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Date : 20040624

Dossier : T-85-03

Référence : 2004 CF 910

ENTRE :

ALTAGAS MARKETING INC.,

GYRFALCON HOLDINGS LTD.,

INUVIALUIT PETROLEUM CORPORATION

ET IPL HOLDS INC.

                                                                                                                                    défenderesses

                                                                                                                                (demanderesses)

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                                                                                   (défenderesse)

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                 Selon ce qu'il appert de la déclaration et de la défense modifiée, l'action porte sur la question de savoir quelle est la loi applicable à la détermination des redevances sur la production de gaz naturel sur une terre détenue en fief simple absolu, sous réserve des droits antérieurs d'exploitation du sous-sol, le gaz étant extrait en vertu d'une licence de production, désignée sous le nom de licence de production no 6.

[2]                 La Couronne a arrêté les redevances en vertu de la Loi sur le pétrole et le gaz du Canada, L.R.C. 1985, ch. O-6, sanctionnée le 18 décembre 1981. Les demanderesses soutiennent que la licence de production no 6, entrée en vigueur le 23 juin 1999, stipule explicitement que les redevances doivent être fixées à un taux inférieur en vertu de la Loi fédérale sur les hydrocarbures, L.R.C. 1985, ch. 36 (2e suppl.), sanctionnée le 18 novembre 1986.

[3]                 Est en litige dans la requête présentée par écrit par la Couronne un affidavit de documents plus exhaustif, qui devrait inclure, selon la Couronne, des documents sur la connaissance ou les attentes des demanderesses pour ce qui est du taux des redevances qu'elles devraient payer. Ces documents pourraient comprendre, outre la correspondance et les notes de service, les politiques économiques illustrant la connaissance et les attentes des demanderesses en ce qui concerne les redevances et les plans de mise en valeur. La requête est rejetée.

CONTEXTE

[4]                 Le contexte général du présent litige est lié à la Convention définitive des Inuvialuit du 5 juin 1984 et à l'octroi d'une terre dans les Territoires du Nord-Ouest, en fief simple comme je l'ai mentionné, à la Inuvialuit Land Corporation, sous réserve des droits antérieurs d'exploitation du sous-sol, qui doivent être administrés par la Couronne fédérale. Les demanderesses revendiquent un droit sur la licence de production no 6, licence qui a été attribuée par la Couronne fédérale.

[5]                 Les redevances sont mentionnées dans la Convention définitive des Inuvialuit du 5 juin 1984, en application de la Loi sur le règlement des revendications des Inuvialuit de la région ouest de l'Arctique sanctionnée le 28 juin 1984. Les redevances en vertu de cette Convention, à laquelle les demanderesses ne sont pas parties, « doivent être calculées selon les dispositions des lois et des règlements qui s'appliquaient aux terres de la Couronne des territoires du Nord-Ouest le 31 décembre 1983 » . Au contraire, la licence de production no 6, entrée en vigueur le 23 juin 1999, contient une disposition stipulant que la licence est [traduction] « assujettie aux dispositions de la Loi fédérale sur les hydrocarbures » et, par conséquent, les demanderesses soutiennent que les redevances doivent être calculées conformément à cette loi et suivant un taux moins élevé.

[6]                 Le présent litige, concernant les redevances et les lois applicables, a donné lieu à une action intentée le 20 janvier 2003. Dans la présente requête pour obtenir des documents présentée par les demanderesses, les actes de procédure sont décisifs, car les prétentions déterminent alors la pertinence des documents. Je passe à un survol de la déclaration.


[7]                 La déclaration s'appuie sur les conditions de la licence de production no 6 et sur sa date de délivrance. Les demanderesses soulignent qu'une condition de la licence de production no 6 stipule qu'elle est assujettie à la Loi fédérale sur les hydrocarbures et que chaque titulaire d'une partie de cette licence devrait payer les redevances prescrites par le règlement en application de la Loi fédérale sur les hydrocarbures (paragraphe 9 de la déclaration). Les demanderesses ont payé des redevances selon cette disposition, mais les redevances ont été réévaluées pour la période de juillet 1999 à décembre 2000 d'après l'échelle contenue dans la Loi sur le pétrole et le gaz du Canada.

[8]                 Les demanderesses ont indiqué dans leur déclaration que la Loi sur le pétrole et le gaz du Canada et son règlement d'application ont été abrogés depuis longtemps et n'étaient pas en vigueur lorsque la licence de production no 6 a été délivrée en juin 1999. Or, la licence de production no 6 qui a été délivrée, d'après la déclaration, conformément à la Loi fédérale sur les hydrocarbures, ne pouvait pas assujettir la production à la loi précédente, qui a été abrogée et qui n'est pas mentionnée dans la licence de production no 6. Les demanderesses ont plutôt prétendu qu'il est énoncé dans la licence que la production est visée par la loi en vigueur à ce moment-là qui est encore en vigueur, soit la Loi fédérale sur les hydrocarbures et le règlement connexe, et qu'il doit en être ainsi.

[9]                 Les demanderesses ajoutent, au paragraphe 21 de la déclaration, que la Loi sur le règlement des revendications des Inuvialuit de la région ouest de l'Arctique de 1984 et les ententes en découlant arrêtaient et énonçaient les conditions liant les signataires de ce règlement, dont les demanderesses ne faisaient pas partie, et non pas les redevances payables en vertu de la licence de production no 6.


[10]            Au contraire, les défenderesses ont soutenu au paragraphe 26A de la défense, ajouté le 12 mai 2004 :

[traduction]

26A.     À l'époque pertinente, avant et après l'acquisition de leurs intérêts respectifs dans l'ADI no 29, les demanderesses savaient, devaient savoir, prévoyaient ou présumaient que les redevances payables par les titulaires de l'ADI no 29 provenant de la production de pétrole et de gaz sur les terres lkhil seraient calculées et payables au Canada, conformément au régime de redevances prévu dans la LPGC.

[Soulignement omis]

ANALYSE


[11]            Comme je l'ai mentionné, la pertinence des documents est déterminée par les prétentions des actes de procédure, ou comme le dit la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Owen Holdings Ltd. c. Canada (MRN) (1997), 216 R.N. 381 (C.A.F.), à la page 388, « [l]a pertinence doit être déterminée par les plaidoiries, interprétées avec une latitude raisonnable » . La question soulevée dans la déclaration concerne l'application d'une loi : la preuve concernant les attentes des parties n'est pas pertinente. Comme le mentionne monsieur le juge Addy dans la décision Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada (Procureur général) (1982), 67 C.P.R. (2e) 103 (CF 1re inst.), à la page 108, « [...] les témoignages d'expert ou les opinions de personnes au sujet de l'interprétation ou de l'application de la loi ne sont pas recevables en preuve [...] » . Le juge Addy a ajouté que, « [l]a Cour ne devrait pas contraindre une partie à répondre à des questions qui, bien qu'on puisse les considérer pertinentes, ne contribueront vraisemblablement pas à améliorer la position juridique de la partie qui les pose : [...] » (loc. cit.).

[12]            L'avocat des demanderesses convient, dans ses observations écrites, que dans certaines circonstances, la connaissance et les attentes d'une partie en ce qui concerne l'interprétation d'une loi peuvent être pertinentes lorsque les actes de procédure soulèvent des questions de représentation et de fiabilité. De fait, les demanderesses reconnaissent que le paragraphe 26A de la défense allègue que les demanderesses [traduction] « savaient, auraient dû savoir, prévoyaient ou présumaient que les redevances payables [...] provenant de la production de pétrole et de gaz [...] seraient calculées et payables au Canada, conformément au régime de redevances prévu dans la [Loi sur le pétrole et le gaz du Canada]. » La Couronne conclut par conséquent qu'il y a deux questions en litige. Selon la Couronne, la première question ne concerne pas tant l'interprétation ou l'application de la loi que le point de savoir si le taux de redevance plus favorable a été incorporé par renvoi dans la licence de production no 6, prévalant ainsi sur le taux inférieur prévu par la Loi fédérale sur les hydrocarbures; et parallèlement, la deuxième question consiste à déterminer si, même si le taux plus élevé prévu par la Loi sur le pétrole et le gaz du Canada n'a pas été inclus par renvoi dans la licence de production no 6, les demanderesses peuvent se reporter aux conditions explicites de cette licence de production si elles ne pouvaient, selon leur connaissance ou leurs attentes à ce moment-là, s'attendre de manière raisonnable à ce que la Couronne ait l'intention d'utiliser le taux inférieur de la Loi fédérale sur les hydrocarbures pour déterminer le taux des redevances.


[13]            De toute évidence, la première question concerne l'interprétation de la loi et, par conséquent, la connaissance ou les attentes ne jouent aucun rôle. Pour ce qui est de la seconde question, l'argument invoqué à l'appui de la production de documents indiquant la connaissance ou les attentes devient plutôt complexe. Pour la défenderesse, la capacité d'une partie à se fonder sur les conditions de la licence de production constitue une question de fond, particulièrement si cette partie ne peut s'attendre de manière raisonnable à ce que les conditions de cette licence soient censées s'appliquer à ce qui est appelé [traduction] « le cas spécial de la production de gaz sur des terres appartenant aux Inuivialuit » . Plus simplement, selon la défenderesse, la deuxième question consiste à déterminer si les demanderesses ont le droit d'invoquer la licence de production no 6, particulièrement si la connaissance ou les attentes des demanderesses peuvent les empêcher d'invoquer les conditions de la licence de production dans une situation où elles ne peuvent s'attendre de manière raisonnable à ce que le taux moins élevé de la Loi fédérale sur les hydrocarbures soit celui qui était prévu. Sur ce point, la Couronne a indiqué, au paragraphe 19 de la défense modifiée du 12 mai 2004, que la demanderesse, l'Inuivialuit Petroleum Corporation, avait appris en temps opportun que les redevances sur la production de pétrole ou de gaz seraient calculées conformément à la Loi sur le pétrole et le gaz du Canada, mais qu'autrement l'administration serait conforme à la Loi fédérale sur les hydrocarbures : les redevances prévues dans la première sont supérieures à celles de la seconde.

[14]            Au vu des actes de procédure et de la règle de pertinence, l'issue de la requête dépend de la question de savoir si l'action porte sur l'applicabilité, à la licence de production no 6, de l'une ou l'autre de deux lois fédérales prévoyant des redevances gazières, ou si la défense étend la portée de l'action à l'attente des demanderesses et si, en réalité, les demanderesses peuvent invoquer les termes clairs de la licence de production no 6. En effet, la défenderesse semble revendiquer la révocation de la licence de production no 6 en raison d'une erreur, à savoir l'omission de renvoyer à une loi qui n'existait pas au moment pertinent. Là-dessus, les demanderesses soutiennent que, malgré l'extension donnée à l'action par le paragraphe 26A de la défense, cette extension qui englobe les attentes et les présomptions ne débouche sur aucun résultat juridique. Cet argument s'appuie sur la décision Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministère de la Santé) (1997), 80 C.P.R. (3d) 550 (CF 1re inst.), rendue par monsieur le juge Hugessen.

[15]            Dans Merck (précitée), le juge Hugessen a examiné la pertinence formelle et juridique, dans le contexte du contre-interrogatoire de l'auteur des affidavits et d'une demande de contrôle judiciaire. Toutefois, les concepts de pertinence juridique et formelle et leurs conséquences s'étendent également aux actions, aux actes de procédure et à la production de documents.


[16]            La pertinence formelle, dans le contexte d'une action, se définit par rapport aux questions énoncées dans les actes de procédure. Un fait exposé dans un acte de procédure, qui n'a qu'une pertinence formelle, peut se définir comme n'ayant aucune incidence sur l'issue du litige. Les faits ont une pertinence juridique s'ils peuvent permettre de déterminer si la réparation peut ou non être accordée : Merck (précitée) à la page 556. Le juge Hugessen observe en outre qu'un fait exposé dans une réponse à une allégation non pertinente ne rend pertinentes les allégations d'aucune des parties : pages 556 et 557. D'autant plus qu'un fait exposé dans la défense, qui ne donne lieu ni ne mène à aucun moyen de défense au fond, ou qui ne débouche sur aucun résultat juridique, est purement une question de pertinence formelle, n'a aucune pertinence juridique et est donc habituellement non pertinent, particulièrement lorsqu'il s'agit d'élargir la portée de l'action ou de demander la production de documents.


[17]            Dans le cas d'espèce, la question soulevée dans la déclaration consiste à déterminer quelle disposition en matière de redevances gazières s'applique à la licence de production no 6. Il s'agit de purs points d'interprétation des lois et de la licence de production no 6, à l'égard desquels une simple attente ou présomption n'ont aucune incidence sur l'interprétation des lois (Smith Kline, précitée), et en ce qui concerne le taux des redevances, qui n'a pas été précisé expressément, cette attente ou présomption ne peut être utilisée pour modifier ou contredire un document complet, puisqu'aucune des parties n'allègue qu'une preuve extrinsèque de la licence de production est nécessaire à son interprétation. C'est d'autant plus vrai que la preuve porterait non pas sur la négociation menant à l'entente sur la licence, mais seulement sur l'état d'esprit des demanderesses, qui ne joue aucun rôle dans les dispositions sur les redevances qui ont été incorporées explicitement dans la licence de production no 6 à partir de la loi. Le principe en jeu veut qu'un document écrit, que les parties considèrent être la concrétisation finale de leur entente, ne puisse être modifié par une preuve qui amplifie, modifie ou contredit ce qui a été établi par écrit. Ce principe, dans la plupart des cas, a pour effet d'empêcher qu'une partie à une entente n'introduise une preuve extrinsèque relative aux négociations qui sont survenues avant ou durant la rédaction de l'entente dans sa forme définitive. P.S. Atiyah, dans An Introduction to the Law of Contract, Oxford: Clarendon Press, 3e édition, 1981, pages 161 et 162, commente ainsi la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque :

[traduction] Le principe de base est souvent appelé « règle de la preuve extrinsèque » et, selon cette règle, aucune preuve n'est admissible pour contredire ou restreindre un contrat écrit complet. La règle est habituellement énoncée sous forme de règle de preuve, mais il convient probablement de la classer parmi les règles de fond. Il ne s'agit pas vraiment de décider si la preuve pouvant modifier le document écrit peut être admise, mais plutôt si, au cas où la preuve serait admise, elle aurait pour effet juridique de modifier le document.

Il est intéressant de noter qu'Atiyah conclut par l'idée que le principe ou la règle ne concerne pas tant l'admissibilité de la preuve que le point de savoir si la preuve aurait un effet juridique, ce qui est pratiquement la même analyse que fait le juge Hugessen dans la décision Merck (précitée), quant à la pertinence formelle et juridique.

[18]           Comme je l'ai mentionné, la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque sert habituellement à empêcher une partie d'introduire une preuve extrinsèque relative aux négociations. Il y a des exceptions, comme l'utilisation de la preuve extrinsèque pour expliquer un document incomplet ou pour prouver une condition préalable qui n'a pas été remplie, ou encore pour montrer l'invalidité d'un document ou aider à l'interprétation. Aucune de ces exceptions ne semble s'appliquer et en fait, aucune n'a été plaidée.


CONCLUSION

[19]            Aucune fin, conclusion ni réparation utile ne pourrait découler des états d'esprit ou des attentes des demanderesses. La pertinence de toute mention des attentes ou des présomptions qu'ont pu avoir les demanderesses, relativement aux redevances qui pourraient être payables dans le futur, ne saurait être que purement formelle et non juridique.

[20]            La documentation demandée n'a aucune pertinence juridique et n'a pas à être produite. Les dépens sont adjugés aux demanderesses quelle que soit l'issue de la cause et seront payés au terme du procès.

« John A. Hargrave »

                                                                                            Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 24 juin 2004                                                                                    

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                            COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                                       T-85-03

INTITULÉ :                                       ALTAGAS MARKETING INC. ET AL. c. SA MAJESTÉ LA REINE

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                     LE 24 JUIN 2004

OBSERVATIONS ÉCRITES:

H Martin Kay et Laurie A Goldbach                                     POUR LES DEMANDERESSES

David E Venour                                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bennett Jones LLP                                                                POUR LES DEMANDERESSES

Avocats

Calgary (Alberta)

Morris A Rosenberg                                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Calgary (Alberta)


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