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Date : 20210830


Dossier : T-129-21

Référence : 2021 CF 900

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 30 août 2021

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

MOWI CANADA WEST INC., CERMAQ CANADA LTD., GRIEG SEAFOOD B.C. LTD. ET 622335 BRITISH COLUMBIA LTD.

demanderesses

et

LE MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE

défendeurs

et

ALEXANDRA MORTON, FONDATION DAVID SUZUKI, GEORGIA STRAIT ALLIANCE, LIVING OCEANS SOCIETY ET WATERSHED WATCH SALMON SOCIETY

intervenantes

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Les Premières Nations des Homalco et des Tla’amin [les Nations Sœurs] demandent l’ajournement de l’audience relative à la demande de contrôle judiciaire en l’espèce. Actuellement, les Nations Sœurs ne sont pas parties à l’instance. Leur demande d’autorisation d’être constituées comme parties a été rejetée. Elles font appel de cette décision auprès de la Cour d’appel fédérale. Elles aimeraient que notre Cour attende l’issue de leur appel avant d’instruire la demande sous-jacente.

[2] Je rejette la requête des Nations Sœurs. Je ne suis pas convaincu qu’elles subiront une injustice si l’audience a lieu comme prévu. De plus, les demanderesses ont tout intérêt à ce qu’une décision sur le bien-fondé de la demande soit rendue rapidement.

I. Contexte

[3] La demande de contrôle judiciaire sous-jacente vise la décision du ministre des Pêches et des Océans de mettre fin à toutes les activités de pisciculture dans une partie déterminée de la mer des Salish d’ici le 30 juin 2022. Quatre exploitants de pisciculture soutiennent que cette décision est déraisonnable.

[4] Les Nations Sœurs ont demandé d’être constituées comme parties au titre de la règle 104 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles]. Elles soutiennent que la décision du ministre constitue un accommodement à l’égard de leurs droits ancestraux et issus de traités garantis par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’annulation de la décision toucherait donc leurs droits.

[5] Dans sa décision rendue le 18 mars 2021, ma collègue la protonotaire Mandy Aylen (maintenant juge) a rejeté leur requête, car le dossier n’établissait pas que la décision constituait un accommodement ou qu’elle visait les droits des Nations Sœurs.

[6] Subsidiairement, les Nations Sœurs ont demandé le statut d’intervenant au titre de la règle 109, mais n’ont pas présenté de motifs à l’appui de leur demande. Après leur avoir donné l’occasion d’expliquer ces motifs, la juge Aylen a également rejeté cette requête.

[7] Les Nations Sœurs ont interjeté appel de l’ordonnance de la juge Aylen. Le 7 juin 2021, mon collègue le juge Michael Phelan a rejeté leur appel : Mowi Canada West Inc c Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2021 CF 548. Les Nations Sœurs ont interjeté appel de la décision à la Cour d’appel fédérale.

[8] Entre-temps, l’instruction de la demande de contrôle judiciaire a été fixée au 18 octobre 2021, pour une durée de cinq jours.

[9] Le 3 août 2021, les Nations Sœurs ont déposé la présente requête en ajournement de l’audience prévue le 18 octobre. Elles font valoir qu’elles subiront un préjudice si la demande est instruite avant l’appel de l’ordonnance du juge Phelan, qu’un léger retard ne portera pas préjudice aux demanderesses et que l’affaire revêt une importance exceptionnelle.

[10] Le 18 août 2021, la juge Aylen a rendu une autre ordonnance accordant le statut d’intervenant au First Nations Fisheries Council de la Colombie-Britannique, à la British Columbia Assembly of First Nations, à la Union of British Columbia Indian Chiefs et au First Nations Summit. Les demanderesses avaient alors déjà déposé leurs observations en réponse relativement à la présente requête. Les Nations Sœurs ont mis l’accent sur cette nouvelle ordonnance dans leur réplique, affirmant que la juge Aylen avait contredit une conclusion centrale de son ordonnance du 18 mars. Par conséquent, j’ai ordonné aux demanderesses de présenter des observations relatives aux conséquences de cette ordonnance sur la requête en ajournement.

II. Analyse

[11] La règle 36(1) prévoit que la Cour peut ajourner une audience « selon les modalités qu’elle juge équitables ». Il n’existe pas de règles strictes quant aux circonstances dans lesquelles il convient d’ajourner une audience. À cet égard, nous sommes guidés par la règle 3, qui prévoit que les règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter « une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». Nous sommes également guidés par les décisions rendues dans le contexte de requêtes en suspension de l’instance : voir, par exemple, Mylan Pharmaceuticals ULC c Astrazeneca Canada, Inc., 2011 CAF 312 [Mylan]; Jensen c Samsung Electronics Co., Ltd., 2019 CF 373.

[12] Ainsi, comme je l’ai mentionné dans la décision McCulloch c Canada (Procureur général), 2020 CF 565, nous devons établir un équilibre entre le besoin d’offrir une réparation en temps utile aux parties lésées et la nécessité d’assurer l’équité du processus pour tous. Le règlement rapide des litiges dans l’intérêt du public et la nécessité de ne pas gaspiller le temps et les ressources de la Cour constituent également des facteurs pertinents à prendre en considération. Bien que les concepts utilisés dans le cadre des injonctions interlocutoires, comme le préjudice irréparable, ne soient pas déterminants, ils demeurent des composantes utiles de l’analyse.

[13] Deux autres facteurs influent sur l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire. Premièrement, le principe de la courtoisie judiciaire me dicte de suivre les décisions rendues par mes collègues, à moins qu’il y ait une raison sérieuse de douter de leur justesse. De plus, je dois m’abstenir de spéculer sur l’issue de l’appel devant la Cour d’appel fédérale. Deuxièmement, mon rôle n’est pas de statuer sur le bien-fondé de l’affaire. Je dois donc énoncer mes motifs en évitant de me prononcer sur les questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.

[14] Le principal motif de la requête des Nations Sœurs est l’injustice qu’elles subiraient si leur appel était accueilli après que la demande a été instruite et tranchée en leur absence. Elles s’appuient sur la règle 103(1) pour illustrer le préjudice qu’elles subiraient. Il importe cependant de citer l’intégralité de la règle 103 :

103 (1) La jonction erronée ou le défaut de jonction d’une personne ou d’une partie n’invalide pas l’instance.

103 (1) No proceeding shall be defeated by reason of the misjoinder or nonjoinder of a person or party.

(2) La Cour statue sur les questions en litige qui visent les droits et intérêts des personnes qui sont parties à l’instance même si une personne qui aurait dû être jointe comme partie à l’instance ne l’a pas été.

(2) In a proceeding in which a proper person or party has not been joined, the Court shall determine the issues in dispute so far as they affect the rights and interests of the persons who are parties to the proceeding.

[15] Les Nations Sœurs mettent l’accent sur le premier paragraphe de cette disposition. Elles soutiennent qu’elles seront privées d’une réparation utile si la demande en l’espèce est instruite en leur absence. Une décision ultérieure de la Cour d’appel fédérale en leur faveur ne pourrait pas « invalider » le jugement rendu à l’égard de la demande. Toutefois, cet argument ne tient pas compte du deuxième paragraphe de la disposition. Si la demande est instruite en l’absence des Nations Sœurs, le jugement ne statuera pas sur leurs droits. Elles pourront faire valoir leurs droits dans le cadre de procédures distinctes. Si, par exemple, le ministre rend une décision différente à la suite de la présente demande, rien n’empêchera les Nations Sœurs de déposer une demande de contrôle judiciaire si elles sont d’avis que la nouvelle décision porte atteinte à leurs droits garantis par l’article 35.

[16] Pour cette raison, je conclus que les Nations Sœurs n’ont pas réussi à démontrer qu’elles subiront un préjudice grave ou irréparable ou que leurs droits seront compromis si l’audience n’est pas ajournée. Je reconnais qu’il serait peu pratique pour elles de devoir entamer de nouvelles procédures pour faire valoir leurs droits. Un tel scénario demeure toutefois hypothétique. Deux de mes collègues ont conclu que les droits des Nations Sœurs ne seraient pas directement visés par l’issue de la demande en l’espèce. Comme je l’ai mentionné précédemment, le principe de courtoisie judiciaire m’oblige à respecter leurs décisions. En outre, la question pourrait devenir théorique si la demande de contrôle judiciaire en l’espèce était rejetée. La simple possibilité d’un tel inconvénient ne pèse pas lourd dans la balance.

[17] L’ordonnance datée du 18 août de la juge Aylen ne change rien à mon évaluation. Il ressort d’une lecture objective des motifs de la juge Aylen qu’elle n’a pas contredit son ordonnance du 18 mars. À cet égard, il faut garder à l’esprit que les critères à respecter pour être constitué comme partie au titre de la règle 104 ou pour être autorisé à intervenir aux termes de la règle 109 sont différents. De plus, chaque requête en autorisation d’intervenir doit être tranchée sur la base des documents fournis par la personne qui désire intervenir.

[18] Les Nations Sœurs font grand cas de la déclaration de la juge Aylen selon laquelle [traduction] « les consultations menées par le défendeur avec les Premières Nations, et ses obligations envers celles-ci, ont joué un rôle dans sa décision et sont donc pertinentes dans le cadre des demandes conjointes » (paragraphe 47 de l’ordonnance du 18 août). Je n’ai aucun doute que la Cour tiendra dûment compte de ces considérations. En accordant l’autorisation d’intervenir aux organisations des Premières Nations, la juge Aylen s’est assurée que la Cour entende aussi le point de vue des Autochtones sur cette question, en plus de celui du ministre, qui soutiendra sûrement la validité de sa décision. Cependant, le fait que le ministre a consulté les Nations Sœurs ne veut pas nécessairement dire que leurs droits garantis par l’article 35 sont en jeu ou qu’ils auraient été violés si le ministre avait rendu une décision différente. La déclaration de la juge Aylen ne compromet donc pas le fondement de sa décision datée du 18 mars au point de justifier le report de l’audience.

[19] En revanche, l’ajournement de l’audience entraînera inévitablement un retard. À cet égard, les Nations Sœurs soutiennent que le retard sera léger et ne causera préjudice à personne. Je ne suis pas de cet avis.

[20] On ignore quand la Cour d’appel fédérale tranchera l’appel. Les Nations Sœurs n’ont pas demandé à la Cour d’appel fédérale d’accélérer l’instruction de l’affaire ni d’accorder une réparation provisoire. Je n’ai pas été convaincu par les explications données par les Nations Sœurs à cet égard. En réalité, plusieurs mois, voire un an, pourraient s’écouler avant qu’une décision ne soit rendue.

[21] De plus, ce retard causera préjudice aux demanderesses. Encore une fois, je tiens à souligner que je ne veux pas que l’on pense que j’exprime une opinion sur le bien-fondé de l’affaire. Néanmoins, les demanderesses doivent prendre des mesures immédiatement pour se conformer à la décision du ministre de manière à respecter la date limite du 30 juin 2022 et pour mettre graduellement fin à leurs activités. Si elles ont raison d’affirmer que la décision du ministre est invalide, elles devraient pouvoir obtenir une réponse de notre Cour en temps opportun. Tel est l’objectif des mesures de gestion de l’instance prises en l’espèce.

[22] Si les demanderesses ont droit à une réparation, mais que celle-ci est retardée dans l’attente de la décision de la Cour d’appel fédérale, elles auront été contraintes d’entreprendre des démarches importantes visant à mettre fin à leurs activités, qui seraient ultimement jugées injustifiées. Un tel résultat indésirable milite fortement contre l’ajournement de l’audience.

[23] En résumé, les Nations Sœurs n’ont pas prouvé qu’elles subiront une injustice si l’audience a lieu comme prévu, alors qu’un report causera un préjudice grave aux demanderesses. L’ajournement ne sert pas l’intérêt de la justice. Par conséquent, la requête en ajournement sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier T-129-21

LA COUR STATUE que la requête en ajournement de l’audience relative à la demande en l’espèce est rejetée, sans dépens.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-129-21

INTITULÉ :

MOWI CANADA WEST INC., CERMAQ CANADA LTD., GRIEG SEAFOOD B.C. LTD. ET 622335 BRITISH COLUMBIA LTD. C LE MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE ET ALEXANDRA MORTON, FONDATION DAVID SUZUKI, GEORGIA STRAIT ALLIANCE, LIVING OCEANS SOCIETY ET WATERSHED WATCH SALMON SOCIETY

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

LE 30 AOÛT 2021

COMPARUTIONS :

Roy Millen

Rochelle Collette

POUR LA DEMANDERESSE

(MOWI CANADA WEST INC.)

Kevin O’Callaghan

Dani Bryant

POUR LA DEMANDERESSE

(CERMAQ CANADA LTD.)

Keith Bergner

Michelle Casey

POUR LA DEMANDERESSE

(GRIEG SEAFOOD B.C. LTD.)

 

Ryan Dalziel, c.r.

Aubin Calvert

POUR LA DEMANDERESSE

(622335 BRITISH COLUMBIA LTD.)

Jennifer Chow, c.r.

POUR le défendeur

(Le ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne)

 

Margot Venton

Kegan Pepper-Smith

Andhra Azevedo

POUR LES INTERVENANTES

(FONDATION DAVID SUZUKI, GEORGIA STRAIT ALLIANCE, LIVING OCEANS SOCIETY ET ALEXANDRA MORTON)

 

Sean Jones

(POUR LES PREMIÈRES NATIONS DES HOMALCO ET DES TLA’AMIN)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

(MOWI CANADA WEST INC.)

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique).

POUR LA DEMANDERESSE

(CERMAQ CANADA LTD.)

Lawson Lundell LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

(GRIEG SEAFOOD B.C.)

Hunter Litigation Chambers Law Corp.

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

(622335 BRITISH COLUMBIA LTD.)

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR Le défendeur

(Le ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne)

 

Ecojustice

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES INTERVENANTES

(FONDATION DAVID SUZUKI, GEORGIA STRAIT ALLIANCE, LIVING OCEANS SOCIETY AND ALEXANDRA MORTON)

 

MLT Aikins LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

(POUR LES PREMIÈRES NATIONS DES HOMALCO ET DES TLA’AMIN)


 

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