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Date : 20210825


Dossier : IMM‑958‑20

Référence : 2021 CF 880

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 août 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

MOHAMMAD HANIF HASHAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 13 décembre 2019 par laquelle un agent des visas à l’ambassade du Canada à Moscou [le décideur] a rejeté la demande de permis de travail présentée par le demandeur dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Le décideur a refusé d’accorder le permis de travail demandé puisqu’il n’était pas convaincu que le demandeur, Mohammad Hanif Hasham, avait répondu véridiquement à toutes les questions posées dans le formulaire de demande. Le décideur a aussi jugé que le demandeur était interdit de territoire au Canada par application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], en raison d’une présentation erronée sur des faits importants.

[2] Dans son ordonnance du 17 mai 2021 accordant l’autorisation en l’espèce, le juge Ahmed a aussi autorisé le dépôt d’une autre demande de contrôle judiciaire, présentée par le fils du demandeur, Mohammad Sharif Hasham, dans le dossier de la Cour no IMM‑960‑20, et a fait inscrire ces deux affaires au rôle pour qu’elles soient instruites en même temps, le 11 août 2021. Bien que les deux demandes de contrôle judiciaire concernent des faits et des arguments presque identiques, elles feront l’objet de décisions distinctes.

[3] Comme je l’expliquerai plus en détail, la demande de contrôle judiciaire en l’espèce sera rejetée, car le dossier présenté à la Cour comporte une analyse raisonnable qui étaye la décision contestée.

II. Le contexte

A. La demande de permis de travail

[4] Le demandeur est un citoyen de l’Afghanistan et habite actuellement avec sa famille au Tadjikistan en tant que réfugié. Le 11 novembre 2019, le demandeur a présenté une demande de permis de travail pour venir travailler au Canada à titre de finisseur de béton pour une entreprise canadienne ayant obtenu une étude d’impact sur le marché du travail [EIMT].

[5] Dans la section de son formulaire de demande de permis de travail portant sur ses antécédents professionnels, le demandeur a déclaré avoir travaillé comme finisseur de béton pour une entreprise à Balkh, en Afghanistan (de mars 2007 à décembre 2010), comme contremaître de finisseurs de béton à Balkh, en Afghanistan (de janvier 2011 à janvier 2018), ainsi que comme finisseur de béton à Vahdat, au Tadjikistan (de février 2018 à octobre 2019).

[6] Dans la section sur les renseignements généraux, le demandeur a répondu « non » à la question 2b) : « Vous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, ou interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? »

B. La lettre d’équité procédurale

[7] Le 19 novembre 2019, un agent d’immigration [l’agent] a envoyé au demandeur une lettre d’équité procédurale pour l’informer que sa demande de permis de travail avait été examinée et qu’il y avait des préoccupations quant à la possibilité que le demandeur n’ait pas respecté les exigences prévues au paragraphe 16(1) de la LIPR, qui est ainsi libellé :

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

[8] Dans la lettre d’équité procédurale, l’agent a expliqué qu’il craignait que le demandeur ait fait une fausse déclaration, car celui-ci avait déclaré, dans sa demande de permis de travail, qu’on ne lui avait jamais refusé un visa ou un permis, alors qu’il s’était déjà vu refuser un visa de résident permanent au Canada. De plus, l’agent a fait remarquer que les antécédents professionnels qu’avait fournis le demandeur dans sa demande de permis de travail ne correspondaient pas à ceux qui figuraient dans sa demande de résidence permanente datée du 21 novembre 2018, dans laquelle il avait indiqué qu’il avait été sans emploi au Tadjikistan de février à septembre 2018 et qu’il avait travaillé comme instituteur en Afghanistan de mars 1975 à janvier 2018. L’agent était donc préoccupé par la possibilité que le demandeur ait fait une présentation erronée sur ses antécédents professionnels et en matière d’immigration.

[9] La lettre d’équité procédurale expliquait que l’agent était préoccupé par la possibilité que le demandeur ait délibérément tenté d’induire en erreur les agents d’immigration quant à un objet pertinent, ce qui risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, et qu’il envisageait de recommander à son superviseur que le demandeur soit déclaré interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. La lettre d’équité procédurale donnait l’occasion au demandeur d’y répondre dans les 10 jours.

C. La lettre de réponse

[10] Le demandeur a répondu à la lettre d’équité procédurale par une lettre datée du 28 novembre 2019 [la lettre de réponse]. Le demandeur a reconnu avoir présenté une demande de résidence permanente au Canada le 21 novembre 2018 dans le cadre d’un programme de parrainage privé de réfugiés par l’entremise d’une organisation appelée Integration Canada Association [ICA], qui aide les réfugiés grâce à des initiatives de parrainage et d’établissement. Le demandeur a expliqué que les agents d’immigration avaient émis des doutes au sujet du plan de réinstallation soumis par l’ICA et avaient jugé que l’ICA ne pouvait pas répondre aux exigences de réinstallation. Par conséquent, en janvier 2019, les agents d’immigration ont exclu l’ICA et rendu inadmissibles toutes les demandes dont l’organisation avait la charge.

[11] Le demandeur a expliqué qu’il croyait que c’était l’organisation, et non sa demande, qui avait été refusée. Il a déclaré être arrivé à cette conclusion parce que tous les demandeurs qui étaient sous la charge de l’ICA ont reçu la même lettre.

[12] Le demandeur a également cité l’arrêt Medel c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 CF 345, [1990] ACF no 318 (CAF) [Medel], dans lequel la Cour s’est appuyée sur une exception à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, qui s’applique lorsque le demandeur peut démontrer qu’il croyait sincèrement et raisonnablement qu’il ne dissimulait pas de renseignements importants. Le demandeur a affirmé qu’il ne savait sincèrement pas que sa demande de résidence permanente antérieure avait été rejetée.

[13] En ce qui concerne l’incohérence entre les antécédents professionnels fournis dans sa demande de permis de travail et ceux fournis dans sa demande de résidence permanente, le demandeur a expliqué qu’à son arrivée au Tadjikistan, en février 2018, il a commencé à travailler pour une entreprise de construction pour laquelle il effectuait des travaux de bétonnage de façon ponctuelle et sans avoir été embauché officiellement. Il a déclaré que, lorsqu’il a expliqué sa situation à l’ICA, il a reçu pour directive de déclarer que son statut d’emploi officiel était « sans emploi » dans sa demande de résidence permanente. Le demandeur a également expliqué qu’il a reçu la directive d’inclure toutes ses activités professionnelles dans sa demande de permis de travail afin de mettre en évidence les compétences requises pour l’emploi qu’il voulait occuper.

[14] En ce qui concerne ses antécédents professionnels en Afghanistan, le demandeur a ensuite précisé qu’il travaillait comme instituteur de 7 h à 10 h et comme finisseur de béton par la suite. Il a déclaré que l’ICA lui avait donné la directive de ne mentionner qu’un seul emploi officiel dans sa demande de résidence permanente et qu’il avait donc choisi d’inclure son travail d’instituteur seulement. Le demandeur a expliqué qu’il a choisi de ne mentionner que l’emploi de finisseur de béton qu’il avait occupé en Afghanistan dans sa demande de permis de travail, car il faisait une demande pour un emploi dans le secteur des métiers.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[15] Le 13 décembre 2019, le décideur a rejeté la demande de permis de travail présentée par le demandeur dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Le décideur a communiqué sa décision au demandeur dans une lettre, qui énonçait ainsi les motifs de refus :

[traduction]

Je ne suis pas convaincu que vous avez répondu véridiquement à toutes les questions qui vous ont été posées.

Je conclus que vous êtes interdit de territoire au Canada par application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) pour avoir, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur des faits importants quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ces faits, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Conformément à l’alinéa 40(2)a), l’interdiction de territoire au Canada court pour les cinq ans suivant la date de la lettre ou suivant l’exécution de la date d’une mesure de renvoi précédente.

[16] Les notes versées au Système mondial de gestion des cas [le SMGC] qui sont pertinentes en l’espèce comprennent les notes de l’agent, qui a envoyé la lettre d’équité procédurale, et celles du décideur, qui a envoyé la lettre communiquant la décision. Comme je l’expliquerai plus loin dans les présents motifs, les parties ne s’entendent pas sur la mesure dans laquelle les notes du SMGC rédigées par l’agent font partie des motifs de la décision contestée.

[17] Les notes du SMGC rédigées par l’agent le 19 novembre 2019 font état de la divergence entre les antécédents professionnels que le demandeur a fournis dans sa demande de permis de travail et ceux qu’il a fournis antérieurement dans sa demande de résidence permanente du 21 novembre 2018. Ces notes indiquent qu’en raison de cette divergence, l’agent craignait que le demandeur ait fait une présentation erronée sur ses antécédents professionnels. L’agent affirme en outre que les antécédents professionnels du demandeur sont pertinents dans le cadre de la demande de permis de travail, étant donné que le demandeur avait une offre d’emploi à titre de finisseur de béton. L’agent était donc préoccupé par la possibilité que le demandeur ait délibérément tenté d’induire en erreur les agents d’immigration sur un objet pertinent, ce qui risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Les notes indiquent que l’agent envisageait de recommander à son superviseur que le demandeur soit déclaré interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, et que l’agent a envoyé au demandeur une lettre d’équité procédurale.

[18] Les notes du SMGC rédigées par l’agent le 19 novembre 2019 indiquent également que la demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir un visa de résident permanent au Canada a été rejetée et que le demandeur a omis de divulguer cette information dans son formulaire de demande de permis de travail. L’agent affirme que les refus de visa antérieurs constituent un fait important lié à la demande, puisqu’ils ont une incidence sur l’examen des liens du demandeur avec son pays d’origine, ses antécédents en matière d’immigration et sa crédibilité. Ainsi, l’agent était préoccupé par la possibilité que le demandeur ait fait une présentation erronée sur des faits importants liés à sa demande, comme ses antécédents en matière d’immigration au Canada, ce qui aurait pu entraîner la délivrance d’un visa si la fausse déclaration n’avait pas été décelée. Les notes du SMGC indiquent que la fausse déclaration était pertinente et qu’elle aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. L’agent a donc considéré qu’il s’agissait d’un motif supplémentaire pour considérer le demandeur comme une personne visée à l’article 40 de la LIPR.

[19] Les notes de l’agent versées dans le SMGC le 19 novembre 2019 mentionnent aussi que l’EIMT exigeait que le demandeur ait des compétences en anglais, mais qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve à cet égard dans le dossier du demandeur. L’agent n’était donc pas convaincu que le demandeur respectait les exigences de l’EIMT. En outre, en raison de la demande de résidence permanente présentée par le demandeur à titre de réfugié et du fait qu’il avait fui l’Afghanistan par crainte d’être persécuté, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur serait un visiteur authentique qui quitterait le Canada à l’expiration du visa qui lui serait accordé.

[20] Les notes de l’agent dans le SMGC comprennent également une entrée datée du 6 décembre 2019, qui a été rédigée après que les agents d’immigration ont reçu la lettre de réponse du demandeur. L’agent a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle il ne savait pas que sa demande de résidence permanente à titre de réfugié avait été refusée, car l’agent avait examiné la demande de résidence permanente et noté qu’une lettre de refus avait été envoyée au demandeur. Il a donc conclu que la demande avait été rejetée et que le demandeur aurait été au courant de cette décision.

[21] L’agent a aussi rejeté l’explication du demandeur selon laquelle il avait reçu la directive de fournir de l’information sur un emploi uniquement dans la demande de résidence permanente et dans la demande de permis de travail. L’agent a examiné la question posée dans les deux demandes et n’a trouvé aucune mention de l’obligation de déclarer un seul emploi dans les champs des antécédents personnels ou professionnels. L’agent a expliqué que les questions étaient posées de façon claire et qu’il n’était donc pas convaincu que le demandeur avait commis une erreur ou qu’il y avait eu un malentendu. L’agent a conclu que le demandeur avait fait une présentation erronée sur des faits importants, ce qui aurait pu entraîner la délivrance d’un visa si la fausse déclaration n’avait pas été décelée, et que cette fausse déclaration aurait donc pu entraîner une erreur dans l’administration de la LIPR. Par conséquent, l’agent a exprimé l’opinion, aux fins d’examen plus approfondi, que le demandeur est une personne visée à l’article 40 de la LIPR.

[22] Les notes du SMGC se terminent par une entrée datée du 13 décembre 2019, rédigée par le décideur :

[traduction]

Le demandeur a omis de divulguer un ou plusieurs refus antérieurs d’un visa canadien ou d’un visa américain de non‑immigrant et/ou toute autre mesure d’application de la loi et n’a donc pas été entièrement honnête dans sa demande. Cela remet en question les intentions réelles et la crédibilité générale du demandeur, ce qui est important pour toute évaluation. Je conclus donc qu’il y a eu fausse déclaration.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[23] Le demandeur décrit ainsi les questions en litige en l’espèce :

[traduction]

La question est de savoir si l’agent a rendu une décision déraisonnable en omettant de se rapporter de façon pertinente ou transparente à la preuve et aux arguments présentés, en suivant un raisonnement tautologique, en faisant abstraction de certains éléments de preuve, en omettant de décider si la fausse déclaration était importante et en omettant d’examiner et d’appliquer les éléments de preuve présentés pour justifier l’exception à une conclusion de fausse déclaration au sens de l’arrêt Medal [sic].

[24] Le défendeur soulève une autre question, soit celle de savoir si le défaut du demandeur de fournir un affidavit personnel à l’appui de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce rend irrecevables ses arguments concernant l’exception relative aux fausses déclarations faites de bonne foi au sens de l’arrêt Medel.

[25] Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable à l’examen de la décision contestée par la Cour est celle de la décision raisonnable.

V. Analyse

[26] Comme l’avocat du demandeur l’a expliqué dans ses observations orales, le demandeur fait valoir que la décision contestée est déraisonnable pour les motifs suivants : a) le décideur a omis de tenir compte des arguments du demandeur selon lesquels sa fausse déclaration était de bonne foi; b) le décideur a omis d’effectuer une analyse intelligible quant à l’importance de sa fausse déclaration.

[27] Les parties ne contestent pas les principes régissant l’exception relative aux fausses déclarations faites de bonne foi au sens de l’arrêt Medel. Les parties ne contestent pas non plus que, pour conclure qu’une personne est interdite de territoire pour fausses déclarations, il faut procéder à une analyse et conclure que la fausse déclaration est importante, c’est-à-dire qu’elle est pertinente pour une question qui a fait activement l’objet d’un examen par l’agent lorsqu’il a examiné le dossier et qu’elle aurait pu avoir une incidence sur le résultat de l’examen de l’agent (voir Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 401 au para 23).

[28] Le demandeur reconnaît également que les notes du SMGC démontrent que l’agent (à la différence du décideur) a tenu compte de ses arguments relatifs aux fausses déclarations faites de bonne foi et a effectué l’analyse requise sur le caractère important de la déclaration. En l’absence de cette reconnaissance, j’aurais tiré la même conclusion. Le demandeur fait toutefois remarquer que la décision faisant l’objet du contrôle est celle du décideur et soutient que le seul paragraphe rédigé par le décideur dans les notes du SMGC ne traite d’aucune de ces questions de manière raisonnable.

[29] En réponse à cet argument, le défendeur soutient que l’analyse de l’agent devrait être prise en considération pour comprendre le raisonnement du décideur et que la décision contestée est donc raisonnable. Le demandeur n’est pas d’accord et soutient qu’en l’absence d’un motif permettant de conclure que le décideur a adopté le raisonnement de l’agent, l’interprétation adoptée par le défendeur est incompatible avec les enseignements de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], concernant l’importance d’un contrôle judiciaire axé sur la justification de la décision du décideur administratif (aux para 96 et 97). Ainsi, la question que la Cour doit trancher, en évaluant les principaux arguments du demandeur, est la mesure dans laquelle le raisonnement présenté dans les notes de l’agent versées au SMGC permet de comprendre la justification de la décision rendue par le décideur.

[30] Dans la mesure où le demandeur soutient que le raisonnement de l’agent ne peut être pris en compte à moins que le décideur l’ait adopté expressément, je ne suis pas d’accord. Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, ACS no 39 [Baker], sur lequel s’appuie le demandeur, la Cour suprême a conclu que les notes de l’agent subalterne devraient être considérées, par déduction, comme étant les motifs de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire dans cette affaire, insistant sur la souplesse nécessaire pour tenir compte de la réalité quotidienne des organismes administratifs (au para 44).

[31] Je ne vois aucun conflit entre ce raisonnement et les enseignements de l’arrêt Vavilov. En fait, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156, rendu récemment, la Cour d’appel fédérale a résumé certains des principes tirés de l’arrêt Vavilov et elle a noté la possibilité de recourir au contexte et à la déduction pour discerner les motifs d’un décideur administratif (aux para 30 à 32) :

[traduction]

30. Les juges majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov décrivent également cet aspect du caractère raisonnable de façon très détaillée. Ces détails sont toutefois décomposés en plusieurs fragments éparpillés un peu partout dans les motifs. Rassembler et regrouper ces fragments rend la chose plus claire.

31. L’arrêt Vavilov nous enseigne qu’une cour de révision effectuant un contrôle d’une décision administrative selon la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il est possible de discerner une explication raisonnée. Cette explication peut se trouver expressément ou implicitement dans les motifs du décideur administratif, mais, comme nous le verrons plus loin, elle peut aussi ne pas ressortir à l’évidence des motifs eux‑mêmes.

32. Il faut « interpréter de façon globale et contextuelle » les motifs du décideur administratif « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » : Vavilov, par. 97 et 103. Mais le fondement d’une décision peut être implicite en raison des circonstances, notamment du dossier, des décisions antérieures de l’organe administratif ou d’organes connexes, la nature de la question dont le décideur est saisi et les observations des parties : Vavilov, par. 94 et 123; voir p. ex. Bell Canada c. British Columbia Broadband Association, 2020 CAF 140. C’est pourquoi le fait de ne pas mentionner quelque chose explicitement dans les motifs ne constitue pas en définitive un manque « de justification, d’intelligibilité ou de transparence » : Vavilov, par. 94 et 122. En effectuant le contrôle des motifs du décideur administratif, il est loisible à une cour de révision « de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées » : Komolafe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431, 16 Imm. L.R. (4th) 267, par. 11; Vavilov, par. 97.

[32] En l’espèce, bien que le décideur n’ait pas expressément adopté l’analyse de l’agent, le contexte démontre clairement que cette analyse a éclairé sa décision. Les notes du SMGC rédigées par l’agent renvoient à son analyse comme étant une recommandation formulée à son superviseur pour examen. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’une telle structure administrative n’est pas inhabituelle et qu’aucun décideur administratif n’est tenu de reprendre l’analyse d’un agent subalterne sur laquelle il se fonde pour prendre sa décision. Une telle proposition irait à l’encontre de la souplesse nécessaire, selon l’arrêt Baker, pour tenir compte de la réalité quotidienne du processus décisionnel administratif.

[33] J’estime également que cette conclusion est conforme au raisonnement adopté par la Cour dans la décision Rahman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 793. Dans cette affaire, le demandeur contestait lui aussi le fait que les notes du SMGC relatives à sa demande de visa avaient été rédigées par deux agents différents. Il a soutenu que rien n’indiquait que l’agent chargé de prendre une décision relativement à sa demande de visa avait examiné les notes de l’autre agent. Dans cette affaire, la juge Strickland a conclu qu’en l’absence de preuve contraire, il était raisonnable de conclure que l’agent qui avait pris la décision avait examiné toutes les notes du SMGC (au para 19).

[34] Dans mon examen approfondi de la formulation des notes du SMGC dans la présente affaire, j’ai examiné l’argument du demandeur selon lequel le paragraphe des notes rédigé par le décideur est un paragraphe standard, en particulier parce qu’il renvoie au défaut de divulguer [traduction] « […] un ou plusieurs refus antérieurs d’un visa canadien ou d’un visa américain de non‑immigrant ou toute autre mesure d’exécution de la loi ». Je conviens que ce paragraphe comporte une certaine formulation standard. Cependant, comme l’admet le demandeur, cette formulation n’est pas en soi problématique. Le paragraphe mentionne également que le demandeur n’a pas été entièrement honnête dans sa demande et que cela remet en question ses intentions réelles et sa crédibilité en général. Ces conclusions concordent avec les préoccupations soulevées dans les notes du SMGC rédigées par l’agent, notamment que les refus de visa antérieurs ont une incidence sur les liens du demandeur avec son pays d’origine, ses antécédents en matière d’immigration et sa crédibilité.

[35] Le demandeur soutient que la mention de ses « intentions » par le décideur est inintelligible. Or, il est loisible aux cours de révision de placer les décisions dans leur contexte. Si je « reli[e] les points », comme l’arrêt Vavilov me permet de le faire, j’interprète le renvoi aux « intentions » dans la décision contestée comme se rapportant à la question de savoir si le demandeur a l’intention de quitter le Canada lorsqu’il le devra, une question à laquelle se rapportent également les préoccupations soulevées par le décideur au sujet des liens du demandeur avec son pays d’origine, de ses antécédents en matière d’immigration et de sa crédibilité. Cette démarche appuie la conclusion selon laquelle l’analyse effectuée par l’agent, qui sous‑tend la recommandation faite au décideur, permet de mieux comprendre le raisonnement de ce dernier.

[36] J’ai également tenu compte de l’argument du demandeur selon lequel le renvoi aux compétences en anglais du demandeur dans les notes du SMGC rédigées par l’agent est incompatible avec l’interprétation selon laquelle les notes font partie des motifs de la décision. Le demandeur soutient que, puisque l’analyse de ses compétences linguistiques n’a pas de lien avec la conclusion de fausse déclaration, leur inclusion dans les notes de l’agent mine cette interprétation. Je conclus que cet argument est peu fondé. Le fait que l’analyse de l’agent a porté sur des questions étrangères à l’analyse de la fausse déclaration ne mine pas, d’un point de vue logique, la conclusion selon laquelle le décideur s’est fié aux éléments de l’analyse de l’agent qui étaient pertinents pour tirer la conclusion de fausse déclaration.

[37] En conclusion sur ce point, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la prise en compte par l’agent de l’exception relative aux fausses déclarations faites de bonne foi et son analyse quant à l’importance de la fausse déclaration ont éclairé la décision et sont donc raisonnables.

[38] J’ai également examiné la prétention du demandeur voulant que, puisque l’information sur le rejet de la demande de résidence permanente présentée antérieurement par le demandeur se trouvait dans les dossiers d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, et que le ministère pouvait donc y accéder, le défaut du demandeur de divulguer ce fait ne pouvait constituer une fausse déclaration sur un fait important. Le demandeur s’appuie sur la décision Koo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 931 [Koo], pour affirmer qu’il est impossible de conclure que la dissimulation de renseignements par le demandeur risque d’entraîner une erreur dans l’administration de la LIPR lorsque l’agent d’immigration est au courant de ces renseignements.

[39] Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation de la décision Koo. Dans cette affaire, la fausse déclaration concernait l’ancien nom du demandeur et le fait qu’il avait déjà présenté une demande de résidence permanente, qui avait été rejetée. Le juge de Montigny a conclu que : a) l’agent avait conclu de façon déraisonnable que l’omission du demandeur de divulguer cette information n’était pas une simple erreur; b) l’erreur n’était pas importante ou n’était pas considérée comme étant importante à l’issue de l’analyse. Ces conclusions reposaient toutefois sur le fait que, même si le demandeur avait commis des erreurs dans son formulaire de demande, il avait divulgué les renseignements pertinents ailleurs dans le cadre du processus de demande (aux para 21‑34). Ces faits se distinguent de la présente affaire, où le demandeur n’a pas divulgué l’information qui a mené à la conclusion de fausse déclaration tirée dans le contexte de sa demande de permis de travail.

[40] Je suis d’accord avec l’affirmation du défendeur selon laquelle les arguments du demandeur équivalent à affirmer qu’il est impossible de conclure à l’existence d’une fausse déclaration importante si la fausse déclaration est découverte par le décideur avant qu’une décision ne soit rendue. Cette proposition est illogique et va à l’encontre de la jurisprudence établie selon laquelle un demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les agents d’immigration avant l’examen final de la demande (voir Kazzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153 au para 38).

[41] L’analyse qui précède permet de trancher la demande de contrôle judiciaire en l’espèce. La décision contestée est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée, et il n’est pas nécessaire que la Cour traite des autres arguments, y compris ceux portant sur le fait que le demandeur n’a pas déposé d’affidavit.

[42] Aucune des deux parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’appel et aucune n’est énoncée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑958‑20

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑958‑20

INTITULÉ :

MOHAMMAD HANIF HASHAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 août 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 25 août 2021

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

POUR LE DEMANDEUR

David Knapp

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Poulton Law Office

Professional Corporation

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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