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Date : 20210820


Dossier : T-1376-19

Référence : 2021 CF 859

Ottawa (Ontario), le 20 août 2021

En présence de l'honorable juge Shore

ENTRE :

NORMAND PILOT

ET

ROLLAND THIRNISH

demandeurs

et

MIKE MCKENZIE

ET

NORMAND AMBROISE

ET

ANTOINE GREGOIRE

ET

KENNY REGIS

ET

DAVE VOLLANT

ET

JONATHAN ST-ONGE

ET

ZACHARIE VOLLANT

défendeurs

et

INNU TAKUAIKAN UASHAT MAK MANI-UTENAM

intervenante

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Au préalable, Me Patrick Lamarre a eu son mandat révoqué, suite à ceci, les deux demandeurs ont décidé de se représenter eux-mêmes (réalisant qu’ils ne pouvaient pas se faire représenter par une tierce-personne qui n’est pas avocat devant la Cour fédérale).

[2] D’entrée, la Cour est réticente de s’immiscer dans les affaires internes de gouvernance autochtone. « Cela dit, la Cour, au fil de nombreuses décisions, a bien établi que, bien qu’il soit important que les bandes indiennes puissent élire leurs gouvernements selon leurs propres processus, elles doivent quand même respecter certaines normes minimales d’équité procédurale et de justice naturelle; voir, par exemple, Sparvier c. Bande indienne Cowessess no 73 (1993), 63 F.T.R. 242, au paragraphe 47 » (Alook c Première Nation des Cris de Bigstone (Second comité d’appel électoral), 2007 CF 853 au para 26 [Alook]).

[3] La présente demande de contrôle judiciaire porte uniquement sur une décision rendue le 25 juillet 2019 par le Comité d’appel relative à des demandes de contestation de l’élection tenue le 26 juin 2019 dans la communauté de Uashat mak Mani-Utenam.

[4] Les contestations datées du 10 juillet 2019 portaient sur des irrégularités survenues dans le déroulement du scrutin selon les demandeurs.

[5] Le Comité d’appel a tenu l’audition des contestations le 22 juillet 2019.

[6] Le 25 juillet 2019, le Comité a rejeté les contestations pour motifs que les requérants n’avaient pas rencontré le fardeau de preuve pour renverser la présomption de régularité des élections et d’innocence des mis en cause, ou du bénéfice du doute qui s’accordait à ces derniers. Par ailleurs, le rapport du président d’élection, convoqué proprio motu par le Comité, contredit ou atténue largement les contestations. Il en était de même quant à la preuve des mis en cause qui se sont présentés.

[7] Le Comité était également d’avis que les requérants ont manqué énormément de sérieux dans leur démarche. Il a en outre été tenu compte de leur manquement à l’obligation de signification, et de leur défaut de participer à l’audition et de présenter de la preuve.

[8] Suite à l’historique du dossier comme spécifié à l’audition de cette Cour, les 14 et 15 juillet 2021, et plus particulièrement le 15 juillet 2021, le présent contrôle judiciaire porte uniquement sur l’observation de l’équité procédurale, donc sur la raisonnabilité de la décision du Comité. Hormis l’argument sur l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable par cette Cour est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 77).

[9] Les demandeurs avancent qu’il y a eu un manquement aux principes d’équité procédurale en raison de la violation de la règle audi alteram partem. La décision serait de plus déraisonnable quant à l’erreur dans la computation des délais des contestations.

[10] La Cour estime qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Le choix de la procédure, alors discrétionnaire – en l’absence de procédure interne établie par le Code électoral concernant les élections d’Innu-Takuaikan dans la communauté Uashat mal Mani-Utenam ou avancée par la pratique ou la preuve traditionnelle ou coutumière – et exigeant un degré de déférence, doit être pris équitablement (voir Kane c Cons. d’administration de l’U.C.B., [1980] 1 RCS 1105 aux para 29, 32-36). Ceci exige le droit d’être entendu et compris par un décideur, l’équivalent de l’expression latine audi alteram partem.

[11] Comme la Cour d’appel fédérale le rappelait dans Wagg c Canada (Procureur Général), 2003 CAF 303 au para 19, citant Asomadu-Acheampong c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 69 FTR 60 au para 8 (CF) :

Le droit aux services d’un conseil n’est pas plus absolu que le droit qu’a un tribunal de déterminer sa propre procédure. S’il y a conflit entre les deux, je crois que, pour que le droit aux services d’un conseiller l’emporte sur l’autre, il faut tenir compte des circonstances applicables pour déterminer si la partie requérante a bel et bien été victime de quelque préjudice. À mon sens, le droit aux services d’un conseiller n’est qu’un complément aux principes de la justice naturelle et de l’équité, à la règle d’audi alteram partem, à la règle de la défense pleine et entière ainsi qu’à des règles similaires de longue date, afin de s’assurer que les droits et les obligations de toute personne visée par une enquête quelconque sont adjugés et déterminés en accord avec le droit. À moins d’une violation d’une telle règle, portant préjudice à quelqu’un, on ne peut dire qu’un refus [d’accommodement] prive un tribunal de sa compétence ou justifie l’annulation de la décision qu’il a rendue.

[12] Dans le présent cas, le Comité d’appel a refusé la demande du procureur d’un des demandeurs d’être entendu par vidéoconférence pour manque d’équipement. Une seconde demande d’accommodement pour la remise de l’audition à une date convenable, compte tenu de ce qui précède et du court préavis de cinq jours de la date d’audition, a également été refusée, et ce, sans motif, justifié ultérieurement dans la décision par le délai de prescription serré de quatorze jours pour répondre aux contestations.

[13] Par conséquent, le procureur du demandeur en question a fait des représentations écrites, jointes de déclarations sous serment, et a demandé au Comité de le contacter pour des représentations supplémentaires ou des précisions à apporter afin que les droits du demandeur soient entièrement respectés selon les règles de droit applicable en la matière.

[14] Le Comité n’a cependant pas donné suite à cette demande. Qui plus est, de la nouvelle preuve a été intimée lors de l’audition sans que la partie concernée puisse en prendre connaissance, se préparer en conséquence et soumettre des observations si nécessaire. Le tout à l’insu de la partie concernée contra les conseils de la Cour suprême du Canada dans Sitba c Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 RCS 282 aux para 86, 93.

[15] Il en revient un choix de ne faire aucun effort pour tenter d’accommoder cette partie représentée, indépendamment des explications avancées sur les délais serrés. Ceci ne peut que signifier une véritable violation du droit de cette partie d’être entendue et d’être comprise par le Comité d’appel dans l’exécution de son mandat.

[16] Alors qu’il peut sembler y avoir des faiblesses sur le fondement des contestations selon l’historique du dossier, le nœud même de la revendication devant la Cour démontre un manquement significatif à l’équité procédurale de toute évidence selon le déroulement des faits. La négation du droit à une audition juste est manifeste, de sorte qu’il ne peut avoir équité ni raisonnabilité en l’espèce. Ceci suffit pour invalider la décision dans son ensemble, les contestations étant interreliées (Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643 au para 23).

[17] Néanmoins, compte tenu des motifs qui précèdent, la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire – reconnaissant les répercussions qui peuvent en découler, mais espérant que les indications à l’intérieur de cet exercice puissent inspirer les démarches à l’avenir, et ce, conformément aux coutumes et traditions établies (Alook, ci-dessus, au para 26).

[18] Donc, la décision du Comité dans son ensemble est invalidée et la demande de contrôle est accueillie.


JUGEMENT au dossier T-1376-19

LA COUR STATUE que le contrôle judiciaire soit accueilli selon les motifs ci-dessus, sans dépens, compte tenu de l’intérêt public et de la nécessité de la communauté interne de retrouver son équilibre.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1376-19

 

INTITULÉ :

NORMAND PILOT ET AL c MIKE MCKENZIE ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LEs 13 et 14 juillet 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 août 2021

 

COMPARUTIONS :

Normand Pilot

Rolland Thirnish

 

Pour LES DEMANDEURS

(POUR LEUR PROPRE COMPTE)

 

Robert Gagné

Coralie Martineau

 

Pour LES DÉFENDEURS

 

Denis Cloutier

Thomas Dougherty

POUR L’INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gravel Bernier Vaillancourt Avocats

Québec (Québec)

 

Pour LES DÉFENDEURS

 

Cain Lamarre

Montréal (Québec)

 

POUR L’INTERVENANTE

 

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