écrite de ces travaux stipulait que, parce que cet ouvrage était au-dessus de la laisse de haute mer, il n'était pas nécessaire de prévoir autre chose que des matériaux de remblai. Aussi, M. Jacobs a confirmé par écrit avec Sun que la quantité de matériaux supplémentaires serait mesurée au camion, en supposant que chaque charge comprenait 11 mètres cubes, au coût de 20 $ le mètre cube. Le nombre total de charges de camion ne devait pas dépasser 45.


[18]       Le noyau résultant de ces travaux supplémentaires était séparé du noyau prévu dans les travaux initiaux. Un deuxième lot de travaux supplémentaires a donc été approuvé, qui visait le remblayage du vide ainsi créé à l'aide de matériaux de remblai supplémentaires. M. Jacobs a témoigné que ce deuxième lot de travaux supplémentaires n'exigeait pas d'autres pierres de sous-couche ou blocs de carapace, même si les éléments qui, initialement, devaient être placés à peu près perpendiculairement à la façade du quai, seraient maintenant placés parallèlement à celui-ci, par suite du raccordement du noyau résultant du premier lot de travaux supplémentaires et du noyau prévu dans les travaux initiaux, et de la création, par le fait même, d'un seul noyau continu. Ce deuxième lot de travaux supplémentaires devait être payé selon la même formule convenue pour le premier lot.

[19]       Les travaux, y compris les travaux supplémentaires, ont été achevés le ou vers le 9 septembre 1995, sauf pour ce qui est de la pose d'une dernière couche de matériaux granulaires sur l'aire de stationnement. Comme la carrière voisine du chantier ne pouvait fournir les matériaux adéquats, Sun a dû faire livrer les matériaux par un autre fournisseur, à un coût déclaré de 25 878,20 $.

[20]       Le 26 septembre 1995, Sun a soumis une « Demande d'acompte » couvrant la période du 21 août 1995 au 26 septembre 1995. Rien ne donnait à penser que les travaux n'étaient pas achevés à cette date, et rien ne laissait présager que Sun soumettrait ultérieurement une autre demande d'acompte. Sans compter la TPS, qui n'est pas en litige, Sun réclamait 205 800 $ pour les travaux effectués en vertu du contrat. Ce montant était ventilé comme suit :


[TRADUCTION]

Travaux initiaux :

Mobilisation et démobilisation (prix fixe)

25 000 $

Matériaux de remblai

2 000 m3 @ 20 $/unité

40 000 $

Pierre de sous-couche

   450 m3 @ 80 $/unité

36 000 $

Pierre de carapace

   600 m3 @ 80 $/unité

48 000 $

1erlot de travaux supplémentaires :

Matériaux de remblai

38 charges @ 11 m3/charge

8 360 $

Pierre de carapace

3 charges @ 11 m3/charge

2 640 $

2elot de travaux supplémentaires :

Matériaux de remblai

39 charges @ 11 m3/charge

8 580 $

Pierre de carapace

4 charges @ 11 m3/charge

3 520 $

Enlèvement et remise en place de la pierre

1 200 $

Fourniture, livraison et mise en place de la couche de roulement granulaire

Environ 260 tonnes @ 125 $ / tonne

32 500 $

205 800 $


Les montants imputés aux matériaux de remblai et à la pierre de carapace afférents aux travaux supplémentaires avaient été calculés à partir des prix unitaires soumissionnés par Sun.

[21]       Le 27 novembre 1995, dans le « Certificat définitif d'achèvement » , M. Jacobs autorisait le paiement prévu au contrat, soit un montant total de 170 580 $, TPS non comprise, c'est-à-dire quelque 35 000 $ de moins que le montant demandé par Sun. M. Jacobs a témoigné que le montant autorisé a été déterminé comme suit :

[TRADUCTION]

Mobilisation et démobilisation

Prix fixe

25 000 $

Matériaux de remblai

3 079 m3 @ 20 $/m3

61 580 $

Pierre de sous-couche

    450 m3 @ 80 $/m3

36 000 $

Pierre de carapace

    600 m3 @ 80 $/m3

48 000 $

170 580 $

[22]       Ce montant représentait le paiement complet du prix fixe pour la mobilisation et la démobilisation, le paiement de 979 mètres cubes de matériaux de remblai pour les deux lots de travaux supplémentaires, le paiement des matériaux de remblai, de la pierre de sous-couche et de la pierre de carapace selon les quantités estimatives exactes établies au départ par M. Jacobs.


[23]       Pour déterminer les quantités de matériaux mises en oeuvre par l'entrepreneur selon les travaux initiaux, une fois les travaux achevés, M. Jacobs a demandé à M. Edward Bearns, directeur des levés de Terre-Neuve, des levés « conformes à l'exécution » de l'emplacement où avaient été réalisés les travaux. Ces levés ont étés effectués du 14 au 16 octobre 1995 et ont débouché sur des levés bathymétriques et topographiques préparés par M. Bearns (levés de 1995). L'équipe responsable de ces levés s'est fondée sur les mêmes repères de nivellement ou points de référence que ceux utilisés pour les levés de 1988 et il en est résulté des levés qui mesuraient les élévations et les profondeurs à l'emplacement de l'ouvrage et dans la zone environnante, y compris les élévations et les profondeurs « après exécution » des travaux par Sun. En bref, comme l'a mentionné M. Bearns dans son témoignage, ces levés montraient l'élévation ou le profil final de l'ouvrage réalisé aux termes du contrat. Ils ne fournissaient aucune information, comme l'a reconnu M. Bearns, sur la nature du souterrain. Ils décrivaient simplement la surface de la zone, y compris l'ouvrage tel qu'exécuté aux termes du contrat.


[24]       Une fois les levés de 1995 achevés, M. Jacobs a utilisé ceux-ci pour refaire l'exercice qu'il avait fait au moyen des levés de 1988, c'est-à-dire établir les quantités estimatives de matériaux nécessaires pour réaliser les travaux. S'appuyant sur les lignes de base, les stations et le profil du fond établis par les levés de 1988, se reportant aux élévations prescrites par les plans et devis et aux profondeurs des levés de 1995, et utilisant la même méthode des profils, M. Jacobs a mesuré l'écart entre les volumes « théoriques » des dessins contractuels et les volumes « réels » établis à l'aide des nouveaux levés. En utilisant les profils des dessins contractuels, on supposait que les pierres de carapace et les pierres de sous-couche avaient été mises en place conformément aux exigences du contrat, de sorte que toute élévation supérieure à l'élévation prescrite était attribuée à l'ajout de matériaux de remblai.

[25]       M. Jacobs a témoigné que son nouvel exercice d'estimation des quantités l'avait amené à conclure à un manque de 457,4 mètres cubes dans la quantité de matériaux ajoutés par rapport à la quantité de matériaux exigés aux termes du contrat, ce qui revient à dire que l'entrepreneur n'avait « pas tout à fait » rempli ses obligations en vertu du contrat. Néanmoins, M. Jacobs était d'avis que l'entrepreneur avait fait un « bon travail » . C'est ainsi, a témoigné M. Jacobs, qu'il a autorisé le paiement comme si l'entrepreneur avait mis en place les quantités qui avaient été estimées nécessaires parce qu'à son avis, les travaux avaient été bien faits.

[26]       C'est que, lorsqu'il a reçu la « Demande d'acompte » de Sun, M. Jacobs a rejeté les éléments de la demande visant les pierres de carapace pour les deux lots de travaux supplémentaires (soit un total de 77 mètres cubes de pierres de carapace), l'enlèvement et la remise en place de pierres dans le cadre du deuxième lot de travaux supplémentaires, et la fourniture et la livraison de matériaux granulaires. Mais il a autorisé le paiement de 232 mètres cubes de matériaux de remblai de plus que les quantités inscrites par Sun sur sa demande.


[27]       M. Jacobs a expliqué que si Sun s'est vu refuser le paiement de certaines éléments, c'est qu'elle n'y avait pas droit en vertu du contrat. En effet, l'entente touchant les travaux supplémentaires ne prévoyait le paiement que de matériaux de remblai supplémentaires : aucun montant n'était prévu pour de la pierre de carapace ni pour l'enlèvement et la mise en place de pierre. Le contrat exigeait que l'entrepreneur mette en place une couche de roulement granulaire en même temps que les matériaux de remblai, pour lesquels il était payé 20 $ le mètre cube.

[28]       Le paiement des 979 mètres cubes de matériaux de remblai pour les travaux supplémentaires a été fait d'après le compte de 89 charges de camion fait par l'Inspecteur. En effet, une entente entre les parties stipulait qu'aux fins du paiement des travaux supplémentaires, chaque charge contenait 11 mètres cubes.


[29]       Par suite du rejet de sa demande, le 11 janvier 1996, Sun a écrit à M. Jacobs. La lettre a été déposée en preuve et reconnue comme la vraie copie d'une lettre envoyée et reçue par l'une et l'autre partie. Dans cette lettre, Sun informait M. Jacobs qu'elle s'apprêtait à porter sa demande devant le tribunal, qu'elle allait « citer à comparaître » l'Inspecteur qui avait présumément demandé [TRADUCTION] « cette pierre de carapace, même si [le président de Sun] lui avait dit que [M. Jacobs] ne voulait pas de pierre de carapace » , et se plaignait que les prescriptions avaient prêté à confusion en ce qui a trait aux matériaux requis pour la surface de roulement granulaire. Comme la seule demande de paiement pour de la pierre de carapace qu'avait soumise Sun et qui avait été rejetée se rapportait aux travaux supplémentaires, cette plainte de janvier 1996 visant le paiement de pierre de carapace ne concernait que la pierre de carapace présumément fournie aux fins des travaux supplémentaires.

PORTÉE DE LA DEMANDE DE LA DEMANDERESSE

[30]       La présente action a été introduite par voie de déclaration déposée le 13 juin 1996, qui demandait ce qui suit :

a)          la fourniture et la mise en place de matériaux de revêtement granulaires au montant de 28 466,02 $, soit le coût déclaré par Sun, de 25 878,20 $, majoré de 10 %;

b)          sept charges de pierre de carapace qui auraient été demandées par l'Inspecteur de la défenderesse, et qui ne faisaient pas partie du contrat initial, dont le montant a été établi à 6 160 $, soit 7 charges de 11 mètres cubes chacune, à 80 $ le mètre cube;

c)          100 mètres cubes de matériaux de remblai, à 20 $ le mètre cube, pour un total de 2 000 $, que Sun alléguait devoir en vertu du contrat initial.


[31]       Le 12 août 1999, une ordonnance a été émise au cours de cette instruction, qui permettait à Sun de modifier sa demande sur un point. La demande de redressement a été modifiée de façon qu'au lieu du point (b) ci-dessus, la demanderesse demandait le paiement de [TRADUCTION] « 12 m3 de ‘pierre de sous-couche'et 357 m3 de ‘pierre de carapace', soit un total de 369 m3 à 80,00 $ le mètre cube, pour un montant total de 29 520 $ » . Outre la demande de redressement, aucune modification n'a été demandée ni apportée au corps de la demande.

[32]       La modification a été demandée au motif que [TRADUCTION] « la défenderesse était la mieux placée pour connaître les quantités de matériaux livrés à l'emplacement en question [et que] la demanderesse n'était pas en mesure de déterminer les quantités exactes jusqu'à ce qu'aient lieu les Interrogatoires préalables » .

[33]       Comme il sera souligné plus tard, cette assertion semble contredire la preuve de John Hepditch, un employé de Sun qui a conduit un des deux camions à essieu tandem au cours du projet Hopedale.

[34]       Le 6 octobre 2000, la demanderesse a déposé un avis de requête devant être présenté à l'ouverture de l'instruction le 16 octobre 2000, demandant l'autorisation d'apporter une autre modification à la déclaration, soit de porter la somme réclamée à 57 380 $ et d'ajouter une demande fondée sur le quantum meruit. Les motifs qui fondaient la demande de modification étaient identiques à ceux qui avaient motivé l'avis de requête visant la première modification, si ce n'est que Sun déclarait avoir obtenu l'opinion d'un expert en construction.


[35]       À l'ouverture de l'instruction, Sun a déclaré qu'elle retirait ses allégations et sa demande de 28 466,02 $ visant des matériaux granulaires, et elle a déposé son avis de requête de nouvelle modification. Pour des motifs donnés de vive voix lors de l'instruction, sans ajournement de celle-ci, j'ai permis à la demanderesse de modifier le montant de sa demande pour la porter à 57 380 $, comme elle le demandait, et de soutenir une demande fondée sur le quantum meruit.

[36]       Sun n'a pas été autorisée à attaquer l'exactitude des levés de 1988 ni leur conformité à l'état de l'emplacement avant le début des travaux sans que soit ajournée l'instruction, ajournement que Sun n'a pas demandé.

[37]       La déclaration modifiée déposée à l'instruction, contenant la nouvelle modification telle qu'autorisée, demandait la somme de 57 380 $. Cette somme représentait le paiement de 138 mètres cubes de pierre de sous-couche à 80 $ le mètre cube et de 618 mètres cubes de pierre de carapace à 80 $ le mètre cube, moins un montant crédité à la défenderesse pour un présumé trop-payé au titre de 155 mètres cubes de matériaux de remblai à 20 $ le mètre cube.


[38]       Alors que le corps de la déclaration finale faisait toujours référence à la commande par l'Inspecteur de sept charges de pierre de carapace pour la réalisation des travaux supplémentaires, et à la réduction du paiement par la défenderesse pour 100 mètres cubes de matériaux de remblai, ces points n'étaient aucunement visés par la demande de redressement modifiée. Et le conseil de Sun n'a évoqué ni l'une ni l'autre affaire dans ses arguments de clôture.

[39]       Toutefois, étant donné que la déclaration, telle que finalement modifiée, fait référence à ces affaires, pour qu'il n'y ait pas de confusion, je traiterai de chaque affaire brièvement pour les considérer ensuite classées.

[40]       En ce qui a trait aux sept charges de pierre de carapace, Sun a cité à comparaître l'Inspecteur, M. Smith. Au cours de son témoignage, nul n'a allégué qu'il avait exigé de la pierre de carapace pour les travaux supplémentaires, pas plus qu'il n'a témoigné en ce sens, même s'il avait le pouvoir d'exiger que Sun livre la pierre de carapace (ce qui a été contesté). Il n'existe donc aucun fondement dans la preuve pouvant appuyer cette demande.


[41]       En ce qui a trait au présumé défaut de payer 100 mètres cubes de matériaux de remblai en vertu du contrat initial, M. Jacobs a témoigné avoir autorisé le paiement de 2 100 mètres cubes de matériaux de remblai aux fins des travaux initiaux, même si la Demande d'acompte de l'entrepreneur demandait le paiement de 2 000 mètres cubes desdits matériaux. Ce fait évoqué par M. Jacobs n'a pas été contesté. De plus, la déclaration finalement modifiée demande que la défenderesse soit créditée d'un trop-payé de 155 mètres cubes de matériaux de remblai. Il n'y a donc pas de fondement, dans la preuve déposée, pour une demande de paiement de 2 000 $ au titre d'une réduction indue de la quantité de matériaux de remblai stipulée au contrat visant les travaux initiaux.

QUESTIONS EN LITIGE

[42]       Une des questions consiste donc à savoir si Sun a été sous-payée, en vertu du contrat, pour ce qui est des 138 mètres cubes de pierre filtrante et des 618 mètres cubes de pierre de carapace mises en oeuvre dans le cadre des travaux initiaux, ou si Sun a droit à un paiement fondé sur le quantum meruit.

[43]       La déclaration de Sun, telle que modifiée, se fonde sur le fait que les méthodes de mesurage des quantités utilisées par la défenderesse étaient incompatibles avec les obligations de la défenderesse en vertu du contrat, parce que chacune des trois catégories de matériaux stipulées auraient dû être mesurée séparément. Par conséquent, selon Sun, la seule façon de déterminer de manière exacte les quantités de matériaux mis en oeuvre dans l'ouvrage est de compter le nombre de charges de camion mesurées des divers matériaux mis en oeuvre dans l'ouvrage, selon le registre de l'Inspecteur.

CONDITIONS DU CONTRAT

[44]       Les documents qui forment le contrat entre les parties comprenaient deux parties types intitulées « Articles de Convention » et « Conditions générales » , de même que les plans et devis préparés par M. Jacobs, qui contenaient un dessin intitulé Site Plan & Sections (plan de situation et coupes).


[45]       Dispositions se rapportant aux questions en litige :

[TRADUCTION]

Articles de convention :

3.1            Sous réserve de toute addition, soustraction, déduction, réduction ou compensation prévue en vertu du Contrat, Sa Majesté, aux dates et de la manière énoncées ou mentionnées dans les Modalités de paiement, paie à l'Entrepreneur

...

3.1.2         une somme égale à l'ensemble des produits du nombre d'unités de mesurage de chaque catégorie de travail, d'outillage ou de matériaux indiqué dans le Certificat définitif de mesurage mentionné au paragraphe CG44.8, ce nombre d'unités étant multiplié selon le cas par le prix de chaque unité, TPS non comprise, indiqué dans le Tableau des prix unitaires relativement à l'exécution des travaux ou des parties de travaux qui ont fait l'objet d'une Entente à prix unitaire.

Conditions générales :

1.1            Dans le Contrat

...

1.1.4         « Ingénieur » signifie l'officier ou l'employé de Sa Majesté désigné aux Articles de convention et toute personne autorisée spécialement par l'Ingénieur à accomplir, en son nom, n'importe laquelle des fonctions qui lui sont confiées en vertu du Contrat, et qui est désignée comme telle par écrit à l'Entrepreneur;

...

44.6          Si le Contrat ou l'une de ses parties a fait l'objet d'une Entente à prix unitaire, l'Ingénieur mesure et consigne dans un registre les quantités de travail exécuté, d'outillage fourni par l'Entrepreneur et de matériaux utilisés pour l'exécution des travaux, et informe, sur demande, l'Entrepreneur au sujet de ces mesurages.

...

44.8          Une fois que l'Ingénieur a délivré le Certificat définitif d'achèvement mentionné au paragraphe CG44.1, il doit, si le paragraphe CG44.6 s'applique, délivrer un Certificat définitif de mesurage.


Devis :

SECTION 01005 : INSTRUCTIONS GÉNÉRALES

1.      Portée              .1              Les travaux compris dans le présent projet consistent à fournir tout l'outillage, la main-d'oeuvre, l'équipement, la quincaillerie et les matériaux nécessaires à l'Amélioration de la voie d'accès - Hopedale, district des monts Torngat, Labrador, Terre-Neuve. Ces travaux doivent être exécutés en stricte conformité du devis et des dessins qui l'accompagnent, sous réserve de toutes les conditions du contrat.

...

SECTION 02936 : PIERRE DE CARAPACE, PIERRE DE SOUS-COUCHE ET NOYAU EN MATÉRIAUX DE REMBLAI

PARTIE 1 - GÉNÉRALITÉS

1.1     Description    .1             La présente section précise les exigences concernant la fourniture et la mise en oeuvre des matériaux de remblai, de la pierre de sous-couche et de la pierre de carapace, conformément aux dimensions et aux endroits indiqués sur les dessins.

...

1.4 Mesurage aux fins

      de paiement                      ...

.2              Les matériaux de remblai seront mesurés en mètres cubes (m3) de matériaux mis en oeuvre dans l'ouvrage, conformément aux dimensions indiquées.

.3              La pierre de sous-couche sera mesurée en mètres cubes (m3) de matériaux mis en oeuvre dans l'ouvrage, conformément aux dimensions indiquées.


.4              La pierre de carapace sera mesurée en mètres cubes (m3) de matériaux mis en oeuvre dans l'ouvrage, conformément aux dimensions indiquées.

...

PARTIE 3 - EXÉCUTION

...

3.2 Matériaux de

      remblai              .1              Mettre en place le noyau en matériaux de remblai selon les lignes, les niveaux et les dimensions indiqués sur les dessins.

.2              La pente des talus doit être de 1,5/1,0 de l'horizontale à la verticale, selon les indications des dessins.

...

3.3 Pierre de

      sous-couche    .1              Mettre en place les pierres de sous-couche selon les niveaux, les dimensions, les profils et les détails des coupes indiqués sur les dessins.

.2              Mettre en place les pierres de sous-couche en une couche d'une épaisseur minimale de 750 mm, selon les prescriptions et les indications des dessins.

.3              La pente des talus doit être de 1,5/1,0 de l'horizontale à la verticale, selon les indications des dessins.

3.4 Pierre de carapace

.1              Mettre en place les pierres de carapace selon les lignes, les niveaux et les dimensions indiqués sur les dessins.


.2              Il n'est pas permis de décharger à pleine benne les pierres de carapace. Les pierres doivent être soulevées et mises en place une à une.

.3              La pente des talus doit être de 1,5/1,10 [sic] de l'horizontale à la verticale, selon les indications des dessins.

.4              Mettre en place les pierres de carapace de façon à obtenir une couche dont l'épaisseur est conforme aux indications des dessins.

.5              L'Entrepreneur doit choisir ses pierres et les mettre en place de façon que l'ensemble de la structure soit imbriqué et solidaire dans toute la mesure permise par la nature des pierres.

[46]       Les « dessins » auxquels renvoient les plans et devis sont de fait le document intitulé Site plan & Sections (plan de situation et coupes) préparé par M. Jacobs. La partie pertinente de ce dessin est celle intitulée [TRADUCTION] « Coupe partielle » (nouvelle digue), qui est reproduite, réduite et jointe à la suite des motifs, en tant qu'annexe A.

POSITIONS DES PARTIES

[47]       Les parties ont toutes deux reconnu que M. Jacobs était, en vertu de sa désignation dans la lettre d'adjudication, l' « Ingénieur » selon la définition énoncée dans le contrat et que, ainsi lié par le paragraphe 44.6 des Conditions générales, il devait mesurer et consigner les quantités de travail exécuté et de matériaux fournis. Il est juste de dire que ce consensus représentait toute l'unanimité entre les parties.


[48]       Robert Gosse, un ingénieur qui n'a aucun lien avec la société demanderesse, a témoigné au nom de Sun. La Couronne ne s'est pas objectée à ce que M. Gosse soit jugé qualifié pour donner un témoignage d'expert sur l'interprétation d'un contrat de construction et sur l'interprétation de contrats de terrassement et la mesure des matériaux y afférents. M. Gosse a témoigné que, d'après son expérience, l'intention des paragraphes 1.4.2, 1.4.3 et 1.4.4 reproduits ci-dessus était d'exiger que chaque catégorie de matériaux rocheux soit mesurée par la méthode des profils appliquée à des coupes transversales établies avant et après la mise en place de chacune des trois catégories de matériaux. En l'occurrence, des coupes transversales, et donc des levés, auraient dû être dessinées après que les pierres filtrantes et les pierres de carapace existantes avaient été retirées du noyau existant en pierre et gravier. Des coupes transversales auraient dû ensuite être établies, selon les levés effectués après l'ajout de matériaux de remblai et la mise en place de la pierre de sous-couche et de la pierre de carapace. L'autre façon d'agir, selon M. Gosse, aurait été de mesurer les quantités au poids, mais cela n'aurait pas été faisable dans une région éloignée comme Hopedale, qui n'est pas dotée de bascules de pesage pour camions.


[49]       M. Gosse a par ailleurs estimé que la méthode utilisée par la défenderesse permettait de déterminer la quantité totale de matériaux mis en place, mais pas les matériaux de chaque catégorie, comme l'exigeait le contrat, parce qu'on ne disposait, pour chaque catégorie de matériaux, ni de lignes de base ni de lignes d'extrémité auxquelles aurait pu être appliquée la méthode des profils aux fins du calcul des quantités.

[50]       M. Gosse était d'avis que, en l'absence de levés établissant l'élévation « avant et après » de chaque catégorie de matériaux, et en l'absence de bascules, il était raisonnable de se fier au dénombrement des camions par l'Inspecteur pour mesurer les quantités de matériaux mis en place par l'entrepreneur.

[51]       Il avait fait un calcul sur cette base, qui concluait que Sun avait été sous-payée de 57 380 $. M. Gosse a en effet conclu que Sun n'avait pas été payée pour 138 mètres cubes de pierre de sous-couche et 618 mètres cubes de pierre de carapace.

[52]       M. Jacobs a pour sa part témoigné que sa méthode correspondait à la pratique courante dans sa profession et qu'elle était strictement conforme aux exigences du contrat. Ses calculs constituaient une mesure adéquate des quantités ajoutées en vertu du contrat, mais cela dit, il était justifié, a-t-il témoigné, de ne pas se servir de ces mesures à des fins de paiement, mais plutôt de payer, essentiellement, 100 % du prix estimatif du contrat pour des matériaux livrés à 85 %.


ANALYSE

[53]       Je traiterai d'abord de la partie de la demande selon laquelle le paiement n'aurait pas été fait conformément à l'obligation de la défenderesse en vertu du contrat, puis de la demande fondée sur le quantum meruit.

(1.) La défenderesse a-t-elle manqué à ses obligations en vertu du contrat, comme il est allégué?

[54]       Les positions des parties suscitent deux questions en ce qui a trait aux obligations contractuelles de la défenderesse. Premièrement, la défenderesse a-t-elle manqué à ses obligations en vertu du contrat du fait que l'Ingénieur n'a pas mesuré les quantités de travail et de matériaux fournis? Deuxièmement, la défenderesse a-t-elle autrement manqué à ses obligations en vertu du contrat en faisant un paiement insuffisant pour la quantité de matériaux livrés?

(a) Y a-t-il eu manquement à l'obligation de mesurer?

[55]       À l'égard de la première question, je citerai de nouveau, pour que l'on puisse s'y référer plus facilement, le paragraphe 44.6 des Conditions générales :

[TRADUCTION]

44.6          Si le Contrat ou l'une de ses parties a fait l'objet d'une Entente à prix unitaire, l'Ingénieur mesure et consigne dans un registre les quantités de travail exécuté, d'outillage fourni par l'Entrepreneur et de matériaux utilisés pour l'exécution des travaux, et informe, sur demande, l'Entrepreneur au sujet de ces mesurages.


[56]       En affirmant qu'il y a eu manquement à l'obligation de mesurer, Sun a fait valoir :

(a)         Le témoignage de M. Gosse, selon qui, par essence, les quantités ne peuvent être mesurées sans être réellement mesurées, et dans la présente affaire, le mesurage aurait dû être fait selon une méthode où les coupes transversales auraient été établies d'après des levés effectués avant et après chaque ajout de matériaux; et

(b)         Le témoignage de M. Bearns en contre-interrogatoire, selon qui, même si la comparaison de deux levés est une façon d'établir le volume total de matériaux ajoutés, elle ne constitue pas un moyen de mesurer les quantités réelles de matériaux constitutifs ajoutés.

[57]       Pour examiner ces arguments, je pars de l'observation, acceptée par Sun, qu'il n'y a rien de foncièrement inapproprié à « mesurer » à l'aide de la méthode des profils appliquée aux données produites par des levés, et que les résultats d'un tel calcul peuvent constituer une « mesure » au sens du paragraphe 44.6 des Conditions générales. Sun allègue simplement que l'on doit disposer de données de levé pour chaque catégorie de matériaux constitutifs.


[58]       Qu'en est-il alors du défaut d'avoir produit un levé pour chaque catégorie de matériaux constitutifs? Pour répondre à cette question, j'examinerai ce qui devait être mesuré en vertu du contrat.

[59]       Les dessins contractuels indiquaient précisément l'épaisseur des couches de pierres filtrantes et de pierres de carapace à mettre en oeuvre, soit 1 500 mm de pierres filtrantes et 2 000 mm de pierres de carapace. Dans les deux cas, les mesures étaient prises à l'horizontale. Les deux types de pierres devaient être mis en oeuvre selon une pente de 1,0/1,5 de la verticale à l'horizontale, au sommet d'une pente latérale de gravier de remblai dont la pente devait être de 1,0/1,5 de la verticale à l'horizontale.

[60]       L'épaisseur des couches de pierres de sous-couche et de pierres de carapace était clairement indiquée dans les dessins contractuels. Mais tel n'était pas le cas des matériaux de remblai, dont l'épaisseur n'était pas précisée.

[61]       Le paragraphe 1.1 de la section 01005 du devis exigeait de l'Entrepreneur qu'il exécute les travaux en stricte conformité du devis et des dessins qui l'accompagnaient. Selon le paragraphe 1.4 de la section 02936 du devis, aux fins du paiement, les pierres de sous-couche et les pierres de carapace (les deux matériaux objet du litige) devaient être mesurées en mètres cubes de [TRADUCTION] « matériaux mis en oeuvre dans l'ouvrage conformément aux dimensions indiquées » dans le dessin contractuel [le soulignement est de moi].


[62]       En ce qui a trait à la précision du devis, l'exigence de stricte conformité, et le paragraphe 1.4 de la section 02936, M. Gosse a témoigné en contre-interrogatoire ce qui suit :

[TRADUCTION]

Q.             Et faute de meilleur terme, j'appellerai ce document le dessin contractuel, et nous examinons, pour les besoins de la Cour, la partie intitulée « Coupe partielle (nouvelle digue) » et le dessin immédiatement au-dessus. D'accord?

R.             D'accord.

Q.             Et la question que je me posais était l'aspect de l'épaisseur des couches de pierres filtrantes et de pierres de carapace, respectivement, indiquées sur le dessin contractuel. Ça va?

R.             Ça va.

Q.             Et vous convenez que le dessin contractuel indique une couche de pierres filtrantes de 1 500 millimètres, mesurée à l'horizontale?

R.             Oui, monsieur.

Q.             Et vous savez, comme vous êtes le -

R.             Oui.

Q.             - que les chiffres peuvent être convertis pour indiquer une épaisseur, n'est-ce pas?

R.             En effet.

Q.             De même, une épaisseur de 2 000 millimètres est prescrite pour les pierres de carapace, et elle peut aussi être convertie en épaisseur, j'imagine – si vous mesuriez une perpendiculaire – non pas une perpendiculaire mais une ligne formant un angle droit avec l'ouvrage fini de pierre et de gravier, la pierre de remblai derrière, si vous décrivez un angle de 90 degrés -

R.             Oui.

Q.             - qui serait perpendiculaire à cette ligne, et que vous passiez à travers les couches de pierres filtrantes et de pierres de carapace, et si on pouvait mesurer certaines épaisseurs, ne le ferait-on pas?

R.             Oui, on le ferait, oui.

Q.             Et cette épaisseur serait, dans les deux cas, inférieure aux 1 500 mm et aux 2 000 mm de mesures horizontales au sommet, en raison de la géométrie?


R.             Oui.

Q.             D'accord. Mais cela n'est réellement qu'accessoire à ce que je vous demande. La question est que le contrat stipule qu'ils doivent mettre en oeuvre les matériaux et qu'ils doivent être payés pour les matériaux, dans le cas de la pierre de carapace, mis en oeuvre dans l'ouvrage conformément aux dimensions indiquées, n'est-ce pas?

R.             Oui.

Q.             Ainsi, le Maître de l'ouvrage a indiqué à votre client, et à quiconque voulant soumissionner ce projet, qu'il allait payer une épaisseur de pierre de carapace telle qu'indiquée dans ce dessin?

R.             Il est indiqué, Madame, que « Les éléments aux fins de paiement seront mesurés en mètres cubes de matériaux mis en oeuvre dans l'ouvrage conformément aux dimensions » . Cet énoncé ne pose pas problème à mes yeux.

Q.             Voilà qui est bien mais ce n'est pas ma – ce que je vous ai demandé, je crois. Ce que je veux savoir c'est : le Maître de l'ouvrage a-t-il déterminé une certaine épaisseur de pierre de carapace qu'il paiera?

R.             Le Maître de l'ouvrage a déterminé l'épaisseur nominale de la couche.

Q.             Pourriez-vous m'indiquer, dans les documents contractuels ou sur le dessin, où nous trouvons une référence à des cotes « nominales » ?

R.             Non, pas dans ces documents.

[63]       J'en déduis que si l'on connaît la partie de l'ouvrage où devaient être mises en oeuvre des pierres de sous-couche (qui, en l'occurrence, était déterminée par référence aux stations où les coupes transversales étaient prises) et que si l'on connaît l'épaisseur de pierres de sous-couche prescrite, il est possible de faire un calcul qui permet d'établir la quantité que le Maître de l'ouvrage était prêt à payer. La même chose s'applique aux pierres de carapace. C'était la signification des mots « conformément aux dimensions indiquées » dans les alinéas 1.4.3 et 1.4.4 de la section 02936 du devis.

[64]       Voici l'essentiel du témoignage de M. Bearns, qui a témoigné à titre d'expert du domaine des levés et en particulier des levés topographiques :


[TRADUCTION]

Q.             D'accord. M. Bearns, mon savant confrère vous demandait si, quand des matériaux sont mis en place, différents types de matériaux, et que vous voulez mesurer chaque type de matériaux au fur et à mesure, vous devez alors effectuer des levés. Je pense que vous disiez que cela arrivait.

R.             C'est une méthode.

Q.             D'accord. Mais voici ma question dans ce contexte : si vous savez où commence la couche de matériaux à la base et si vous savez où elle finit au sommet, et si vous connaissez l'inclinaison, ou, si vous aimez mieux, la pente, et l'épaisseur de matériaux prescrite, pouvez-vous mesurer ceux-ci?

R.             Bien sûr que vous pouvez, Monsieur. Vous n'êtes pas obligé d'aller – vous n'avez pas à effectuer des levés pour connaître le volume de matériaux mis en place et déterminer si les indications des dessins contractuels sont respectées.

Q.             Si les indications des dessins contractuels sont respectées?

R.             Oui.

[65]       M. Jacobs a subi un contre-interrogatoire très serré sur l'exactitude des calculs et sur sa prise en compte de certains facteurs comme l'effet de l'enlèvement et de la remise en place des pierres de sous-couche et des pierres de carapace du quai, entre les levés de 1988 et de 1995. Le contre-interrogatoire n'a permis d'établir aucune erreur importante qui pourrait vicier le calcul de la quantité de matériaux mis en oeuvre par Sun.

[66]       En justifiant son hypothèse que les matériaux avaient été mis en place selon les exigences du contrat, M. Jacobs a témoigné en contre-interrogatoire ce qui suit :

[TRADUCTION]


Q.             ... Alors, – lorsque vous faisiez vos derniers calculs après la fin du contrat, si j'ai bien compris tout ce que j'ai lu jusqu'à maintenant, vous avez fait certaines hypothèses quant aux matériaux utilisés pour le travail, n'est-ce pas? Vous avez fait des hypothèses quant à certains des matériaux mis en oeuvre dans l'ouvrage?

R.             Je fondais mes calculs sur ce qui était censé être mis en place et sur ce que mon Inspecteur me rapportait.

Q.             Bien. Qu'est-ce que votre Inspecteur vous a dit au sujet des matériaux mis en oeuvre?

R.             Il m'a dit que la pierre exigée était mise en oeuvre aux endroits où elle devait l'être.

[67]       M. Jacobs a confirmé que c'était le travail de l'Inspecteur de veiller à la conformité des travaux aux plans et devis et d'informer M. Jacobs de tout écart éventuel. M. Jacobs a également confirmé qu'il croyait que l'Inspecteur avait bien fait son travail.

[68]       En l'absence des mots « conformément aux dimensions indiquées » , j'accepte qu'il pourrait avoir été nécessaire de prendre des mesures, comme M. Gosse le préconisait, pour les quantités réelles de pierres de sous-couche et de pierres de carapace mises en oeuvre. Toutefois, selon les principes de l'interprétation des contrats, il y a lieu de donner un sens aux mots « conformément aux dimensions indiquées » .


[69]       Le sens que je donne à ces mots dans le contrat est que le mesurage aux fins de paiement devait viser les matériaux mis en oeuvre conformément aux dimensions prescrites. Deux conditions devaient être remplies pour que le paiement soit effectué : premièrement, les matériaux devaient être mis en oeuvre selon les exigences prescrites et deuxièmement, le paiement serait ensuite effectué selon les dimensions indiquées et exigées par le contrat. En appliquant les principes de géométrie, il était possible de mesurer les volumes des couches prescrites de pierres de sous-couche et de pierres de carapace, et je constate qu'ils ont de fait été mesurés de cette façon.

[70]       M. Jacobs a également déclaré en contre-interrogatoire que [TRADUCTION] « les mesures ont été prises conformément à la pratique courante » et, selon lui, en stricte conformité avec le contrat.

[71]       Pour en venir à la conclusion que l'Ingénieur a mesuré les quantités de pierre de sous-couche et de pierre de carapace, j'ai pris en compte le témoignage de M. Gosse, selon qui le contrat exigeait que l'entrepreneur construise l'ouvrage en s'efforçant le plus possible de répondre aux prescriptions, mais cela fait, chaque catégorie de matériaux constitutifs allait être mesurée séparément de sorte que le Maître de l'ouvrage puisse payer, sur la base de prix unitaires, toute quantité de matériaux mis en oeuvre dans l'ouvrage au-delà des quantités prescrites.

[72]       Ce témoignage a été contredit par M. Jacobs, lui aussi ingénieur, qui a témoigné que sa méthode était conforme à la pratique courante et que [TRADUCTION] « c'est notre façon de procéder depuis des années » .


[73]       En rejetant le point de vue de M. Gosse sur ce point, je n'ai pas été convaincue que M. Gosse interprétait adéquatement les mots [TRADUCTION] « mis en oeuvre dans l'ouvrage et selon les dimensions indiquées » . À mon avis, la Cour est aussi bien en mesure d'interpréter ces mots utilisés dans le contrat dans leur sens ordinaire.

[74]       Je prends également en compte le fait que la Demande d'acompte soumise par Sun était établie d'une manière qui était conforme à l'interprétation que j'ai donnée aux obligations de mesurage et de paiement.

[75]       Le témoignage de M. Hepditch, l'employé de Sun qui conduisait un des deux camions à essieu tandem affectés au projet, est pertinent dans ce cas. M. Hepditch a témoigné que les conducteurs écrivaient chaque jour dans leur carte de pointage le nombre de charges transportées. Il a également témoigné que le surintendant de Sun était présent pour prendre des notes, auxquelles pourrait se fier le président de Sun. Sun n'a pas cité son surintendant, M. Melvin, à comparaître, mais des copies conformes des notes et des fiches quotidiennes de temps et de quantités établies par lui du 29 août 1995 au 11 septembre 1995 ont été déposées en preuve, sans reconnaissance toutefois de la véracité de leur contenu. Ainsi, bien que l'on ne puisse se fier à ces notes pour établir le nombre de charges transportées, elles indiquent à Sun, de façon sommaire, le dénombrement fait par son surintendant du nombre de charges transportées, ventilées selon chacune des trois catégories de pierre, et précisent si les matériaux étaient à des fins de « travaux supplémentaires » .


[76]       Voici le sommaire des comptes de charges contenus dans ces notes :

Gravier (travaux supplémentaires)                      13

Sous-couche                                                     42

Carapace                                                          87

Remblai                                                             201

Au total, 343 charges auraient été transportées. Rien dans la preuve ne me permet de croire que ces notes, déposées en preuve à titre de copies conformes des notes de M. Melvin, n'ont pas, en temps opportun, été soumises ou mises à la disposition de Sun. M. Melvin n'a pas été cité à comparaître, le conseil de Sun ayant déclaré que M. Melvin « ne voulait pas se présenter » et « qu'il n'était pas dans le meilleur intérêt de Sun » de le citer à comparaître.

[77]       M. Gosse fondait son opinion sur le dénombrement des camions fait par M. Smith, qui s'établissait comme suit :

matériaux de remblai                              218

Pierre de sous-couche                           42

Pierre de carapace                                87

pour un total de 347 charges.


[78]       Les registres des comptes de camions faits pour le compte de la demanderesse et pour celui de la défenderesse ne sont pas très différents.

[79]       J'en déduis que Sun avait des informations, ou à tout le moins accès à des informations, de son surintendant quant au nombre de charges de pierres de sous-couche et de pierres de carapace livrées au moment où elle a soumis sa Demande d'acompte et sa lettre du 11 janvier 1996. Néanmoins, sa Demande d'acompte pour les travaux initiaux visait le paiement de 450 mètres cubes de pierre de sous-couche et 600 mètres cubes de pierre de carapace, soit les quantités exactes mises en oeuvre, pour autant que les pierres de sous-couche et les pierres de carapace aient été mises en oeuvre « dans l'ouvrage et conformément aux dimensions indiquées » .

[80]       Cela cadre avec l'interprétation que j'ai donnée aux dispositions du contrat traitant du mesurage aux fins de paiement, mais va à l'encontre de l'opinion de M. Gosse.

[81]       Comme M. Jacobs a confirmé, en contre-interrogatoire, que, même s'il avait procédé à un mesurage, il n'a pas utilisé les mesures ainsi obtenues aux fins du paiement, il y a lieu d'examiner la deuxième question, à savoir si le paiement de la défenderesse est insuffisant pour la quantité de matériaux livrés. En d'autres mots, la défenderesse pourrait choisir de payer plus que les matériaux livrés, mais ne pourrait faire abstraction des mesures, si celles-ci révélaient que la demanderesse a été sous-payée.


(b) La défenderesse a-t-elle fait un paiement insuffisant?

[82]       Le montant du sous-paiement calculé par M. Gosse à partir du compte de camions fait par M. Smith, s'établit comme suit :

Quantités de matériaux de remblai selon le contrat initial

129 charges @ 14 mètres cubes par charge      1806

Quantités de matériaux de remblai selon l'ordre de modification 1

89 charges @ 11 mètres cubes par charge        979

Gravier importé                                      139

Mètres cubes totaux de matériaux de remblai

Mis en oeuvre                                       2924

Total des MC payés                             3079

Différence                                               -155

Montant dû par TPSGC                   -3 100 $

Quantités de pierre de sous-couche

42 charges @ 14 mètres cubes par charge        588

Total des mètres cubes payés            450

Différence                                               138

Montant dû par TPSGC                11 040 $

Quantités de pierre de carapace

87 charges @ 14 mètres cubes par charge        1218

Total des mètres cubes payés            600

Différence                                               618

Montant dû par TPSGC                49 440 $

Montant total dû par TPSGC                        57 380 $

[83]       En ce qui a trait au nombre de charges de matériaux de remblai, la demanderesse accepte la décomposition fait par M. Smith, à savoir que 89 des 218 charges étaient destinées aux travaux supplémentaires. Le calcul de 139 mètres cubes de gravier importé vient du fait que 250 tonnes de remblai granulaire ont été livrées par l'entrepreneur de l'extérieur. Ces 250 tonnes ont été converties par M. Gosse comme étant l'équivalent de 139 mètres cubes de matériaux de remblai.


[84]       En ce qui a trait à toutes les catégories de matériaux fournies pour les travaux initiaux, l'opinion de M. Gosse se fondait sur l'hypothèse que chacune des charges de camion comptée par M. Smith contenait 14 mètres cubes de matériaux.

[85]       Cette opinion, et le calcul du volume des matériaux mis en oeuvre qui en découle, contraste de façon marquée avec le calcul fait par M. Jacobs du volume total des matériaux mis en oeuvre par Sun en vertu du contrat initial.

[86]       Si l'on prend les élévations des levés de 1988 et de 1995, en utilisant les coupes transversales des stations et la méthode des profils, puis en faisant le même calcul du volume qu'il avait fait lors de son estimation initiale et de son calcul après exécution, M. Jacobs a calculé que Sun a mis en oeuvre 2 697,58 mètres cubes de matériaux au total, sans compter les travaux supplémentaires. Ce chiffre a été comparé aux 3 150 mètres cubes nécessaires, selon M. Jacobs, pour exécuter le contrat (et pour lesquels Sun a été payée) et aux 3 751 mètres cubes qui, selon M. Gosse, ont été mis en oeuvre en vertu du contrat initial.


[87]       Je note, en ce qui a trait au calcul de M. Jacobs, selon lequel 2 697,58 mètres cubes de matériaux ont été mis en oeuvre en vertu du contrat initial, que M. Gosse a admis que la méthode utilisée par M. Jacobs donnerait un chiffre exact quant à la quantité totale de matériaux mis en oeuvre dans le projet si on disposait d'un profil exact du secteur avant les travaux. La demanderesse n'a pas été autorisée, sur la base de ses conclusions, à attaquer l'exactitude des levés de 1988 pour contester le profil du fond avant les travaux.

[88]       Pour examiner les deux positions, il est nécessaire d'analyser la preuve qui sous-tend la justesse de l'hypothèse fondamentale de M. Gosse, à savoir que chaque charge de camion destinée aux travaux initiaux contenait 14 mètres cubes de matériaux.

[89]       M. Hepditch, le conducteur de camion, a témoigné avoir été en mesure d'observer non seulement les charges qu'il avait lui-même transportées mais également les charges transportées par l'autre camion, et que dans chaque cas, les camions étaient chargés de tout « ce qu'ils pouvaient prendre » , et que les charges étaient tassées à l'aide de la pelle rétrocaveuse, de sorte que les bennes, dont il est généralement admis qu'elles mesurent 14 mètres cubes, étaient pleines. Les grosses charges étaient transportées de façon que les travaux soient exécutés dans les meilleurs délais et que l'équipement puisse être affecté à d'autres travaux.


[90]       Le témoignage de M. Smith va à l'encontre de l'hypothèse de M. Gosse. Il a en effet témoigné, en ce qui concerne les travaux initiaux, que les camions n'étaient « jamais, au grand jamais » remplis à capacité et qu'un 3/4 de charge était une « bonne charge » . Selon M. Smith, il n'était pas possible de charger à pleine capacité les camions de matériaux de remblai, parce que les routes n'étaient pas en assez bon état. Lorsque les camions ont commencé à transporter la pierre de sous-couche et la pierre de carapace, les hayons arrière ont été enlevés, a dit M. Smith, avec la conséquence que pour la pierre de sous-couche, les charges étaient à moitié, tandis que pour la pierre de carapace, chaque charge comportait 3 ou 4 pierres.

[91]       Sun a demandé avec insistance que le témoignage de M. Hepditch prévale sur celui de M. Smith. Elle a fait valoir à cet égard que les travailleurs étaient encouragés à charger les camions à pleine capacité et le témoignage de M. Smith lors de l'interrogatoire préalable, selon lequel c'étaient de « bonnes charges » et « qu'il n'y avait pas de problème » au sujet des charges. Au tribunal, M. Smith a témoigné que ces commentaires avaient trait aux camions transportant les matériaux pour les travaux supplémentaires.

[92]       Pour les motifs ci-après, je ne suis pas persuadée que les camions transportaient 14 mètres cubes de matériaux lorsqu'ils étaient chargés de pierre pour les travaux initiaux.


[93]       Premièrement, M. Jacobs a identifié des notes manuscrites qu'il a prises pendant les travaux. Sa note du 1er septembre 1995 fait état d'une conversation téléphonique avec M. Smith, au cours de laquelle M. Smith [TRADUCTION] « a indiqué que les charges semblent petites » . Même si M. Smith a témoigné ne pas pouvoir se rappeler cette conversation, M. Jacobs a témoigné pour sa part que la note découlait d'un commentaire exprimé par M. Smith selon lequel les charges semblaient être petites. J'estime que cette note, écrite avant même qu'un quelconque litige ne soit soulevé au sujet de la taille des charges, constitue une preuve plus fiable de l'état des charges que le témoignage d'un témoin cinq ans après le fait. M. Gosse a témoigné que « jamais de la vie » la note de M. Jacobs n'avait été portée à son attention alors qu'il se préparait à témoigner à titre d'expert.

[94]       Deuxièmement, M. Hepditch a convenu que les hayons arrière des camions avaient été enlevés et il n'a pas disconvenu de l'allégation, faite sur la base de la note du surintendant, que les hayons arrière avaient été enlevés le 1er septembre et remis en place le 7 septembre. La capacité des bennes des camions pour le transport de la pierre était de 14 mètres cubes. Le témoignage de M. Smith quant au volume des charges et l'effet de l'enlèvement des hayons arrière lorsque les charges devaient être transportées sur des routes difficiles et dans un village où il y avait des enfants qui jouaient m'est apparu plus sensé que celui de M. Hepditch, selon qui les camions étaient remplis à leur pleine capacité de 14 mètres cubes, par tassement et bombement des charges. M. Hepditch a convenu que les hayons arrière des camions ont été enlevés pour faciliter le chargement de grosses pierres et qu'ils étaient en place lors du transport de pierres de faible dimension, jusqu'à 2 pieds de diamètre. M. Gosse a admis (ce qui peut aller de soi) qu'il serait plus difficile de constituer une pleine charge de pierre de sous-couche sans le hayon arrière.


[95]       Troisièmement, si on utilisait le témoignage de M. Smith, selon qui un 3/4 de charge était une bonne charge, pour réduire de 1/4 le calcul de M. Gosse, on obtiendrait une quantité de 2 813,25 mètres cubes. Ce chiffre est très près du chiffre de 2 697,58 mètres cubes calculé par M. Jacobs comme étant le volume total de matériaux ajoutés à l'ouvrage d'origine.

[96]       Quatrièmement, je n'ai pas trouvé que le témoignage fait lors de l'interrogatoire préalable et avec lequel M. Smith a été confronté en contre-interrogatoire contredit nécessairement son explication que ce témoignage concernait les camions transportant du gravier pour les travaux supplémentaires.


[97]       Cinquièmement et finalement, le fait d'accepter le calcul de M. Gosse entraîne l'acceptation que, peu importe le dénombrement des charges ventilées selon la catégorie de pierre effectué par son employé, M. Melvin, Sun a présenté une demande de paiement qui sous-estime de 138 mètres cubes la quantité de pierre de sous-couche mise en oeuvre et de 618 mètres cubes la quantité de pierre de carapace mise en oeuvre (soit 44 charges de pierre de carapace selon l'hypothèse de M. Gosse). En d'autres mots, l'entrepreneur a demandé le paiement de seulement 76 % de la pierre filtrante et 49 % de la pierre de carapace qu'il dit maintenant, cinq ans après le fait, par une modification autorisée lors de l'instruction, avoir mises en oeuvre. Nonobstant la présence du président de Sun au tribunal pendant tout l'exposé de la preuve, ni celui-ci ni le surintendant de Sun n'a fourni une explication quant à la manière ou à la raison pour laquelle la première demande de paiement de Sun avait été si remarquablement réduite. M. Gosse a témoigné que le « scénario » du compte de camions était son idée, mais cela n'explique pas pourquoi la demande de la présente action diffère tellement de la première demande de paiement de Sun.

[98]       Pour ces motifs, la demanderesse ne m'a pas convaincue, par sa preuve, que les camions transportaient les charges alléguées par son expert et que Sun avait été sous-payée par la défenderesse pour la quantité de pierre de sous-couche et de pierre de carapace qu'elle aurait mise en oeuvre en vertu du contrat initial.

(2.) La demande du quantum meruit

[99]       Ma conclusion que la demanderesse n'a pas réussi à établir qu'elle avait été sous-payée dispose également de la demande fondée sur le quantum meruit.

[100]     De plus, en loi, lorsque les parties à un contrat ont conclu un contrat visant expressément les faits en litige, et que le contrat est toujours en vigueur et n'a pas été résilié, comme dans le cas aujourd'hui devant la Cour, il n'y a pas de place pour appliquer le redressement du quantum meruit. Voir, par exemple, Peter Kiewit Sons' Company of Canada Ltd. et al. c. Eakins Construction Ltd., [1960] R.C.S. 361.


[101]     Il ne s'agit pas d'un cas où, comme la demanderesse l'a allégué, un contrat comporte des dispositions incomplètes en ce qui a trait au paiement. Dans l'affaire devant moi, le contrat contenait toutes les dispositions nécessaires pour le paiement, sous réserve seulement de la détermination de fait du nombre d'unités de chaque catégorie de matériaux mis en oeuvre dans le cadre du projet.

CONCLUSION

[102]     Pour les motifs susmentionnés, la demande de la demanderesse est rejetée. La défenderesse a droit à ses dépens, qui seront taxés selon les règles habituelles.

« Eleanor R. Dawson »

                                                                                                                                        Juge                       

Ottawa, Ontario

18 décembre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


ANNEXE A


SITE PLAN            =        PLAN DE SITUATION

SCALE                                    =           ÉCHELLE

ARMOUR STONE                 =           PIERRE DE CARAPACE (3 - 5 TONNES)

                                                                       

FILTER STONE                     =           PIERRE FILTRANTE

NEW ROCK FILL                   =           NOUVEAU NOYAU

LNR                                         =           NR

PARTIAL SECTION (NEW) = COUPE PARTIELLE (NOUVELLE DIGUE)


SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE

LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA

NOMS DES PROCUREURS ET PROCUREURS AU DOSSIER

DOSSIER NUMÉRO :                         T-1420-96

INTITULÉ DE L'AFFAIRE :    Sun Construction Company Limited c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDITION :                     St. John's, Terre-Neuve

DATES DE L'AUDITION :                  16, 17, 18, 19 et 20 octobre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE MADAME LE JUGE DAWSON

DATÉS DU :                                         18 décembre 2000

ONT COMPARU :

M. David C. Moores                                                     pour la demanderesse

M. Kevin F. Stamp                                                        pour la défenderesse

PROCUREURS AU DOSSIER :

Ronald A. Cole Law Offices                                          pour la demanderesse

St. John's, Terre-Neuve

Martin, Whalen, Hennebury & Stamp                pour la défenderesse

St. John's, Terre-Neuve

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