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Date : 20210812


Dossier : IMM-2909-20

Référence : 2021 CF 757

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 août 2021

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

THI THU THUY PHAM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Thi Thu Thuy Pham, demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent principal d’immigration (l’agent) a refusé la demande de statut de résident permanent fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’elle avait présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). L’agent a conclu que ni le retour de la demanderesse au Vietnam ni l’intérêt supérieur de l’enfant, soit la petite-fille de la demanderesse, Crystal Fung, ne justifiaient l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

[2] La demanderesse soutient que l’agent a commis deux erreurs susceptibles de contrôle. Selon elle, il a commis une erreur en concluant que la preuve n’établissait pas que la famille de la demanderesse au Vietnam ne lui offrirait aucun soutien et en n’accordant pas davantage de poids à l’intérêt supérieur de l’enfant.

[3] Je conclus que la décision de l’agent est raisonnable, car elle est à la fois intrinsèquement cohérente et justifiée au regard de la preuve pertinente. La demanderesse demande essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve présentée à l’agent et de tirer une conclusion différente, ce qui n’est pas l’objectif du contrôle judiciaire. La demande est donc rejetée.

II. Les faits

A. La demanderesse

[4] La demanderesse est une citoyenne vietnamienne âgée de 65 ans. Depuis sa première visite au Canada en 2011, elle a passé la majorité de son temps ici avec sa fille, son gendre et leur fille de 10 ans, Crystal. La demanderesse réside au Canada depuis sa plus récente entrée au pays, soit le 14 octobre 2017.

[5] La demanderesse cuisine, fait le ménage et s’occupe de Crystal pendant que les parents de celle-ci travaillent. La mère de Crystal travaille à temps plein comme technicienne en pose d’ongles. Le père de Crystal travaille à temps plein comme démonteur de véhicules automobiles. Leur revenu cumulé est d’environ 65 000 $ par année.

[6] La famille de la demanderesse au Vietnam se compose de son ex-mari, de ses quatre fils et de ses quatre frères et sœurs. La relation entre la demanderesse et son ex-mari a commencé en 1973. Ils étaient copropriétaires d’une entreprise de pièces et de réparation de motocyclette, qu’ils exploitaient depuis leur maison d’Hô Chi Minh-Ville.

[7] À son retour au Vietnam après sa première visite au Canada en 2011, la demanderesse a découvert que son mari fréquentait une autre femme. La demanderesse a continué à vivre dans la même maison que son mari, mais ils ont arrêté de se parler. Le mari de la demanderesse a par la suite cessé de la soutenir financièrement et lui a interdit de participer à l’exploitation de leur entreprise.

[8] En 2017, la demanderesse est retournée brièvement au Vietnam pour rendre visite à ses fils. La demanderesse s’est sentie mal à l’aise et a senti qu’elle n’était pas la bienvenue chez ses fils, qui travaillent pour son ex-mari et ne voulaient pas offenser leur père en discutant de la dissolution du mariage de leurs parents.

[9] La demanderesse affirme qu’elle a peu de soutien au Vietnam, car elle ne peut plus vivre avec ses fils par crainte de provoquer des conflits dans la famille. En outre, la demanderesse affirme qu’elle n’a plus aucune source de revenus indépendante au Vietnam, puisque son ex-mari l’a évincée de leur entreprise.

[10] Le 20 juin 2018, la demanderesse a présenté une demande de statut de résident permanent fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La demande présentée par la demanderesse reposait principalement sur les éléments suivants :

1. les parents de Crystal subviennent aux besoins de la demanderesse au Canada;

2. la demanderesse aide les parents de Crystal en s’occupant de celle-ci pendant qu’ils travaillent;

3. la demanderesse est la principale responsable des soins donnés à Crystal depuis sa naissance, en 2011;

  1. la demanderesse n’a pas de soutien familial au Vietnam.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[11] Dans une décision datée du 10 juin 2020, l’agent a refusé la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse. L’agent a conclu que la preuve n’établissait pas que la demanderesse subirait des difficultés financières ou émotionnelles au Vietnam en raison de la dissolution de son mariage. En outre, l’agent a estimé que l’intérêt supérieur de l’enfant ne justifiait pas l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a jugé que les parents de Crystal pouvaient s’occuper de leur fille en l’absence de la demanderesse, et que la demanderesse pouvait rendre visite à Crystal en faisant l’aller-retour entre le Vietnam et le Canada.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[12] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

[13] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à ces questions est celle de la décision raisonnable.

[14] Je suis d’accord. Les décisions concernant les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire prises en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR doivent être soumises à la norme de la décision raisonnable (Rainholz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 121 (Rainholz) au para 23, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov)).

[15] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle fondée sur la déférence, mais rigoureuse (Vavilov, aux para 12-13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris le raisonnement qui la sous-tend et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont le décideur était saisi et des conséquences de la décision sur la personne qui en fait l’objet (Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135).

[16] Pour qu’une décision soit déraisonnable, le demandeur doit établir que la décision souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve présentée au décideur et elle ne devrait pas modifier ses conclusions de fait, à moins de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125).

IV. Le cadre législatif

[17] En vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, le ministre peut accorder une dispense discrétionnaire des exigences de la LIPR à certains étrangers pour des motifs d’ordre humanitaire :

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire – sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 –, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada – sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 – qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

[18] Citant notamment l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy), le juge Little a décrit l’objet des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire et les facteurs pertinents dans la décision Rainholz :

[14] Les considérations d’ordre humanitaire renvoient à « des faits établis par la preuve, de nature à inciter [toute personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne – dans la mesure où ses malheurs justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la [LIPR] ». L’objet de la disposition relative aux considérations d’ordre humanitaire a pour objet d’accorder un redressement en equity dans de telles circonstances.

[15] Selon l’interprétation retenue du paragraphe 25(1), l’agent doit évaluer les difficultés auxquelles le ou les demandeurs se heurteront lorsqu’ils quitteront le Canada. Bien qu’ils ne soient pas employés dans la loi elle‑même, la jurisprudence d’appel a confirmé que les adjectifs « inhabituelles », « injustifiées » et « excessives » décrivaient les difficultés susceptibles de justifier une dispense au titre de cette disposition. Ces termes utilisés pour décrire les difficultés sont instructifs, mais pas décisifs, ce qui permet ainsi au paragraphe 25(1) de remplir avec souplesse ses objectifs en equity.

[16] Les demandeurs peuvent soulever une large variété de facteurs pour établir des difficultés dans le cadre d’une demande [fondée sur des motifs d’ordre humanitaire]. Les facteurs couramment invoqués comprennent notamment l’établissement au Canada; les attaches au Canada; des considérations liées à la santé; les conséquences découlant d’une séparation d’avec des parents, et [l’intérêt supérieur de l’enfant]. La décision prise au titre du paragraphe 25(1) est globale et les considérations pertinentes doivent être soupesées de manière cumulative pour trancher la question de savoir s’il est justifié dans les circonstances d’accorder la mesure.

[17] Le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 25(1) doit s’exercer de manière raisonnable. Les agents appelés à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire [doivent] véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à [leur] connaissance et leur accorder du poids.

[18] Le fardeau d’établir qu’une dispense [pour motifs d’ordre humanitaire] est justifiée incombe aux demandeurs. C’est à leurs risques et péril qu’ils omettent de soumettre des éléments de preuve ou de produire des renseignements pertinents à l’appui d’une demande [fondée sur des motifs d’ordre humanitaire [...].

[Renvois omis.]

V. Analyse

A. L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que la situation personnelle de la demanderesse au Vietnam ne justifiait pas l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire?

[19] L’agent a estimé que la preuve n’établissait pas que la situation personnelle de la demanderesse au Vietnam justifiait l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Plus particulièrement, l’agent a estimé que la demanderesse n’avait pas établi que la dissolution de son mariage entraînerait des conflits dans sa famille à son retour ou qu’elle serait confrontée à des difficultés financières :

[TRADUCTION]

La demanderesse et son avocate ont fourni peu de renseignements ou d’éléments de preuve expliquant la façon dont le retour de la demanderesse au Vietnam provoquerait un conflit et des tensions et la nature de ce conflit et de ces tensions. On ne sait pas non plus quelles seront les répercussions du conflit et des tensions sur la demanderesse et sa famille. Il y a peu d’éléments dans les observations qui puissent expliquer en quoi la vie de la demanderesse serait difficile sans une source de revenus indépendante. On ignore si la demanderesse dispose d’économies, d’investissements ou de biens au Vietnam, ou si elle pourrait être soutenue financièrement par des membres de sa famille autres que son ex-mari.

[…]

Dans l’ensemble, je trouve que la demanderesse a fourni très peu de renseignements et de détails pour décrire précisément le conflit qu’elle causerait dans sa famille si elle retournait au Vietnam. J’estime également que la preuve présentée par la demanderesse n’établit pas qu’elle risque sérieusement d’éprouver des difficultés financières ou émotionnelles au Vietnam en raison de sa situation maritale. Par conséquent, en ce qui concerne son retour au Vietnam, j’accorde peu de poids aux difficultés invoquées par la demanderesse en raison de l’échec de son mariage.

[20] La demanderesse affirme que les conclusions de l’agent sont déraisonnables à la lumière de la preuve pertinente. La demanderesse a présenté des éléments de preuve expliquant qu’elle serait confrontée à des difficultés au Vietnam, parce que son mari a mis fin à leur relation et l’a évincée de leur entreprise, ce qui a creusé un fossé entre elle et ses fils.

[21] L’essentiel de la preuve de la demanderesse concernant ses fils est contenu dans sa lettre du 17 mai 2018, qui est ainsi libellée :

[TRADUCTION]

Je suis retournée brièvement au Vietnam pour voir mes fils, du 14 septembre au 15 octobre 2017. Pendant ce voyage, je suis restée avec mes fils qui vivaient loin de mon mari, mais la situation posait un sérieux problème, car mes fils ne voulaient pas offenser mon mari, donc ils ne pouvaient donc pas parler de leur relation avec moi alors qu’ils travaillaient pour leur père. Je n’ai pas senti que j’étais utile ou la bienvenue chez eux. Pendant tout le mois que j’ai passé au Vietnam, tout ce que je voulais, c’était rentrer au Canada pour être avec ma fille, mon gendre et ma petite-fille Crystal.

[22] À mon avis, la demanderesse n’a fourni que très peu de renseignements sur l’identité de ses quatre fils et sur les raisons pour lesquelles ils ne pourraient pas subvenir à ses besoins au Vietnam. Comme l’a relevé le défendeur, la demanderesse n’a même pas fourni le nom de ses fils à l’agent.

[23] Compte tenu de cette preuve minimale, j’estime que l’agent a conclu, de manière justifiée, intelligible et transparente, que les difficultés auxquelles la demanderesse serait selon elle confrontée si elle devait retourner au Vietnam ne justifiaient pas l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire (Vavilov, au para 99). L’agent a raisonnablement conclu que peu d’éléments de preuve indiquaient que la dissolution du mariage de la demanderesse l’avait éloignée de ses fils, puisque les éléments de preuve produits par la demanderesse établissent seulement qu’elle n’a pas senti qu’elle était la bienvenue au domicile de ses fils lors de sa visite en 2017. De même, l’agent a raisonnablement noté que rien dans la preuve n’établit que les quatre frères et sœurs de la demanderesse au Vietnam ne seraient pas en mesure de subvenir à ses besoins.

[24] Pour faire valoir que la décision de l’agent est déraisonnable, la demanderesse soutient que l’agent a exigé qu’elle prouve un fait négatif, et qu’il n’y avait aucune preuve à présenter pour établir qu’elle n’avait pas de soutien au Vietnam, autre que son témoignage.

[25] À mon avis, cet argument procède d’une mauvaise interprétation de la décision de l’agent. L’agent n’a pas estimé qu’il ne suffisait pas que la demanderesse présente uniquement un témoignage comme preuve relative aux difficultés. Il a plutôt estimé que le témoignage de la demanderesse, sur le fond, n’établissait pas les difficultés invoquées. Il incombait à la demanderesse d’établir qu’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire était justifiée. Étant donné le manque de détails dans les observations de la demanderesse, comme je l’ai mentionné plus haut, j’estime qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que l’octroi d’une dispense n’était pas justifié.

[26] Je ne suis pas non plus convaincu par l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent a utilisé de manière déraisonnable une « approche axée sur les difficultés ». À l’appui de cet argument, la demanderesse invoque la décision Bhalla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1638 (Bhalla) au para 17, dans laquelle le juge Diner a conclu que, dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il était déraisonnable de privilégier les difficultés au détriment des autres facteurs, y compris les principaux aspects humanitaires. Ce principe découle de la notion selon laquelle l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doivent examiner tous les faits pertinents; il ne doit pas limiter son analyse à la seule question des difficultés (Kanthasamy, au para 25).

[27] À mon avis, l’affaire Bhalla diffère de l’affaire qui nous occupe. Dans cette affaire, l’agent avait omis de traiter adéquatement les facteurs d’ordre humanitaire qui découlaient de la preuve, omettant de tenir compte de facteurs essentiels à la demande, qui portaient uniquement sur l’aspect humanitaire et non sur les difficultés (Bhalla, au para 24; voir aussi Salde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 386 aux para 22-23). En l’espèce, l’agent a pris en compte tous les facteurs pertinents concernant la vie de la demanderesse au Vietnam, qu’ils portent sur les difficultés ou sur l’aspect humanitaire, et a raisonnablement conclu qu’ils étaient insuffisants pour justifier l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

B. L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que l’intérêt supérieur de l’enfant ne justifiait pas l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire?

[28] L’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas nécessairement déterminant dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais il s’agit d’un facteur important auquel l’agent d’immigration doit accorder un poids considérable et auquel il doit être « réceptif, attentif et sensible » (Kanthasamy, au para 38, citant Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 74-75). Dans l’arrêt Kanthasamy, la juge Abella a expliqué ce qu’exige généralement un examen raisonnable de l’intérêt supérieur de l’enfant :

[39] Par conséquent, la décision rendue en application du par. 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte. L’agent ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte. L’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve.

[renvois omis; italiques dans l’original]

[29] En l’espèce, l’agent a conclu que l’intérêt supérieur de Crystal, la petite-fille de la demanderesse, ne justifiait pas l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a jugé que les parents de Crystal pouvaient subvenir aux besoins de leur fille en l’absence de la demanderesse et que la demanderesse pouvait continuer de se rendre au Canada pour voir sa petite-fille :

[TRADUCTION]

La fille et le gendre de la demanderesse n’ont pas indiqué qui s’occupe de Crystal lorsque la demanderesse n’est pas au Canada; peu de renseignements sur ces périodes de séparation ont été fournis à des fins d’examen. Par conséquent, je peux raisonnablement supposer que la fille et le gendre de la demanderesse ont été en mesure de travailler et de trouver quelqu’un pour s’occuper de Crystal ou de s’en occuper eux-mêmes pendant les absences de la demanderesse du Canada. Peu d’éléments dans les observations indiquent que la fille et le gendre de la demanderesse ne disposent pas d’autres options en matière de services de garde pour Crystal.

[…]

Je reconnais que si la demanderesse retourne au Vietnam, Crystal pourrait éprouver certaines difficultés émotionnelles. Cependant, elle pourra compter sur le soutien de ses deux parents pour l’aider à affronter cette épreuve. Je note que la demanderesse réside toujours au Canada en tant que résidente temporaire (visiteuse) et qu’elle peut continuer de s’occuper de Crystal. Dans l’éventualité où la demanderesse quitterait le Canada, elle pourrait continuer de fournir à Crystal un soutien émotionnel en restant en contact avec elle par les mêmes moyens que ceux qu’elle a utilisés lors de ses absences antérieures du Canada. Les observations renferment peu d’éléments de preuve indiquant que la demanderesse sera incapable de faire des allers-retours entre le Canada et le Vietnam pour rendre visite à Crystal, comme elle l’a fait au cours des dernières années.

[30] La preuve indique que la qualité des soins prodigués à Crystal est améliorée par la présence de la demanderesse. Les deux parents de Crystal travaillent de longues heures pour se procurer des moyens limités. Ils rentrent souvent du travail après 19 heures et gagnent collectivement 65 000 $ par année. La demanderesse s’occupe de Crystal depuis son arrivée au Canada, notamment en s’occupant de ses repas, en la conduisant à l’école et en allant la chercher à la fin de la journée. Elle aide aussi toute la famille en cuisinant et en s’occupant du ménage. Selon le père de Crystal, la maison familiale [traduction] « serait un désastre » sans l’aide de la demanderesse. Les parents du père de Crystal ont également produit une lettre indiquant qu’ils ne sont pas en mesure de s’occuper de Crystal, car ils travaillent eux aussi à temps plein.

[31] Malgré le rôle que joue la demanderesse dans la vie de Crystal, je conclus que la décision de l’agent est intrinsèquement cohérente et justifiée au regard de la preuve pertinente (Vavilov, au para 85). L’agent a reconnu le lien qui unit la demanderesse à Crystal, le fait que la demanderesse s’occupe de Crystal et qu’elle aide aussi toute la famille de Crystal. L’agent a accordé un « poids considérable » à l’intérêt supérieur de l’enfant à la lumière de cette preuve, mais il a conclu que ce facteur n’était pas déterminant pour l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

[32] En définitive, cette question concerne l’insuffisance de la preuve. Bien que la présence de la demanderesse au Canada améliore la vie de Crystal de façon importante, la preuve n’est pas convaincante au point où la décision de l’agent est injustifiée en ce qui concerne le retour de la demanderesse au Vietnam. Comme l’a souligné l’agent, Crystal pourrait recevoir des soins de sa famille en l’absence de la demanderesse, comme par le passé, et la demanderesse pourrait continuer de rendre visite à Crystal. En soutenant que la décision de l’agent est déraisonnable, la demanderesse demande essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve présentée à l’agent et de tirer une conclusion différente, ce qui n’est pas l’objectif du contrôle judiciaire (Dhesi c Canada (Procureur général), 2018 CF 283 au para 24, citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 61).

VI. Conclusion

[33] Je conclus que l’agent a raisonnablement conclu que la situation de la demanderesse au Vietnam et l’intérêt supérieur de l’enfant ne justifiaient pas l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. En conséquence, je rejette la demande de contrôle judiciaire en l’espèce.

[34] Les parties n’ont pas proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2909-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A ».

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2909-20

 

INTITULÉ :

THI THU THUY PHAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 juin 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 août 2021

 

COMPARUTIONS :

Rekha McNutt

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Emera Nguyen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron & Partners LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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