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Date : 20050908

Dossier : T-745-04

Référence : 2005 CF 1226

Toronto (Ontario), le 8 septembre 2005                               

EN PRÉSENCE DE ME ROGER R. LAFRENIÈRE, PROTONOTAIRE

ENTRE :

PEMBINA COUNTY WATER RESOURCE DISTRICT,

LA VILLE DE PEMBINA, DAKOTA DU NORD,

LE CANTON DE PEMBINA, DAKOTA DU NORD,

LA VILLE DE WALHALLA, DAKOTA DU NORD,

LE CANTON DE WALHALLA, DAKOTA DU NORD,

LA VILLE DE NECHE, DAKOTA DU NORD,

LE CANTON DE NECHE, DAKOTA DU NORD,

LE CANTON DE FELSON, DAKOTA DU NORD,

LE CANTON DE JOLIETTE, DAKOTA DU NORD,

LE CANTON DE LINCOLN, DAKOTA DU NORD,

LA VILLE DE DRAYTON, DAKOTA DU NORD, et

LE CANTON DE DRAYTON, DAKOTA DU NORD

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                            LE GOUVERNEMENT DU MANITOBA,

                                    LA MUNICIPALITÉ RURALE DE RHINELAND,

                                    LA MUNICIPALITÉ RURALE DE MONTCALM,

                                      LA MUNICIPALITÉ RURALE DE STANLEY et

                                          LA VILLE D'EMERSON, AU MANITOBA

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]         Le gouvernement du Manitoba et les municipalités défenderesses ont présenté séparément des requêtes fondées sur l'article 416 des Règles des Cours fédérales (les Règles) en vue d'obtenir une ordonnance de cautionnement pour dépens à l'endroit des différentes villes du Dakota du Nord qui se sont unies pour intenter la présente l'action. Les demandeurs réclament dans la procédure principale que les défendeurs soient tenus responsables des dommages causés par les inondations attribuables à la construction, l'entretien et l'exploitation d'une digue située à proximité de la frontière internationale et qu'ils leur soient enjoints de détruire la digue et de remettre le bien­-fonds sur lequel elle a été construite au niveau de la prairie.

[2]                Les parties conviennent qu'une ordonnance de cautionnement pour dépens fondée sur l'article 416 des Règles est discrétionnaire. La question à trancher est de savoir si le pouvoir discrétionnaire de la Cour devait être exercé en faveur des défendeurs.

Contexte

[3]                La preuve par affidavits dans la présente requête a été déposée par la partie demanderesse et par les deux parties défenderesses. Toutefois, il n'y a eu aucun contre-interrogatoire. Au début de l'audience, les défendeurs ont soulevé une objection préliminaire concernant le bien-fondé de quatre paragraphes dans l'affidavit souscrit par Neil Fleming le 20 mai 2005 et déposé en opposition à la requête. Les avocats des défendeurs ont soutenu que les paragraphes 18 à 21 de l'affidavit de M. Fleming constituaient une preuve irrégulière sous forme d'opinion ou par ouï-dire et ils ont demandé que les paragraphes en question soient radiés ou omis.

[4]                La demande des défendeurs a été rejetée à l'audience parce que la preuve de M. Fleming, quoique contestée dans l'action principale, était recevable à seule fin de fournir des renseignements préliminaires dans le cadre de la procédure interlocutoire. Les faits révélés par M. Fleming et les opinions qu'il a exprimées établissent simplement la position juridique des demandeurs et semblent faire partie de ses connaissances et de ses compétences spécialisées à titre d'avocat pour le Pembina County Water Resource District. En tout état de cause, les faits pertinents quant aux questions en litige soulevées dans les requêtes des défendeurs sont pour la plupart non contestés.

[5]                Le demandeur, Pembina County Resource District, est une entité publique chargée de la gestion des eaux et des installations d'adduction d'eau situées sur le territoire du comté de Pembina, dans le Dakota du Nord. Les codemandeurs sont des subdivisions politiques du Dakota du Nord, à savoir des cantons ou des villes établis par la Constitution de cet État. Les demandeurs avouent tous résider habituellement hors du Canada et n'y détenir aucun actif.


[6]                Les cantons et les villes du Dakota du Nord sont autorisés suivant le droit de l'État à ester en justice et à prélever les sommes nécessaires pour agir comme poursuivant ou se défendre dans une action en justice. La législation de l'État prévoit expressément que les cantons doivent payer le montant du jugement rendu contre eux s'ils disposent des fonds nécessaires et que les autorités du canton doivent procéder aux prélèvements nécessaires si les fonds de la trésorerie ne sont pas suffisants pour payer ce montant. Les villes ont également le pouvoir de prélever des fonds par l'imposition de taxes sur les biens immeubles situés dans les limites de leur territoire et sur la vente de biens. Les demandeurs sont responsables de l'administration des travaux publics et des engagements réalisés sur leur territoire et de la gestion des éléments d'actif, tels que les routes, les égouts et les écoles, lesquels totalisent des millions de dollars.

[7]                Le Dakota du Nord et la province du Manitoba possèdent une frontière commune le long du 49e parallèle. Immédiatement après la frontière, du côté canadien, une digue s'étend à l'ouest sur environ 50 kilomètres à partir d'un point situé juste à l'ouest de la croisée de la rivière Rouge et de la frontière entre le Dakota du Nord et le Manitoba.

[8]                Les dossiers historiques révèlent que la construction d'une partie de la digue actuelle a été effectuée au début des années 1940 et que, depuis cette époque, elle a été améliorée et étendue. Selon les demandeurs, la digue empêche l'eau provenant des cours d'eau naturels du Dakota du Nord de s'écouler dans la province du Manitoba, contrairement à ce que prévoit la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, L.R.C. 1985, ch. I-17 (la LTELI). Ils prétendent que la digue est à l'origine de dommages causés par des crues et de dommages indirects touchant les ouvrages et les entreprises exploités ou gérés par les demandeurs.

[9]                Les défendeurs nient toute responsabilité et tout dommage. Dans leur défense, ils font état du rôle joué par certaines activités de drainage, d'endiguement ou autres entreprises dans le Dakota du Nord à l'égard des régimes d'inondation et d'écoulement des eaux.


[10]            Le gouvernement du Manitoba et les municipalités défenderesses risquent d'avoir à payer des frais et des débours substantiels pour assurer leur défense. Dans le mémoire de frais préliminaire qu'il a soumis, le gouvernement du Manitoba prévoit que ses frais juridiques atteindront 176 335,20 $ à la fin du procès et que ses débours se chiffreront à 80 000 $. Les municipalités défenderesses réclament des montants semblables.

Analyse

[11]            Un défendeur peut solliciter une ordonnance contraignant un demandeur à fournir un cautionnement pour les dépens susceptibles d'être adjugés, lorsque l'une des situations énumérées au paragraphe 416(1) des Règles existe. Les alinéas a) et b) du paragraphe 416(1) prévoit que la Cour peut ordonner au demandeur de fournir un cautionnement s'il réside habituellement hors du Canada ou s'il est une personne morale et qu'il y a lieu de croire que celle-ci ne détient pas d'actifs suffisants pour payer les dépens à être adjugés.

[12]            Les défendeurs soutiennent avoir droit au cautionnement pour dépens si les situations visées aux alinéas 416(1)a) et b) existent, à moins que le demandeur n'établisse son indigence en vertu de l'article 417 des Règles. Ils soutiennent également que, en l'absence d'une preuve corroborant des difficultés financières de la part des demandeurs, la Cour n'a pas ou presque pas la faculté de refuser le cautionnement pour dépens.


[13]            Les demandeurs nient être des personnes morales au sens de l'alinéa 416(1)b) puisqu'ils ont été créés par une loi habilitante. Ils reconnaissent toutefois résider habituellement hors du Canada et n'y détenir aucun actif qui pourrait permettre de payer les dépens des défendeurs le cas advenant qu'ils soient adjugés en leur faveur. Même si une preuve prima facie de l'existence d'une situation susceptible de donner lieu à la délivrance d'une ordonnance de cautionnement pour dépens a été établie contre eux, les demandeurs soutiennent qu'il ne serait pas opportun, compte tenu de la nature de l'instance et des circonstances particulières, d'ordonner que ce cautionnement soit fourni.

[14]            Le cautionnement pour dépens est offert et généralement exigé dans les situations énumérées au paragraphe 416(1). Cependant, ce droit ne s'obtient pas automatiquement. La Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de rejeter la demande de cautionnement pour dépens dans les cas où il n'y a pas de danger réel pour le défendeur en ce qui concerne le recouvrement des dépens après qu'un jugement aura été rendu en sa faveur et dans les cas où l'exigence du cautionnement aurait pour effet d'empêcher la poursuite d'une action fondée en droit.

[15]            Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé judiciairement et être fondé sur une juste appréciation des intérêts des parties. Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis d'avis que les demandeurs n'ont pas besoin de fournir le cautionnement pour dépens.

[16]            D'abord, les demandeurs se voient accorder un statut particulier à la Cour puisque leur action est intentée sous le régime des dispositions de la LTELI. Le traité a pour but de fournir à une personne résidant à l'étranger les mêmes droits en matière d'eaux limitrophes internationales que ceux accordés aux personnes résidant au Canada. Le paragraphe 4(1) de la LTELI est rédigé comme suit :


4. (1) Toute altération, notamment par détournement, des voies navigables du Canada, dont le cours naturel coupe la frontière entre le Canada et les États-Unis ou se jette dans des eaux limitrophes, au sens du traité, qui cause un préjudice du côté de la frontière des États-Unis, confère les mêmes droits et accorde les mêmes recours judiciaires aux parties lésées que si le préjudice avait été causé dans la partie du Canada où est survenue l'altération.                                              

4. (1) Any interference with or diversion from their natural channel of any waters in Canada, which in their natural channels would flow across the boundary between Canada and the United States or into boundary waters, as defined in the treaty, resulting in any injury on the United States side of the boundary, gives the same rights and entitles the injured parties to the same legal remedies as if the injury took place in that part of Canada where the interference or diversion occurs.

[17]            Le libellé du paragraphe 4(1) est clair et doit avoir un effet pratique. Les demandeurs ont les mêmes droits et bénéficient des mêmes recours que ceux applicables lorsque les biens et les ouvrages endommagés par les actes des défendeurs sont situés au Canada. Les demandeurs au titre du traité doivent donc se voir accorder un traitement égal en ce qui a trait à l'accès aux tribunaux sur le territoire de l'autre partie, à tous les paliers de compétence, tant dans la poursuite ou la défense de leurs droits. Les dispositions de l'article 416 des Règles ne devraient donc pas être appliquées au désavantage des demandeurs ou être interprétées de façon à leur causer préjudice.

[18]            Deuxièmement, l'existence d'une loi d'exécution réciproque est un facteur important qui favorise les demandeurs. Dans la décision Greensteel Industries Ltd. v. Binks Manufacturing Co. of Canada Ltd. (1982), 35 O.R. (2d) 45, au paragraphe 49, le juge Lacourcière de la Cour d'appel de l'Ontario a fait les remarques suivantes concernant la règle du cautionnement pour dépens qui s'appliquait à l'époque dans les règles de pratique de l'Ontario :


[traduction] En ce qui a trait au libellé de l'alinéa 373(1)a), l'ordonnance de cautionnement visant un demandeur qui habite hors de l'Ontario est purement discrétionnaire puisqu'il s'agit de décider de ce qui est juste eu égard à toutes les circonstances. Le pouvoir discrétionnaire est habituellement exercé en faveur d'un défendeur local qui risque de ne pas être en mesure de faire exécuter l'ordonnance de dépens si la défense réussit. La présence ou l'absence d'une loi d'exécution réciproque est manifestement un facteur important pour décider de ce qui est juste.

[19]            Le juge Lacourcière a ensuite conclu que, parce que la loi d'exécution réciproque procurait au défendeur un recours direct pour faire exécuter une ordonnance d'adjudication des dépens sur le territoire où le demandeur résidait, aucune ordonnance de cautionnement pour dépens ne serait prononcée. Dans la présente affaire, la législation du Dakota du Nord offre l'accès à ses tribunaux pour faire exécuter un jugement obtenu par les défendeurs, de la même manière que le ferait la loi d'exécution réciproque au Canada. La loi d'exécution est étrangère en l'espèce, mais le principe de courtoisie judiciaire depuis longtemps observé par les tribunaux du Canada et des États-Unis devrait faire en sorte que le recours soit traité de manière prompte et efficace, le cas échéant.

[20]            Qui plus est, la preuve non contestée dont je dispose établit que les demandeurs détiennent des actifs suffisants pour payer les dépens des défendeurs et que, en tout état de cause, ils peuvent réunir les fonds nécessaires au moyen de prélèvements ou de taxes.                   

[21]            Troisièmement, au lieu d'un cautionnement pour dépens, les demandeurs ont offert de s'engager à payer le montant de l'ordonnance des dépens adjugés aux défendeurs dans la présente action, sans qu'il soit nécessaire d'engager une procédure dans le Dakota du Nord, et de déposer un engagement formel à la satisfaction de la Cour. Cette proposition est raisonnable, puisqu'elle constitue l'engagement contractuel des demandeurs de payer le montant d'un jugement qu'elle se verrait ordonner de payer et empêche que l'immunité gouvernementale ne soit soulevée pour faire obstacle au recouvrement.


[22]            Pour les motifs précédents, je suis d'avis que les demandeurs doivent être exemptés de l'exigence du cautionnement pour dépens, à la condition qu'ils déposent un engagement satisfaisant.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   La requête des défenderesses, la municipalité rurale de Rhineland, la municipalité rurale de Montcalm, la municipalité rurale de Stanley et la ville d'Emerson, au Manitoba, en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant aux demandeurs de fournir un cautionnement pour dépens est par les présentes rejetée.

2.                   La requête du défendeur, le gouvernement du Manitoba, en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant aux demandeurs de fournir un cautionnement pour dépens est par les présentes rejetée.

3.                   Les demandeurs fourniront aux défendeurs, dans un délai de 45 jours suivant la présente ordonnance, une lettre dans laquelle ils s'engagent à payer les dépens adjugés aux défendeurs dans le cadre de la présente action en excluant la nécessité d'engager une procédure dans le Dakota du Nord ou ailleurs. Cette lettre devra être déposée auprès de la Cour et être rédigée à la satisfaction des défendeurs. En cas de désaccord, l'une ou l'autre des parties pourra demander la tenue d'une conférence de gestion de l'instance pour régler les modalités de la lettre d'engagement.

4.                   Les demandeurs devront présenter un seul mémoire de frais à l'égard des requêtes mentionnées précédemment, lequel sera calculé en utilisant la valeur moyenne de la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales.

« Roger R. Lafrenière »          

_____________________________

Protonotaire                  

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-745-04

INTITULÉ :                                        PEMBINA COUNTY WATER RESOURCE DISTRICT, LA VILLE DE PEMBINA, DAKOTA DU NORD,

LE CANTON DE PEMBINA, DAKOTA DU NORD,

LA VILLE DE WALHALLA, DAKOTA DU NORD,

LE CANTON DE WALHALLA, DAKOTA DU NORD,       LA VILLE DE NECHE, DAKOTA DU NORD,

LE CANTON DE NECHE, DAKOTA DU NORD,

LE CANTON DE FELSON, DAKOTA DU NORD,

LE CANTON DE JOLIETTE, DAKOTA DU NORD,

LE CANTON DE LINCOLN, DAKOTA DU NORD,

LA VILLE DE DRAYTON, DAKOTA DU NORD, et

LE CANTON DE DRAYTON, DAKOTA DU NORD,

c.

LE GOUVERNEMENT DU MANITOBA,

LA MUNICIPALITÉ RURALE DE RHINELAND,

LA MUNICIPALITÉ RURALE DE MONTCALM,

LA MUNICIPALITÉ RURALE DE STANLEY et

LA VILLE D'EMERSON, AU MANITOBA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 25 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :                       LE 8 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Colin R. MacArthur                                                                   POUR LES DEMANDEURS

T.J. Bjornson                                                                             POUR LE DÉFENDEUR (LE GOUVERNEMENT DU MANITOBA)

R.D. McDonald                                                                         POUR LES DÉFENDERESSES (LES MUNICIPALITÉS)


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aikins, MacAulay & Thorvaldson LLP                                      POUR LES DEMANDEURS

Winnipeg (Manitoba)                                                                

John H. Sims, c.r.                                                                      POUR LE DÉFENDEUR (LE

Sous-procureur général du Canada                                            GOUVERNEMENT DU MANITOBA)

Fillmore Riley LLP                                                                     POUR LES DÉFENDERESSES

Winnipeg (Manitoba)                                                                 (LES MUNICIPALITÉS)

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