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Date : 20210831


Dossier : T-9-21

Référence : 2021 CF 898

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2021

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

ALAN MILLIKEN HEISEY

 

demandeur

et

REBECCA MACDONALD

 

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue le 3 mars 2020 par laquelle Transports Canada a approuvé la demande déposée par Mme MacDonald en application du paragraphe 7(6) de la Loi sur les eaux navigables canadiennes, LRC 1985, c N‑22 [la Loi], concernant [traduction] « l’installation d’une bouée d’amarrage unique, située à 44° 53′ 57,23″ N., 79° 51′ 46,56″ O., baie Georgienne, île 155A, township de Georgian Bay, dans la municipalité régionale du Muskoka, province d’Ontario ».

I. Les parties et le contexte

[2] Le demandeur, M. Heisey, réside à Toronto et est propriétaire d’un chalet d’été situé sur les îles 159 et 160 [les îles Heisey], dans la baie Georgienne, municipalité régionale du Muskoka.

[3] La défenderesse, Mme MacDonald, est la propriétaire inscrite de l’île 155, dans la baie Georgienne [l’île MacDonald]. Pour les besoins de la navigation, cette île est également connue comme l’île 155A. Le nom familier donné à l’île MacDonald est « Spray Rock », mais il ne s’agit pas d’une désignation officielle. La demanderesse a acheté cette île en juin 2016 pour que ses enfants et elle puissent l’utiliser pendant la saison estivale.

[4] Les îles Heisey se trouvent à environ 300 mètres de l’île MacDonald.

[5] En 2016, Mme MacDonald a installé une bouée d’amarrage à environ 36 mètres (120 pieds) de son quai flottant pour permettre à ses parents d’y amarrer leur gros chalutier en toute sécurité, sans risque de dommage ou de préjudice en période de forts vents.

[6] En 2018, des voisins ont informé Mme MacDonald qu’elle devait obtenir l’approbation de Transports Canada pour installer des bouées d’amarrage. Elle a donc enlevé sa bouée et pris des mesures afin d’obtenir cette approbation.

[7] Elle a retenu les services d’A&A Services and Marine Contracting Ltd. [A&A] pour l’aider à présenter une demande d’installation d’une bouée auprès de Transports Canada. A&A se spécialise notamment dans les projets de quais et de remises à bateaux, et offre des services complets en matière de demandes de permis. Le 9 octobre 2019, elle a présenté une demande afin d’obtenir l’autorisation d’installer une bouée d’amarrage privée [la bouée d’amarrage] à 120 pieds devant son chalet estival privé – où la profondeur de l’eau atteint 18 pieds – sur l’île 155 dans la baie Georgienne, municipalité régionale du Muskoka, province d’Ontario. La bouée, à amarrage unique, devait servir à amarrer des bateaux d’une longueur d’au plus 47 pieds (14 mètres). Une carte aérienne montrant la bouée d’amarrage unique proposée et un plan de bouée d’amarrage dessiné par un concepteur qualifié aux termes du Code du bâtiment de l’Ontario étaient joints à la demande.

[8] Le 4 décembre 2019, Transports Canada a informé A&A qu’il était nécessaire de publier un avis relatif à l’ouvrage proposé :

[traduction]

Conformément au paragraphe 7(3), veuillez procéder à la publication d’un avis, établi suivant le modèle d’avis public ci‑joint, dans la section des avis légaux d’un journal de langue anglaise publié à l’endroit où l’ouvrage doit être construit ou dans les environs. L’avis public peut figurer dans une seule édition de la publication.

[9] A&A a informé Mme MacDonald que le journal local le plus près de l’emplacement proposé pour la bouée d’amarrage était le Midland Mirror. Elle a donc publié l’avis suivant dans ce journal, le 23 janvier 2020, en conformité avec les instructions de Transports Canada :

[traduction]

AVIS PUBLIC

LOI SUR LES EAUX NAVIGABLES CANADIENNES

Par les présentes, Rebecca MacDonald donne avis qu’une demande a été soumise au ministre des Transports en application de la Loi sur les eaux navigables canadiennes afin d’obtenir une approbation visant l’ouvrage décrit ci‑dessous, son emplacement et les plans proposés.

Conformément au paragraphe 7(2) de cette loi, Rebecca MacDonald a déposé auprès du ministre des Transports, sur le site en ligne du Registre des eaux navigables (http://rpc.canada.ca/), sous le numéro de dossier PPN 2019‑401285, une description de l’ouvrage suivant, de son emplacement et des plans proposés : Installation d’une bouée d’amarrage privée dans, sur, sous la baie Georgienne de même qu’au‑dessus ou en travers de celle‑ci, à l’île 155, dans la baie Georgienne, en face de l’île portant le numéro de lot 155A.

Les commentaires relatifs aux conséquences de la présence de cet ouvrage sur la navigation maritime peuvent être envoyés par l’intermédiaire du site Web de Recherche de projet en commun, dont le lien figure plus haut, en cliquant sur la mention « laisser un commentaire » (faire une recherche au moyen du numéro de dossier précisé plus haut) ou directement par courriel à NPPONT-PPNONT@tc.gc.ca ou encore par la poste à Transports Canada, Programme de protection de la navigation, 100, rue Front Sud, 1er étage, Sarnia (Ontario), N7T 2M4.

Pour être pris en considération, les commentaires doivent être formulés par écrit (par un moyen électronique, de préférence) et reçus au plus tard 30 jours suivant la publication du dernier avis. Même si tous les commentaires conformes à ce qui précède seront pris en considération, aucune réponse individuelle ne sera envoyée.

Signé à Honey Harbour, le 15 janvier 2020.

Rebecca MacDonald

[10] Après la publication de l’avis, Transports Canada a reçu vingt‑six commentaires de résidents d’été, de propriétaires de chalet, de plaisanciers et de membres du personnel du Camp Reine Elizabeth, ainsi que du township de Georgian Bay, concernant l’installation de la bouée d’amarrage proposée.

[11] Le 3 mars 2020, Transports Canada a approuvé la demande relative à la bouée d’amarrage et il a publié cette approbation dans son registre public. L’approbation était conditionnelle à ce que la bouée d’amarrage ne serve qu’à amarrer des bateaux d’une longueur d’au plus 15 mètres, qu’elle soit munie d’un matériau rétroréfléchissant jaune et qu’elle émette des feux jaunes conformément aux normes et aux lignes directrices établies par le Système canadien d’aides à la navigation. L’approbation comporte les plans et les cartes visant la bouée d’amarrage. Ces documents portent un timbre attestant qu’ils ont été examinés par Transports Canada.

[12] En juillet 2020, la défenderesse a acheté une bouée conforme aux caractéristiques techniques exigées par Transports Canada. Comme cette bouée n’était pas munie d’un support de fixation, son père en a fabriqué un. La bouée a été livrée à la fin de juillet ou au commencement d’août. Son père et elle ont passé de nombreuses heures à assembler et à installer la bouée d’amarrage.

II. Question préliminaire

[13] Avant l’audition de la présente demande, la Cour a énoncé, à l’intention des parties, une directive mettant en doute la désignation de Rebecca MacDonald à titre de partie défenderesse en l’espèce :

[traduction]

La défenderesse désignée n’est ni un décideur ni un office fédéral. On attend des parties qu’elles examinent, à titre de question préliminaire, les points de savoir si la partie défenderesse appropriée a été désignée et si la Cour a compétence dans la présente affaire, telle qu’elle est actuellement introduite.

[14] Monsieur Heisey a répondu à la Cour que, lorsqu’il a initialement introduit la présente instance, il a demandé une prorogation de délai et désigné Transports Canada à titre de partie défenderesse. Transports Canada a répondu qu’il ne pouvait être désigné à titre de partie parce qu’il est [traduction] « l’office à l’égard duquel la demande a été présentée » et qu’il y avait une personne qui était directement touchée par la décision et qui était désignée comme partie, soit Mme MacDonald.

[15] Les paragraphes 303(1) et (2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, régissent cette question :

303 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le demandeur désigne à titre de défendeur :

a) toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée, autre que l’office fédéral visé par la demande;

b) toute autre personne qui doit être désignée à titre de partie aux termes de la loi fédérale ou de ses textes d’application qui prévoient ou autorisent la présentation de la demande.

(2) Dans une demande de contrôle judiciaire, si aucun défendeur n’est désigné en application du paragraphe (1), le demandeur désigne le procureur général du Canada à ce titre.

[Non souligné dans l’original.]

303 (1) Subject to subsection (2), an applicant shall name as a respondent every person

(a) directly affected by the order sought in the application, other than a tribunal in respect of which the application is brought; or

(b) required to be named as a party under an Act of Parliament pursuant to which the application is brought.

(2) Where in an application for judicial review there are no persons that can be named under subsection (1), the applicant shall name the Attorney General of Canada as a respondent.

[emphasis added]

III. Questions en litige

[16] Les parties ont soulevé plusieurs questions dans leurs plaidoiries et leur mémoire respectifs. À mon avis, les questions pertinentes sont les suivantes :

  1. Monsieur Heisey a‑t‑il qualité pour soumettre la présente demande?

  2. Transports Canada a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a conclu que Mme MacDonald avait donné un avis public efficace?

  3. Transports Canada a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte des antécédents de Mme MacDonald en matière d’observation?

  4. Transports Canada a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a délivré l’approbation sur le fondement de renseignements inexacts?

  5. Transports Canada a‑t‑il omis de fournir, dans l’approbation, un raisonnement intrinsèquement cohérent, si bien que cette approbation est déraisonnable?

IV. Analyse

1. Monsieur Heisey a‑t‑il qualité pour soumettre la présente demande?

[17] Monsieur Heisey a soutenu qu’il avait qualité pour présenter une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales à titre de personne « directement touchée » par la décision.

[18] Il cite et invoque l’arrêt Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c Odynsky, 2010 CAF 307 [Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada]. Il affime être « directement touché » parce que l’approbation a une incidence sur ses droits et, d’une certaine façon, lui cause un préjudice. Il soutient que la bouée d’amarrage nuit à l’exercice de ses droits de navigation et l’oblige à voyager d’une façon qui n’est ni la plus sûre ni la plus directe lorsqu’il quitte son chalet et y retourne. Aux paragraphes 21 et 22 de son mémoire, il explicite ainsi l’atteinte à ses droits :

[traduction]

La bouée d’amarrage (et le yacht de 50 pieds qui y est associé) est située sur la route la plus directe et la plus sûre que le demandeur peut suivre en bateau entre Honey Harbour et le chalet Heisey, en particulier pendant les années où l’eau est haute.

L’approbation cause un préjudice au demandeur parce qu’elle l’oblige à se rendre à son chalet par une route qui n’est ni la plus directe ni la plus sûre. La bouée d’amarrage et le yacht de 50 pieds qui y est associé sont situés dans des eaux où se trouvent de nombreux hauts‑fonds non identifiés et où il y a parfois de forts vents, de grosses vagues, d’épais brouillards et de la brume. La bouée d’amarrage porte directement atteinte aux droits de navigation du demandeur.

[19] Je souscris à l’observation de la défenderesse voulant que M. Heisey n’ait pas qualité pour introduire la présente demande à titre personnel.

[20] Comme la Cour d’appel fédérale l’a dit dans l’arrêt Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada, au paragraphe 58, pour qu’un demandeur soit une personne « directement touchée » au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, il faut que la décision administrative « ai[t] affecté ses droits, lui ai[t] imposé en droit des obligations, ou lui ai[t] porté préjudice » [non souligné dans l’original].

[21] La décision visée par le contrôle n’a pas, sur les droits de M. Heisey, l’incidence que ce dernier prétend qu’elle a. Même s’il doit maintenant contourner la bouée d’amarrage pour naviguer entre les îles Heisey et Honey Harbour, ce détour n’ajoute que quelques secondes à son trajet et on ne saurait dire qu’il touche à ses droits ni, véritablement, à ses droits de navigation. Il ressort du dossier que Transports Canada a veillé à ce que la taille, l’apparence et l’emplacement de la bouée d’amarrage n’aient pas pour effet de gêner ou d’entraver la navigation dans les environs. Il y a un dégagement de 150 mètres entre la bouée d’amarrage et le rivage opposé. Par conséquent, même si un bateau de 15 mètres était amarré à la bouée, il y aurait amplement d’espace pour circuler. Toutes les allégations, quelles qu’elles soient, relatives à une atteinte aux droits de navigation sont dénuées de fondement.

[22] En outre, la décision visée par le contrôle n’impose aucune obligation légale à M. Heisey. Avec égards pour l’opinion contraire, il est évident que ce dernier est mécontent et que cette bouée revêt une grande importance pour lui, mais cela ne signifie pas qu’il est « directement touché » par l’approbation. Bien qu’elles aient été formulées dans un contexte différent, les observations de la juge Dawson, la juge des requêtes dans l’affaire Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c Canada, 2008 CF 732 au para 26, sont tout aussi pertinentes en l’espèce :

Nul doute, la demanderesse et les proches parents qu’elle affirme représenter s’intéressent de très près à la procédure de révocation de la citoyenneté de M. Odynsky et à ses services en tant que garde affecté au périmètre de la Siedlung au camp de travail de Poniatowa en Pologne sous l’occupation nazie, et elles s’en soucient au plus haut point. Cet intérêt ne signifie cependant pas que les droits juridiques de la demanderesse, ou ceux des personnes qu’elle représente, sont touchés ou atteints par la décision de ne pas révoquer la citoyenneté de M. Odynsky. Leur intérêt vise plutôt à redresser l’injuste qui découle, selon eux, de la non‑révocation de la citoyenneté de M. Odynsky, ou à faire triompher un principe.

[23] Un simple intérêt dans la décision ne suffit pas à conférer à un demandeur la qualité pour demander un contrôle judiciaire.

[24] Selon la défenderesse, l’absence de qualité pour agir à titre personnel est suffisante pour rejeter la présente demande.

[25] Dans son mémoire, le demandeur soutient que, outre la qualité pour agir à titre personnel ou subsidiairement à celle‑ci, il [traduction] « a qualité pour agir dans l’intérêt public pour introduire la présente demande ». Nul ne possède de plein droit la qualité pour agir dans l’intérêt public; il appartient plutôt à la cour d’accorder cette qualité.

[26] La défenderesse souligne à bon droit que le demandeur n’a pas sollicité la qualité pour agir dans l’intérêt public dans son avis de demande. Toutefois, aucun précédent n’a été invoqué pour appuyer la proposition que le défaut de le faire porte un coup fatal à la possibilité, pour le demandeur, de solliciter cette qualité ultérieurement.

[27] L’arrêt de principe en matière de qualité pour agir dans l’intérêt public est Conseil canadien des Églises c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 RCS 236 [Conseil canadien des Églises]. La question de la qualité pour agir a été soulevée devant la Section de première instance de la Cour fédérale dans le cadre d’une requête présentée par le défendeur afin d’obtenir la radiation de la déclaration au motif que le demandeur n’avait pas qualité pour intenter l’action et qu’il n’avait pas démontré qu’il existait une cause d’action raisonnable. Il convient de souligner que la question de la demande de qualité pour agir dans l’intérêt public paraît avoir été initialement soulevée devant le juge de la requête.

[28] Dans l’arrêt Conseil canadien des Églises, la Cour suprême du Canada a énoncé un critère à trois volets régissant la qualité pour agir dans l’intérêt public, à savoir :

  1. Une question sérieuse a‑t‑elle été soulevée?

  2. La partie qui demande la qualité pour agir dans l’intérêt public a‑t‑elle un intérêt direct dans l’issue du litige ou, dans la négative, a‑t‑elle un intérêt véritable dans celle‑ci?

  3. Y a‑t‑il une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour?

[29] Le demandeur fait valoir que la demande soulève une question sérieuse d’intérêt public, à savoir les éventuels dangers pour les plaisanciers et les autres personnes qui naviguent dans les environs de la bouée d’amarrage. Je conviens, uniquement pour statuer sur la question de la qualité pour agir, que, si la décision visée par le contrôle est déraisonnable, elle pourrait avoir des répercussions négatives sur la sécurité, et qu’il s’agit là d’une question sérieuse.

[30] Même si j’ai conclu que M. Heisey n’a aucun intérêt juridique direct dans l’issue du litige, je reconnais qu’il a un intérêt véritable dans celle‑ci.

[31] S’agissant de la présente demande, le plus important volet du critère mentionné plus haut est le dernier. Personne ne semble être touché directement par la décision, à l’exception de Mme MacDonald et de Transports Canada. Si la demande relative à la bouée d’amarrage avait été refusée, la défenderesse aurait alors eu qualité pour contester la décision. Cependant, comme celle‑ci a été approuvée, la Cour estime que le caractère raisonnable de la décision relative à l’approbation ne peut être contesté que si M Heisey ou une autre personne intéressée obtient la qualité pour agir dans l’intérêt public. Il n’est pas dans l’intérêt de la justice que les décisions administratives susceptibles d’avoir des incidences sur des tiers échappent au contrôle judiciaire. Par conséquent, la Cour conclut que M. Heisey a qualité pour agir dans l’intérêt public et qu’il peut donc contester la décision visée par le présent contrôle.

2. Un avis public efficace a-t-il été donné?

[32] Le demandeur avance que Transports Canada a commis une erreur lorsqu’il a fermé les yeux sur l’avis public inefficace. Il affirme que l’avis est insuffisant parce qu’il a été affiché au mauvais endroit au mauvais moment. De plus, il soutient que l’avis lui‑même est défectueux. Toutes ces lacunes lui font prétendre que l’approbation constitue un déni de justice naturelle et un manquement à l’équité procédurale, et qu’elle devrait donc être annulée.

[33] Le demandeur soutient que l’avis a été donné de manière inefficace puisqu’il a été publié trop loin de la région touchée. Mme MacDonald était tenue de publier des renseignements au sujet de la bouée d’amarrage proposée dans la section des avis légaux d’un journal de langue anglaise publié à l’endroit où l’ouvrage devait être installé ou dans les environs. Elle a publié son avis dans le Midland Mirror, un journal qui ne s’adresse pas directement au township de Georgian Bay, dans la municipalité régionale du Muskoka, où la bouée d’amarrage devait être installée. La ville de Midland, où est publié le journal, se trouve dans le comté de Simcoe, à 40 kilomètres du village de Honey Harbour. Selon M. Heisey, la plupart des propriétaires fonciers de la région touchée partent de ce village lorsqu’ils vont faire une excursion en bateau.

[34] Le demandeur renvoie la Cour à la décision Nisga’s Tribal Council v British Columbia (Environmental Appeal Board), [1988] BCJ No 3110 (CS) [Nisga’s Tribal Council], dans laquelle le tribunal a conclu à l’inefficacité de l’avis parce que celui‑ci avait été publié dans un journal d’une municipalité éloignée de la collectivité réellement touchée par la décision en cause. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a jugé que le fait de publier un avis dans une municipalité située à 150 milles de la région touchée ne constituait pas un « avis efficace » ou ne respectait pas la disposition voulant que soit publié [traduction] « tout ou partie du permis dans au moins un journal distribué localement ».

[35] Le demandeur soutient que la preuve ne permet pas de conclure que Mme MacDonald a déployé de réels efforts pour que la publication de l’avis dans le Midland Mirror soit efficace. Il avance qu’il existait de meilleurs choix, comme le Globe and Mail, le Toronto Star et le National Post, qui sont tous distribués dans la région de la baie Goblin et de Cognashene, où la bouée d’amarrage devait être installée.

[36] Le demandeur ajoute que l’avis est inefficace même si lui et de nombreuses autres personnes avaient connaissance de celui‑ci et de la demande relative à la bouée d’amarrage. Dans la décision Nisga’s Tribal Council, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a conclu que l’absence de preuve établissant un préjudice n’influait nullement sur la question de l’avis.

[37] Madame MacDonald a également affiché un avis sur le site Web Simcoe.com, lequel présente des nouvelles et de l’information aux collectivités du comté de Simcoe en plus d’avoir le soutien des journaux distribués dans ces collectivités. On n’y mentionne pas que le site s’adresse aux collectivités situées à l’extérieur du comté de Simcoe, dont le township de Georgian Bay, dans la municipalité régionale du Muskoka, où la bouée d’amarrage devait être installée. M. Heisey affirme que la Cour devrait tirer une inférence défavorable du fait que la défenderesse a affiché un avis sur le site Simcoe.com. Il fait valoir que la défenderesse doit avoir agi ainsi en sachant que la publication dans le Midland Mirror était, à elle seule, insuffisante. Cette « proposition » relève de la pure conjecture et la Cour n’y ajoute pas foi.

[38] Le demandeur fait également valoir que Transports Canada a commis une erreur lorsqu’il a fermé les yeux sur l’avis bien que ce dernier ait été publié [traduction] « au cœur de l’hiver ». L’avis a paru dans le Midland Mirror le 23 janvier 2020. Selon le demandeur, les bateaux auraient à ce moment été remisés pour l’hiver et tant les plaisanciers que les résidents saisonniers auraient été absents de la collectivité. Il était donc hautement improbable qu’ils aient vu, ou aient pu voir, l’avis.

[39] Enfin, le demandeur affirme que Transports Canada a commis une erreur lorsqu’il a fermé les yeux sur l’avis puisque le contenu de celui‑ci était insuffisant. Il soutient que l’avis ne précisait pas de façon adéquate l’emplacement de l’ouvrage proposé. Suivant les instructions formulées par le ministre dans le modèle d’avis public, un avis efficace doit fournir une description de l’ouvrage proposé, l’emplacement de l’ouvrage y compris le numéro du lot le plus proche, ainsi que le site et les plans y afférents. Au paragraphe 70 de son mémoire, le demandeur allègue que l’avis comporte les lacunes suivantes :

[traduction]

(a) L’avis ne précise pas la latitude et la longitude de la bouée d’amarrage proposée malgré le fait que ces renseignements étaient connus de la défenderesse. Cette dernière a précisé la latitude et la longitude de la bouée d’amarrage proposée dans la demande relative à la bouée d’amarrage elle‑même, mais non dans l’avis donné au public. (Voir la pièce « B » jointe à l’affidavit de la défenderesse.)

(b) L’avis mentionnait simplement que la bouée d’amarrage devait être située dans la baie Georgienne. La baie Georgienne est un plan d’eau qui mesure 190 km de long et 80 km de large.

(c) L’avis ne fait aucune mention du township de Georgian Bay ou de la collectivité de Cognashene, malgré le fait que la bouée d’amarrage proposée soit située dans ce township et cette collectivité.

(d) L’avis renvoie à [traduction] « [l’]île 155A », mais aussi à [traduction] « [l’]île 155! ». Or, un numéro de lot n’a de sens que si on précise le registre foncier et la municipalité dans lesquels il se trouve.

(e) L’avis ne fait aucune mention de la caractéristique géographique la plus reconnaissable de l’emplacement de la bouée d’amarrage, soit sa présence dans la baie Goblin.

(f) L’avis ne fournissait aucune carte ou dessin de l’emplacement de la bouée d’amarrage proposée.

[40] La défenderesse fait valoir que la décision Nisga’s Tribal Council n’est d’aucune utilité pour le demandeur; je suis d’accord. Les faits sont sensiblement différents de ceux en l’espèce. Dans l’affaire Nisga’s Tribal Council, il n’y avait aucun journal dans la région touchée, soit Nass Valley. Le plus proche endroit où on publiait un journal était situé à quelque 55 milles de là, à Terrace. Smithers, où l’avis a été publié, se trouvait à environ 150 milles des collectivités touchées. La Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire après avoir conclu qu’il aurait plutôt fallu choisir le journal de Terrace pour la publication de l’avis.

[41] La défenderesse fait remarquer, sur le fondement du raisonnement suivi dans la décision Nisga’s Tribal Council, que l’avis en l’espèce devait être publié dans le Midland Mirror puisqu’il s’agissait du journal local le plus proche de la région touchée, ce qui est bien le cas.

[42] La défenderesse avance en outre que l’avis, tel qu’il a été publié, a été porté à la connaissance des résidents du secteur. Elle signale que, dès le 26 janvier 2020, le demandeur s’était prévalu à plusieurs occasions de la possibilité de s’opposer, par écrit, à la demande relative à la bouée d’amarrage et avait présenté des observations accompagnées de pièces jointes à six occasions différentes. De plus, 25 autres particuliers ont présenté des observations écrites, tout comme le township de Georgian Bay, la Cognashene Cottagers’ Association et The Georgian Bay Association.

[43] La Cour convient avec la défenderesse que la preuve montre que l’avis public, tel qu’il a été publié, a été porté à la connaissance des résidents de la région. Rien dans la preuve ne permet de conclure que qui que ce soit a subi un préjudice ou souhaitait présenter des observations, mais n’a pas pu le faire en raison de l’absence d’avis.

[44] La Cour constate que le demandeur n’allègue pas qu’il existe un journal local moins éloigné auquel la défenderesse aurait dû s’adresser. Il soutient plutôt qu’il aurait fallu publier l’avis dans un journal national, comme le Globe and Mail. Je conviens avec la défenderesse qu’il serait déraisonnable de publier un avis public relatif à une bouée d’amarrage située dans la baie Georgienne dans un journal distribué à l’échelle nationale ou principalement à Toronto. La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve selon lequel un avis publié dans un tel journal serait porté à la connaissance des résidents du secteur touché. Au contraire, la preuve montre que les résidents touchés ont eu connaissance de l’avis, tel qu’il a été publié.

[45] En réponse aux préoccupations soulevées par le demandeur relativement au contenu de l’avis, la défenderesse allègue que l’avis a été donné de façon appropriée : il fournit la description exacte de l’emplacement de la bouée d’amarrage, il offre au public une réelle possibilité de formuler des commentaires concernant la demande et il renvoie les lecteurs au registre public de Transports Canada, dans lequel se trouve l’intégralité de la demande, y compris les plans et les cartes de localisation.

[46] La défenderesse affirme également, et j’en conviens, que rien ne prouve que la description de la bouée ou de son emplacement a pu semer la confusion dans l’esprit du public. Parmi les 38 commentaires reçus par Transports Canada au sujet de la bouée d’amarrage, aucun ne révèle une quelconque confusion quant à son emplacement proposé.

[47] Même si l’avis aurait pu être libellé différemment, il est allégué en l’espèce que les lacunes à cet égard touchent à l’équité procédurale. Or, en matière d’équité procédurale, c’est l’équité qui s’impose et non la perfection : voir l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique c Vancouver (Ville), 2006 CSC 5 au para 46.

[48] Le fait que l’avis a été publié pendant l’hiver n’a guère d’importance. Même si je reconnais que les résidents d’été n’ont peut‑être pas l’occasion de lire les avis publiés au cours de l’hiver, Transports Canada exige, dans sa lettre du 4 décembre 2019, que l’avis soit publié dans les 90 jours, à défaut de quoi il serait mis fin à la demande. En conséquence, l’avis devait être publié au cours de la saison hivernale. L’hiver est une réalité au Canada, même pour les propriétaires de chalet dans la baie Georgienne, et je ne vois rien d’illégitime ou d’injuste dans le délai de publication imposé par Transports Canada. Sur ce point également, bien que le demandeur se plaigne du fait que le moment de la publication a empêché certaines personnes d’être informées de la situation et d’éventuellement présenter des commentaires, la Cour ne dispose d’aucune preuve qu’une personne touchée a affirmé qu’elle souhaitait présenter des commentaires, mais qu’elle n’a pas reçu l’avis en raison du moment de sa publication. Bref, aucun préjudice n’a été mis en preuve.

[49] Pour ces raisons, la Cour arrive à la conclusion qu’un avis public équitable, raisonnable et efficace a été donné relativement à la bouée d’amarrage.

3. Transports Canada a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte des antécédents de Mme MacDonald en matière d’observation?

[50] Les parties reconnaissent que la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle judiciaire des éléments de fond de la décision du ministre. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CSC 65 au para 85.

[51] Le demandeur mentionne que l’alinéa 7(7)h) de la Loi prévoit ce qui suit : « Pour décider s’il délivre l’approbation, le ministre tient compte des renseignements et des facteurs suivants : […] les antécédents du propriétaire en matière d’observation de la présente loi […] ». Il avance que le ministre, contrairement aux dispositions de cette loi, a expressément refusé de tenir compte des antécédents de la défenderesse en matière d’[in]observation qui sont explicités dans les lettres d’opposition reçues de personnes concernées.

[52] À l’été 2016, la défenderesse a installé une bouée d’amarrage à peu près au même endroit que celui proposé pour la bouée d’amarrage visée en l’espèce, sans obtenir l’approbation de Transports Canada. Au printemps 2018, elle a ensuite présenté au comité des dérogations du township de Georgian Bay une demande afin d’obtenir une dérogation au règlement de zonage pour qu’elle puisse démolir un chalet existant situé sur son terrain et en construire un plus grand à la place.

[53] De nombreux voisins de la défenderesse se sont opposés à la dérogation proposée. Une des raisons invoquées à l’appui de leur opposition tenait à la présence de la bouée d’amarrage illégalement installée parce que celle‑ci entraînait les mêmes conséquences que celles engendrées par deux chalets alors que le plan officiel du township n’autorisait en aucun cas qu’une propriété riveraine serve de poste d’amarrage éloigné pour les navires de plaisance.

[54] Le 15 mai 2018, le représentant de la défenderesse a écrit aux voisins de cette dernière pour leur présenter des excuses au nom de la défenderesse au sujet de la bouée d’amarrage et pour leur promettre que cet ouvrage illégalement installé serait enlevé. Le demandeur affirme que la défenderesse s’est excusée uniquement pour que ses voisins retirent leur opposition à sa demande de dérogation. Il soutient en outre que sa promesse d’enlever la bouée d’amarrage illégale en comportait une autre, implicite, voulant qu’elle n’installe pas d’autre bouée.

[55] Le demandeur fait valoir que, compte tenu de la bouée d’amarrage illégalement installée, la défenderesse avait une obligation accrue de veiller à ce que ses voisins soient réellement et efficacement avisés de la demande relative à la bouée d’amarrage.

[56] Le demandeur avance que Transports Canada aurait dû tenir compte de l’installation antérieure illégale d’une bouée d’amarrage par la défenderesse, de l’inutilité d’une bouée d’amarrage dans son cas puisqu’elle avait déjà un quai, ainsi que des circonstances entourant sa demande de dérogation mineure. Selon le demandeur, le défaut de Transports Canada d’avoir pris ces éléments en considération soulève une question sérieuse d’interprétation de la loi et justifie l’intervention de la Cour.

[57] Au moment de délivrer l’approbation, Transports Canada disposait des éléments suivants : courriel d’excuses envoyé par la défenderesse en mai 2018; lettre du maire du township datée du 21 février 2020, confirmant que la défenderesse avait enlevé sa bouée d’amarrage installée antérieurement; preuve photographique de cette bouée; approbation donnée par le comité des dérogations relativement à la demande de dérogation et faisant état de la promesse de la défenderesse d’enlever l’ancienne bouée; dix lettres d’opposition faisant toutes mention de la bouée d’amarrage illégale antérieure et de la promesse d’enlever celle‑ci.

[58] Transports Canada a reconnu qu’il avait reçu au sujet de la demande relative à la bouée d’amarrage de nombreuses oppositions fondées sur l’installation illégale antérieure d’une bouée d’amarrage par la défenderesse et sur la promesse subséquente de l’enlever. Cependant, Transports Canada a expressément déclaré qu’il n’avait [traduction] « nullement le mandat » d’examiner ces éléments. Le demandeur prétend qu’il s’agit là d’une erreur de droit.

[59] L’article 7 de la Loi énonce une liste de facteurs dont Transports Canada doit tenir compte pour décider de l’opportunité de délivrer une approbation. Il ressort du dossier que Transports Canada a, de fait, examiné ces facteurs, y compris les antécédents officiels de la défenderesse en matière d’observation. Il importe de souligner que les commentaires reçus de personnes intéressées dans le délai de 30 jours et les antécédents du propriétaire en matière d’observation sont des facteurs distincts qui sont énumérés dans la liste et dont il faut tenir compte. Je conviens avec la défenderesse que le terme « antécédents en matière d’observation » s’entend au sens que lui donne Transports Canada, à savoir les antécédents officiels en matière d’observation consignés par Transports Canada. Il ne s’agit pas des allégations d’inobservation qui sont formulées par des membres du public sans être étayées par une source officielle.

[60] Transports Canada a manifestement tenu compte des allégations d’inobservation soulevées dans les commentaires avant de conclure de façon légitime qu’il n’avait pas le mandat de se prononcer sur celles‑ci. Il a aussi tenu compte des antécédents de la défenderesse en matière d’observation et il a constaté qu’aucune plainte officielle n’avait été déposée contre elle.

[61] Transports Canada s’est acquitté de l’obligation qui lui incombe selon la Loi de tenir compte des antécédents de la défenderesse en matière d’observation et il n’a donc commis aucune erreur de droit.

4. Transports Canada a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a délivré l’approbation sur le fondement de renseignements inexacts?

[62] Le demandeur affirme que la défenderesse a fourni des renseignements inexacts dans la demande relative à la bouée d’amarrage. Il avance en effet que l’échelle du plan selon laquelle un pouce représente dix pieds d’eau était erronée. Cette inexactitude donnait à penser qu’il était impossible d’amarrer de grands navires de plaisance au quai existant. Le 2 février 2020, avant que Transports Canada ne délivre l’approbation, le demandeur a lui‑même présenté une preuve selon laquelle la profondeur de l’eau au quai flottant existant était en réalité beaucoup plus grande que celle indiquée par la défenderesse et qu’il était de fait possible d’y amarrer de gros bateaux. Par conséquent, le dossier de preuve dont disposait Transports Canada établissait que la défenderesse n’avait pas besoin d’installer la bouée d’amarrage puisque de grands bateaux pouvaient déjà s’amarrer à son quai existant. Le demandeur ajoute que, dans son affidavit, la défenderesse ne réfute pas l’assertion voulant que la profondeur de l’eau indiquée dans la demande relative à la bouée d’amarrage soit inexacte. Selon le demandeur, dans la mesure où elle reconnaît implicitement que la bouée d’amarrage était nécessaire, l’approbation est injustifiée à la lumière de la preuve produite et elle devrait être annulée.

[63] La défenderesse soutient qu’A&A, la société dont elle a retenu les services pour l’aider à présenter sa demande relative à la bouée d’amarrage, se spécialise dans les projets touchant les quais et les remises à bateaux, y compris les services en matière de demande de permis. En outre, un concepteur qualifié aux termes du Code du bâtiment de l’Ontario a dressé le plan relatif à la bouée d’amarrage pour les besoins de la demande. À sa connaissance, les renseignements fournis dans la demande étaient donc exacts.

[64] Quant aux allégations du demandeur concernant la profondeur de l’eau près du quai flottant existant, la défenderesse affirme tout d’abord qu’elles ne sont pas dignes de foi, car cette information a pour source le fait que le demandeur a nagé à cet endroit il y a cinquante ans. Deuxièmement, elle fait valoir que la profondeur de l’eau précisée dans la demande est exacte à sa connaissance, même si elle reconnaît que cette profondeur fluctue de temps à autre. Troisièmement, elle ajoute que la profondeur de l’eau au quai existant n’est pertinente que pour déterminer s’il est possible d’amarrer un grand bateau près de celui‑ci. À cet égard, qu’un gros bateau puisse ou non s’amarrer au quai flottant existant n’a aucun lien avec le processus d’approbation de la demande relative à la bouée d’amarrage. Transports Canada a conclu qu’il n’avait pas le mandat de se prononcer sur les commentaires du demandeur selon lesquels la défenderesse n’a pas établi qu’elle avait « besoin » de la bouée d’amarrage.

[65] Aucune disposition de la Loi n’exige qu’une demande visant un ouvrage à être installé dans des eaux navigables se fonde sur les besoins. De même, rien dans la Loi ne permet de croire que les propriétaires ne peuvent amarrer leurs bateaux qu’à un seul endroit. Il importe peu de savoir si la demande relative à la bouée d’amarrage donne un renseignement inexact sur la profondeur de l’eau au quai flottant existant qui laisse croire qu’une bouée d’amarrage est nécessaire vu l’absence d’un autre endroit où amarrer les navires.

[66] Par conséquent, je conclus que Transports Canada ne s’est fondé sur aucun renseignement inexact pour rendre sa décision.

5. Transports Canada a‑t‑il omis de fournir, dans l’approbation, un raisonnement intrinsèquement cohérent?

[67] Le demandeur soutient que la question de la sécurité publique est sous‑jacente à l’ensemble des points soulevés dans le présent contrôle judiciaire. Il fait valoir que les motifs donnés par Transports Canada ne fournissent pas un raisonnement intrinsèquement cohérent en ce qui touche les préoccupations sous‑jacentes liées à la sécurité.

[68] Selon lui, la Cour dispose d’éléments de preuve non contestés selon lesquels la bouée d’amarrage présente un réel danger pour les membres du public et en particulier pour les jeunes qui participent au Camp Reine Elizabeth du YMCA. À titre d’exemple, les motifs exposés par Transports Canada, tels qu’ils sont résumés dans la matrice des sommaires figurant au dossier officiel du tribunal, montrent que Transports Canada a reçu des oppositions fondées sur les questions de sécurité suivantes : la bouée présentera un danger pour la navigation nocturne; n’importe quel bateau amarré à la bouée constituera un danger pour la navigation et un obstacle important pour les voiliers; la bouée fera interférence avec les activités nautiques du YMCA; enfin, la bouée et tout navire amarré à celle‑ci feront obstruction aux lignes de visibilité des exploitants, y compris pour les opérations de sauvetage.

[69] En réponse à ces oppositions, Transports Canada a mentionné que les exploitants de navires, dont ceux du YMCA, doivent se reporter au Règlement sur les abordages pour naviguer en toute sécurité et que la bouée serait portée sur la carte. Le demandeur soutient que ces réponses sont manifestement déraisonnables puisque Transports Canada s’attend à ce que les responsables des opérations de sauvetage menées par le YMCA contournent la bouée d’amarrage. Les campeurs du YMCA sont des enfants et la plupart des conseillers de camp sont des adolescents. Le demandeur soutient qu’il est « absurde » pour Transports Canada de régler les préoccupations liées à la sécurité en comptant sur le fait que les adolescents vont consulter le règlement.

[70] De plus, le demandeur allègue que la bouée n’est pas portée sur une carte. Il fait valoir que, selon l’affidavit de Scott Blair, la bouée d’amarrage ne figure pas dans la version plus récente du système GPS pour la baie Georgienne. En conséquence, un plaisancier qui se fie au GPS pour naviguer ne saurait pas que la bouée d’amarrage se trouve à cet endroit. Comme Transports Canada s’est appuyé sur la fausse prémisse selon laquelle la bouée serait portée sur la carte, ses motifs n’étaient « manifestement » pas fondés sur un raisonnement cohérent.

[71] La défenderesse soutient que Transports Canada a fait preuve de transparence au sujet de son processus décisionnel et qu’il a même transmis une lettre détaillée à la Georgian Bay Association dans laquelle il confirme que son programme est conçu de telle sorte que chaque demande est [traduction] « consciencieusement analysée » par un fonctionnaire qualifié qui doit examiner tous les facteurs énoncés au paragraphe 7(7) de la Loi et s’efforcer d’atténuer les obstacles à la navigation occasionnés par l’ouvrage.

[72] Quant à la sécurité sur le plan de la navigation, la défenderesse fait valoir que Transports Canada a tenu compte du fait que l’emplacement proposé pour la bouée d’amarrage était situé à 36 mètres de l’île MacDonald et à plus de 150 mètres du rivage opposé. Transports Canada a conclu qu’un dégagement de 60,88 mètres était nécessaire pour permettre la navigation à double sens en toute sécurité. Le dossier fait état des calculs détaillés du rayon de giration effectués par Transports Canada ainsi que des calculs relatifs à la bouée faits à partir des LDERN.

[73] La défenderesse ajoute que Transports Canada a également tenu compte de certains commentaires qualifiant la bouée d’amarrage (et tout navire y amarré) de danger pour la navigation nocturne, d’obstruction visuelle, d’obstacle important pour les voiliers et de source sérieuse d’inquiétude sur le plan de la sécurité en raison de la circulation des bateaux. Transports Canada a donné suite à ces commentaires en prenant les mesures suivantes : il a effectué des calculs confirmant l’existence d’un dégagement suffisant, il a porté la bouée sur la carte et il a exigé que la bouée d’amarrage soit éclairée et constituée d’un matériau rétroréfléchissant.

[74] La défenderesse soutient qu’il n’était pas déraisonnable pour Transports Canada de recommander que les exploitants de navires consultent le Règlement sur les abordages puisque le YMCA a l’obligation d’informer ses usagers des mesures de sécurité applicables. En ce qui concerne le camp d’été du YMCA, le Règlement sur les petits bâtiments, DORS/2010‑91, qui s’applique aux activités nautiques comme le kayak et le canotage, oblige toute personne qui dirige ou guide une excursion, donne des cours ou se trouve sur l’eau à titre de dirigeant, quel qu’il soit, à veiller, avant le début de l’excursion, à ce que soit donné aux participants un exposé sur les mesures de sécurité et d’urgence approprié à l’excursion.

[75] La défenderesse a de plus affirmé que le chalutier de ses parents pouvait être amarré exactement au même endroit, qu’il y ait ou non une bouée d’amarrage, au moyen de ses propres ancre et ligne de mouillage. Elle ajoute que le recours à la bouée d’amarrage est plus sûr, car celle‑ci offre un maintien plus solide qu’une ancre et fait en sorte que les navires s’amarrent toujours au même endroit.

[76] Enfin, elle avance que la bouée d’amarrage accroît la sécurité de la navigation pour le public parce qu’elle est éclairée, réfléchissante et qu’elle sera portée sur une carte. L’enlèvement de la bouée d’amarrage signifie que le chalutier sera ancré près de l’île MacDonald à des endroits différents et non portés sur une carte, sans aucune bouée éclairée et réfléchissante pour alerter le public.

[77] Le dossier montre que Transports Canada a tenu compte des commentaires présentés à l’égard de la demande relative à la bouée d’amarrage. Il comporte un examen détaillé et de nombreux calculs visant la bouée d’amarrage et les préoccupations qu’elle pourrait soulever en matière de sécurité de la navigation. Transports Canada a répondu à chaque commentaire, soit en précisant qu’il ne relevait pas de son mandat ou qu’il était dénué de pertinence ou en y donnant suite au moyen des nombreuses conditions auxquelles l’approbation relative à la bouée d’amarrage est assujettie. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve établissant que Transports Canada a commis une erreur dans ces calculs ou que les conditions imposées au titre des préoccupations liées à la sécurité, comme les exigences voulant que la bouée soit éclairée et réfléchissante, étaient insuffisantes.

[78] Je conviens avec la défenderesse qu’il est raisonnable pour Transports Canada de recommander que le YMCA informe ses campeurs des mesures de sécurité nautique applicables même si, et peut‑être particulièrement si, ce sont des usagers inexpérimentés.

[79] La Cour n’est saisie d’aucun élément de preuve convaincant établissant que la bouée d’amarrage compromet la sécurité de la navigation dans la région. En réalité, une bouée d’amarrage bien éclairée et réfléchissante est même susceptible d’accroître la sécurité puisqu’elle permet aux navires de s’amarrer à un endroit précis, porté sur une carte et mieux adapté pour résister aux vents violents et aux autres phénomènes météorologiques extrêmes.

[80] La décision visée par le contrôle judiciaire est intrinsèquement cohérente et raisonnable.

V. Conclusion

[81] La présente demande sera rejetée. La défenderesse a droit à ses dépens. Les parties ont convenu qu’il est raisonnable de fixer le montant des dépens à 4 000 $, et je suis d’accord.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑9‑21

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et les dépens, fixés à 4 000 $, sont adjugés à la défenderesse.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑9‑21

 

INTITULÉ :

ALAN MILLIKEN HEISEY c REBECCA MACDONALD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR vidÉoconfÉrence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 JUILLET 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE zinn

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 AOÛT 2021

 

COMPARUTIONS :

Justin Papazian

POUR LE DEMANDEUr

 

Maija Pluto

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Papazian Heisey Myers

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUr

 

Gaertner Baron Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

pOUR LA DÉFENDERESSE

 

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